Alors qu'Hendrix souriait béatement aux anges, l'un d'eux apparut dans l'azur, il avait la voix et l'apparence de Globuleux Nicholson, le pickpocket du train, le fils de Stars des partouzes zoophiles. Il arriva sur lui dans un bruissement d'aile, il lui parla, il le secoua violemment, et d'un coup, le gifla sans manière. Non mais ! Il le pressait pour qu'il le suive. Mais Hendrix était bien, là, à faire la planche avec les vahinés qui gobaient à présent les tranches du fruit de la passion à même son torse d'île nue. Il chassa donc cette émanation de mauvais rêve qui voulait le détourner de son quart d'heure aquatique. Rien n'aurait pu le faire bouger du lagon, et de toute façon, il était coincé par la voix de son maître. Alors, l'ange s'évapora comme il était arrivé. Et le poinçonneur réapparut peu après pour la suite des opérations.
Hendrix était maintenant assis sur d'épais pneumatiques de camion, le torse nu, les deux mains unies en prière dans le dos par un collier-serre-cable par lequel passait un lien, tendu, qui le maintenait aux boudins noirs crantés dans une inconfortable posture, un bondage douloureux ; et chacune de ses jambes était également entravée par de lourds pneus au bout de cordes attachées à ses mollets, comme un forçat au repos sous l'œil de son gardien dans un pénitencier Michelin.
Il était assis dans la lueur d'un projecteur au milieu du petit cirque de guerre, une enceinte artificielle aux parois abruptes d'antédiluviens véhicules militaires, empilés là à chaque armistice, au fur et à mesure que la paix avait remisé ses belliqueux jouets aux oubliettes. Il était assis au pied d'un tumulus de pneus usagés dont le sommet se confondait avec la nuit.
Pour accéder à cette enclave discrète dans la casse de la Lastraviat, le poinçonneur avait dû tourner à droite aussitôt en rentrant, il avait ensuite traversé le boyau, et s'était retrouvé dans cet amphithéâtre martial, une piste aux étoilés, au centre de laquelle trônait un îlot volcanique caoutchouteux, érigé en tas charbonneux, telle la mauvaise conscience, les traces de pneus d'un siècle guerrier.
Son portable vibra une fois de trop, alors le poinçonneur tarit sur l'heure l'incontinence téléphonique de Kinski en éteignant pour de bon sa machine, ou le vecteur d'une nouvelle religion d'androïdes omniscients - comme dirait Miami Vice.
Simplement le faire taire.
Tuer en paix.
Il libéra Hendrix de son emprise hypnotique :
- ZARDOZ !
Arrivé au camion qui était garé à quelques pas de là, il mit de la musique : l'allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven s'échappa par les enceintes des portières grandes ouvertes. Puis il grimpa sur la plate-forme du camion-grue, tandis qu'Hendrix reprenait ses esprits.
Hendrix faisait le point sur une réalité qui s'annonçait bien pire que celle, fallacieuse, de son périple sous influence - si l'on met bien entendu de côté l'épisode vahinesque. Il était en mauvaise posture, et ses cordes vocales à nouveau opérationnelles l'aidèrent à exprimer sa réprobation, son mécontentement, sa colère, à l'adresse de son tortionnaire. Des liens extrêmement tendus maintenaient son torse cambré. Il ne pouvait pas bouger, ni se débattre, il était épinglé dans une position de soumission, le papillon sans ailes, ses deux bras joints, tendus avec force dans le dos, jusqu'au supplice. Il grelottait. Il avait froid. Mais il pouvait encore crier. Alors il cria, pour décupler ses forces, galvanisé par l'espoir d'une libération, un miracle de music-hall.
Le poinçonneur, debout sur le plateau à l'arrière du camion, face au poste de commandes de la grue, appuya sur un bouton, leva le son, et la musique se propagea à partir de l'imposant haut-parleur situé sur le toit de la cabine, dans toute l'arène du cirque de guerre.
Les vibrations pensées par Beethoven ricochèrent alors contre les carcasses des jeeps, rebondirent sur le blindage des automitrailleuses rouillées, elles s'introduisirent dans le canon au garde-à-vous des chars entassés. On n'entendait plus crier Hendrix, sa plainte se perdait dans toute cette beauté, une vétille acoustique au fond du puits de la géographie.
Le poinçonneur, aux commandes, dirigeait son petit monde ; la flèche télescopique de la grue s'allongea, la partition des cylindres hydrauliques se mêla largo à la symphonie orchestrée. Un câble pendait à l'extrémité de la flèche dépliée, il maintenait en apesanteur un boulet de démolition, gros comme trois fois la tête d'Hendrix, qui grondait en rotation à un mètre du sol.
Un bruit de vérin plus sourd se fit entendre, et l'oscillation débuta.
Le boulet gagna très vite en amplitude, son va-et-vient débordait allégrement la perpendiculaire, de plus en plus large de chaque côté. Hendrix, au bout de la ligne de mire, voyait arriver le boulet d'un œil très inquiet, toujours un peu plus près ; il avait fini par se taire, et luttait pour se dégager, prêt à se démettre un bras.
Bientôt le boulet allait avaler la dernière portion de circonférence qui le séparait de la tête d'Hendrix. Le balancement se faisait menaçant, feulant toujours un peu plus près. Puis la dernière oscillation s'amorça, le haut-parleur bombardait sa symphonie comme un agent orange sur la végétation vietnamienne lors du dernier conflit coloré par Monsanto, et Hendrix regardait sa vie défiler devant ses yeux, mais elle était montée chabadabadesque ; et lui, aurait préféré une Thelma Schoonmaker aux ciseaux.
Il était déçu.
Il allait mourir.
Résolu à asséner une magistrale gifle ondulatoire à Hendrix, le pendule lança sa dernière offensive. Le boulet exécuta en sifflant dans l'air son dernier arc de cercle, gonflé d'énergie cinétique il piqua vers Hendrix qui contemplait à présent le générique de fin de son existence, l'astéroïde suicidaire fusait vers lui accroché à son câble, Hendrix comprit soudain le sens de la vie, et le boulet finit par fatalement toucher sa cible, et il éventra le fût métallique qui se trouvait à un mètre d'Hendrix, sur le côté droit.
Au même moment la musique s'arrêta nette.
Un silence de soulagement.
Ouf !
Ce n'était qu'un essai.
Une répétition.
Car sachez, mécréants, que le poinçonneur tue dorénavant de ses propres mains, au poinçon !
Le boulet n'étant là que pour la finition.
Pour embrouiller le jeu de piste.
Tous les éléments sont maintenant en place :
Il y a un autre fût métallique vide qu'il fait rouler du pied, il le redresse à l'envers à deux mètres d'Hendrix. Il y a le bipper à sa ceinture qui se met à vibrer, il jette un œil et n'y découvre qu'une succession de points d'interrogation. Il y a le livre de René Varennes, sa nouvelle bible, qu'il pose sur le fût. Il y a Hendrix qui reconnaît là le cadeau pour Xanadu Bob, il ne comprend pas ce qu'il fait en de si mauvaises mains, il ne s'était pas aperçu l'avoir perdu ; il ne se doute pas encore que le poinçonneur s'apprête à lui en lire un morceau choisi, son passage de référence, son trépas littéraire, ni qu'il combine de lui trancher l'épiderme, de tracer à nouveau les lettres de sang entre ses tatouages, suivant le pointillé déjà ébauché maladroitement par Hendrix sous hypnose, le travail est déjà fait, il n'a plus qu'à suivre les lignes, les croûtes, en appuyant beaucoup plus profondément cette fois.
Et pour finir il le transpercera et le laissera saigner comme un cochon, comme un mouton, comme un petit animal du bon Dieu ; ce n'est qu'après qu'il le décapitera à la boule de démolition, post mortem.
Et il y a surtout le poinçon, l'outil indispensable, son prolongement, sa marque de fabrique, sa légende. Le poinçon qu'il a oublié dans la voiture et qu'il part maintenant chercher. Elle est garée à cinquante pas, devant la maisonnette, près de la sortie du boyau. En s'éloignant il se demande lequel il choisira. Peut-être celui avec le manche en corne de rhinocéros.
Ce n'est que lorsqu'il revint, quand il s'apprêta à déposer le poinçon au manche finement ouvragé sur le dessus du fût, qu'il se rendit compte que le livre qu'il avait laissé là, il y a à peine dix minutes maintenant, avait disparu. Il considéra le sol en terre battue autour de la base de son autel improvisé, le livre n'était pas tombé ; et d'ailleurs comment aurait-il pu ?
Son regard se porta alors immédiatement sur sa proie toujours bien arrimée aux pneus. Il s'approcha pour vérifier les liens : ils n'ont pas bougé, encore bien tendus.
Hendrix est toujours assis face au fût qui se trouve à deux mètres de lui, légèrement sur sa gauche. Rien n'a changé, sinon le livre qui n'est plus là, et le rire d'Hendrix plein d'assurance qui retentit soudain derrière lui alors qu'il examine le sol à la recherche d'éventuels indices pouvant expliquer sa disparition. Il ne remarque rien de suspect, se retourne brusquement dès qu'il entend rire l'autre, il le fixe sans vraiment réagir, il demeure immobile un instant et se met à scruter les alentours, humant dans l'air les odeurs comme un chien renifleur. Il essaye de déchiffrer les ténèbres environnantes mais ne distingue rien au delà du territoire que délimite lumineusement le projecteur, rien en dehors du théâtre des opérations parfaitement éclairé, englobant le camion d'un côté, jusqu'à dévoiler de l'autre, les dix premiers mètres d'une dénivelée naissante en bas du terril de pneus.
Le poinçonneur n'aime pas ce rire arrogant qui essaye de renverser les perspectives.
Il devrait le suriner sur-le-champ, lui percer la panse de son dard métallique, compulsivement, à coups redoublés, comme on baise une pute contre un mur, vite fait, ou qu'on encule profond sa secrétaire sur un bureau, bien fait, mais la voix d'Hendrix l'arrête, autoritaire, elle se fait entendre si distinctement qu'il n'a pas d'autre choix qu'écouter :
- JE SAIS, tu voudrais savoir comment le livre s'est volatilisé. Je te réponds : c'est la force du deuil que je traverse qui l'a emporté. L'ami que je pleure, Xanadu Bob, est passé reprendre son bien, le livre lui appartient de droit, il l'a cherché si longtemps, presque partout, sans grand succès, hélas. J'ai tellement pensé à lui depuis sa mort, j'ai extirpé de ma mémoire tant de souvenirs brûlants de vie, qu'il a fini par revenir. Il m'accompagne dorénavant. Il me surveille. Il me protège. Et maintenant qu'il détient enfin son tout dernier cadeau d'anniversaire, rien ne peut plus l'arrêter. C'est à toi de trembler à présent, saloperie ! Dans dix secondes il va même tenter de rentrer en contact avec toi par le biais du bipper que tu portes à la ceinture. Je te conseille de lui obéir !
Le temps suspend le bras du poinçonneur, il hésite à frapper, la main toujours crispée sur le manche sculpté ; il hésite.
Il hésite à frapper, quand, dix secondes à peine après la prophétie, le bipper se met à sonner. Le poinçonneur découvre alors le message :
Je t'échange le livre contre la vie sauve de mon ami. Regagne la maisonnette, je te dirai quoi faire une fois là-bas. Tremble, mortel !
- Tu ne t'attendais pas à ça ! Persifle Hendrix.
Le poinçonneur ne l'entend déjà plus, il se hâte de rejoindre la maisonnette pour son énigmatique rendez-vous, il ne saisit pas tout, fonce vers son destin, pas d'autre choix possible - peut-être pressé de connaître la vérité ? Il pense plutôt à une complicité, un sniper, il ne sait pas trop, il sait seulement qu'il ne croit pas aux fantômes, seulement à la puissance des gros flingues.
Au même moment, Hendrix sent quelqu'un derrière lui qui le libère, il peut se tenir enfin droit, une voix lui demande de ne pas bouger tandis qu'il sent une lame couper le collier-serre-cable qui joint douloureusement ses poignets, libre, il retrouve enfin l'usage de ses bras, il se penche en avant pour défaire les liens qui entravent ses chevilles mais une petite silhouette l'a précédé, accroupie à ses pieds elle coupe les deux dernières cordes à l'aide d'un couteau particulièrement bien aiguisé, puis redresse la tête vers Hendrix.
- Globuleux Nicholson, mon héros ! Lance ironiquement Hendrix.
- Je ne suis pas un héros, tocard, et je m'appelle Raymond ! On dégage maintenant, chuchote-t-il. L'autre, là, il est fou à lier, il me fait froid dans le dos. Partons avant qu'il ne revienne. On essaye de sortir d'ici en douce, on se tire.
Raymond Nicholson, c'est certain, n'était pas un héros, il tremblait en repliant la lame de son couteau.
*
La scène se déroule au Litovsk, la veille du départ d'Hendrix Von Volodoï sur les routes. Aïgor a convoqué dans son établissement son neveu et filleul, Raymond-Valéry, venu passer un court séjour chez lui, loin de Marseille qu'il a quitté afin de se mettre au vert à la pointe de l'Europe. Ils s'entretiennent au comptoir :
- Ray, je t'ai rendu service en acceptant de t'héberger ici le temps qu'il faut, malgré les nombreux tracas que tu m'as causés par le passé. C'est maintenant à ton tour de me rendre un petit service. Un jeune ami à moi s'est mis en tête de joindre Bruxelles en auto-stop, or il s'avère qu'il emporte avec lui un bien précieux qu'il compte faire mien bientôt. Je ne voudrais pas qu'il arrive quoi que ce soit à cet objet. L'ami en question est un tatoueur de génie certes, mais c'est aussi un aimant à emmerdes. J'ai un mauvais pressentiment vois-tu, et tu sais combien je ne rigole pas avec ça. Je te demande donc de surveiller mon avoir futur. Demain tu l'embarqueras à un point précis, à une heure que je t'indiquerai, et tu le conduiras directement jusqu'à Bruxelles, là bas il se fera un peu d'argent en tatouant un excentrique notoire, après je ne m'inquiète pas pour lui. Je te paierai pour ça, très bien, juste un aller-retour à Bruxelles, pour rassurer ton vieil oncle.
- Quel genre de bien précieux ? Interroge tout à coup Raymond, ses gros yeux verts dollars écarquillés.
- Un livre. Un livre rare. Bien que son auteur soit francophone, ce livre est très peu connu en France, même auprès des lettrés les plus pointus. Par contre en Russie il fait l'objet d'un véritable culte auprès des bibliophiles. L'auteur, pour agrémenter visuellement son livre, s'était adjoint à l'époque les services d'un de nos plus grands illustrateurs, Andréi Smoutchky. Ils ont conçu ensemble un système d'illustration subliminale. Dans chaque page, entre les mots, repose un démon dessiné par Smoutchky, deux cents exactement, un travail colossal. On ne distingue rien au premier coup d'œil, ils sont invisibles, tapis dans la typographie, du grand art. Il suffit de plisser les yeux et de tenir le livre à la distance adéquate pour les voir apparaître. Ils surgissent alors en négatif, tu louches légèrement et le blanc de la page semble se détacher du livre, les hiatus entre les mots se fondent ensemble pour former un démon réticulaire. En Russie, certains milliardaires francophiles et collectionneurs de Smoutchky sont prêts à payer une véritable fortune pour cet ouvrage. Alors, tu acceptes la mission ?
- Tu es certain qu'il emportera le livre avec lui s'il est si précieux ?
- Il ne connaît pas la valeur du livre. Il a un peu cherché sur internet je crois mais n'a pas pensé à traduire les nombreuses pages en cyrillique évoquant Smoutchky. Et comme il compte me le donner une fois arrivé à Berlin, j'ai omis de lui faire part de tout mon savoir à ce sujet. J'ai proposé de le lui garder pendant son échappée mais il compte le lire en chemin à la mémoire d'un ami décédé récemment. Il a refusé le billet de train jusqu'à Bruxelles que je lui ai proposé, l'auto-stop représentant pour lui une étape indispensable dans son processus de deuil. Alors je peux compter sur toi ?
- Je ne sais pas trop.
- Tu m'es redevable Ray, et je paierai convenablement. Le livre vaut vraiment une fortune, tu sais. Je saurai me montrer généreux. Tu le conduis et tu reviens, c'est pas sorcier !
- Je ne sais pas. J'ai des choses à faire ici aussi.
Alors en bon joueur d'échecs Aïgor avança sa pièce maîtresse et dit :
- Je te prête une Mercedes pour faire la route !
Raymond aimait conduire les berlines allemandes. Il accepta.
Mais quand il aperçut de loin l'homme qu'il devait embarquer le lendemain, et que ce gars n'était rien de moins que celui qui l'avait agressé dans le train lors de son arrivée en ville, il chamboula ludiquement les consignes d'Aïgor.
Il n'aurait pas dû. Il s'en mordra les doigts.
Le lendemain il embarqua donc Hendrix comme prévu, mais il le déposa sur la route bien avant Bruxelles, jusqu'à Pontaubault seulement, histoire de lui rendre salement la monnaie de sa pièce et passer pour un être magnanime par la même occasion.
Pour ne pas contrevenir complètement aux ordres d'Aïgor - dans leur famille chacun sait qu'il ne faut pas prendre à la légère les pressentiments de son oncle - il hameçonna le manteau d'Hendrix au mouchard GPS, un nouveau gadget acheté la veille pour l'occasion, il pourrait ainsi le localiser dans un rayon de trente kilomètres, comme ça il ne le perdra pas de vue et l'autre marinera une journée en bord de route, ça lui fera les pieds. De cette manière il exercera sa rancune, et par dessus le marché jouera à l'espion, un rêve de gosse, un jeu d'enfant.
Après Amiens, quand Hendrix changea subitement de direction et revint sur ses pas, surpris, il faillit le perdre sur son radar, le jeu se corsait.
Quand Hendrix sortit la première fois de l'immeuble avec le crâne fendu, il commença à vraiment se prendre pour un espion.
Ensuite, il loua une chambre d'hôtel en face de la gare, dans la consigne de laquelle Hendrix avait laissé ses bagages, ainsi il pouvait veiller sur le livre qui devait s'y trouver. Il comprit qu'une vie d'espion pouvait aussi être barbante. Il se mit à regretter son initiative, se demanda si le jeu en valait la chandelle. Il ressentit aussi les sarcasmes de son siamois qui vibraient dans son cerveau.
Puis le radar redonna signe de vie.
Il remarqua, à la gare, qu'un autre espion déguisé en vigile s'intéressait de près à Hendrix. Lui fit les poches au passage. Il commença à s'inquiéter. Et cette fois, il suivit Hendrix de près.
Le jeu devenait policier.
C'est quand il vit Hendrix se laisser enfermer dans un coffre de son plein gré, qu'il paniqua vraiment.
Le jeu devenait adulte.
Et lui l'était encore à peine.
Il comprit que son oncle avait raison - pourquoi bon Dieu lui avait-il désobéi ? -, Hendrix était réellement un poissard céleste, et lui, Raymond, le limier aux pieds d'argile, était involontairement associé à cette galère, il ne pouvait plus se contenter d'observer, il devait dorénavant lui prêter main-forte.
Ce qu'il fit du mieux qu'il put.
D'abord, il s'approcha discrètement du coffre ouvert de la Mégane, après que l'homme se soit éloigné, et tenta de sortir Hendrix de sa transe. Il le secoua, le gifla. Mais il n'obtint aucune réaction, à part un indécent sourire niais, toujours le même ; comme éternel.
Ensuite, planqué derrière une pile de pneus à quelques pas d'Hendrix seulement, Raymond chercha un moyen d'intervenir pour sauver la peau de son protégé, quand il aperçut le bipper à la ceinture du poinçonneur. Le même modèle que celui dérobé au vigile. Une connection se fit. Il tenta l'impossible. Il rappela désespérément, les uns après les autres, les dix derniers numéros composés par le bipper. Il fallait au moins essayer. Sa stratégie porta ses fruits quand finalement le bipper du poinçonneur vibra - alléluia - l'idée de faire diversion lui vint alors.
Le poinçonneur venait de déposer un livre sur le fût. Raymond pensa alors qu'il avait tout compris : cet homme n'était autre qu'un milliardaire Russe rendu fou par Smoutchky. Putain ! Son oncle avait encore raison !
Il profita du départ du milliardaire Russe qui s'éloignait vers sa voiture, pour récupérer le livre de son oncle oublié sur le fût et libérer Hendrix. Il n'eut que le temps de rafler le bouquin, que l'autre revenait déjà, il dit rapidement à Hendrix :
- Si tu veux sauver ta peau, dis lui qu'il est surveillé, qu'un ami à toi va le contacter sur le bipper et qu'il obéisse aux ordres. Enrobe ça comme tu veux, soit convaincant, improvise. La balle est dans ton camp. Je ne peux rien faire d'autre, je ne suis pas un héros. Moi, j'ai le livre en ma possession maintenant, c'est tout ce qui m'importe ; c'est à toi d'être bon…
Et il repartit in extremis se cacher le long du camion-grue quelques secondes avant que l'autre n'arrive.
Il resta ainsi, son Herbertz déplié en main, prêt à planter le colosse dans le dos.
S'il le faut.
Peut-être était-il finalement un héros ?
Et quand Hendrix eut fini son baratin, son invraisemblable histoire de revenant, il se demanda si ce type désirait vraiment être sauvé, et il envoya un message, un « tremble mortel » ajouté en renfort pour appuyer ses dires.
L'effet fut immédiat. Le milliardaire Russe s'enfuit en direction de la maisonnette comme s'il avait justement vu un fantôme, mais dans une hâte presque suspecte. Et, lui, se précipita pour libérer Hendrix, sans arme excepté son couteau, sans violence, mais le trouillomètre à zéro.
*
- Non Raymond, toi, tu t'en vas si tu veux, moi, je reprends en main ma destiné, je contrôle désormais la situation…
- Parle moins fort, il pourrait t'entendre, bon sang ! Tais-toi ! Chut !
- T'inquiète pas, de là où il est, il ne nous entend pas le superman au poinçon, et il ne peut pas nous voir non plus à travers la kryptonite du camion. N'aie pas peur ! Je suis là ! De retour ! Je vais monter sur le plateau du camion-grue et, quand il passe, je lui saute dessus, je lui tranche au creux du cou un si large sourire kabyle qu'il ne s'en relèvera pas. Allez ! File-moi ton schlass !
Pour mieux comprendre les motivations qui animaient Hendrix Von Volodoï à cet instant précis, il est important de souligner que, sans arriver à vraiment l'expliquer, ce dernier se sentait parfois observé, pas à la manière d'un paranoïaque délirant de persécution, non, mais plutôt comme s'il était le protagoniste majeur d'une fiction. Ses faits et gestes, il le sentait, étaient soumis à l'appréciation d'un public invisible qui le bissait ou le huait au gré de son humeur, face à ses prestations. Ce public s'appelait peut-être Dieu, et Hendrix n'était peut-être pas aussi athée qu'il voulait le laisser croire. Il éprouvait donc par moment l'approximative impression d'être un héros de comix bon marché ou de roman-feuilleton. Fort de ce constat, il essayait de faire de sa vie une oeuvre d'art populaire faite d'aventures et de rebondissements. C'est pourquoi, il avait décidé de passer à l'action, il ne voulait plus passer pour un looser aux yeux de ses lecteurs. Depuis le début, en effet, il avait été malmené, on l'avait attaché, menotté, assommé, on l'avait scarifié, hypnotisé, avili, et pour finir on essayait de le tuer. C'en était assez ! Maintenant il allait se comporter en parfait héros de bande dessinée !
Avant même qu'il ne mette un pied sur le plateau du camion-grue, avant même qu'il n'esquisse le moindre mouvement pour s'en approcher, tous les projecteurs du cirque de guerre claquaient déjà à l'unisson, et leurs soleils électriques s'épanouirent sur le théâtre des opérations. Seul le sommet du monticule d'élastomères échappait encore à l'embrasement de la lumière, comme s'il avait été coiffé d'un capuchon de goudrons éternels.
Peu après, presque aussitôt, des balles leur sifflèrent aux oreilles.
Sentant le coup fourré, le poinçonneur était allé récupérer un fusil et des balles dans la maisonnette, il avait ensuite allumé les projecteurs et, maintenant, il se précipitait vers eux en courant, ne s'arrêtant que pour les mettre en joue, et tirer.
Les deux comparses s'égaillèrent, cloportes affolés sous les détonations, ils prirent la même direction, et entreprirent de gravir la pyramide Krakatoesque, pressés de regagner à sa cime, la pénombre protectrice. Hendrix ouvrait la marche en premier de cordée, il progressait difficilement, dérapant sur les grumeaux toriques. Plus il entendait tirer, plus il grimpait. Se croyant hors de portée des projectiles, il se retourna et s'aperçut que Raymond ne le suivait plus, il gisait tout en bas de la pente. Une balle s'était logée dans l'une des ses cuisses et le poinçonneur fondait sur lui. Avant de l'atteindre tout à fait le poinçonneur tira encore plusieurs fois en direction d'Hendrix qui se prit une méchante balle dans l'épaule ; il trouva cependant la force nécessaire pour se traîner jusque dans la zone d'ombre. De la bouche du poinçonneur s'échappaient des ZARDOZ médusants, mais ils finirent par se désagréger au contact du champ d'adrénaline protecteur qui entourait Hendrix. La magie hypnotique n'opérait plus.
Plus bas, le poinçonneur essayait à présent d'étrangler Raymond, le fusil en travers de sa gorge. Il appuyait avec rage. Le visage de Raymond ressemblait à un grain hydrocéphale de merlot trop mûr, ses forces l'abandonnaient, la bataille était perdue, il ne pourra pas résister bien longtemps. C'est alors que le petit bras du siamois qui s'était emparé du taser, émergea par l'ouverture latérale du vêtement pour venir électrifier le poinçonneur. Une décharge, une magistrale secousse le stoppa net, il poussa un Wilhelm scream pathétique, et Raymond en profita pour attraper le fusil par le canon et assener un grand coup de crosse sur le menton de son agresseur ; de sa jambe valide il lui envoya en plein estomac un puissant coup de pied, et le poinçonneur dégringola sur trois mètres provoquant un éboulis de pneus. Dans la foulée, fébrile, Raymond visa, il tira, mais, clic, il n'y avait plus de balle, il jeta alors le fusil rageusement au loin. Puis, il reprit sa pénible reptation ascensionnelle, s'aidant de ses mains pour se hisser. Le bras chétif de son frère Valéry, frêle béquille, poussait comme il pouvait lui aussi de sa main de bébé sur les écailles des pneus usés. Il sentit son bras droit que l'on agrippait fermement, une main forte qui le hala, et qui l'entraîna au sommet.
Pendant qu'Hendrix, à la rescousse, tirait comme il pouvait son compagnon, un bras plombé, vers les hautes sphères, dans les ténèbres de butyle, le poinçonneur avait remis la main sur son fusil, l'avait rechargé et tentait d'escalader la taupinière vulcanisée, déterminé à en découdre. Bientôt, il ne distingua plus que les pieds de Raymond puis, plus rien. Essayant d'apercevoir leurs silhouettes dans le noir, il tira alors au jugé. Une balle emporta la béquille, le petit bras de Valéry, déchiqueté à un mètre du corps de son cher frère qui lança un déchirant hurlement avec la voix d'un autre, pas celle de Polanski, de Zulawski, de Lynch, mais bien celle de Valéry, pour la première et dernière fois.
Le poinçonneur poursuivit son ascension, il ne voyait plus rien bouger au sommet, il se remit en position de tir, son doigt sur la détente se crispa, et un pneu l'atteignit de plein fouet, une détonation, une balle perdue, puis un autre pneu lui arriva dessus, il vacilla, d'autres pneus roulaient vers lui, il se prit une jante sur le genou, il tomba à la renverse, et rebroussa chemin devant cette charge de cavalerie rebondissante.
En bas sur la terre ferme, le poinçonneur tournait maintenant autour du crassier fuligineux, évitant soigneusement les pneus qui déboulaient vers lui par intermittence. Il continuait régulièrement de faire feu, leur gueulait qu'ils étaient foutus, qu'il était blindé de munitions.
Juchés dans l'obscurité sur leur nid d'aigle obsidional, Hendrix, surtout, et Raymond, un peu, avaient pris les choses en main. Après avoir essayé de dégommer le poinçonneur, ils se contentaient à présent de le garder à distance en faisant furieusement voler jusqu'à lui pneus et jantes, malgré les balles fichées dans la cuisse de l'un et l'épaule de l'autre.
Pour éviter que le handicap de Raymond - qui était mal en point et perdait beaucoup de sang - ne s'aggrave en se prenant un nouveau graillon d'arme à feu dans la couenne, Hendrix l'aida à se dissimuler dans le corps caverneux des bourrelets caoutchouteux, tandis qu'il continuait du pied à faire rouler les pneus et que de la tête il réfléchissait au plan d'attaque le plus approprié.
En bas, le poinçonneur gueulait comme un fou :
- Tu es à moi ! Tu es à moi !
Puis, il tirait à nouveau, tournant autour du monticule d'un pas déterminé, en ronde poliorcétique.
Au bout de son filin, la boule de démolition se balançait toujours, parallèlement au camion-grue.
Hendrix avait cessé de déclencher des avalanches. Il attendait le bon moment pour agir, le couteau de Raymond en main.
Deux options s'offraient à lui :
1. Ne plus bouger, faire croire qu'ils étaient mortellement touchés, et le laisser monter pour vérifier.
2. Anticiper - en comptant les balles tirées - le moment où il rechargera son arme, pour fondre sur lui.
À court d'arguments, et de plus en plus enragé, le poinçonneur se mit à brandir son téléphone portable. Il hurlait :
- Vous avez voulu me faire chanter, c'est maintenant à mon tour : si tu ne te rends pas sur-le-champ, je donne l'ordre de liquider ton amie, une certaine Giulietta Marx vivant dans le quartier de Friedrichschain à Berlin, nous avons son adresse, elle est sous surveillance ! Tu n'as pas le choix ! Tu es à moi !
Hendrix ne broncha pas, il n'aimait pas cette manière de faire, et son instinct de survie était plus fort que son sens du sacrifice. Et puis, il croyait à un bluff, cet ultimatum trahissait pour lui une incertitude chez son adversaire quant à l'issue du combat.
- …
- Bon ! Tu l'auras voulu !
Le poinçonneur envoya sans hésiter l'ordre 999 à Vigil-Bamako Landru.
L'ordre de tuer.
- L'enculé !
Hendrix resserra le garrot autour de la cuisse de Raymond, et garrotta également le moignon sanguinolent des restes du reste de Valéry. Raymond était mal en point, il bredouillait inintelligiblement, il souffrait, on ne pouvait plus compter sur lui.
- Je reviens te chercher. Je ne te laisse pas tomber. On ne peut pas rester là à se faire canarder. Je tente une descente.
Et il replaça les pneus autour du corps de Raymond. Pour le protéger.
Il précipita quelques pneus déjantés d'un côté, pour attirer l'attention du poinçonneur, et de l'autre, il s'engagea sur la pente. Il lui fallait arriver en bas le plus rapidement possible, sans provoquer le moindre éboulement, sans faire de bruit.
Le piège avait fonctionné, il entendait tirer de l'autre côté.
Il descendait avec précaution.
Avec concentration.
Avec célérité.
S'empêchant de crier à chaque enjambée, tant son épaule lui faisait mal.
Et bientôt il arriva sur le sol ferme.
Logiquement, s'il respectait le sens giratoire qu'il avait adopté jusque là, le poinçonneur devait arriver par la gauche. Il contourna donc le monticule par la droite de façon à le surprendre par derrière avec le couteau particulièrement bien aiguisé de Raymond, et en finir, lui trancher la carotide, que ça pisse à trois mètres.
Il avança vite, vite.
Il sautait par dessus les pneus qui jonchaient le sol, il savait que la tâche s'annonçait difficile avec un bras valide et l'autre très engourdi. Il fallait qu'il se tienne prêt à l'éventualité que l'autre girouette puisse aussi surgir devant lui, l'effet de surprise, même en face à face, compenserait alors son infirmité.
Il entendait toujours tirer et l'autre qui hurlait :
- Je vais vous cramer les mecs ! J'ai de l'essence ! Je vais vous cramer !
Quand il découvrit le camion-grue sur sa gauche, il décida de suivre son instinct, et quitta le carrousel. Il pénétra dans l'habitacle à la recherche d'une arme quelconque. Il ne trouva rien mais les clefs étaient sur le contact.
Il démarra l'engin.
Au même instant le poinçonneur se dirigeait lui aussi vers le camion pour y dégotter un bidon d'essence en vue de répandre une monstrueuse fumée noire d'élection papale dans le ciel de Noël.
Hendrix l'aperçut dans le rétroviseur. Il recula rageusement.
L'écraser.
Le poinçonneur n'eut pas le temps de tirer. Il sut éviter le camion, mais se retrouva alors en face du boulet de démolition qui volait vers lui, il se baissa, se transforma en nain de justesse et sentit Damoclès passer sous la forme d'une énorme masse d'acier qui frôla sa chevelure.
Il roula-boula sur le côté - comme à l'armée. Le camion fit demi-tour, suivit d'une fugueuse marche arrière. Puis les chevaux du moteur hennirent, les pistons rugirent et une tonne de détermination appuya sur la pédale de l'accélérateur.
L'écraser.
Le poinçonneur tire, une fois seulement, sur le camion qui lui fonce dessus, la balle touche le radiateur, il s'enfuit, il commence à gravir les premiers mètres du tumulus, mais le camion et son boulet de démolition arrivent aussi derrière lui, le camion s'engage même vaillamment sur la pente avant de s'encastrer dans le crassier sous une avalanche de pneus. Immobilisé, les roues avant tournent dans le vide, il est bloqué.
Hendrix, dans la cabine, tente de détacher sa ceinture de sécurité.
En vain.
Tout à coup, il entend quelqu'un qui dégage les pneus obstruant le pare-brise. La clarté pénètre peu à peu jusqu'à lui à mesure du déblaiement. Il distingue maintenant à travers la vitre, en face, le poinçonneur, debout dans la fumée qui s'échappe du capot, un fusil en mains, un pied sur l'avant du camion, l'autre sur le monticule. Hendrix retrouve son couteau et commence à couper difficilement, d'une main, la sangle abdominale de la ceinture d'insécurité qui l'entrave, lorsque, l'autre tire sans sommation, et le pare-brise se fendille en un million de pièces de puzzle translucide. Quelques coups de crosse transforment le puzzle en grêle de verre qui s'abat sur Hendrix. Surpris, il en perd son couteau, il n'a pas même le réflexe d'utiliser son bras comme bouclier pour se protéger le visage. Il s'ébroue, et éparpille les éclats de pare-brise hors de son corps endolori. Quand il réouvre les paupières, c'est pour découvrir devant les yeux, la bouche du canon sans dents, exclamative, menaçante, prête à larguer sa balle, du cul du tuyau, jusqu'à lui.
Hendrix se doute bien que l'autre ne va pas l'achever tout de suite, il a trop besoin de son rituel pour magnifier son addiction morbide. Il va sans doute commencer par l'autre épaule, et peut-être une jambe, avant de le traîner pour le finir, ad patres, au poinçon.
Il faut maintenant qu'il admette qu'il est foutu,
cuit.
Il ne lui reste plus qu'à bouger, le plus possible quand l'autre tirera, et prier pour prendre une balle en plein cœur. PAN ! Pas ailleurs. Comme Xanadu Bob. Que ça se termine vite !
Hendrix aura finalement poussé le deuil un peu trop loin, sous prétexte de faire la route une dernière fois avec son pote, il aura fini par prendre le même chemin.
J'arrive vieux frère !
Le poinçonneur exhale alors un sourire sucré, devançant d'un rien le pruneau que son arme s'apprête à cracher, dans une seconde, ou deux, le temps que son doigt se recroqueville tout à fait sur la gâchette de la destinée.
En haut, dans son sarcophage de pneus, Raymond est inconscient.
En bas, dans la terre sèche, la boule de démolition est sédentaire.
Elle couve un cratère.
Au milieu, sur son siège, Hendrix est condamné.
C'est dégueulasse, mais c'est comme ça.
Et le mal finit toujours par l'emporter.
À moins que.
La mouche tsé-tsé qui traverse en ce moment même l'aire du cirque de guerre, et qui semble se diriger vers le poinçonneur, n'y mette son petit grain d'aile.
À moins que la mouche tsé-tsé ne soit, en définitive, qu'une fléchette, propulsée à l'aide d'une sarbacane de Zarofette.
Une Zarofette dont le nom de code est Miami Vice, arrivée là, contre son gré, dans une remorque.
Une remorque traînée jusqu'ici par un camionneur sans traitement qui fuyait l'asymétrie, et qui était arrivé, il y a quelques instants seulement, à la casse de la Lastraviat avec l'intention de faire glisser, sur le toboggan qui menait au charnier secret - dissimulé dans le coffre d'une DS - le corps d'une jolie fille qu'il avait lui-même tuée.
Miami Vice, attirée par la lumière et les détonations, avait surgi du boyau menant au cirque de guerre, comme une mercenaire égarée, pressée de retrouver, les deux sens aux aguets, le champ de bataille duquel elle s'était éloignée. Elle arriva à point nommé, tel un gracieux rebondissement, un exquis renversement de situation, une fée chloroforme aux dreadlocks.
Alors :
La mouche tsé-tsé fonce vers sa cible. Le poinçonneur va tirer.
La mouche tsé-tsé fonce sur sa cible. Le poinçonneur veut tirer.
La mouche tsé-tsé touche sa cible. Le poinçonneur est tétanisé.
Une fléchette dégoulinante de sérum d'amnésie est plantée dans sa tempe.
Fulgurant, le venin se répand dans tout son système nerveux.
Et il s'écroule sur le tas de pneus.
Tandis que le poison efface minutieusement, profondément, jusqu'aux radicelles de sa mémoire immédiate, s'envole également son dernier rêve de puissance.
Federico ne deviendra jamais le poinçonneur.
Le peuple en a décidé autrement.
Le poinçonneur ne deviendra jamais le plus médiatisé des tueurs en séries de la CEE.
Il aura échoué liminairement.
À deux doigts
Les mêmes qui manquent désormais à Buffy.
Et la mouche tsé-tsé, de la trompe, semble lui susurrer, directement dans le dedans du crâne :
Bien fait, connard !
***
La même nuit, Giulietta revenait d'un konzert au Köpi où s'étaient succédé sur scène : Napoléon Dynamite, Herpes, The Schocks, et Dean Dirg. Une ambiance du tonnerre dans la salle du Koma F. Une soirée wunderbar qui l'avait mise en joie.
Sur le chemin du retour, qu'elle fit à pied (elle aimait marcher), sous l'inspiration du nuage de pensée qui l'accompagnait partout, la séquence finale de La planète des singes lui revint en mémoire : les traces de pas d'un cheval édénique dans le sable mouillé aperçu entre les pointes de la couronne d'une statue déboulonnée, la liberté retrouvée, la plainte de Charlton Heston mêlée au ressac de l'océan. God damn you ! God damn you all to hell ! Ça pourrait donner un sample intéressant, se dit-elle…
Arrivée à la maison, elle prit l'escalier. Il montait en colimaçon - en fusilli aurait-elle dit - jusqu'au sixième et dernier étage où elle avait sa chambre.
Arrivée à son palier, elle se courba au dessus de la balustrade, figure de proue bravant l'à-pic impressionnant de la cage d'escalier qui servait de point de jonction entre les deux ailes du bâtiment. Elle flotta ainsi un instant, domptant gracieusement la gravité, les deux bras solidement plantés sur la barre de bois. Ce n'était pas assez profond pour base jumper, elle le regrettait presque. Elle regarda en l'air le modeste dôme en verre, éteint sur un firmament sans lumière ; pas de reflet lunaire ce soir dans l'escalier ; dommage.
Arrivée devant la porte de sa chambre, elle entra, prête à filer sous son duvet pour un bon gros dodo. Elle referma la porte et sentit en même temps un boa s'enrouler autour de son cou, de puissants bras Bambaras qui serraient constrictor, qui étranglaient experts. Elle sentit également, pressant, le sexe de Vigil-Bamako Landru qui s'épanouissait, têtu, contre son dos. Elle fit le plein d'oxygène comme elle put, et tourna aussitôt la tête vers la droite, pour gêner la strangulation et se protéger la trachée.
Elle le devine trop grand pour elle ; il a les jambes fléchies. Alors, elle agrippe violemment les bras de son assaillant, et l'entraîne de tout son poids en avant, vers le mur ; ensuite en se contorsionnant elle réussit à toucher la paroi des deux pieds, elle pousse de toutes ses forces contre, et les propulse tous les deux en arrière, il relâche sa prise un bref instant, elle en profite pour se dégager, il tombe à la renverse, elle ouvre la porte et s'enfuit dans le couloir. Il la poursuit. Elle gagne maintenant la cage d'escalier, elle ne ralentit pas sa course, elle accélère même, elle s'élance par dessus la balustrade, une impulsion sur le rebord ; un suicide de mort aux trousses ?
Et il l'aperçoit qui disparaît dans le gouffre.
Arrivé à son tour au bord du vide, il regarde bêtement en bas. Il aurait mieux fait de lever les yeux, car, les deux jambes musclées de Giulietta happent maintenant en ciseau sa tête et précipitent son corps à trente mètres sur le carrelage.
Sklukchch !
L'ombre de poisse autour du crâne s'étend inéluctablement.
Assise sur son trapèze, Giulietta miaule tout en se balançant.
Le jour de l'arrivée d'Hendrix à Berlin, elle lui raconte à peu près la même chose. Elle lui montre même en passant, l'impact du corps sur le carrelage fendu. Et ils montent se blottir dans les bras l'un de l'autre. Deux amis qui se réconfortent.
Ils évoquent Xanadu Bob, Gravier, Patrick.
Ils regardent sa dernière vidéo, puis se serrent encore plus fort.
Aïe ! Il a encore mal au bras.
Elle veut tout savoir.
- Allez, raconte moi ton voyage !
Il le lui relate en teintant son récit d'un humour picaresque.
… Ensuite, dit-il en conclusion, la fille de Sonny, l'infirmière, nous a retapés, moi et Raymond, à Bruxelles.
J'ai vu l'œil de Valéry s'éteindre et une larme d'or rouler sur le flanc de Raymond…
Il ne parla pas de ses propres larmes qui irriguèrent la ride du chagrin quand il découvrit Dallas au fond de la remorque.
Il ne raconta pas comment il laissa Miami Vice tuer un homme endormi, devant lui, sans qu'il ne bronche.
Ni comment ils grézifièrent deux corps.
Et il ne lui montra pas non plus le petit sablier en pendentif qu'il cachait romantiquement autour du cou.
Elle comprenait les silences.
Elle lui dit alors que tout ça était fini.
…
Pas tout à fait.
Le véritable épilogue aura pour cadre Lisbonne, quelques mois plus tard.
Hendrix Von Volodoï avait été invité à participer à une convention de tatouage, l'une des dernières où il daignait encore se rendre.
Avec l'argent gagné, il s'octroya quelques jours de plus pour flâner en touriste. Il évita soigneusement les clubs de fado. On y trouvait trop de bobos, pleins de morues au porto, prenant des poses d'aristos.
Le fado c'est dans la rue, le fado c'est dans les bars, pas fait pour les m'a-tu-vu !
Il longea le Tage en direction du large. Et laissa loin derrière, loin de San-Francisco, le pont du 25 Avril. Entre les deux, il s'arrêta longuement pour contempler la tour de Belém. Assis là, il pouvait sentir les odeurs atlantiques, le vent de l'océan. Le même vent marin qu'il aimait prendre dans la gueule, face à la rade, dans la ville de sa jeunesse, à la pointe de l'Europe. Ici, du château de Saint-Georges jusqu'à l'embouchure du Tage, le murmure de l'Histoire résonne encore dans les rues et contre les pierres, alors que là-haut, à la pointe, le passé irradie la gangrène. Son propre passé s'était dépeuplé lui aussi, plus de Xanadu Bob, plus de prétexte pour retrouver sa ville. Devant cette tour, cette splendeur en dentelles, il pleurait son adolescence perdue.
C'est le moment que choisit Cornélia, une plantureuse londonienne d'origine pakistanaise pour l'accoster. Elle était en vacances tout comme lui, elle l'avait aperçu à la convention, et lui proposa qu'ils finissent le séjour ensemble. Elle le trouvait si triste devant cette tour si belle. Il accepta.
Ils passèrent la soirée dans l'herbe d'un belvédère avec vue sur le Tage, à siroter des caïpirinhas, au milieu des fumeurs de ganja, des joueurs de djembé, et de trop nombreux touristes français. Ils s'éclipsèrent.
Dans la chambre d'hôtel de Cornélia, l'ambiance était Samba.
À la recherche d'un fond musical, elle avait finalement laissé allumée la télévision sur une chaîne qui rediffusait le carnaval de Rio.
Elle dansait nue devant le lit où Hendrix était agenouillé. Elle avançait vers lui avec exubérance, au rythme de la musique, d'un pas syncopé, jusqu'à ce qu'il lui lèche les melons arrosés de porto, puis elle reculait lascivement, toujours dansante, et revenait, encore. À lui. Pour mieux repartir.
Le si charmant supplice d'une reine de carnaval.
Ils parlaient en anglais, mais l'une bien mieux que l'autre.
Une traduction rapide de leur conversation donnerait ceci :
- Merci pour les coups de queue. Ça fait du bien. J'ai même les tickets pour un second round, dit-elle en palpant des billets imaginaires.
Il lui croqua un sein et empoigna ses fesses avant qu'elle ne reparte.
- Tu me disais que tu jouais dans un groupe, c'est quoi son nom ? Demanda Hendrix.
- Comment ?
Elle dansait sous la télévision.
- Le nom de ton groupe c'est quoi ?
- Ah ! C'est aussi le nom d'un film de Boorman. Tu sais le mec de Délivrance, le banjo, le cochon…
Elle repartait à reculons vers la télévision.
- Oui, mais lequel alors ?
- …
- J'entends rien.
Elle revenait à lui, sa bouche pulpeuse finit par envahir, en cinémascope, le champ de vision d'Hendrix, et elle roucoula, en roulant le r du mieux qu'elle put :
- ZARDOZ !
La tumultueuse croisière d'Hendrix Von Volodoï sur le Styx arrivait à son terme. Le radeau s'immobilisa soudain entre amont et aval, comme si le courant avait été coupé subitement.
Son périple avait été atroce. Il avait clairement senti les mâchoires d'une armada de piranhas voraces qui cherchaient à lui arracher des lanières de peau par le disjoint des bambous mal assemblés du radeau d'infortune. La peau du dos, la peau du cul, la peau du cou. Une masse grouillante sous l'eau du fleuve, féroce et obstinée, qui avait réveillé ses peurs d'enfant.
Et quand le poinçonneur ouvrit le coffre sur son passager bouffé par la frayeur, il lui suggéra un nouveau scénario - par grandeur d'âme, et surtout pour le laisser en paix, le temps de peaufiner les préparatifs d'une mise en scène de mise à mort :
- Tu flottes maintenant dans l'eau paradisiaque d'un lagon tabou entouré de friponnes vahinés amphibiennes. Tu es heureux. Tu souris.
Son périple avait été atroce. Il avait clairement senti les mâchoires d'une armada de piranhas voraces qui cherchaient à lui arracher des lanières de peau par le disjoint des bambous mal assemblés du radeau d'infortune. La peau du dos, la peau du cul, la peau du cou. Une masse grouillante sous l'eau du fleuve, féroce et obstinée, qui avait réveillé ses peurs d'enfant.
Et quand le poinçonneur ouvrit le coffre sur son passager bouffé par la frayeur, il lui suggéra un nouveau scénario - par grandeur d'âme, et surtout pour le laisser en paix, le temps de peaufiner les préparatifs d'une mise en scène de mise à mort :
- Tu flottes maintenant dans l'eau paradisiaque d'un lagon tabou entouré de friponnes vahinés amphibiennes. Tu es heureux. Tu souris.
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Retrouvez tous les épisodes du polar fantastique de Valstar Karamzin sur http://www.lazone.org/articles/rubriques/62.html à lire d'urgence pour ne pas bronzer idiot
Apothéose pour le seul feuilleton valable de la Zone. Dommage que cette oeuvre-fleuve soit condamnée à errer comme une âme en peine dans les méandres 3.0 de l'Internet mondialisé. Ebook à imprimer sur l'Epson du taf ? Petit tirage ? Bon au porteur ? J'espère te lire un jour sur du vrai papier.
faut pas déconner non plus, ça a beau être la plus aboutie, c'est loin d'être "le seul feuilleton valable de la Zone" et ça m'étonnerais que t'aies tout lu pour pouvoir l'affirmer.
sinon au delà de l'aboutissement et de la cohérence globale, l'excellence homogène dans l'écriture, la narration et l'évolution de l'intrigue. Il y a pas mal de points faibles qui mériteraient d'être discutés ici même.
Si en plus faut lire les textes avant de commenter…
Sinon, rien n'est parfait. La Terre tourne toujours sur elle-même par exemple.
Personnellement, je trouve le mix fantastique et trame logique assez bien dosé. On ne tombe pas dans l'onirique à la con avec disparition du raisonnable et ouverture possible à tous les délires débile. C'est un bon point pour moi. Par contre, il y a trop de coïncidences dans l'évolution de l'intrigue, on peut pratiquement annoncer que les "destins" des personnages qui se croisent, s'entrecroisent et de recroisent à nouveau par le seul fruit du hasard trop souvent. Les flashbacks au début et à la fin sont un peu perturbants, on à du mal à suivre l'intrigue (tout du moins quand c'est publié sous forme de feuilleton), enfin il faut quand même s'enquiller le flashback du début, les changements de narrateurs et l'intervention d'un personnage atypique qu'on avait croisé au début et carrément oublié aussi singulier soit-il. Ensuite, il y a l'absence de répétition de certains faits et notions exprimés une seule fois et que le lecteur doit avoir acquis au bon moment sinon il n'aura pas de seconde chance et sera vite perdu par des références, des surnoms, des lieux dont l'auteur n'a exprimé qu'une seule et unique fois. Sinon pour moi, la grosse déception c'est la fin tout court, il y a beaucoup de gâchis dans le potentiel de beaucoup de personnages dont on a pris soin d'annoncer énormément de détails singulier mais au final qui ne servent en rien l'intrigue puisque leurs qualités singulières ne sont pas exploitées, comme si l'auteur avait lâché l'affaire au dernier épisode et qu'il avait ici tout voulu conclure vite fait. Très déçu en particulier par Vigil-Bamako Landru, Kinski et le couple de flics. Le Poinçonneur n'aura pas servi à grand chose sinon à incarner brièvement le mal et à être exécuté. Le mystérieux bouquin de René Varesnes, ne sert absolument à rien alors qu'il aurait dû avoir un rôle crucial; le power up de Federico superbement décrit reste cependant très accessoire. L'anti-héro aussi n'aura pas servi à grand chose, il aura été trimbalé à droite et à gauche, au final on ne sait plus trop si le bouquin était pour son pote qui se suicide au début ou pour le proprio du bar qu'on croise à peine avant. A quoi ça sert qu'il soit tatoueur par ailleurs ? A que dalle, c'est très frustrant, encore un personnage avec des caracs qui ne servent à rien si ce n'est à produire des dizaines de paragraphes et nous teaser à mort pour rien. Voilà, juste pour contre-balancer ma présentation de pute racoleuse et rétablir l'équilibre de la balance universelle.
sinon il y a un puissant message feministe que j'adore, les femmes semblent secondaires et satellites mais au final, elles se démerdent toutes seules et la cavalerie burnée non seulement ne se pointe pas mais doit être secourue.
pour en finir avec mes interventions, ça fait longtemps que je n'ai pas été autant impacté par une histoire (tout support et media confondu), un truc qui non seulement (ce qui est rare) ne laisse pas indifférent mais qui te pousse avec délectation à mener un procès à charge et à décharge sans pour autant réussir à en conclure quoi que ce soit, pour vainement t'expliquer à toi-même pourquoi ça t'a autant remué les trippes et que ça t'a laissé des séquelles et d'autres trucs en cours de maturation.
"En bas sur la terre ferme, le poinçonneur tournait maintenant autour du crassier fuligineux, évitant soigneusement les pneus qui déboulaient vers lui par intermittence. Il continuait régulièrement de faire feu, leur gueulait qu'ils étaient foutus, qu'il était blindé de munitions."
j'ai pas fini, sauf décès ou plus grave, je reviendrais lire la suite.
t'en es arrivé à la partie de Donkey Kong
j'avais la flemme depuis l'été dernier mais j'y suis revenu, mais toujours pas trop dedans, pas déçu, c'était une belle ballade mais la fin n'est pas à la hauteur du début de ma lecture. Il finit un peu à la James bond le HVV, exotisme et cocktails et petites pépées, mais je dis peut-être ça parce que je crois que j'ai revu Zardoz entre les deux temps de ma lecture, avec sean connery qui joue dedans. c'est bizarre d'ailleurs cette fin, le perso est prêt pour de nouvelles aventures on dirait.