Sur le parking, il salua les deux routiers bulgares qui admiraient son semi-remorque en connaisseurs. Un camion atypique, tout comme lui. Son Western Star noir, parfaitement équilibré. Il détonnait au milieu de toute cette laideur.
Il se réfugia bien vite dans l'harmonie de la cabine. Tout y était si ordonné, à sa place. Ici, il se sentait en sécurité, protégé, à l'abri du chaos environnant. Il surprit le reflet de son visage émacié, s'y attarda un peu, puis alluma le réseau de communication interne. Ce matin plusieurs appels avaient été lancés à tous les camions du secteur nord, demandant de signaler la présence et la position exacte d'un individu suspect voyageant probablement en stop. Il portait un bonnet rouge, un long manteau noir, et trimballait une mallette patinée de cuir noir à bandes verticales roses. Chaque agent le croisant sur sa route était invité à contacter son superviseur de toute urgence.
Il écouta, le vol du bourdon, rien, pas de nouveau message prioritaire. Par contre, il s'aperçut que Federico en personne, son vieux pote, le big boss, avait tenté de le joindre. Il le connaissait de longue date. Ils s'étaient rencontrés à l'armée, liés d'amitié durant d'éprouvantes manœuvres dans les Alpes. Quand il avait quitté la légion, Federico l'avait embauché comme routier polyvalent dans une de ses entreprises, puis comme homme à tout faire, surtout les viles besognes, de celles à laisser du sang sous les ongles. Il avait toujours obtempéré, pas de problème, reconnaissant et fidèle.
Kinski était l'un des rares à pouvoir mettre un visage sur leur grand patron, tant l'Organisation était cloisonnée, opaque. Beaucoup n'imaginaient pas un instant pouvoir travailler pour une sorte de mafia, une mafia de routiers et d'agents de sécurité, une belle toile d'araignée. Ils utilisaient habilement une infrastructure des plus légale pour encadrer et perpétrer d'infâmes trafics. Sacrés micmacs.
Le message laissé par Federico évoquait l'opération Dératisation, il lui demandait de réceptionner les colis, jeudi à 10:30 à l'Eldorado, puis de rouler et voir venir. Il lui faisait confiance. Lastravia !
Il songea qu'il dînerait bien d'une francfort, avec des frites.
Dix huit frites.
Pas plus.
Pas moins.
L'âge légal.
Le soir, tandis qu'il rêvassait de son enfrittement proche, en marchant vers le Grill illuminé, et priant pour que la bouffe ne soit pas aussi lourde que leur décoration de Noël, il s'arrêta face à un hérisson blotti dans l'herbe, se pencha en avant et murmura malgré lui.
- Alors mon hérisson, on s'frotte le saucisson !
Il faudrait vraiment qu'un jour il puisse arrêter ce traitement.
***
Ils avaient étendu la chaude couverture à carreaux à même le sol enneigé, quelque part dans une forêt du Spreewald, dans le Land de Brandenburg, là-haut sur la carte, en Allemagne. Un carré parfait, pourtant déplié fébrilement, un périmètre qui jurait dans la nature, au milieu des aulnes, pressés qu'ils étaient par l'appel du sexe dur !
Pas loin, les deux semi-remorques étaient garés côte à côte. Et à cinquante pas, sur la couverture, l'un des chauffeurs enculait l'autre.
Leurs naseaux fumants.
Dix minutes plus tôt, le teuton était arrivé tout doucement, par derrière, tandis que Vigil-Bamako Landru - ça ne s'invente pas - se débraguettait devant l'urinoir.
Il sentit l'autre dans son dos. Qui lui avoua à l'oreille, collé tout près : Du bist sehr speziell ! La façon dont il le lui susurra l'excita beaucoup. Il se retourna, sortit son fier outil Bambara, son schalthebel, devant l'appétissant grand blond.
Toute trique tenante, le teuton le têta.
Et comme Vigil-Bamako aimait prendre ses aises, et aimait par dessus tout se faire surprendre par des yeux incrédules, en pleine action, les fesses à l'air, ils filèrent à l'extérieur, et se retrouvèrent sur la couverture.
Ils se débattaient dans la fumée du désir de leurs corps. Le lutteur noir coulissait dans le boyau du petit blanc, bien enserré où il fallait. Ils n'avaient gardé que leurs pulls et leurs chaussures. Sous celui de Vigil-Bamako remuaient, autour de son cou, son collier à dents de requin et ses grigris aphrodisiaques. Puis, Vigil-Bamako se retira. Il s'agenouilla encore raide près de la tête du teuton, et lui enfourna l'esquimau encore chaud dans la bouche, en continuant à le flatter de la main gauche ; un rayon de soleil barrait sa cuisse frémissante. Il se laissa ensuite couler le long du corps de son partenaire, tout en continuant à se faire sucer, lui attrapa une fesse qu'il claqua rouge, le ramena à lui, ses lèvres trouvèrent son braquemart, et ainsi, ils jouirent ensemble.
Ouais, Vigil-Bamako aimait bien pilonner les petits pédés.
Il n'était pas hétérosexuel, pas homosexuel, ni bisexuel. Pas même pansexuel. Il était sexuel. Il aimait baiser. Un irrépressible besoin le poussait à copuler, plusieurs fois par jour. Mais jamais dans la main ! Il lui fallait toujours quelqu'un, ou quelque chose ; la masturbation, c'était pas du jeu. Il utilisait donc le tout-venant pour se satisfaire : un être vivant… ou pas ; un objet ; un trou dans le mur, dans le sol ; une machine ; un quartier de viande ; une carcasse à son crochet ; une boîte de Bolino bolognaises encore fumante. Mais en fin de compte ce que recherchait le narcisse noir à travers tous ces orifices qu'il sondait, c'était lui-même. Il essayait sans cesse de jouir de lui-même dans un simulacre d'étreintes. Il était le spectateur de choix de ses propres ébats.
Il enfila son pantalon de cuir à la va-vite, poussé au cul par les frimas. Et celui-ci siffla soudain, un pipeau de robot, la musique du générique de Goldorak à travers ce coin de forêt enneigée. Il fit coulisser son téléphone. Il dit oui ; oui, oui, oui ; bien, c'est enregistré ; Lastravia ! Il regagna l'habitacle de son Peterbilt 379 rouge Bismarck.
On venait de lui confier en haut-lieu le soin d'aller surveiller les allers et venues d'une certaine Giulietta Marx, dans le quartier de Friedrichschain à Berlin. Il devait aussi pister l'arrivée d'un homme - dont on lui fournira la description précise via le réseau interne - ainsi que la localisation GPS de l'immeuble de la fille.
C'était très important, quand l'homme se pointera, il devra joindre un numéro spécial.
Sehr speziell ! Pensa-t-il tout haut, la main sur le levier de vitesse du poste de pilotage.
Et il klaxonna trois fois en quittant l'aire de repos.
***
Le mercredi 21 décembre ne sera pas LE jour de Tonio, le héros bien malgré lui de la future opération Dératisation.
La journée n'avait pourtant pas trop mal démarré pour notre jeune routier aux dents longues. Il s'était réveillé en chantonnant, ou plutôt en essayant de reproduire comme il pouvait un air entendu la veille à la télévision, dans une publicité pour une voiture qu'il s'achèterait un jour. Ensuite il s'était délecté de plusieurs croissants au beurre frais, qu'il avait tartinés de beurre justement, demi-sel, puis de Nutella®, le tout trempé dans son bol de Benco®, un vrai délice. Il s'était lavé, rasé, parfumé de partout - Pschitt ! Même sur la toison pubienne. Il s'était habillé pour sortir, tel un king en hiver. Et il s'était rendu jusqu'à la boîte postale 1022, un long trajet à travers la grande banlieue, pour y prendre l'enveloppe capitonnée qui lui était destinée, avec les clefs du 10 rue Antonin Artaud dedans.
Sur le retour, il s'arrêta chez Speedy, un bon dealer qu'il connaissait dans le quartier et qu'il n'avait pas salué depuis longtemps. Il lui acheta un gramme de bonne Cocaïne®, de la « tu m'en diras des nouvelles » destinée à être aspirée bruyamment par le nez dans le courant de l'après-midi, tout en visionnant pour la soixante troisième fois Scarface.
Un petit plaisir qu'il s'octroya, rien que pour lui.
Lui, qu'on appellera bientôt Tonio Montana.
Il conduisait pour retourner chez lui, donc. Retrouver son chez-soi, sa petite séance de narco-ciné sur écran géant, se détendre un brin avant d'aller récupérer dans la soirée, les cartons, puis s'envoler vers l'Eldorado. Il n'était même pas impatient, juste détendu. Il rêvassait au volant.
Il était assez satisfait en fait, la Lastraviat semblait lui faire enfin confiance, il était enfin actif au sein de l'Organisation, ce n'était plus un vulgaire routier désormais, il passait de l'autre côté, il trouvait enfin une place, une fonction, des galons. Tout ça il le ressentait, plus que ça ne lui avait été clairement formulé. Mais il était volontaire, il voulait en être, de si belles histoires circulaient sur l'Organisation, et il désirait par dessus tout rentrer dans la légende. Bien sûr, ce qui ternissait en ce moment son projet d'idylle avec la pègre, ça avait été ces flics qui lui avaient mis le grappin dessus, pour des bidouilles. Puis ça s'était corsé, d'autres flics, belges ou hollandais, les deux peut-être, avaient commencé par le menacer, taule ferme et tout ce qui s'ensuit, plus de home-cinéma, TF1 en cage-non-stop-à fond dans les oreilles, sans pouvoir s'échapper. Il leur a dit pourtant qu'il n'était rien, même pas un pion actif dans leur opaque processus criminel, simplement un élément conscient de ce qui se tramait. Il leur a dit qu'il ne serait pas utile, qu'ils arrêtent de s'acharner ainsi, il le leur a dit putain ! Mais ils ne l'avaient pas lâché, pas d'une semelle, et ils s'étaient montrés particulièrement persuasifs en actionnant parcimonieusement, là-haut, le mécanisme de l'avalanche d'emmerdes qui menaçait de l'ensevelir. Si bien que pour s'en sortir, il avait dû coopérer, leur donner un os à ronger. L'annonce de cette livraison avait donc été une aubaine. Elle lui avait été présentée comme une marque de confiance, une invitation à faire ses preuves, il remplaçait un agent défaillant, à lui de ne pas les décevoir. Aussitôt, il avertit la flicaille qui lui collait au train, c'est à dire Willy et Dirk, à propos de l'échange suspect. Willy lui garantit que son nom ne serait pas évoqué dans l'affaire, il ne sera pas mouillé. Dirk, lui, toujours en retrait à faire la tronche, se contenta d'acquiescer en silence. Il faut dire que Dirk n'aimait pas s'entendre parler dans sa langue maternelle, il trouvait sa phonétique abominable, il en avait honte. C'est pourquoi il s'exprimait le plus souvent en anglais, dans le cadre d'affaires se déroulant à l'étranger, pour un service à vocation internationale. Le reste du temps il utilisait cette langue honnie le moins souvent possible.
Ce n'est qu'une fois arrivé chez lui, après qu'il eut jeté l'enveloppe sur sa table basse en verre, qu'il se fut déchaussé - à l'aise sans chaussettes - et qu'il eut voulu ouvrir son pochon de Cé, que le grand contempteur omniscient qui nous observe tous, commença à penser que ce ne serait vraiment pas LE jour de Tonio aujourd'hui.
Dès les premiers plans du film, une envie de renifle le tenailla vivement. Mais il n'arrivait pas à faire éclore le sachet à mains nues, il était plus que scellé, son contenu comprimé, et la torsade par lequel il était fermé avait été brûlée, elle formait comme un cachet de plastique noir à son extrémité. Au prix où il vendait le gramme, son dealer aurait pu investir dans des sachets zippés, imprimés d'un petit logo sympa, au lieu de tailler les siens dans les sacs plastiques recyclés de chez Leclerc®. C'était du sur mesure certes, mais quand bien même, il pourrait faire un effort. Il entreprit donc de l'ouvrir avec les dents, pressé qu'il était par l'appel de la poudre, tout en gardant son œil de cinéphage bien allumé sur Scarface. Et là, parce que ce satané pochon résistait encore, il tira trop fort, et le sachet se déchira, et il neigea sur le tapis. Il jura, bondit hors du canapé, heurta la table basse et fit tomber un long verre à vin de chez Ikea®, saloperie, qui se brisa en tombant sur le coin de la table, et il grêla sur le tapis à poils longs. Sans transition, un connard dans le film le fit sursauter en criant à tue-tête. En fait il ne criait pas, c'était seulement le pouce de la main gauche de Tonio qui était resté crispé sur le bouton + du son de la télécommande pendant tout ce temps. Il pensa seulement à la lâcher quand son pied nu retomba se déchirer sur un éclat de verre, à la suite du pas de danse qu'il venait d'inventer. Il hurla de douleur. En touchant le sol, la télécommande vomit deux piles Duracell® qui roulèrent se réfugier en direction de la centrale nucléaire la plus proche. Du sang se répandait maintenant sur le tapis à poils longs. Il extirpa un gros morceau de verre de son pied, la plaie semblait profonde. Il claudiqua vers la salle de bain pour se désinfecter et se faire un pansement.
Son calvaire n'était pourtant pas fini, en revenant peu après au salon, le balai et la pelle de nettoyage en main, il glissa de son pied bandé sur l'une des piles AA qui apparemment avait fait une halte en plein milieu du chemin. En une fraction de seconde, Tonio se retrouva à terre, une chute pas glorieuse, ni spectaculaire, toute vilaine, sans panache, et le manche à balais se logea à travers l'imposant écran plat Sony®, la gueule d'Al Pacino figée en étoile pour l'éternité. La séance de narco-ciné venait de prendre fin.
Comme crucifié à la croisée des chemins de son existence, Tonio hésita:
Finir la télévision de son pied valide, trop risqué !
Devenir fou, zinzin, maboul, trop compliqué !
Inspecter le fond du pochon éventré pour y grappiller un peu de poudre encore piégée, trop bonne idée !
Bien sûr il n'y restait plus rien, à part peut-être un micro-film de vitesse grasse collé au plastique. Il lécha le tout sans distinction, de quoi s'anesthésier très légèrement les gencives. C'était toujours ça de gagné, mais ça ne lui suffit pas. Et puis Tony, immobile sur l'écran, lui faisait de la peine avec son trou de balai de cyclope au beau milieu du front. Pour se consoler, il s'évertua alors à rassembler ce qu'il put de coco sur le tapis. Pas lourd. Il s'en fit une trace sur la table qu'il inhala dans un accès de fureur nasale. Aussitôt, il sentit ses sinus se déchirer, une vive douleur, un voile blanc, et bien entendu il saigna tout de suite du nez, car en plus des grains de poussière, des poils, des acariens et des peaux mortes, il aspira d'infimes particules du verre brisé. La face à moitié paralysée, il s'allongea tant bien que mal sur le canapé. Et, pour couronner cette débâcle d'un bonnet d'âne en carton, il s'aperçut que quelques gouttes d'hémoglobine décoraient à présent la belle chemise blanche du king de l'hiver.
Non mais, quelle chierie !
Au bout d'une heure, il émergea du canapé, tel un Nosferatu pas frais d'une huître échouée sur la grève. Il aperçut l'enveloppe sur la table basse, il pensa aux colis qu'il devait livrer, et l'ouvrit. À l'intérieur, pas de clefs, mais un mousqueton porte-clés, un briquet et quelques pièces de monnaie. Qu'est ce que c'était que ce canular ? Il regarda au fond de l'enveloppe capitonnée. Rien. Pas la moindre clef. Ben merde, alors !
Il demeura prostré ainsi un long moment, les sinus en capilotade et le pied douloureux, à s'efforcer de comprendre, le regard perdu dans le fiasco alentour. Il ne pouvait plus joindre son mystérieux agent de liaison pour l'informer de la situation, le lien était mort. Et il ne préférait pas prévenir son superviseur qui, de toute façon, n'était pas dans la confidence ; pour cette opération il prenait les ordres directement d'en haut, pas d'intermédiaire.
Il se dit :
Soit il s'agit d'une erreur de leur part - une bien grossière erreur, d'ailleurs - il serait donc maladroit de le leur reprocher, et puis par quel biais les alerter sans créer un raffut malvenu dans l'Organisation ?
Soit - comme il le pensait fortement - il ne s'agissait pas d'une erreur, mais au contraire d'un test qu'on lui faisait subir, alors il allait surmonter cette épreuve avec brio, et déployer toute sa débrouillardise et son sang-froid, leur montrer qu'ils pouvaient lui faire confiance, il n'était pas homme à faire des vagues. Il livrera les colis comme convenu, comme si de rien n'était, en grand seigneur, rien de compliqué, juste une serrure à forcer au sésame.
Un peu plus tard en branchant le grille-pain Seb®, Tonio provoqua un court-circuit, puis un début d'incendie dans la télévision embrasa bientôt le manche à balai planté dans l'écran plat, Al Pacino resta stoïque quand les flammes le dévorèrent.
Ce n'était vraiment pas LE jour de Tonio.
Non, LE jour de Tonio arrivera bien assez vite, dans trois jours exactement, celui de SA propre mort, le 24 décembre au soir, un peu avant minuit.
Déguisé en Père-Noël®, il sortira pour fumer une cigarette dehors, sous le perron de chez sa sœur où ils réveillonneront. Sa petite nièce le trouvera un peu plus tard, agonisant dans son sang, mais elle attendra un peu avant d'appeler au secours : le cadeau qu'il venait de lui offrir était vraiment trop nul.
Saigné à l'arme blanche.
Deux trous chirurgicaux.
Presque mort sur le coup.
Le grand contempteur derrière son journal, aura alors cette pensée fugace :
Un Père-Noël qui meurt c'est un parasite en moins pour la société.
L'enquête ne donna rien.
Personne jamais ne sut qui l'avait tué.
Lastravia !
Kinski était le genre d'immonde salopard capable de violer une femme au beau milieu de son accouchement. Il était dur, sec, et froid. Une arme redoutable. Sans remords. Sans limite.
Il plaça dans la paume de sa main droite, une pilule blanche, et de chaque côté, à équidistance, deux gélules vertes identiques. Il les regarda, satisfait, et les avala sans eau. Ce traitement, devenu un rituel répété trois fois par jour depuis plus de quinze ans, lui avait été prescrit par un médecin militaire alors qu'il était encore légionnaire ; il l'aidait à surmonter sa fêlure, son obsession de la symétrie. Sans lui, il croupirait sans nul doute à l'asile de Cadillac, entre fous dangereux, au lieu d'occuper un poste de cadre, sur le terrain, à bord de son camion, au sein de la Lastkraftwagen Traviati. Quand il rechutait, ce qui était extrêmement rare, le monde, pour lui, se divisait alors en deux camps, de part et d'autre d'un axe qu'il incarnait, tel un veilleur de fontanelle, avec d'un côté l'asymétrie où régnait le mal, et de l'autre la symétrie où le bien pouvait prospérer. La dernière fois qu'il avait succombé, il avait dû rectifier le nez de traviole d'un simili boxeur en le tranchant sèchement au rasoir. Mais tant qu'il prenait son traitement à heures régulières, il n'y avait pas de raison qu'il s'en prenne à quiconque en une démente compulsion, une subite crise de nerf au nerf de bœuf, voire pire.
Une curieuse conséquence cependant découlait de toute cette chimie avalée trois fois par jour : désormais Kinski ne s'exprimait, le plus clair de son temps, que par alexandrins, vulgaires et laconiques. Et toutes ses phrases, invariablement, commençaient par l'adverbe « alors ».
C'est ainsi qu'après avoir fait le plein du camion, au moment de payer la bimbo hâlée à la machine, qui prenait tout son temps à l'une des caisses de la station-service, il lui décocha un :
- Alors pétasse, on s'imagine à Caracas !
Et s'éloigna imperturbable jusqu'à son véhicule.
Il plaça dans la paume de sa main droite, une pilule blanche, et de chaque côté, à équidistance, deux gélules vertes identiques. Il les regarda, satisfait, et les avala sans eau. Ce traitement, devenu un rituel répété trois fois par jour depuis plus de quinze ans, lui avait été prescrit par un médecin militaire alors qu'il était encore légionnaire ; il l'aidait à surmonter sa fêlure, son obsession de la symétrie. Sans lui, il croupirait sans nul doute à l'asile de Cadillac, entre fous dangereux, au lieu d'occuper un poste de cadre, sur le terrain, à bord de son camion, au sein de la Lastkraftwagen Traviati. Quand il rechutait, ce qui était extrêmement rare, le monde, pour lui, se divisait alors en deux camps, de part et d'autre d'un axe qu'il incarnait, tel un veilleur de fontanelle, avec d'un côté l'asymétrie où régnait le mal, et de l'autre la symétrie où le bien pouvait prospérer. La dernière fois qu'il avait succombé, il avait dû rectifier le nez de traviole d'un simili boxeur en le tranchant sèchement au rasoir. Mais tant qu'il prenait son traitement à heures régulières, il n'y avait pas de raison qu'il s'en prenne à quiconque en une démente compulsion, une subite crise de nerf au nerf de bœuf, voire pire.
Une curieuse conséquence cependant découlait de toute cette chimie avalée trois fois par jour : désormais Kinski ne s'exprimait, le plus clair de son temps, que par alexandrins, vulgaires et laconiques. Et toutes ses phrases, invariablement, commençaient par l'adverbe « alors ».
C'est ainsi qu'après avoir fait le plein du camion, au moment de payer la bimbo hâlée à la machine, qui prenait tout son temps à l'une des caisses de la station-service, il lui décocha un :
- Alors pétasse, on s'imagine à Caracas !
Et s'éloigna imperturbable jusqu'à son véhicule.
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C'est vrai qu'on entre pas assez souvent dans le quotidien des hommes de main des organisations mafieuses. Derrière la Nième victime lambda du héro de l'intrigue se cache un petit cœur qui bat. Toutes ces personnalités anonymes gagnent vraiment à être mises en lumière par Roger Harth et Donald Cardwell.
bien entendu, c'est bien sûr, que va-t'il se passer avant ce 24 décembre pour HVV avec ces joyeux drilles qu'il a à ses trousses, Kinski va sans doute tenter de le nastassia en parfaite harmonie avec le néant, à moins que Landru n'enclume son cadavre encore frais, ou que Tonio lui refile sa poisse et le keuf wallon qu'il a à ses basques...
et bravo pour les sponsors !
Question sponsor il vaut mieux se référer à ceux du tout premier volet de la série. De la pure pédagogie.
Sinon quand je reprends l'intégralité de "En Plein cœur. PAN! Pas ailleurs." c'est là que je me rends compte de l'intégralité des flashback qui font le délice du roman. J'imagine ici qu'on entendra plus parler de Tonio par la suite. Ce flashback sur ce personnage dont on a déja entendu parler ne sert qu'à expliquer pourquoi à la fin de l'épisode précédent des flics tenaient la planque au 10 rue Antonin Artaud. J'imagine que par la suite Ben et Nuts vont filer Hendrix VV et/ou les Zarofettes.
L'intrication de flashback successifs dans tous les épisodes rend l'oeuvre plus accessible à des spectateurs qu'à des lecteurs (à moins qu'ils aient une mémoire textuelle assez poussée) C'est très visuel et la mémoire visuelle étant plus persistante que la mémoire textuelle (en ce qui me concerne tout du moins) J'espère qu'un jour un vrai film avec des vrais acteurs avec de vraies gueules qu'on identifie d'un coup d’œil et qui marquent l'esprit, sera adapté de récit pour en cerner toute la beauté du ciselage artisanal.
Un manga !
ça, ça serait de l'adaptation.
Y'a déjà toutes les illustrations des étiquettes de bières trappistes qui z'iraient bien, en bande annonce, en défilement pyramidal façon star wars.