« Bon, d’accord ! Mais c’est bien pour te faire plaisir, lança Léon en ajustant son bomber et les lacets de ses Doc Martens. Je t’avertis, c’est la première et la dernière fois, tu sais que j'aime pas traîner sans mes potes. Certains n'apprécieraient pas mon crâne rasé... »
« T'en fais pas, tu verras, c'est vraiment différent du lycée, répondit David. »
C’était la énième fois que ce dernier demandait à son copain d'enfance de venir en cours avec lui ; « Pour voir ce qui l’attend l’année prochaine », disait-il. Lorsqu’il rentrera à la Fac des Sciences qu'il intégrera dès son bac en poche.
Léon n’avait encore jamais accepté. Il disait qu’il verrait ça sur le tas, au moment voulu. Puis il faisait partie de cette bande de skinheads à la mort-moi-le-nœud... alors traîner son crâne rasé dans un lieu public présentait un risque certain. Puis s'il venait aux oreilles de la bande qu'il se baladait avec celui qu'ils connaissaient sous le nom du Youpin, le danger était double. Mais là il avait craqué. Il en avait vraiment ras-le-bol que David l’emmerde avec ça. Cette fois il irait, comme ça il serait tranquille par la suite. Après tout il lui suffisait juste de se farcir une ou deux heures de cours dans un amphithéâtre mal éclairé, c’était pas si terrible que ça !
Ils se donnèrent rendez-vous à l’arrêt d’autobus devant chez Léon et firent le voyage en bus scolaire jusqu’à la faculté. C’était triste, mais c’était comme ça : Ils avaient beau avoir 18 et 19 ans, ils n’avaient toujours pas leurs permis de conduire et étaient la risée de tous les étudiants qui possédaient chacun leur 306 ou autres vieilles françaises cabossées.
« Tu vas voir, dit David d’un ton enjoué alors qu’ils pénétraient tous deux dans l’amphithéâtre, on a biologie cellulaire. C’est cool... »
Ils jetèrent un coup d’œil circulaire à la recherche de places libres parmi la foule, et en repérèrent deux en plein centre de l’amphi. Ils descendirent les quelques marches inégales qui y conduisaient, montèrent sur les bancs, se faufilèrent dans le dos des étudiants et se laissèrent glisser sur le banc de bois souillé par les milliers de semelles qui le piétinent chaque jour. A cet instant, l’enseignant monta sur l’estrade et déposa un pavé de feuilles de cours, particulièrement lourd à en juger par le bruit sourd qui résonna quand il heurta le bureau.
« Bon, lança-t-il, nous allons commencer aujourd’hui notre exposé sur les lysosomes...
Qu’est-ce que c’est encore que ce truc ? se demanda Léon qui commençait déjà à regretter d’être là. Et puis merde, mais qu’est-ce que je fous ici moi ? J’aurais mieux fait d’aller au cybercafé...
Nous allons nous intéresser tout d’abord à l’ultrastructure de ces lysosomes, entama le professeur qui arborait une barbe façon Billy Gibbons et la chevelure de Capitaine Caverne.
Si seulement il savait à quel point je m’en fous de son ultrastructure à la con, celui-là !
Les lysosomes sont d’une très grande diversité. Leur nombre, leur taille et leur aspect varient considérablement selon le type cellulaire et selon l’activité physiologique de la cellule elle-même, continua-t-il. La seule morphologie ne permet pas de caractériser un lysosome...
Putain ! J’avais encore jamais vu autant de métèques en une seule fois, pensa Léon en observant autour de lui. Un vrai ramassis de négros fourré au ninja et au bougnoule...
...il faut en plus mettre en évidence une activité lytique pour être sûr qu’on y a affaire.
...on est vraiment plus chez nous. Tiens, et si je comptais le nombre de « vrais » Français...
Je passe sur la composition chimique et la biogenèse que nous verrons la prochaine fois, ajouta le professeur, pour nous attarder sur l’élément le plus important qu’est le rôle des lysosomes. En fait, il existe différents phénomènes dans lesquels ils interviennent. Il s’agit notamment de la digestion cellulaire : lorsque le matériel digéré sera à l’intérieur de la cellule on parlera d’autophagie. Lorsque à l’inverse le matériel viendra de l’extérieur de la cellule on parlera alors d’hétérophagie...
71 ! C’est bien ce que je disais, ils sont en train de nous bouffer ! Combien on est ici ? 200 ? Ouais, c’est à peu près ça, s’affirma Léon à lui-même après un rapide calcul. Merde alors, mais ça fait 129 macaques ! Quoi, qu’est-ce qu’ils ont ceux-là ? s’interrogea-t-il en remarquant que les six types du banc d’à côté le regardaient fixement.
... mais ce ne sont pas là les seules utilités des lysosomes ; en effet, ils permettent également de stocker des réserves et interviennent dans des processus pathologiques. Commençons si vous le voulez bien par décrire le phénomène d’hétérophagie.
Si j’avais su je serais allé au zoo, au moins là-bas ils sont en cage ! Et puis merde, mais arrêtez de me regarder comme si j’étais un alien ! s’exclama-t-il en son for intérieur alors que d’autres étudiants s’étaient retournés vers lui pour le scruter.
...Quand un substrat exogène est capté dans le milieu extérieur par un processus de phagocytose, la vacuole de phagocytose contenant ce substrat vient fusionner avec un lysosome primaire...
Quel enfoiré ce David d’avoir voulu m’amener dans cet amphi pourri, j’étais bien dehors moi, tout seul ! Comment j’ai pu me faire embarquer dans cette réserve de babouins ? En plus ils me regardent tous comme si j’étais UN ETRANGER ! Bordel, comme si c’était moi l’étranger ici ! C’est pas vrai, ils continuent en plus !
...il va ainsi se former un phagolysosome, qui est un lysosome secondaire.
Putain, Voilà qu’ils se déplacent maintenant ! » S’affola-t-il en constatant que nombre des étudiants commençaient à se lever alors que le cours ne faisait que débuter.
Ce qui lui ficha une peur bleue, c’est que la plupart semblait s’approcher de lui, et que leurs yeux suintaient l'animosité. Ils ne le quittaient pas du regard un seul instant et avançaient vers lui, inlassablement.
« C’est dans ce lysosome secondaire que va alors pouvoir s’effectuer la digestion intracellulaire, poursuivait Billy Gibbons.
Nom de Dieu, mais vous allez me fiche la paix à la fin ! » Pensa-t-il en déglutissant difficilement alors que tous les regards et le mouvement de foule se dirigeaient vers lui.
Léon se tourna vers David pour lui jeter un regard interrogateur, mais celui-ci avait dans l’œil la même étincelle hargneuse que tous les autres, lui aussi s’était levé et se rapprochait, se serrant tout contre lui un sourire narquois sur les lèvres. Au même instant le piège sembla se resserrer autour de Léon. Dans un élan de profonde solidarité, tous les étudiants de l’amphithéâtre se ruèrent sur lui. Il fut saisi par les jambes et les bras sans pouvoir se défendre et hurla :
« Lâchez-moi, bordel de merde ! Qu’est-ce que vous me voulez ? »
Chacun leur tour les étudiants s'emparèrent de Léon, lui arrachant férocement des lambeaux de chair sanguinolents à pleines dents. Les événements se succédèrent à une incroyable vitesse. Le sang coula à flot et Léon fut en grande partie dévoré, mais les restes du corps - dont une bonne quantité encore exploitable - furent déposés sur l’estrade, aux pieds de l’enseignant qui continuait son cours.
« Les petites molécules qui résultent de la digestion du substrat vont alors traverser la membrane du lysosome secondaire, disait le professeur. Cependant, après cette opération, il reste quand même dans les lysosomes des déchets et des enzymes dénaturées. Le lysosome devient alors un corps résiduel, ou lysosome tertiaire. »
Les étudiants entonnèrent un chant victorieux alors que le clone du guitariste de ZZ TOP terminait son chapitre.
« Il arrive que ces corps résiduels restent ad vitam aeternam en réserve dans la cellule. Par ce procédé, donc, l’hétérophagie assure la nutrition de la cellule. »
Sur ces mots le professeur acheva ainsi son cours, fit sortir l’ensemble des étudiants de l’amphithéâtre, les rejoignit à l’extérieur, ferma la porte de l’amphi à clef, glissa la clef dans sa poche et s’en alla, laissant les restes du néo-nazi de pacotille gésir sur l’estrade, ad vitam aeternam.
LA ZONE -
« Dans quelque situation d’esprit que je me trouve, haut ou bas,
je n’ai jamais pu me persuader que les hommes
étaient vraiment mes semblables. »
Théophile GAUTIER.
je n’ai jamais pu me persuader que les hommes
étaient vraiment mes semblables. »
Théophile GAUTIER.
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C'est un peu brut de décoffrage. Il n'y a qu'un niveau d'analogie, et ça fait un peu bricolé. La binarité des alternances discours scientifique et narration de l'histoire donne un arrière goût d'amalgame. On a au final l'impression d'avoir eu droit à un discours moralisateur vide d'argument. Pour s'éloigner du tract politique endoctrinatoire, on aurait pu par exemple utiliser l'introspection du sujet qu'il est dangereux de simplement décrire comme un abruti (a priori il est tout de même allé jusqu'en Terminale) En effet, à cet effet, il aurait pu être phagocyté par les discours d'autrui, par sa parano, son autoaliénation, sa xénophobie, phagocyté aussi par ses peurs, phagocyté par l'alterité. Le paradoxe du sentiment d'ostracisation du raciste aurait pu être également évoqué en filigrane tout le long. Là l'abruti balance des insultes bas de gamme et alors qu'elles se veulent choquantes, décrédibilisent entièrement un sujet hyper caricatural que l'on retrouvé étonnamment perdu dans une hyperstructure intellectualisante et du coup il finit par ressembler à BIBIPHOQUE caressé par B.B. Par ailleurs, quelques crescendos narratifs et fictionnels n'auraient pas été de refus dans ce fatras de mots à inertie constante.
J'attends cependant les prochains épisodes avec impatience pour le coté ludoéducatif de l'entreprise même si il ne me semble pas que ce soit son but premier.
"C'est un peu brut de décoffrage."
Carrément. Ça n'a d'ailleurs pas d'autre prétention.
Pour l'anecdote, j'ai écrit le texte au milieu des notes de cours, dans l’amphithéâtre, pendant la leçon mentionnée dans la nouvelle.
Vivement la suite en tous cas. J'attends impatiemment le parallèle entre l'appareil de Golgi et un chalutier usine japonais fabriquant des bâtonnets de crabe.