Je veux des images ; l'impression rétinienne exacte, par avance, de ce que cela sera. Je cherche à retrouver - par la logique, par mes connaissances en physique et biologie datées de l'adolescence, par la capacité enthousiaste de l'entendement humain en général et de mon esprit en particulier à fantasmer - tous les détails exacts de la crémation. Les plus menus d'entre eux m'intéressent, me fascinent en fait, tout autant que les plus communs et documentés. Je veux tout savoir.
J'aimerais bien, tout de même, ne pas être la seule connasse à ne pas jouir du spectacle de ma propre mort. C'est justice, me semble-t-il.
Je manque d'expérience. Quoi qu'on en dise, je manque d'expérience. Je sais bien que les respectables inspecteurs de notre belle police nationale contestent cette estimation, mais que diable, ce sont des foutriquets, et je manque cruellement d'expérience. Je m'en vais sur un échec ; je n'aurai pas mené ma mission à terme. Je n'en ai pas assez brûlés.
Bien sûr, j'ai eu mes coups d'essai. Des flics, entre autres, d'ailleurs, puisqu'il en est question - raisons ponctuelles fortifiant encore les raisons générales de l'avis policier communément admis. Van Loc a été le premier de la catégorie, l'an passé. Ah, le commissaire Van Loc. Son gros sac de graisse ferme et fière, plein du devoir accompli et des bonnes bouillabaisses marseillaises. Le petit grésillement du pyrograveur qui pénètre dans les incisions de l'abdomen et va fondre et consumer les lipides. Des heures et des heures de travail. A la fin, il avait pris la forme d'une calzone ratée, et la teinte d'une pleine lune automnale couverte des mollards de légions de tuberculeux en phase terminale.
J'admets avoir choisi Van Loc un peu par ennui, et beaucoup sous l'effet de traumatismes enfantins ; mais quel esprit délicat et aimant le Beau pourra me reprocher d'avoir voulu venger les longues secondes, répétées semaine après semaine, d'annonce du téléfilm du même nom que le flic qui, finalement, n'en pouvait mais - mais il suffit. Oui, j'aurais pu cramer l'acteur du téléfilm, ç'aurait été logique, mais j'ai du respect pour les déshérités qui renoncent à leur honneur pour gagner leur pain et pour tous ceux qui dans le combat épique de la vie ont échoué, et puis j'aime à cautériser dès la source.
Plus tard et pour les mêmes raisons (mais plus), il y a eu Yves Régnier. On ne joue pas impunément le Commissaire Moulin des années durant. L'erreur est humaine, mais quand le scarabée finit par rouler une boule de merde plus grosse que lui, il devient la boule de merde ; alors l'écraser d'une semelle apitoyée est juste. Et j'aime la Justice.
J'ai souvenir de ses cris, aux voyelles traînantes, lorsque je l'ai bâillonné avec sa ceinture en cuir de beauf, ligoté avec un câble en acier, puis assis sur son barbecue XXL au propane. J'ai raté un peu sa cuisson, en tentant une unilatérale, mais une fois encore et surtout en ces temps-là, je manquais d'expérience.
La police et le peuple me reprochent ces deux-là et d'autres issus de leur sein (ou les ayant abondamment abreuvés de l'idée qu'ils appartiendraient à leur sein) ; et combien de comiques ai-je ainsi brûlés, de fait. Avec combien de joie ineffable, et combien de cris d'extase. Avec quel soulagement, quelle libération, après coup. Le silence... Le silence apaisé du monde, débarrassé d'un grésillement de bêtise malsaine, lorsque Christophe Alévêque s'est définitivement tu. Seigneur, ce silence.
Sur la manière, la presse a gardé ce même silence, et malgré mon dépit, au fond, je lui en sais gré. La manière : une guirlande d'ampoules à incandescence petit format, confectionnée tout exprès par mes soins, juste pour lui. J'avais pris soin d'isoler le fil conducteur entre chaque bulbe au moyen de scotch d'électricien, pour le protéger des sucs gastriques et ne pas électrocuter bêtement le sujet. Ensuite, j'ai dû nouer un fil chirurgical à une boule de cellulose et la lui faire avaler, en laissant le fil et sa bobine dépasser par la bouche ; puis il a fallu abreuver l'individu de laxatifs puissants, et attendre que la balle ressorte par l'autre bout, presque intacte, avec le fil toujours attaché. J'ai alors pu nouer au fil chirurgical, côté bouche, l'extrémité de ma guirlande d'ampoules, puis tirer peu à peu côté cul, jusqu'à ce que deux ou trois lumignons soient ressortis et que le reste parcoure le tube digestif harmonieusement de part en part. J'avais aussi dû bloquer la mâchoire au moyen d'un spéculum. Un coup de dent réflexe sur une ampoule, et c'eût été l'électrocution ainsi qu'un drame irréparable.
Lorsque j'ai mis le courant, l'artiste a d'abord cligné des yeux et, oui, semblé content, une petite minute durant. Il a assez vite changé d'avis et d'aspect. Néanmoins, il fallu plus d'une journée pour qu'il cuise uniformément de l'intérieur et, partant, expire, après avoir beaucoup crié. Mais le silence...
Et puis bien d'autres.
Et maintenant, il est temps pour moi. Mais je n'ai pas d'expérience ; d'images, pas davantage. La prémonition des sensations qui vont me parcourir, je n'y crois guère ; je sais trop bien combien inventer m'est naturel pour me croire moi-même lorsque j'imagine. Je n'ai que cette baignoire pour bébé remplie d'alcool à brûler, posée dans ma douche et où je trône, debout ; je n'ai que ces deux bouteilles pour m'asperger méthodiquement, cheveux, visage, épaules, poitrine et dos, sexe et fesses, bras, cuisses et mollets, comme un dernier cérémonial ou comme une libation propitiatoire aux dieux de la connerie et des ratés ; cette boîte d'allumettes de cuisine, sans noblesse ni espoir de pardon, nombreuses comme sont nombreux ceux qu'il aurait fallu brûler, identiques et sans intérêt comme mes semblables, mes frères, et mortelles, toutes. Je n'ai que cela, et ma fatigue. Je n'aurai pas non plus le loisir de vous raconter ce qu'il en aura été de ma crémation, et c'est sur ce dernier et suprême ratage que je vous salue.
Tas de merdes.
J'essaie d'imaginer.
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Il faudrait pondre une pétition pour que les narrateurs arrêtent de se cramer. L'écriture est très bonne pour une gothopute anorexique. Le choix des cons est frustrant cependant : je m'attendais à un listing de flics de série télé avec des crémations allant crescendo dans la cruauté et le sadisme. J'aurais particulièrement bien vu Carlos dans le JAP, Julie Lescaut, les experts, les profilers d'esprits criminels, NCIS et un final avec l'horripilant Derrick. 222 y a probablement pensé mais à finalement dû y renoncer face à l'ampleur de la tâche.
Pareil que LC, je m'attendais à du Navarro, à du bon gros faisan à la broche, mais dans le fond, ça ne m'a pas semblé être le but.
C'est vrai qu'il devient difficile au bout de plusieurs Saints-con de trouver des façons originales de faire cramer son espèce, du coup, j'ai apprécié l'idée, l'écriture, et le fait que ce soit probablement le second vrai texte de Saint-con de l'année.
Ah, ouais, et à la première lecture, j'ai pensé que le premier à se faire cramer, c'était le Van Loc du sketch des Robins des bois, le flic très couillon, ALORS J42TAIT UN PEU TRISTE? C4EST MON ENFANCE QUI BRULAIT? UN PEU.(Note : lire tous les textes de la catégorie sombre de La Zone avec la voix de Van Loc dans la tête, absolument).
Carlos et le crematorium se transforme en Charlie et la chocolaterie
Pas assez de conneries dans cette litanie masturbatoire à la musicalité pesante.
J'aime bien le titre et de là j'avais fantasmé l'auto-crémation d'une narcisse, seule devant son miroir, à ne pas savoir s'y prendre avec ses allumettes mouillées...
L'histoire qui se joue est plus triste. Le sévice de Noël trop descriptif, pas assez charnel.
J'attends toujours le texte qui, cette année, me fera franchement marrer, et je voterai pour lui.
A Burning man,
Rhaaa !!! C'est Néronesque, une sublime immolation par les guirlandes électriques qui restera dans les annales, mwhahahaha !
J'ai pas tout compris.
En particulier la crémation qui n'a rien à voir avec le reste du texte. Pourquoi pas.
Mais dans ce cas, pourquoi ces acteurs à la con ? Quel rapport avec quoi ? je ne saisis pas. J'ai froid.
Reste que c'est bien écris, encore heureux, parce que sur le fond... Mais j'aime bien la dernière phrase.
Je crois que la narratrice était sur le point de se faire choper et qu'elle a préféré se cramer plutôt que d'être prise tavu tro héroïc kwa genre Bernard Thelma et Bianca Louise tsé.
C'est ça quand on fait fructifier un brouillon incidemment retrouvé et vieux de deux ans. Forcément, y a de la fermentation et du champignon ici ou là.
Je pense que c'est bien et que j'ai tout compris, contrairement à Hag. Mais c'est peut-être seulement parce que j'ai chaud et lui froid.
Lecture agréable, le ton de 222 m'a souvent un peu agacé, mais pas ici. En revanche, il y a ce passage "que diable, ce sont des foutriquets" où brutalement on a l'impression que c'est quelqu'un d'autre qui écrit à sa place, et on voit trop bien qui.
C'est vrai qu'on est obligé de supposer que c'est pour ne pas se faire prendre vivante qu'elle se flambe. De même, la crémation interne à la guirlande d'ampoules est une fort jolie trouvaille, mais je n'ai pas compris duquel des artistes cités plus haut il s'agissait.
Dommage, ça aurait pu être très bien et ce n'est que pas mal. L'Art est cmb, hélas, et la vie ctb.