Le bruit des bombes, et le tremblement de la terre quand les obus la heurtent. Les immeubles qui s'écroulent, et les flammes qui s'élèvent au ciel en uniques gagnantes. Un peu plus loin, la bouche de métro dégueule les passants qui s'y étaient réfugiés, et les sirènes pleurent encore, encore et toujours, sans jamais se taire. Le ciel est parsemé de traînées filigranes que le vent déforme, et les incendies de la ville se mélangent aux nuages afin de former une masse noire d'où se déversera de la pluie lestée de cendres. A côté de moi, une fille pleure sa mère, et ma mère pleure son fils. Tous, vivants comme morts, se sont écroulés. Les vivants, eux, peinent à se relever. Les morts ne peinent plus, ne peineront plus jamais. Je suis le corps inerte que la bombe a drapé à même la terre dans une position grotesque. Je suis le gosse que l'anglais a coupé en deux. Je suis le mort qui ne trouvera de vivant pour le pleurer. Je suis la ville détruite, et la ville qui agonise.
Les rues autrefois peuplées de monde se font clairsemées à la tombée de la nuit, ne restent plus que les rats, les chiens errants et les militaires. Quelques amoureux se tiennent la main et se volent des baisers avant de se retourner, gênés que quelqu‘un ait pu les voir. Puis ils détournent leurs regards et se séparent, et repartent chacun vers leur propre logis aux rideaux tirés. Je suis la ville qu‘aucun rayon de lumière n‘éclaire désormais. Mes ruelles sont vides et sentent le souffre et la charogne. Les corps des morts pourrissent sous mes décombres, et mes ruines n‘abritent plus que la douleur de quelque souvenir d‘un mari, d‘une femme, d‘un baiser échangé au bal ou d‘une partie de jambes en l‘air derrière l‘Eglise détruite. Au sein de mes immeubles, les Hommes se transforment en bêtes mortes, et même la chair n‘est plus qu‘habitude. Un peu plus loin, une jeune fille insouciante se fait violer par un soldat revenu du front, et ses quelques râles de douleur le ramènent au froid de Stalingrad. La fille a les jambes écartées, elle a une plaie sur le front dont s‘écoule un petit filet de sang et les yeux fermés. À quelques mètres d‘elle, une main émerge d‘un tas de gravats. Ses doigts sont repliés, sauf l‘index, tendu vers le ciel coupable. Quelque part un mourant partage son agonie. Il appelle au secours, et personne ne vient.
La sirène redémarre, elles tintent, elles sonnent, et de nouveau la ville se meut : des silhouettes furtives et fuyantes sortent des immeubles à moitié détruits et se précipitent vers des abris de fortune. Ci et là, un enfant pleure, et une mère lui tire le bras un peu plus fermement pour le faire avancer. Et puis le ciel se met à vrombir et des millions de bombes tombent du ciel, recouvrant la ville de leurs tonnes de métal et de poudre. La ville s‘embrase bientôt. En un instant, les immeubles sont réduits à néant, et des cris humains se répandent d‘avenue en avenue : des cris de désespoir, des cris de douleur, des cris rauques, des râles, des jurons, des cris de haine. La ville devient un immense cri, alors que les bombes tombent du ciel, et écrasent de leur poids tout ce qui vit. D‘en haut vient un feu qui pénètre profondément la chair des Hommes, et les hommes crient et dansent sous le feu qui vient du ciel. Le jugement dernier n‘est pas oeuvre du Christ, mais de machines construites par l‘Anglais. Elles répandent la terreur et la mort, et le Seigneur nous a abandonné.
Je suis la ville que l'on a réduit en poussière, et dans mes cave, les humains puent. Leur sueur sent la peur et la poussiére, et les fait suffoquer. Les murs se teintent de peintures phosphorescente autour d'eux, sauf là bas, y'avait un type qui avait éclairé le mur avec une lampe torche, y projetant les contours d'un enfant. Le fantôme du gosse se fait angoisse, alors que la terre tremble. Je suis la ville qui a peur. Au dessus, l'enfer se matérialise. Je suis la ville qui brûle, la ville dont les clochers tombent sur les habitations. Je suis la ville dans laquelle le mot espoir est vain.
Dans mes entrailles, on prie. On suffoque et on prie.
Je suis allongé dans une mare près de Berlin;
Je suis enfermé dans les ruines de Dresde;
Je gis inerte sur le pavé de Darmstadt;
Je perds mon sang dans les rues de Munich;
J'agonise dans une ruelle d‘Hambourg.
Je suis enfermé dans les ruines de Dresde;
Je gis inerte sur le pavé de Darmstadt;
Je perds mon sang dans les rues de Munich;
J'agonise dans une ruelle d‘Hambourg.
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L'office de tourisme berlinois cible les emogoths ?
Je suis un peu mitigé, là dessus. D'une part certains passages sont vraiment bien foutus et j'aime beaucoup les troisièmes et quatrièmes paragraphes; mais de l'autre part j'ai l'impression d'avoir déjà lu tout ça : je le ressens un peu comme un mélange de "Indus martial" de Glaüx et du texte précédent, "Dies irae". Donc je ne saurai pas dire si j'aime vraiment bien - et y'a pourtant beaucoup de points positifs ici - ou si ça me laisse sur ma faim.
Moi aussi je suis relativement mitigé. Indus Martial, non et renon, ca fait des années que je l'ai pas lu, et il m'avait pas vraiment marqué. Le Dies Irae, certainement un peu, je l'ai fini à environ la meme epoque.
Le resultat mitigé vient pour moi du fait que je l'ai posté relativement à l'etat brut, et que je l'ai ecrit sur un coin de table. référence on-ne-peut-pas-passer-a-coté : le motet de Mauersberger suivant : http://www.youtube.com/watch?v=_gZXg8lNH2g qu'il faut écouter, réecouter, manger, gober, à fond les ballons, etc. Composé juste après le bombardement de Dresde, par un survivant. L'écriture a été guidée par la phrase suivante : "Il a envoyé un feu dans mes ossements, et l'a laissé prospérer" (c'est le passage crié et dissonnant). Etant donné que je suis pas un survivant et que j'ai essayé de rendre le désespoir exprimé par le morceau, je suppose que c'est normal et logique que ce soit mitigé.
Cela dit, je ne regrette pas de l'avoir laissé brut de décoffrage. Meme si du coup c'est loin d'etre parfait.
faudrait faire un reedit au pays des teletubbies. Là ça forcerait un incommensurable respect.
Moi j'aime bien, sans en faire des doubles saltos périlleux de joie. Le côté souvent gémissant des textes de Carc n'est pas absent mais, étant donné le sujet, il est justifié au lieu d'être agaçant. C'est une litanie, ce sont des lamentations, mais sans en faire trop tout en restant premier degré, ce qui est casse-gueule et tient debout ici.
Ceci dit, on peut noter qu'il n'a pas pu s'empêcher d'écrire à la première personne...