Il avait toujours voulu connaître le rayonnement agressif des villes, ces vastes utopies aux multiplicités sans fin ; et c’était bien dans ce cadre tout en nerfs et en muscles qu’il s’était résolu à bâtir les fondations de sa nouvelle vie. Campagnard, cependant peu enclin aux travaux manuels et à la débrouillardise, il s’était tout de même trouvé un bel appartement dans cette rue du 26, appellée « l’Equerre » pour ce qu’elle s’arrêtait à l’exact angle droit de la faculté de médecine, au sein de laquelle il comptait s’accomplir et devenir, une bonne fois pour toute, quelqu’un d’important.
C’était un jeune homme suffisamment frêle pour attirer une quinte de toux à chaque brassée de vent vagabonde, et l’on pouvait très distinctement voir les veines de son épais front, de ses mains irrégulières et fines, pour tout dire, tout à fait translucides.
Le mot « fantômatique » savait donc parfaitement le définir. Pourtant, le voici qui voulait rejoindre les mondanités usuelles et connaître les palpitations du cœur et des corps ; aidé au besoin de l’importante masse d’argent qu’il avait reçue de ses parents, pour commencer sur de solides bases.
L’appartement du 26 rue de l’Equerre correspondait tout à fait à cet état des choses : au lieu de s’étirer en large comme le font tout les appartements moderne, celui-ci voulait s’enorgueillir d’une hauteur de plafond à s’en donner le vertige, le tout, dans des tons d’une blancheur maladive. Ces deux-là s’étaient décidemment bien trouvés. Le locataire avant lui n’avait laissé, en tout et pour tout, qu’une version plus qu’éraillée du Don Quichotte, illisible, illustrée de curieuse manière par un visage tout à fait blême et inconnu, à la fois absorbé et fuyant, et un stylo, rouge écarlate, planté dans l’œillet de la porte principale.
Cette introduction pourra passer pour superflue ; il s’agissait de placer un contexte et un personnage, qu’ils puissent au moins, avant que tout ne commence vraiment, connaître un semblant de repos.
Il tenait régulièrement ses parents au courant de ses activités, par la voie barbare du téléphone ; puis, au bout de trois mois d’isolement Parisien, il cessa, et lorsqu’eux l’appelaient enfin, il disait que oui, tout allait bien, qu’il avait beaucoup de travail, qu’il n’avait pas le temps, que promis, il viendrait à noël, en les avertissant seulement de ne plus attendre pour l’instant d’appels de sa part, justifiant d’un « je vais me concentrer au maximum pour mes études, on s’écrira, c’est plus simple, je préfère ».
Tout autant, il cessa de fréquenter la faculté de médecine ainsi que les quelques rares amis qu’il se fit au sein de cette dernière. Se rompre du tumulte lui était devenu un besoin auquel il ne faisait même pas attention, lui qui pourtant rêvait d’agitation et de populace ; il s’agissait d’obéir à ce besoin, sans plus se poser de questions.
Il commença d’abord par faire venir des étagères de pin massif, qui, en hauteur, frôlaient aisément le plafond. Il prit soin que, par la largeur, elles remplissent tout à fait les espaces tournés vers l’Ouest, contenus entre la fenêtre - la seule dans une pièce d’une vingtaine de mètres carrés - et les angles Nord et Sud, tout en se résolvant à ne plus pouvoir aérer ce qui serait désormais son enclos. Les autres murs furent également comblés d’étagères. De bibliothèques, pour être clair, car tout cet enchevêtrement de bois servirait à accueillir des livres. Et uniquement des livres. Ce fut alors quatre murs bien entiers, aux dépends de la salle de bain et de la cuisine, qui furent recouvert d’étages vides, et qu’il fallait maintenant remplir.
Le choix des livres se fit d’une manière singulière ; les livres devaient s’imposer à lui. Il ne devait pas, comme le faisaient les pleutres, choisir ce qui habillerait sa bibliothèque personnelle au travers de couvertures aguicheuses, de résumés peu rigoureux ou encore, de simples noms, aussi célèbres et renommés fussent ils. Non. Les livres s’imposeraient d’eux-mêmes. Ce qu’ils firent. Aussi, lorsqu’il allait de librairies en brocantes, il prenait, sans là non plus se poser de questions, deux, trois, quatre livres et dont il ne lisait même pas le titre, puis les disposaient en fonction de la taille, de l’aspect, de la couleur de tranche, dans ses étages qui, au bout d’une semaine, ne tardèrent pas à se remplir pour de bon. Ci-fait, le travail pouvait enfin commencer.
On trouvait dans ses rayons des ouvrages quasiment rendus illisibles par le temps, deux bibles incomplètes, les histoires extraordinaires de Poe en deux volumes reliés, un précis laborieux de médecine moderne, une édition décousue de la Pléiade, un Voyage au centre de la Terre quasiment neuf, et bien d’autres ouvrages allant du jamais ouvert à l’irrécupérable.
Au début, ses lectures se firent sous une forme classique : il prenait un livre à son commencement, pour arriver tout simplement à sa fin, c’était là la méthode la plus normale et la plus raisonnable de lire ; puis, il se mit à mélanger les chapitres. L'on pouvait alors trouver un Bardamu hanté par les dents de sa cousine Bérénice, fuyant d'atroces moulins à vent; puis il arrachait ces chapitres à leurs contenants, les reliant pour de bon, et ainsi de suite, jusqu’à ce que plus un seul des quelques trois-cent livres ici présents ne soit encore entier, exceptés sept d’entre eux, ces derniers ayant eu des jumeaux pour excuse, et ceux-ci désormais broyés sous les mains nerveuses du lecteur. Et il reliait ; parfois déliait et ajoutait une page noircie de notes de sa conception, parfois sombrait dans une rage sourde et déchirait au hasard quelques feuillets jugés inutiles et les dispersait dans la pièce.
Il lui manquait tout de même quelque chose.
Il fit venir une ultime bibliothèque adaptée aux mesures de la porte, très profonde cependant qu’elle ne comportait qu’un étage vide en guise de rangement, et dans lequel n’allaient rentrer que des livres jugés « nécessaires », comptant au nombre de sept, les justement sept rescapés. La porte d’entrée se retrouvait désormais condamnée par un Procès de Kafka, voisin d’une encyclopédie sans nom et rédigée en Allemand, voisine des Villes invisibles de Calvino, voisines du Don Quichotte échappé de l’ancien locataire peu soucieux, tous voisins, enfin, d’une Bible, d’un Coran, et d’une Torah.
A force de travail, d'études sur tout ces chapitres désincarnés, il entreprit de joindre les plus pertinents entre eux, sans aucun fil conducteur si ce n'est l'intuition, et il réussit. Le salmigondis de chapitres ainsi achevé, il le lu, à haute voix, debout, seul au milieu d'un amas de feuilles, là, face à sept livres bouchant une sortie, face à sept survivants attentifs.
Ses parents, qui, restés sans nouvelles depuis maintenant six mois, accusant un emploi du temps impérieux de leur fils ou une grêve prolongée de la Poste, commencèrent à s’inquiéter réellement, prirent la route sur cinq-cent kilomètres pour vérifier que tout allait bien au 26 rue de l’Equerre.
Effectivement, tout allait bien. Dans cet appartement resté ouvert, nu, au plafond si bas qu’il fallait presque marcher sur les genoux, et vide, vide de toute présence passée, à l’exception, là, posé sur le sol, d’un fameux livre de Cervantès crevé en son centre par un stylo rouge écarlate, transperçant le visage, en son centre également, d'un jeune homme frêle et maladif peint sur la couverture.
S’il arrive que des êtres s’évaporent dans la nature du jour au lendemain, l’on admettra dans la plupart des cas qu’il s’agit très certainement d’un suicide ou d’un rapt ; ces deux termes qui semblent se contredire, l’un par la forme de sa volonté, l’autre pour la raison opposée, ne sont pourtant, et surtout lorsque l’on habite au 26 rue de l’Equerre, pas si éloignés dans leur plan commun.
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La lecture me confirme ce que le survol m'avait fait subodorer : ce texte est intéressant.
Je ferais mieux de relire avant de commenter, mais je dirai que j'ai l'impression que le premier paragraphe annonce la couleur : belle idée mais avec du couac ("la forme de [la] volonté" d'un "terme" ?), qui donne l'impression que l'auteur tente un style nouveau ou se force dans un style non naturel pour lui. Mais, bon, c'est pas un reproche, j'aime varier les styles et les tons, moi aussi.
Dans son message complémentaire au texte en attente, Koax-Koax mentionnait Borgès, et je ne sais pas si j'aurais eu cette impression si je n'avais pas lu ce message, mais c'est vrai qu'on dirait que le texte est un peu trop sous influence(s).
Reste que c'est un bon texte intéressant, avec lequel on peut jouer dans son cerveau entre une page de pub et un commentaire sur facebook.
une débauche de style et de phrases ciselées. De belles puputes racoleuses qui ne laissent pas présager le final twist. Comme si c'étaient des trans qui vous faisaient le cul en groupe.
Intéressant en effet. A l'extrême limite de l'illisibilité sur page web aussi, du moins pour ma part : j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois, m'emmêlant salement les pinceaux et les yeux au détour d'une phrase que je saurais même pas qualifier d'ampoulée. Le style est lourd, mais j'ai l'impression que c'est voulu.
Ce qui me dérange, c'est ce final twist, que j'ai pas très bien compris, d'une (non, je veux pas qu'on me réexplique, j'aime piger par moi-même). De deux, je trouve qu'il est placé là un peu comme si l'auteur avait voulu abréger. C'est dommage, tout le reste était quand même relativement lent de progression, et c'était bien ainsi.
Sinon, j'ai pas lu Borgès, je suis donc incapable de juger si l'influence est proéminente ou pas. Ca m'a cependant un peu rappelé Kafka, certainement par le fait que l'auteur ne s'encombre pas de description et que le reálisme n'est pas forcément de mise.
Beau texte, qu'il faudra, moi aussi, que je relise pour savoir en définitive s'il me plaît ou pas.
En fait je saurai même pas dire si j'me sentais influencé par Borges ou par Poe (le Télétubbies), mais j'ai même pas trop envie de les y affilier en fin de compte, c'est chaud d'assumer/d'assurer ses influences, surtout quand c'est deux monstres comme ceux-là. Putaing, Carc, faut que tu te jettes sur Fictions si t'as jamais lu Borges.
Maintenant faut que j'aille faire caca avant de finir mon commentaire, parce qu'écrire en position foetale cépatrocool.
non mais arrêtez de vous la péter aussi dans les commentaires. Les textes sont autosuffisants à ce niveau.
Le problème avec le caca ET quand t'as des poils, et ben c'est qu'il se prend dedans et cépatrocool ça non plus.
Ah oui, la suite du commentaire chiant :
J'ai pas eu tellement l'impression de m’emmêler les pinceaux à l'écriture, en fait ça faisait un moment que j'avais tout le schéma de ce que je voulais faire, je l'ai repris juste après le retour de La Zone, juste après pas mal de lectures basées sur plus ou moins le même thème. La lourdeur du style est effectivement voulue, par contre, je savais pas trop ce que je voulais vraiment détailler au sujet de ce qui serais le personnage principal.
Parce qu'en fait, je suis infoutu de déterminer qui est mon personnage principal, c'est soit le Don Quichotte, soit l'appart'. Certainement pas le type en tout cas, sauf que de cet état là, ça se voit pas tellement. Y'a surement une ou deux choses que j'aurai pu rajouter entre certains moments pour clarifier un peu tout ça.
COMMENT TU M4AS ANTICIP2 LC§
Bon texte. Mais trop court et trop jeune, ou bien trop plombé pour être aussi court.
C'est marrant, tous les mecs qui se revendiquent de Borges, moi compris, ô combien, écrivent comme des ancêtres quand ils s'en inspirent. Y a à la fois une très grande noblesse et beaucoup de simplicité dans le style de pensée de Borges, et dans la construction de ses idées, mais quand on s'y essaie, on n'arrive qu'à faire ressortir la noblesse, version dix-septième en perruque.
Bref, là, y a des lourdeurs ; dans les premiers paragraphes notamment. Des bouts peu utiles, le méta-commentaire au paragraphe 5 notamment (parce que dans un texte sur la mise en abyme, si on ajoute un métabidule, faut aller jusqu'au bout et que le narrateur-auteur qu'on aperçoit là furtivement soit pris lui aussi dans son texte d'une manière ou d'une autre, fatalement, pour être honnête). Des machins peut crédibles aussi : le nombre des livres (300, ça fait pas lourd), le choix des livres cités (présentés comme choisis hors de leur importance littéraire ou historique, et pourtant, le narrateur ne cite que des trucs ayant un intérêt au regard de la vie du personnage ou de la nôtre ; ah, et le truc sur Coran Bible Torah tous cousins mon frère vazyfétourner, fallait pas).
Toutes ces lourdeurs sont somme toutes des détails, et visibles seulement parce que, à mon avis, l'idée du texte, fort cool en elle-même, n'est pas habillée d'assez de matière. Chaque défaut d'icelle apparaît, du coup. Surtout si l'on a l'impression que l'auteur s'est battu les flancs pour raconter son idée dans un style autre que le sien propre.
Ah ouais, et je me suis fait avoir par la fin, c'est bien ça.
Tout ça me donne envie de reprendre mon texte, à l'occasion.
Pour le coup du "Bible Coran etc", c'était carrément un procédé merdeux pour m'éviter de faire de l'énumération de bouquins, certains le font super bien, j'ai préféré ne pas trop m'y risquer et puis des trucs de la bibliothèque verte, ça aurait fait bizarre.
Au final, j'aurai peut être dû citer à la place des livres qui me tiennent vraiment à coeur (même si les quelques que j'ai cité en font parti).
J'aime bien quand le narrateur assiste et commente la scène, dans un texte, chaud à placer raisonnablement et au moment idéal, il faudra que je creuse ça.
Pour le style, finalement je ne me suis pas tant forcé, à part pour certains moment, mais globalement ça sortait quand même tout seul, je l'ai pas ressenti comme un réel exercice. A la relecture, y'a quand même des fanfreluches, PLEIN, qui pourraient disparaitre. Et puis la fin, j'suis bien content que chacun y ait eu un truc à dire, moi qui pensais que ça passerait pour du torchage !