LA ZONE -

L'estropié de Lépante, 3ème partie

Le 21/05/2011
par Lapinchien
[illustration]
4. Où l’on découvre que les Anglicans ne sont que de fieffés chenapans

Je m’apprêtais à déchirer méticuleusement une à une les pages de la Galatea. Quand soudain je fus extirpé de ma frénésie intellectuelle. Nous étions en plein combat depuis plusieurs heures et absorbé par mes hypothèses et leurs recoupements, je ne m’en étais même pas aperçu. Nous tanguions dans tous les sens et d’effroyables craquements laissaient à présager que le galion allait se disloquer d’un moment à l’autre.

« Mais on te croyait tous mort sous ton manuel ! », Me secoua Jiménez, l’officier canonnier de mon unité, «Et on allait jeter ton corps à la mer pour faire du leste. Secoue-toi donc ! On a besoin de toi, Rodrigo de Estrada y Montilla ! Par trois fois nous nous sommes engagés dans la Manche et les Anglais nous ont forcés à faire demi-tour. Eclaire-nous donc de tes lumières, aspirant timonier ! »
Je bafouillai quelques syllabes, choqué et encore à moitié dans le monde des idées.

« A ton poste de combat sur le champ, Hidalgo de pacotille ! », eut l’outrecuidance de me narguer Aguila, un des deux servants de l’unité. Puis le second, Fresco, un frustre pécheur, enrôlé de force, de me piquer dans le prolongement d’une courbette : « A la guerre, il n’y a plus de noble condition qui tienne, votre seigneurie ! Seuls valent le grade et l’expérience. »
Ils n’avaient pas tort de rire de moi de la sorte. Je blêmissais de peur à vue d’œil et mes jambes flageolaient de concert.
« Ce n’est pas l’heure pour le flamenco, jeune sévillan. », ironisait Jiménez, «La bataille n’a pas commencé à proprement parler. Il ne faut pas fêter la victoire avec hâte. Surtout que nous savons déjà que la flotte anglicane est dotée de galions d’un nouveau type et que leurs équipages sont bien mieux commandés que les nôtres. Regarde par le mantelet de sabord ! »

Je scrutai d’un œil tremblant et effectivement à plusieurs encablures, une nuée de centaines de galions assombrissait l’horizon. Les navires nous narguaient tant par leur vélocité hors du commun, que par leurs manœuvres et formations opérées à la perfection dans de sublimes chorégraphies. Bien que peu expérimenté en la matière, je remarquai aussi la supériorité de l’artillerie adverse. C’est dans le prolongement d’un signe de croix que je me présentai face à mon officier : « Que Dieu nous vienne en aide par sa très grande miséricorde !»
« Dieu ne nous sera d’aucune utilité, jeune canonnier d’opérette », Rétorqua dans un long souffle dépité, Jiménez, « je compte bien plus sur les dix-huit-mille soldats aguerris de la flotte d’Alexandre Farnèse qui font route en ce moment même vers Calais où nous avons convenu de réunir nos forces. Et je compte bien plus encore sur vous trois pour exécuter mes ordres à la lettre. Les Anglais ne commettrons pas la folie de nous suivre sur les côtes Françaises et une fois notre armée constituée nous leurs tomberons dessus au petit matin sans qu’ils ne s’y attendent. C’est tout du moins ce qu’il se chuchote sur le pont supérieur. Alors pour l’instant contentons-nous donc d’inspecter la couleuvrine, la poudre et les munitions pour pouvoir tenir les navires adverses à bonne distance si jamais ils ne tentaient une percée, ce dont je doute fort. »

Jiménez avait raison. Très rapidement nous vîmes la nuée se dissoudre dans la brume lointaine. Ces Anglicans trouillards avaient été distancés et le 7 Août nous jetions l’ancre à Calais en l’attente de renforts alors que la nuit tombait. C’est à ce moment précis que je vins à me rendre compte que cela faisait bien trois mois que nous écumions les mers. Absorbé par mon idée folle de percer le code de la Galatea, j’en avais perdu la notion du temps. J’étais rachitique et faible car ces larrons d’Aguila et Fresco ne s’étaient point privés de piocher dans mes rations alors que j’étais distrait.

Cependant que tous les marins s’activaient à harnacher les galions les uns aux autres sur le pont supérieur, j’étais absorbé par mes pensées. De nouveau je me reconnaissais dans le passé de Cervantès et je pris cela pour un signe de Dieu. Comme je l’avais appris dans les notices légales de la Bataille de Lépante et répété plusieurs fois à haute voix dans ma nef des archives de la commanderie de Séville, le valeureux guerrier n’était-il pas, tout comme moi, affaibli et fiévreux alors que sonnait l’heure du combat ?
« Aussi faible et malade puis-je me trouver en ces moments terribles, je préfère mille fois mourir au combat pour Dieu et mon roi, plutôt que de rester alité et recouvrer la santé alors que… »

Jiménez interrompît mon monologue un tantinet mal venu, je le conçois avec recul : « Cesse donc tes balivernes, Rodrigo de Estrada y Montilla ! Même un Français serait moins fanfaron en de pareilles circonstances ! Si tu descends à la calle pour y dormir, je t’abats sur le champ pour motif de désertion. Monte plutôt ces filets sur le pont supérieur et rends-toi utile à attacher notre galion à la Bellinda et à la Santa Sangré avec les autres. »
J’exécutais les ordres, penaud, bien sûr, sous les rires et les moqueries de tout les canonniers présents. Entre deux quolibets, Aguila et Fresco m’aidèrent à monter les cordages par l’écoutille depuis la soute aux câbles. Alors qu’ils se gaussaient, de la plus niaise et pitoyable manière qu’il fût, de ma noble et irréprochable personne, je surpris, par hasard, une discussion qui se tenait entre l’officier de quart et l’officier de navigation.
« Cet Alonso Pérez de Guzmán tout duc de Medina Sidonia qu’il puisse être n’est qu’un sombre idiot. », Dit le premier.
« Il a remporté de grandes batailles terrestres à la gloire de notre empire, soit, mais il n’a pas la moindre expérience maritime. », Répliqua le second.
« Quelle folie de nous ancrer à Calais qui ne dispose pas de défense côtière. Il faut passer le mot à chacun des officiers des galions qui font partie de la fraternité, ceux en qui nous pouvons avoir confiance et tenter de raisonner le commandant par le discours ou par la force… », Enchaînait l’officier de quart.
« Que des signaux soient envoyés par les timoniers de notre ordre sans qu’ils puissent être compris par les non initiés ! En face de nous, nous avons Charles Howard de Nottingham et Francis Drake, j’ai déjà eu l’occasion d’affronter ces deux là dans les Caraïbes et je peux t’assurer que ce sont de fins stratèges qui ne nous feront pas de cadeau.», Entonna l’officier de navigation en frappant poing dans la paume.

Une mutinerie se complotait au plus haut rang et je ne savais plus trop quoi faire : avertir de toute urgence le capitaine, élu par le commandant Guzmán, élu par notre bon Roi et donc par Dieu lui-même, ou bien ne m’occuper que de la tâche à laquelle on m’avait affecté, l’harnachement des navires, puisque peut-être n’avais-je été victime, après tout, que d’une quelconque hallucination auditive. La deuxième option pouvait très bien convenir à ne pas trahir ma foi chrétienne sans me mettre en péril mais je choisis une troisième voie, celle de m’en remettre aux bons conseils de maître Cervantès comme je repensai au signe que Dieu m’avait envoyé.
D’un geste franc empli de jouissance vindicative, je fis un croc-en-jambe à Fresco qui emportait Aguila dans sa chute dans une interminable roulade dans les filins qui séparaient à présent notre galion de la Bellinda. Pris de frénésie après avoir accompli ce geste maladroit pour venger, sans qu’on m’en tienne trop rigueur, mon honneur d’hidalgo bafoué par les moqueries de ces deux roturiers, je traversai l’écoutille, et m’enfonçai à toute allure dans les coursives du pont inférieur en quête du canon et de mon précieux Galatea.
Des pas lourds se mirent à faire écho à mesure que je m’approchais de la cellule, puis le sifflement d’un sabre que l’on sort de son fourreau. Jiménez me faisait face près de la couleuvrine et il eut à peine le temps de décliner tous les synonymes possibles du mot ‘trahison’ en langue castillane, en faisant tournoyer son arme, qu’il ne fut rejoint par les deux servants, Aguila et Fresco. Ils semblaient m’en vouloir bien plus que je ne l’aurais imaginé à en croire les opinels qu’ils brandissaient, la bave aux lèvres. Tous trois m’encerclaient, menaçants.
« Un traitre, un réformiste parmi les catholiques… Avoue que tu nous espionnes au service d’Elisabeth l’usurpatrice ! », Vociférait mon officier. Mais à cet instant précis, toutes les menaces physiques et verbales n’avaient plus la moindre importance. Je fixais des yeux en tremblotant le sabord par lequel dépassait le canon, et ces centaines de points scintillants à l’extérieur entre les sombres cieux et les abymes obscures de cette nuit sans lune. Il semblait s’agir d’étoiles sorties du néant en inexorable approche aussi je les pointais du doigt en m’agenouillant. Dès que Jiménez les aperçut, lui qui semblait très bien connaître l’origine de cet étrange phénomène, il décrocha son porte-voix et hurla de tous ces poumons vers l’écoutille : « Brûlots à tribord ! Brûlots à tribord ! »

Une panique indescriptible se fit sentir sur le pont supérieur. Les lattes tremblaient et la sciure pleuvait sur nos têtes. Des hommes se jetaient à la mer. Et au milieu du brouhaha, des cris, des pleurs et des multiples prières à la gloire de Marie, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se perdaient dans le néant des bouts de directives inaudibles du capitaine de notre galion appelant au calme et à la discipline.
Apparemment nos petites querelles intestines n’avaient plus la moindre importance. « Tous à vos postes ! », Ordonna Jiménez, « Si l’un de vous trois fuit ou n’exécute pas correctement ce que je demande, je le décapite de mon sabre, Santo Suplicio, que voici ! Il a pourfendu des centaines d’ennemis de Dieu et de notre bon roi Philipe le second et de son très saint père Charles Quint. Les quelques goûtes de sang impur de vos misérables caboches n’étancheront pas sa soif de justice en ce bas monde empli d’impiété et de blasphème. Alors ne tentez pas de vous liguer tous les trois contre moi. Que cela soit entendu. » Son discours, nous impressionna tant que chacun de nous pris ses outils et son poste sans émettre la moindre objection. Nous avions à présent plus peur de notre officier que des Anglais.

Les premiers brûlots atteignaient les galions les plus à l’Ouest de l’amarrage. De grandes explosions se faisaient entendre au loin dès qu’ils impactaient les coques. Ils interrompaient, par intermittences, les appels au secours, les cris des brûlés et de ceux qui se noyaient ainsi que les directives aux porte-voix des capitaines coordonnant les actions contre les incendies.

« Voyez-vous ces malandrins fourbes et sans la moindre dignité humaine à une demie-encablure droit devant ? », Nous questionna Jiménez qui venait d’empoigner la torche, ce qui signifiait qu’il ne pouvait plus bouger de son poste et qu’il allait ordonner un tir, « Mais voyez-vous ces lâches, ces trouillards sans la moindre moralité, s’enfuir à la nage, le plus discrètement possible, de ce brûlot qu’ils viennent d’amorcer pour rejoindre les chaloupes qui les attendent à une autre demie encablure de leur point de fuite ? » A dire vrai, je n’y voyais pas grand-chose mais pour sûr je n’allais pas être celui de nous trois à contredire notre officier supérieur. J’enfilais juste mes gants de cuir au cas où un second tir ne soit programmé. Jiménez me félicita et s’adressant à Fresco : « Place la nouvelle cartouche dans la bouche du canon et pousse-la à l’intérieur. Prends garde à bien manipuler le boulet depuis le barillet de poudre jusqu’à la couleuvrine. Fais bien attention à ce que la boîte ne soit bien sécurisée.» Fresco s’exécuta sans sourciller connaissant son rôle à la perfection ayant de lui-même manipulé les outils de bourre avant et après que la cartouche ne soit enfoncée.

Jiménez semblait compter dans sa tête les brassées qui nous séparaient de la cible et soudain il alluma la mèche avec sa torche. Il y eu un premier tir tonitruant qui fit trembler tout le pont inférieur. Les bragues qui reliaient le canon au bord du navire se tendirent frondant l’air en oscillant brutalement, compensant de fait le recul de la frappe. Ces cordes faillirent de peu me sectionner une main. Quelques secondes plus tard une grande éclaboussure se fit entendre au loin, signe que nous avions loupé notre objectif. Sans se démonter Jiménez donna un grand coup de pied sur les barres d'anspect et les coins de mire du canon qui s’inclina de quelques degrés, puis ordonna une seconde décharge en nous priant de nous hâter. Je bloquai le trou de tir de mes gants durant le nettoyage. Aguila s'assura que son éponge était en bonne condition et qu’il y avait assez d’eau dans le sceau d’artillerie puis cette formalité accomplie, passa le tire-bourre et l’écouvillon dans la couleuvrine. Sa combinaison de cuir le protégeait des émanations de vapeur et de la chaleur. D'un geste vif et précis, je plaçai alors la mèche et la gargousse de poudre dans le trou de tir au premier essai. Fresco repris ensuite son mode opératoire, plaçant un valet, un nouveau boulet, puis la bourre dans la bouche du canon puis poussa le tout bien au fond. Sans attendre que nous ne nous soyons écartés, Jiménez alluma la mèche et une nouvelle déflagration eut pour effet de nous faire tous chuter à terre. Elle fut suivie d’une explosion projetant à travers le sabord d’imposantes trombes d’eau qui plaquèrent chacun de nous sur le muret de la coursive avant qu’une immense vague ne soulève le galion le faisant tanguer sur le flanc. Par chance les harnachements à la Santa Sangré nous épargnèrent le chavirage. Le brûlot avait littéralement explosé projetant dans ses alentours des dizaines de débris en flammes. Plusieurs chaloupes adverses furent déchiquetées par de petits barillets de poudre qui fusaient en toutes directions. Un autre brûlot fut même touché et il fit encore plus de dégâts parmi les assaillants.


5. De la routine héroïque et de l’imprévisibilité

Nous passâmes une nuit harassante à éteindre les incendies et à rassembler nos blessés. Des ragots faisaient état d’une gronde généralisée des officiers contre le commandant Guzmán, propos rapidement démentis par les capitaines de galions qui semblaient pourtant lui en vouloir tout autant.
Derrière ce discours de façade, nous assistions à une désorganisation pitoyable. Farnèse n’avait pu rejoindre nos troupes, ralenti par des rebelles hollandais. Chaque capitaine, de son plein gré, ordonnait à son équipage de couper les attaches pour prendre le large de Calais. Au petit matin tous les foyers étaient maitrisés. Quelques corps de noyés flottaient éparses autour du point d’ancrage initial. Je ne pouvais distinguer les anglais des espagnols. Certains d’entre eux étaient carbonisés et je me demandais bien s’ils avaient péri par l’eau ou par le feu. Un épais brouillard s’était abattu sur les côtes et dès qu’il se dissipa, la flottille dispersée des cent-trente navires de l'Invincible Armada faisait morne figure, désolidarisée sur plusieurs encablures. Nous étions tous accablés et démoralisés par le comportement de notre hiérarchie et par l’absence des renforts.

Ne dit-on pas que le calme devance la tempête. Dans notre cas il s’agissait bien plus d’apathie que de calme. Surgissant des derniers filets de brume, toute la flotte Anglicane, unie en un seul bloc, nous narguait de sa supériorité évidente. Les châteaux arrière des navires adverses étaient bien plus abaissés que les nôtres, leur surface de voilure était impressionnante. Ces deux atouts leur procuraient une plus grande vélocité et précision de maniement. La confrontation s’engagea au large de Gravelines.

Moi qui avait cru trouver un contre-exemple à la théorie de Cervantès en la personne de Jiménez, ce héro qui nous avait tous ébahi par sa bravoure, qui avait indubitablement sauvé de nombreuses vies et peut être même notre galion, j’allais très rapidement déchanter. Depuis la cellule, on aurait pu croire à de simples détonations de feux d’artifice comme ceux auxquels on assiste lors des férias. En réalité, un déluge de flammes s’abattait sur les galions en tête de la flotte éparpillée. Alors que nous finissions de virer de bord comme l’avait commandé notre capitaine, tous les officiers canonniers à tribord reçurent l’ordre de lancer une première salve. Je revois Jiménez, l’héroïsme incarné, tenant d’une main sa torche et brandissant fermement son sabre, Santo Suplicio, de l’autre, avec l’assurance d’un homme ayant mené mille batailles. Il s’apprêtait à nous donner quelque consigne de tir sur un de ces tons ironiques qu’il avait l’habitude d’emprunter aux heures les plus graves, lorsqu’une pluie de boulets fit littéralement voler en éclat toute une partie du pont supérieur. Une cartouche énorme, que je vis passer comme une trainée de lave, vint directement percuter ce pauvre Jiménez dont une partie du corps explosa sous le choc. L’autre fut entrainée avec le boulet telle une comète sanglante jusqu’au fond de la calle où heureusement elle finit sa course sans perforer la coque en bois de chêne. La scène était horrible. Toute la cellule et la coursive déchiquetée étaient garnies du sang et de bouts d’organes palpitants de ce pauvre Jiménez. Que soit louée sa sainte mémoire et que son esprit soit béni, s’il n’a pas lui-même éclaté de milliers de petites miettes !

La couleuvrine s’était disloquée et avait écrasé Fresco qui était en train d’agoniser en gloussant spasmodiquement de la salive. Aguila et moi-même avions miraculeusement survécu. Nous ne savions pas trop s’il fallait donner les derniers sacrements à Fresco et nous n’eûmes pas le temps d’y réfléchir bien longtemps.
Le commandant Guzmán, de tout idiot qu’il eut pu être qualifié, avait rapidement analysé la situation et, en fin stratège, avait pris une sage décision : L’artillerie de nos adversaires était manifestement puissante, leurs cartouches bien plus volumineuses bénéficiaient d’au moins une encablure de portée supplémentaire aux nôtres. Lors de duels aux canons, les Anglicans auraient vite pris l’avantage en nous attaquant hors d’atteinte de nos frappes. De surcroit leur artillerie permettait de tirer à cadence plus rapprochée, soit un tir toutes les 2 minutes, contre 10 minutes pour les canons espagnols. Le commandent Guzmán ordonna donc que chaque galion prenne le plus proche des navires anglais pour cible et que ne soient engagées des manœuvres d’abordage.

A même le sol, près de la Galatea ensanglantée, il y avait Santo Suplicio, le sabre du saint martyr Jiménez. Dès que nous fûmes appelés par l’officier de quart à nous regrouper sur ce qu’il restait du pont supérieur, Aguila s’empressa de s’emparer de la seule arquebuse que la mer n’avait pas emportée. Je la lui laissai volontiers, préférant mille fois batailler avec le sabre d’un héro plutôt qu’avec une vulgaire escopette probablement enrayée par les torrents d’eau salée qui s’étaient engouffrés tantôt dans la coursive. Ce fût la dernière fois que vit Aguila. Il bouscula deux ou trois canonniers qui tentèrent de lui arracher l’arme puis se perdit dans la foule des marins qui montaient sur le pont.

La main arrachée de Jiménez était restée solidement accrochée au sabre et j’eus quelque mal à l’en déloger avec tout le respect que ne mérite une sainte relique. Elle se trouvait complètement caramélisée sur la poignée et ce ne fut qu’en la raclant, à ma grande honte, contre les rebords de la couleuvrine que pu la désolidariser de Santo Suplicio. Jiménez avait séré si fort la poignée face à la mort, qu’elle portait les stigmates de sa colère. Les empruntes de sa paume et de ses doigts y avaient été gravés. J’embrassai la sainte épée puis me mis à faire des signes de croix en portant mon regard à chaque endroit où je repérai des restes de mon officier. Je me résignai enfin à rejoindre les autres marins à la hâte.


6. D’une anecdote qu’il vaudrait mieux occulter

Plusieurs groupes furent formés et j’embarquai dans une chaloupe. A quelques encablures, la Santa Sangré sombrait. Toute une ribambelle de marins tentant de fuir à la nage étaient happés par de voraces tourbillons crées par les appels d’eau et par l’air s’échappant des écoutilles du pont inférieur et de la calle. Je fermai les yeux pour ne pas assister à ces effroyables scènes. Les cris des noyés me tourmentent toujours cependant.

Nous constituions un groupe de 5 chaloupes de 11 hommes chacune. Il y avait un officier chaloupier par embarcation. Je n’ai jamais su le nom du miens et pourtant je me souviendrais toute ma vie de son visage crispé et de ses yeux hagards. Nous tentions une approche de front du galion anglican le plus proche qui de fait ne pouvait faire usage de son artillerie contre nous. Nous ramions ferme, 5 hommes à tribord, 5 autres à bâbord. Notre chaloupe fermait par chance la queue du cortège. Louées soient les maigres musculatures de mon équipage. Cela semblait énerver l’officier se tenant accroupi en tête de chaloupe qui nous appelait à mettre plus de vigueur et de foi chrétienne dans nos efforts. Deux embarcations disparurent comme par enchantement de notre champ de vision derrière une vague. Le galion avait pris de la vitesse et elles avaient été concassées à la proue du navire emportées sous sa coque.

« Nous n’allons jamais y arriver ! », S’exclama un chaloupier de mon unité puis il se jeta à la mer. Sans la moindre hésitation l’officier l’abattu d’un coup d’arquebuse dans le dos alors qu’il tentait de s’éloigner en nageant. « Voilà ce que je réserve au déserteurs ! », S’enorgueillit-il.

Un troisième canot fut heurté de biais et dériva à la droite du galion. Les anglicans qui s’attendaient à ce qu’on les approche de la sorte, se mirent à jeter tous ce qu’ils pouvaient enflammer de superflu sur mes pauvres compatriotes dont l’embarcation s’embrasa instantanément, les condamnant à une mort certaine.
Deux autres chaloupiers de mon unité impressionnés par le carnage qui se déroulait sous leurs yeux tentèrent de fuir à leur tour. Deux tirs d’arquebuse retentirent. L’officier fou à lier leur avait déchiqueté la nuque et ils dérivaient sans vie sur des flots rouges de sang. « Que les lâches se dénoncent que je m’occupe de leur cas de suite. Je préfère me battre avec une équipe réduite mais sur laquelle je peux compter ! », Se justifia-t-il.

L’on pouvait voir les onze soldats de la dernière chaloupe le sabre entre les dents tenter de monter via les grappins et les filets qu’ils avaient pu accrocher au navire ennemi aussi notre officier nous ordonna de ramer pour venir à leur soutien. « Vous voyez ! S’ils peuvent y arriver, nous pouvons y arriver ! » Le gradé était d’ailleurs venu remplacer un des pauvres enrôlés qu’il avait froidement abattu tantôt pour ne pas perdre de vitesse et ne pas faire de nous des proies faciles aux abords du gigantesque galion en approche. Au même moment, on assistait avec effroi à l’ébouillantement des assiégeants espagnols sur lesquels les anglais projetaient de l’huile portée à ébullition. Ils tombaient un à un à la mer en émettant d’effroyables aboiements et en s’arrachant de longs lambeaux de peau avant de sombrer dans les abymes.

« Nous ne laisserons pas les meurtres de nos compatriotes impunis ! », Beugla l’officier.

Il n’en fallu pas plus pour que les six chaloupiers survivants de mon unité ne fondent sur l’inconscient, qu’ils ne le rouent de coups avant que je ne vienne moi-même planter Santo Suplicio en travers de sa gorge. Je n’ai jamais considéré mon geste comme une trahison mais bien comme une action raisonnable emplie de pragmatisme. Je venais de sauver ma vie et celle de six personnes que cet abruti d’officier envoyait à l’abattoir. Après nous être débarrassés de son corps et avoir pris le large, nous fîmes tous un pacte qui nous intimait au silence ou à la damnation éternelle. Nous approchâmes alors de la Belinda sur laquelle nous fûmes recueillis.


7. De l’équilibre économique qui marqua la fin des hostilités, du lourd impôt que perçu le Très Haut et du n’importe quoi total aussi

Les vaisseaux adverses esquivaient toute la journée sans difficulté nos manœuvres d’abordage puis ripostaient systématiquement en mitraillant copieusement nos galions du feu de leurs canons. Nous infligions quelques dégâts tout de même. Le soir venu une sorte d’équilibre s’était agencé. Le prix des galions était exorbitant tant pour les anglais que pour nous autres. Le commandant Guzmán eut l’intelligence d’ordonner une retraite comme un fort vent de nord s’était levé et qu’il voyait bien que nous avions occasionné assez de dommages dans les rangs de Charles Howard de Nottingham et de Francis Drake. Un rapide calcul comptable, dont les paramètres d’équation avaient été transmis à notre commandant par les hauts fonctionnaires du Saint Empire, décida de l’issue de cette bataille. Les anglicans estimèrent que financièrement cela serait idiot de poursuivre le combat. Ils n’étaient par ailleurs pas assez fous pour tenter le diable et nous pourchasser vers les eaux territoriales de nos alliés. Notre flotte quoique vaincue restait redoutable, nous avions perdu une dizaine de galions tout au plus, ce qui restait un désastre économique majeur. Ne nous voilons pas la face, nous avions été vaincus. Guzmán décida que nous contournerions l’Ecosse en toute sécurité ce qui nous permettrait de rentrer au port de Santander pour y faire réparer notre flotte. Il n’était plus question de débarquer en Angleterre cependant car nos forces d’invasion, trop affectées par la bataille, auraient rapidement été repoussées. Ancrer en outre nos galions en terre Ecossaise, serait de la folie pure, nos vaisseaux devenant des proies bien faciles à assaillir depuis la Manche.

A peine entrions nous en Atlantique que nous fûmes frappés par une violente tempête. Elle préfigurait une liste impressionnante d’orages et d’ouragans plus destructeurs les uns que les autres qui occasionnèrent bien plus de pertes dans nos rangs que notre pitoyable escarmouche contre les anglicans. Une soixantaine de vaisseaux seulement réussit à rentrer au port et la Belinda n’allait pas en faire partie. Nous avions été indignes du Très Haut et nous allions payer notre lâcheté au prix le plus fort. Dieu allait se verser un acompte sur sa quote-part d’âmes damnées.

Je restai durant toute notre retraite enfermé à fond de calle essayant d’analyser les enseignements que m’avaient apportés cette terrible expérience et de les mettre en parallèle avec les propos de Cervantès. J’avais six disciples à présent. Un pacte de sang nous unissait et ils se rallièrent rapidement à ma quête de vérité. Nos réunions se tenaient en lieu clos, dans la soute à charbon que nous fermions à clef, juste sous la proue du galion. Je relisais sans relâche la Galatea pour en percer le mystère. Je proposai des théories à mes compères, eux-mêmes avaient leurs propres idées. Nous passions des heures à confronter nos points de vue et à élaborer des exégèses. La folie nous gangrénait petit à petit. Des millions de recoupements d’hypothèses, de confrontations de faisceaux de preuves convergents, bataillaient en nos esprits torturés et malades, mais toutes nos théories s’effondraient les unes après les autres. Le message crypté de Cervantès restait malgré notre dévotion, une énigme insondable.
Nos relations étaient devenues malsaines. Chacun avait ses convictions profondes et se montrait intransigeant. Certains points ne pouvaient plus être évoqués sans soulever des querelles et des scissions. Nous en venions pratiquement aux mains.

Il y eut, un jour que nous franchissions l’Irlande, une nouvelle tempête, comme nous en avions connues tant d’autres. Nos officiers nous recherchaient car nos services étaient requis pour les délicates manœuvres de navigation par forte houle. Nous connaissions à présent de bonnes caches dans les tréfonds du navire et c’est ainsi que nous échappions à nos obligations les plus fondamentales.

Jésus-Maria de La Fuente, un hidalgo de ma trempe qui n’avait point connu le déshonneur de la ruine de son père, était un de mes plus fervents disciples. Il nous avait promis d’apporter des fonds importants une fois que nous serions de retour en Espagne pour que notre confrérie puisse prospérer et recruter de nouveau membres. Pris d’une soudaine crise de folie, alors que tonnait la foudre, croyant que de nouveau les anglicans nous assiégeaient, il se mit d’abord à trembler puis à pousser de petit cris bien inquiétants entrecoupés de pleurs. Il m’arracha soudainement la Galatea des mains, défonça la porte de la soute à charbon, initiant les prémices d’une folle course poursuite dans les coursives des fonds de calle. J’étais le premier à vouloir le rattraper pour lui régler son compte. « Rends-moi donc la Galatea et garde toute ta fortune ! Non seulement notre vénéré maitre, Cervantès, me l’a personnellement offert mais en plus, il est teinté du sang de mon vaillant officier d’arme Jiménez. C’est d’une relique sainte dont tu t’es emparé. Infidèle ! Païen ! » Mais il ne voulait pas revenir à la raison alors j’empoignai Santo Suplicio avec la ferme intension de décapiter le vaurien. Les autres disciples me suivaient en jurant et en fracassant tout ce qui se trouvait sur leur passage.

De La Fuente bousculant le maître d’équipage qui couvrait nos agissements en échange d’une contrepartie sonnante et trébuchante, s’attira toutes les foudres de ce dernier qui n’aimait pas que l’on s’engouffre à l’improviste dans sa cabane. De la Fuente s’en tira, comme le navire tanguait dangereusement, en effectuant une roulade et esquivant le maître d’équipage pour finir dans la soute aux câbles. Quant à moi je décochai un coup de poing au gredin corrompu alors qu’il tournait la tête en ma direction, pour ne pas perdre de temps précieux en d’inutiles palabres et stériles parlementassions. Le reste de mes disciples s’était déjà rué sur lui et l’assommait à grands coups de pieds. J’arrivai à mon tour dans la soute mais le malandrin, De La Fuente, ne semblait pas s’y trouver. Je fis quelques recherches rapides en faisant valdinguer tous les gros cordages qui auraient pu constituer une bonne planque. Soudain j’entendis du bruit sur le faux-plafond de la soute à voile, puis vis de la sciure tomber comme les pas lourds du traitre s’emmêlaient aux larges tissus qui y étaient entreposés. Je donnai pour la forme deux ou trois coup de sabre dans le plafond mais je savais bien que ce coquin de De La Fuente, ne referait surface que dans la cale à eau. Comme un de mes disciples m’y devança. Je vis De La Fuente lui sauter au cou et poignarder sa face à plusieurs reprises. J’en étais sûr à présent, il avait totalement perdu la notion des commandements divins. Il n’était plus un chrétien sur cette Terre à laquelle il n’appartenait définitivement plus. Le galion venait probablement de couper une vague immense comme nous nous retrouvâmes un instant tous les deux face à face comme soulevés quelques interminables secondes dans les airs avant de retomber brutalement contre la coque. La jambe du vaurien impacta la quille et elle sembla se briser comme il hurlait à la mort. Le vaisseau tangua de nouveau alors que je pensai que le filou ne m’échapperait pas cette fois-ci. Il y eut un gros choc qui provoqua une fissure à la base du puits à cartouches qui se mit à déverser dans la calle toutes une déferlante de boulets de plusieurs onces chacun. Nous fûmes tous deux happé dans cette écume métallique et il en fût de même pour mes quatre derniers disciples qui prenaient soin de leur camarade agonisant. Le scélérat parvint à se trainer jusque la cale à vin où tous les tonneaux avaient été éventrés par la dernière secousse. Une odeur de vinasse émanait de la soute dès qu’on y pénétrait. J’y retrouvai De La Fuente en train de s’y désaltérer à grande lampées sous les ruissellements du sang de la terre qui pleuvait comme si nous assistions à un miracle.

« Ecouuuuuute-moi bien, De Estraaaaada y Montiiiiilla, ce bouuuuquin y en a des taaaaas d’autres qui sont puuubliés allooors pourquuuoi tu faaaais tout un scaanndal… »

Je lançais Santo Suplicio tel un javelot pour faire taire toute la sottise qui émanait de cette immonde créature démoniaque. Elle vint se ficher profond à deux pouces de son oreille droite sur la porte de la soute du maître canonnier. Ce dernier sortit de sa cellule pour demander des comptes mais alors un horrible craquement émana du brouhaha ambiant. Il y eut une première fissure dans la coque qui projeta un jet à haute pression sur le maître canonnier qui fut coupé net en deux morceaux au niveau de son torse. Il n’eut même pas le temps de pousser un râle que les deux moitiés de son cadavre étaient emportées par l’eau, le sang et la vinasse vers l’avant du bateau, signe que la calle avant était percée et qu’il ne valait mieux pas rester dans le coin. De la Fuente avait déjà disparu dans les coursives supérieures sans oublier d’emporter avec lui mon précieux Santo Suplicio. J’étais désarmé alors par réflexe je pris avec moi un des barillets de poudre qui n’avait pas souffert de l’eau que l’on voyait monter à vive allure. Je le portais à deux bras au dessus de la tête pour ne pas qu’il souffre de l’humidité ambiante. « Tu vas finir dans une couleuvrine, sombre abruti, et je m’en vais te catapulter par delà le Styx et l’Achéron ! »Mes quatre derniers disciples finirent par me rejoindre et ils se proposèrent de m’ouvrir le passage au cas où De La Fuente ne nous tende une embuscade. Alors que je les suivais par l’écoutille en colimaçon. Il y eu un craquement plus fort et le galion sembla plonger vers les abymes tête la première. Cette fois, je n’entendais pas les cris, les hurlements, les bousculades et les prières sur les ponts supérieurs, obnubilé par De La Fuente et les objets saints qu’il m’avait dérobé.

Il fut ardu de progresser dans le colimaçon alors que le vaisseau piquait à 50 degrés et continuait de s’incliner. L’hidalgo de pacotille était bien plus dangereux ivre qu’à jeun. Il embrocha le premier disciple qui sorti de la coursive et le projeta d’un coup de pied dans la soute de l’officier de quart qui bien entendu vaquait à de plus utiles occupations en ces moments on ne peut plus troubles. Il attrapa un second par le col, lui lacera le ventre avant de le faire valdinguer, d’un subtil mouvement de croupion, tout droit vers la soute à biscuits. Mes deux derniers amis l’attrapèrent finalement par les jambes et le firent basculer. Il heurta violemment le sol laissant tournebouler Santo Suplicio dans les airs.

« Tes crimes ne resterons pas impunis misérable », hurlai-je alors que je tendais le baril de poudre à un de mes disciples et que je m’empressai en marchant sur la tête du second de faire un bon dans la coursive pour rattraper in extremis Santo Suplicio qui glissait dans la coursive. « Tu as versé le sang d’êtres purs en usant du saint glaive de Dieu… Ses hommes que tu as tué comme des bêtes seront lavés de leur péchés et monterons tout droit au paradis. Je te réserve une autre destination où l’on t’accueillera avec tous les égards qui te sont dus, coquin ! » Mais je m’étais à peine retourné que De La Fuente avait déjà disparu sur le pont du dessus en s’engouffrant par une écoutille. Mes deux disciples portaient un air ahuri. L’un tenait le baril de poudre des deux mains dans les airs et l’autre les deux bottes du fou à lier. « Suivez-moi, fichus crétins ! » Que je les sermonnais. Je pris alors conscience que je n’étais plus le même homme qui avait embarqué en Aout à Lisbonne. J’eus honte de ce que j’étais devenu. Alors fou de rage, je montais les barreaux de l’échelle 4 à 4 et me retrouvai rapidement sur le pont des canonniers. Je vis le vaurien s’engouffrer dans la Sainte-barbe puis traverser la chambre de l’officier de navigation avant de finir sa course folle dans la grande-chambre de l’état major.

Le capitaine du Belinda réunissait de nombreux écrits et cartes. Une chaloupe l’attendait sur le pont supérieur et deux gardes armés d’arquebuses l’escortaient. Dès qu’ils virent successivement pénétrer dans la pièce De La Fuente, votre honorable serviteur suivi de ses deux acolytes. Les lois de la symétrie, le nombre d’or peut être aussi, voulurent que les gardes ne tirent en premier sur leurs vis-à-vis.

Au même moment, De La Fuente se retournait vers moi en serrant la Galatea contre son ventre et j’eus à peine le temps de lui assener « Si tu souhaites tant cet ouvrage saint et bien emporte le donc avec toi » que je l’embrochai lui et le livre.
Un de mes disciples avait été atteint à la tête. Le capitaine affolé avait lâché tous ses documents. L’autre disciple était en vie. Par contre du baril de poudre qu’il soulevait jaillissaient quelques étincelles, qui se convertirent en flammèches. Il y eu alors ce long flash blanc dans un long silence cotonneux.

8. De la survie, de ses petits à cotés et d’autres surprises du destin toujours mal appréciées

Lorsque je repris mes esprits, j’étais affalé de tout mon long, vêtements en lambeaux sur une plage des côtes portugaises. A perte de vue il y avait une myriade de débris de la Belinda, voiles arrachées, moult tonneaux, cadavres en putréfaction, barils et caisses éparses au milieu de planches de bois déchiquetées. Des nuées d’oiseaux se délectaient des morts. Je finis par retrouver le corps de Jésus-Maria de La Fuente au milieu de tout ce fatras. La vermine le montrait sous son véritable jour : une pourriture infecte. Je découvrais avec une intense jouissance Santo Suplicio et la Galatea qui par on ne sait quel miracle, bien qu’en piteux état, semblait encore déchiffrable. Alors que j’allais pour m’en emparer, j’eu l’horreur de remarquer mon bras droit à moitié déchiré par l’explosion du baril. Il avait enflé comme un bon gros jambon salé à l’eau de mer mais ne me faisait point souffrir. Je sentais même ma main comme si mes yeux me mentaient.


9. De Charybde et Sylla

J’étais revenu à Séville. Non seulement je me trouvais toujours ruiné, j’avais perdu mon père pendant la guerre, mais en plus à présent, il me manquait le bras droit. Mes jours étaient ponctués par l’apathie et le désespoir d’avoir un jour cru aux belles histoires, à ces quêtes héroïques qui avaient bercées toute mon enfance au travers des livres chevaleresques et courtois.
Ce jour là, il sonna à ma porte d’une façon si arrogante que de suite je sus qu’il ne pouvait s’agir que de l’illustre Cervantès. Ma volonté était brumeuse et évanescente et dès que je découvris son visage en entrebâillant la porte, je ne su trop si l’envie qui me tenaillait le plus était celle de l’étrangler ou bien encore de l’étouffer de baisers. Il était celui qui m’avait à la fois donné la vie et qui me l’avait reprise.

« Rodrigo de Estrada y Montilla », Me salua-t-il avec condescendance, « Je vois que vous savez à présent ce qu’est la guerre, vous qui cherchiez tant à lui faire la cour ! » « Ses baisers sont brûlants et langoureux comme ceux d’une diablesse andalouse ! », Surenchérit-il dans un long rire tonitruant. « Vous inviterez bien une vieille connaissance à se rafraîchir dans votre patio ? »
J’hésitai un instant mais je ne résistai pas à l’idée qu’il puisse enfin me livrer le secret de la Galatea autour de quelques verres d’aguardiente.
« Entrez-donc, vous êtes ici comme chez vous, maître Cervantès… »

J’appris de lui des choses qui ne m’étonnaient guère. Alors que je bataillais pour mon Dieu et mon roi, Cervantès avait été radié de l’Invincible Armada. Je me souvins qu’il occupait le poste de commissaire aux approvisionnements aussi cela m’étonna-t-il. Quelle faute avait il bien pu commette qui ne lui vaille la radiation ? « Commissaire aux approvisionnements pour l’armée étais un office bien périlleux, jeune homme. Moult fois j’ai du batailler au péril de ma vie pour réquisitionner aux à toutes ces bonnes gens, assez de pécule pour entretenir les lubies de notre bon roi et de sa très sainte vision du monde. Les réquisitions de vivres qui partaient tout droit nourrir les soldats tout comme toi, ne se faisaient jamais sans mal. C’est une vocation bien délicate et il faut donner de sa personne et mettre de coté ses scrupules. Je partageais ma bonne conscience comme un bon samaritain en vérité partage sa compassion. On donne bien plus qu’on ne prend à un tel poste.

C’était bien trop difficile pour la pauvre âme d’un estropié… »
Je le taquinais pour en savoir plus et il finit par m’avouer qu’il avait été excommunié et incarcéré à Séville pour avoir réquisitionné les blés de quelques chanoines dodus.

Nous nous mimes à rire de bon cœur et alors je compris que le moment des aveux était venu. « Maitre Cervantès », M’engageai-je sur un ton mystérieux, « Il y a de cela 2 ans dans une bodega d’un quartier malfamé, vous m’avez offert un livre, votre premier roman, la Galatea… »
Je lui tendais alors ce qui ressemblait à un vieux grimoire qui avait traversé les siècles. Il eut du mal à reconnaitre son roman pastoral souillé par la poudre, le sang, rongé par le sel de la mer et creusé en son centre d’un trou béant.
« Je ne te l’ai pas donné pour que tu t’en serves de bouclier, jeune ahuri », S’esclaffa-t-il.

« Mais alors Maitre, pourquoi ? Je l’ai lu des milliers de fois. Je me souviens de vos paroles, vous affirmiez qu’il dépendrait de ma manière de lire ce roman pour enfin percer les secrets de la guerre. Mais je n’ai rien compris. Je n’ai pas su à ma très grande honte déchiffrer vos subtils commandements. »
Cervantès m’arracha le livre des mains. « J’étais saoul, voilà tout ! La Galatea est un roman pastoral, une églogue qui s’inscrit dans une longue tradition illustrée d’abord par ‘’L’Arcadie’’ de Sannazar, dont j’ai suivi le modèle. J’avoue, je l’ai un peu copié en empruntant non seulement ses lieux et ses actions mais aussi le déroulement de son récit, formé d'épisodes juxtaposés sans aucun lien entre eux, sinon l'identité des personnages. C’est le premier des six tomes d’une longue série de romans que j’écrirai un de ces jours, si Dieu me préserve, tant ils sont emplis de bon sens et de moralité. Je travaille encore l’intrigue. Elle m’obsède nuit et jour.»
Puis dans le prolongement d’une longue tape amicale, enfin il s’époumona après avoir repris un petit verre d’aguardiente :

« C’est juste un roman pastoral, voyons ! Un récit idiot et sans la moindre consistance. J’en ai reçu cent vingt ducats de droits d’auteur. Ils s’arrachaient à l’époque alors j’ai tenté ma chance mais je n’ai point eu la chance de trouver de lectorat et la critique ne fut pas tendre par ailleurs. Sais-tu ce qu’est l’ironie, jeune hidalgo ? Ces bergers, ces hommes modèles que chantent les romances et les poésies pastorales, sont en réalité plus grossiers que vulgaires. Ou peut être bien le contraire. Ils volent leurs patrons, tout en mettant leurs propres méfaits sur le compte des loups. Ce sont dès sortes d’icones imbéciles qu’il me plaisait de sublimer, ne l’avais-tu pas compris ainsi ? »

« Mais… La guerre dans tout ceci ? » Je priais dans un râle interminable pour l’âme de ceux qui avaient donné la vie pour le mystère de ce recueil.
« La guerre est sans nul doute la plus sublime des ironies en ce bas monde… Que te dire d’autre que le champ de bataille ne t’a déjà, tout comme à moi, enseigné ? Mais garde donc tes larmes, jeune imbécile, je ne suis pas là pour une visite de courtoisie…»

Cervantès m’appris alors qu’il avait trouvé un nouvel emploi en sortant de prison, celui de percepteur des impôts pour le compte du Trésor public. « Maudits soient ces rats, ils paient bien moins que l’Invincible Armada même si le travail est identique ! Bon… Rodrigo de Estrada y Montilla, je suis ici pour saisir ta maison ainsi que tous tes biens afin que tu honores tes dettes sous l’ordre du Haut commissaire Andalous, el Gran Senor Tierco Del Monte.»
Deux gardes pénétrèrent alors dans ma demeure comme Cervantès les sifflait afin de me déloger par la force si je venais à me débattre. Ce ne fût pas le cas et je passais le portail de la maison de mes ancêtres sans même me retourner ni me plaindre.

Je m’en tirai riche d’une grande leçon de vie.

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 22/05/2011 à 05:20:56
ça commence par : Où l’on découvre que les Anglicans ne sont que de fieffés chenapans

voilà un titre qui devrait faire plaisir à Dourak

Commentaire édité par Lapinchien le 2011-05-22 11:03:24.
Dourak Smerdiakov

site yt
Pute : 0
ma non troppo
    le 22/05/2011 à 11:03:06
Mince alors. S'il faut lire ce qu'on publie, maintenant, que va devenir ce site ?
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 22/05/2011 à 20:46:05
merci de tout coeur d'avoir manigancé la chose pour que la publication coïncide avec la sortie de Pirates des Caraïbes 4. Lisez, mon truc est mieux.

Commentaire édité par Lapinchien le 2011-05-22 20:46:29.
Cuillere483748
    le 23/05/2011 à 01:29:41
J'ai pas lu le texte mais ça me fait plaisir d'être sur la Zone quand même.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 23/05/2011 à 09:21:19
ça me déprime encore plus.
Hihi
    le 23/05/2011 à 12:28:31
Cool de l'action, des sabres, un grimoire et des flammèches. On dirait un mix de Robert Louis Stevenson et d'Alexandre Dumas. "brouhaha ambiant" et "l’humidité ambiante". Putain ! deux fois le mot ambiant en six lignes, c'est pas assez.

*clique sur le pouce, j'aime*
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 23/05/2011 à 18:49:09
merci. toi au moins tu me comprends, schizophrénie.
El Déf
    le 23/05/2011 à 20:37:45
Le problème c'est que je n'ai pas lu les deux premières parties donc bon. Je donnerais un avis constructif quand j'aurais pas piscine.

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