1. Où l’on apprend que Rodrigo n’est plus qu’un spectre pourchassant son corps
Voila plus de cinq ans qu’auprès de mon bon maître, Miguel de Cervantès y Saavedra, je traine mes guêtres et mon âme souillée sur les chemins poussiéreux de la péninsule. Je ne compte plus les arpents de terre foulés, entre Galice et Castille, entre Estrémadure et Andalousie, tantôt sous bonne escorte, tantôt laissés par notre hiérarchie entre les mains bienveillantes de notre Seigneur Jésus Christ. Que Dieu bénisse notre bon roi Philippe le second et son Saint empire chrétien, sur lequel jamais le soleil ne se couche. Pour eux, je me battrais jusqu’à mon dernier souffle et livrerais mon enveloppe d’éclopé, puisqu’il ne me reste plus qu’elle à troquer, si la mort vient à réclamer son dû.
Voila plus de cinq ans qu’auprès de mon bon maître, Miguel de Cervantès y Saavedra, je traine mes guêtres et mon âme souillée sur les chemins poussiéreux de la péninsule. Je ne compte plus les arpents de terre foulés, entre Galice et Castille, entre Estrémadure et Andalousie, tantôt sous bonne escorte, tantôt laissés par notre hiérarchie entre les mains bienveillantes de notre Seigneur Jésus Christ. Que Dieu bénisse notre bon roi Philippe le second et son Saint empire chrétien, sur lequel jamais le soleil ne se couche. Pour eux, je me battrais jusqu’à mon dernier souffle et livrerais mon enveloppe d’éclopé, puisqu’il ne me reste plus qu’elle à troquer, si la mort vient à réclamer son dû.
En effet, mon esprit, je le traîne comme un boulet et il me suit à bonne distance. Il ne m’appartient plus depuis que l’Invincible Armada a échoué à porter Marie Stuart la catholique sur le trône d'Angleterre et d’Ecosse. Blessé par l’explosion d’un baril de poudre, durant des semaines à flots, soutenu par quelque débris de mon galion déchiqueté par les coups de canons anglais et la furie des éléments, je ne dois ma survie qu’à la mort de malheureux compatriotes coincés sous les charpentes disloquées du navire car leurs cadavres ont assuré la flottabilité de mon radeau de fortune jusqu’aux rivages portugais. Non, je n’ai plus d’esprit le jour. Je me suis montré un bien piètre serviteur du Seigneur face à ces infâmes réformistes. Mon corps est empli de honte, il avance mécaniquement et mon âme suit ses traces. Elle l’observe de loin et tente de le rattraper. Elle n’y arrive qu’avec un certain retard, ce qui me vaut parfois de me retrouver dans des situations périlleuses. Et c’est au repos seulement, lorsque je m’arrête assez longtemps ou que je m’endors, terrassé par la fatigue de nos incessantes marches, que mon âme rejoint mon corps. Je redeviens alors un enfant de Dieu mais c’est au prix de mille tortures. Toutes les nuits, les spectres des noyés de la bataille de Gravelines tourmentent mon sommeil.
2. De la différence entre ce qui fût, ce qui est et ce qui sera
Mon bon maître était intendant de l’Invincible Armada lorsque nos chemins se croisèrent lors de la féria de Séville pour la première fois. Je suis issu de la petite noblesse sévillane, un jeune hidalgo ruiné, Rodrigo de Estrada y Montilla. Je cherchais alors l’aventure, fuir ma contrée et m’enrôler dans la marine. Cervantès s’était prit d’affection pour mon humble personne à peine m’avait-il croisé dans une de ces bodegas de quartier malfamées. Tout d’abord, il m’avoua que je portais le même prénom que son jeune frère. Quelques verres d’aguardiente plus tard, il me fit même la confidence, que je le lui rappelais tant par mes traits physiques que par mes traits de caractère. Il s’opposa farouchement à ma résolution de partir sur le front Britannique comme je la lui scandais avec virulence et détermination alors que nous quittions le bouge débordant d’âmes en perdition.
« Jeune imbécile !», m’invectiva-t-il alors que je lui quémandais quelques conseils de stratégie militaire, « A ton âge, j’étais empli de la même fougue, du même esprit chevaleresque que tu caricatures pitoyablement par tes propos. Tu ne connais rien à la réalité de la guerre. » Il me tendit alors son bras gauche et retira un long fourreau de cuir qui le recouvrait en délaçant quelques bandelettes. Il flanqua sa main atrophiée et difforme juste sous mon nez. Ses doigts recroquevillés, ses phalanges ressoudées par une croute jaunâtre et ses ongles incarnés laissant poindre des plaies purulentes, me flanquèrent la nausée. Puis il tendit son bras vers le ciel. Le soleil traversa un trou béant entre le radius et le cubitus d’où jaillissaient veines et ligaments maladroitement cautérisés et toute une flopée d’horribles cicatrices surmontées de fragments métalliques. J’eus un second haut-le-cœur puis je ne pus m’empêcher de déverser ma bile tant le spectacle était écœurant.
« Voilà ce qu’est la guerre, cher chevalier servant en quête de péripéties, il n’y a pas d’autre réalité que celle que je te présente. » Puis Cervantès refourra son bras gauche dans sa gaine de cuir et alors que je lui demandais par quel miracle son bras n’avait pas gangréné et subit l’amputation, il reprit son laïus avec plus de véhémence pour faire taire toute cette impertinence qui émanait de ma bouche trop bavarde : « Par la grâce de Dieu, jeune sot ! La bataille navale de Lépante est le plus grand évènement que virent les siècles passés, présents, et que ceux qui viennent ne peuvent espérer. J’en suis sorti blessé de deux coups d'arquebuse par la sainte bonté divine. Car crois-tu vraiment qu’un soldat peut changer le cours des évènements ? Crois-tu que dans le chaos de la poudre et du feu, des forces de la nature, les actions et la volonté d’un homme seul peuvent infléchir ce qui est joué par avance ? »
Alors que j’étais gagné par le doute et une effroyable désillusion, Cervantès m’apprit, de la plus directe des façons, qu’il était écrivain. Il me frappa deux coups secs sur la tête avec l’une de ses œuvres. Puis alors que je m’effondrai à terre, me la jeta au visage. « Plutôt que de retourner à tes romans chevaleresques emprunts de vanité humaine et de propagande belliqueuse, je te conseille de lire ce livre que j’ai fait publier il y a deux ans de cela dans ma ville natale de Alcalá de Henares. Je l’ai intitulé la Galatea.»
« Mais Don Cervantès, c’est trop. Je ne peux… enfin, je vous remercie. », Répliquai-je chétivement, « Y apprendrai-je à me battre et l’art de la guerre ? »
« Tout dépendra de ta manière de lire ce roman pastoral. », conclut-il en me tournant le dos pour partir vaquer à ses occupations de commissaire aux approvisionnements, « Mais saches une chose : j’ai perdu ma main gauche pour la gloire de la droite.»
Et c’est ainsi que je me séparai de cette étrange et charismatique figure que je croisai pour la première fois, empli de doutes, de désillusions et de questionnements, avec pour seul conseil et témoignage, un ridicule roman pastoral que je ne pouvais me résoudre à entamer tant l’exercice de style était commun et usé. Toute ma jeunesse durant j’avais lu laborieusement des dizaines de ce genre d’ouvrage sans intérêt aux intrigues à l’eau de rose, plus par désœuvrement que par excitation. Je crus que Cervantès s’était moqué de moi, mais impressionné par sa blessure, je tentais d’en savoir plus sur ses faits de guerre. Aussi je consultai les archives de la commanderie de Séville auxquelles mon père, bien que ruiné, avait toujours accès de par son rang. J’y trouvai facilement les informations légales publiées concernant la bataille de Lépante.
On y mentionnait bien Miguel de Cervantès y Saavedra, soldat dans la compagnie de Diego de Urbina, dans le régiment d'infanterie de Miguel de Montcada, engagé dans les Tercios de l’Italie sous tutelle espagnole. Lorsque la Sainte Alliance chrétienne, formée du pape, de Venise, et du roi Philippe II, confia le commandement de ses troupes à don Juan d'Autriche, fils du foudre de guerre Charles Quint d'heureuse mémoire, et demi-frère du roi d’Espagne, deux cents soixante-huit navires furent lancés à l’assaut des Turcs. Cervantès embarqua dans la galère Marquise et le 7 octobre de l’an de grâce 1571 à Lépante, entre l’isthme de Corinthe et les Cyclades, trois cents vaisseaux Turcs firent face à l’Alliance dans ce qui fut la plus grande des batailles de tous les temps.
Je fus soudain surpris de découvrir que tout un paragraphe, dans les multiples feuillets d’informations légales que j’avais parcouru toute la nuit, était dédié aux exploits de Cervantès :
« Quand fut reconnue l'armée du Turc, dans cette bataille navale, ce Miguel de Cervantès se trouvait mal et avec de la fièvre, et son capitaine et beaucoup d'autres siens amis lui dirent que, comme il était malade et avait de la fièvre, qu'il restât en bas dans la cabine de la galère ; et ce Miguel de Cervantès demanda ce qu'on dirait de lui, et qu'il ne faisait pas ce qu'il devait, et qu'il préférait mieux mourir en se battant pour Dieu et pour son roi, que ne pas mourir sous couverture, et avec sa santé... Et il se battit comme un vaillant soldat contre ces Turcs dans cette bataille au canon, comme son capitaine le lui demanda, avec d'autres soldats. Une fois la bataille terminée, quand le seigneur don Juan d’Autriche sut et entendit comment et combien s'était battu ce Miguel de Cervantès, il lui donna quatre ducats de plus sur sa paye... De cette bataille navale, il sortit blessé de deux coups d'arquebuse dans la poitrine et à une main, de laquelle il resta abîmé. »
Comme je lisais, à plusieurs reprises, ce passage du registre à haute voix, les propos intimidants de Cervantès ne comptaient déjà plus, j’avais perdu toute crainte. Cet après-midi, j’avais côtoyé un véritable héros, un saint homme, et ce qu’il incarnait comptait bien plus que toutes les métaphores incompréhensibles qu’il avait prononcé. J’avais trouvé un référent, un modèle. Je n’aspirais dès lors plus qu’à une seule chose : M’enrôler au plus vite au sein de l’Invincible Armada pour briller contre les Anglicans, tout comme mon maître spirituel avait brillé contre les Turcs.
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Ça y est, les zonards se transforment en robots auto-spammeurs. C'est comme ça depuis le début ? Ok, je dégage.
Woaw, la recherche historique est digne d'un cours universitaire (et je sais de quoi je parle), le style vieillot est maîtrisé, mises à part quelques erreurs de conjugaison c'est assez bon tout ça. Le seul problème étant que c'est moyennement zonard, mais après tout on est que dans l'incipit. J'attends la suite avec impatience.
En revanche, j'ai pas lu Don Quichotte et je comptais pas le faire sous peu (Joyce et Defoe me prennent pas mal de temps), c'est un problème ?
J'en suis à la moitié de Don Quichotte (depuis un sacré moment), mais quand bien même, je pense que ça ne change en rien la lecture de ce texte, pas du tout.
Sinon, un peu pareil qu'Asa, ça n'est pas vraiment zonard, mais on sent qu'il y a de la documentation, je prend ce texte comme un hommage à Cervantès, c'est soigné, carré, y'a clairement du boulot derrière, et du bon.
Je suis sûr que Lapinchien a séquestré Alain Decaux et lui a pressé le citron au serre-livres pour le faire parler.
Jamais vu un truc documenté comme ça.
Et foutrement bien écrit.
S'il n'avait pas perdu de temps à mettre des s à l'impératif et au futur, ou des t au participe, il en aurait gagné pour envoyer la 2è partie.
non j'ai gangbangué Jean-Christophe Victor... enfin on a bu du Banga en groupe et il a tout laché.
Couvre même la bataille de zeugma, deux en un, mesdames et messieurs.
En général dans les textes à vocation historique c'est le niveau de la langue qui déçoit, c'est à dire la capacité à recréer le style littéraire de l'époque. Là, je sais pas si c'est le support internet qui joue, je trouve ça raté malgré le niveau d'écriture nickel.
Je trouve ça mauvais, et surtout car c'est Lapinchien qui l'a écrit.
surtout PARCE QUE c'est Lapinchien qui l'a écrit.