LA ZONE -

Éthano

Le 19/05/2010
par Ceacy
[illustration] D'après toutes les autorités compétentes, le réchauffement climatique va rendre le monde invivable d'ici quelques décennies. Je dois admettre que je m'en fiche éperdument.
Pourquoi ? Je me nomme Simon, et pour moi le monde est déjà invivable. Je me nomme Simon, mais personne ne m'appelle comme ça : pour tout le monde, je suis Ethan. Ethan, prononcé à la française ; Ethan, comme éthanol. Une trouvaille de mes amis : j'ai des amis très spirituels, je trouve.

Depuis hier soir, je suis au commissariat, où je partage une cellule vétuste, qui sent vaguement l'urine et beaucoup la sueur, avec un clochard et un junkie. Je présume que c'est un junkie, mais c'est juste une supposition : il se peut que chez lui, ce soit naturel, ces sautes d'humeur. Je n'en sais rien. N'empêche, j'évite de m'approcher, il y a deux heures il s'est mis à insulter le clochard et à lui taper dessus.

Sur les murs, on peut lire que Diane je t'aime, et que la police n'a pas intérêt à tourner le dos à certaines personnes, ou alors elle va avoir du mal à s'asseoir après. Ça n'a pas l'air de la gêner particulièrement, pour l'instant la police boit son troisième café en se balançant sur sa chaise.

Moi, je lis les murs, je m'ennuie. Déjà neuf heures en cellule de dégrisement, et s'ils attendent que je passe à moins de 0,8 grammes par litre, ça peut encore durer longtemps : ça doit faire vingt ans que ça ne m'est pas arrivé. D'ailleurs, j'en ai vingt-cinq.

J'ai peur de ne pas être très clair, de raconter assez mal. Rassurez-vous, je ne suis pas alcoolique, rien de plus ennuyeux qu'un alcoolique, surtout maintenant. Pour ma part, je ne bois jamais.

Tout a commencé quand j'étais petit. Avant même d'entrer à l'école : je ne sais pas quels processus biologiques ont lieu normalement à cet âge-là, quelle fonction bizarre s'active dans les cellules de notre corps ; toujours est-il que chez moi, quelque chose a dû mal tourner. Je me souviens, à six ans, rentrer chez moi en titubant, sous l'oeil effaré de ma mère (je m'en souviens, ou on me l'a raconté : difficile de faire la part des choses, l'histoire a tant et tant circulé, dite, redite et modifiée, que c'est comme si je voyais les images à travers les yeux de mes parents, de mes frères et de mon chien. Un mauvais court-métrage où l'enfant pousse la porte d'une main hésitante, avant de s'affaler sur le mur ; il adresse quelques mots incompréhensibles à sa mère qui accourt, inquiète, et a un haut-le-coeur qui se termine en raz-de-marée verdâtre sur le sol, corn-flakes et petit LU.)

Le médecin n'a rien compris, ils ont tous cru que j'avais fait main basse sur la réserve de whisky de mon père. À six ans ! Je n'arrivais même pas à atteindre les tablettes de chocolat, et on m'a accusé de carburer au Glenfidditch.

Au début, ce genre d'événements restait assez épisodique. Il a fallu attendre mes dix ans, et la communion de ma soeur, pour qu'ait lieu une autre de mes cuites infantiles, et un scandale assez joyeux. Il y a encore des films qui traînent, où l'on peut voir les yeux indignés du curé me suivre, tandis que je vomis dans l'allée et me vautre sur le pagne du Sauveur - avec, en fond sonore, les cris aigus de mes grands-parents, et le rire gras de mon oncle. Puis j'ai douze ans, c'est au collège, et les surveillants me ramènent, hilare et pourpre, à mes parents si respectables. Quatorze ans, premier accident, à mobylette : le début de mes soucis avec l'autorité.

Puis quinze, seize ans : tout s'accélère. J'ai atteint un gramme avant d'avoir des poils sur le torse.

Tout ceci pourrait rester anecdotique, bien entendu, une simple crasse de plus tombée sur un pékin au beau milieu de l'Europe. Juste un léger détail qui me pourrirait la vie et n'empêcherait personne de dormir, moi en cellule et vous sous vos draps. Malheureusement, il se trouve que cette capacité incroyable qu'ont mes cellules à générer spontanément de l'éthanol, sous l'effet du stress ou de facteurs environnementaux assez mal définis, a éveillé de l'intérêt.

C'était il y a quelques mois, durant un vendredi matin plutôt grisâtre qui me voyait émerger assez lentement de mes rêves en priant pour que le café soit prompt et fort. Ma dulcinée d'alors, dont l'absence manifeste à mes côtés m'avait permis de dérober son oreiller et d'espérer la venue prochaine du breuvage, devait probablement errer du côté de la porte, car elle répondit presque instantanément à un coup de sonnette strident et inconvenant, surtout à moins de dix heures du matin. Je l'entendis discuter quelques minutes, sans vraiment saisir la nature de l'échange, avant que l'encadrement de ma porte ne laisse passage à un homme en costume noir, de taille moyenne et sans signe vraiment distinctif à part d'être situé dans l'encadrement de ma porte, : un mélange d'huissier, de responsable de service chez BNP Paribas et de croque-mort reconverti dans les RG. Cette analyse magnifique, cela va sans dire, étant effectuée avec le recul : sur le coup, il ressemblait simplement à un type en noir sans cafetière dans la main.

Il s'est assis sur le rebord de mon lit, sans demander, et me laissant en position d'infériorité manifeste, tout empêtré que j'étais entre mes oreillers, ma couette et mes sous-vêtements à la dérive. Sans se presser, et tandis que Julie (la dulcinée) affichait une mine de plus en plus anxieuse, il a ouvert une mallette de cuir qu'il transbahutait avec lui.

Il lui a fallu beaucoup de temps pour vider son sac. Papiers, papiers, papiers, les papiers s'entassaient, et je commençais sincèrement à en avoir ras-le-bol de voir ce type déballer des documents épais comme mon bras sans piper mot. Une fois qu'il eut fini avec ses liasses sur mon matelas, il a porté son doigt à sa bouche, humecté soigneusement celui-ci, et pris la parole. Vite. Jamais encore je n'avais vu quelqu'un avec un débit pareil : page après page, il me désignait des paragraphes que je n'avais pas le temps de lire, tout en les commentant à une allure folle. J'ai pu saisir au passage des expressions comme "contrôles d'alcoolémie positifs", "perte du permis", "retrait des moyens de paiement", "assigné en justice", et "stage civil obligatoire". Après quoi, il s'est levé, m'a demandé ma carte d'identité, a ouvert le tiroir sans attendre ma réponse, et l'a fourrée dans son attaché-case. Puis il m'a tendu un stylo, et m'a ordonné de signer là, là, là et là, et encore là, là, et ici.

Juste avant de partir, il m'a signifié que je devais être présent au Centre National d'Encadrement des Comportements d'Addiction vendredi matin à 5:00, et a fermé sa mallette. Je n'avais toujours pas eu mon fichu café, et j'en avais vraiment besoin.

La CNECA était un bâtiment imposant, situé loin de tout, quelque part en sous-banlieue. Vu que manifestement, mon permis n'était plus tout à fait en odeur de santé auprès des autorités, j'ai dû y aller en bus : de nuit, ça m'a pris deux bonnes heures. Autant dire que je n'avais pas beaucoup dormi, et que niveau stress, je me défendais pas mal. Essayez de passer deux heures au fin fond de nulle part en compagnie de noctambules et d'épaves, vous verrez ce que je veux dire.

Le gardien qui surveillait la porte (le sas ?) m'a fixé, longuement, quand je me suis présenté à la loge. Pendant trente bonnes secondes, je me suis senti comme un pavé de rumsteck face à un rottweiler : jaugé, soupesé, mémorisé, et désespérément dans la merde.

Mes nerfs ont dû déclencher quelque chose de mystérieux dans les tréfonds de mon organisme, probablement aux alentours de la vessie pour commencer : j'ai soudainement ressenti une envie irrépressible d'aller me soulager aux latrines, suivie assez rapidement d'un inexplicable bien-être un peu partout, surtout au niveau des zygomatiques. J'ai souri d'un air niais et béat, mes jambes ont faibli, et toute cette histoire de convocation, de bâtiment stalinien et de médecins en blouse blanche qui sortent des murs et se précipitent vers moi m'a paru beaucoup plus lointaine, et assez indifférente.

J'ai donc magistralement déboutonné ma braguette et commencé à pisser dans le couloir. Puis sur les médecins, qui entre-temps avaient continué à se précipiter vers moi. Un peu sur le garde, au moment où il m'a fichu un pain. Et pas mal sur mes chaussures et mon pantalon, vers la fin, quand je n'étais plus en état de viser.

Après, entre le sang, l'urine et les murs de plus en plus flous, je ne me rappelle plus grand chose. Il paraît cependant que récemment, le nombre d'accidents de la route a fortement baissé, suite à la mise sur le marché d'un nouveau médicament qui fait disparaître, en quelques secondes, tous les symptômes d'ébriété. Désormais, moyennant quelques dizaines d'euros, une firme internationale de produits pharmaceutiques vous autorise à vous envoyer tous les shots, cocktails et alcools qu'il vous plaît, et à monter tranquillement dans votre véhicule pour rentrer chez vous l'esprit tranquille. Moyennant quelques dizaines d'euros, vos samedis soirs ne causeront plus la mort d'innocents, les routes sont devenues plus sûres, les mères de famille respirent.

Moyennant quelques dizaines d'euros, et avec la bénédiction de l'État, tout le monde est heureux, et un tout petit nombre d'heureux est richissime.
L'État, qui sous-traite la gestion de certains de ses centres de recherche et détention à une firme internationale de produits pharmaceutiques.
Une firme qui n'a eu besoin que de quelques mois pour mettre au point ce médicament révolutionnaire. Quelques mois, une équipe de chirurgiens, une armada de sondes, piqûres et scalpels, quelques salles insonorisées, et un cobaye.

D'un autre côté, qui irait croire un type en cellule de dégrisement ?

= commentaires =

Kolokoltchiki

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Pute : -1
    le 20/05/2010 à 04:15:50
Sympatoche © mais ça manque un peu de puissance, notamment sur la fin. La moindre des choses pour un final de toute beauté aurait été de le faire allègrement gerber ses tripes en décrivant son delirium tremens avec force. Ca manque de punch.
Aesahaettr

Pute : 1
    le 20/05/2010 à 18:23:49
Non mais kololol, c'est pas un alcoolique alors l'idée de la description de la mort par delirium tremens pour finaliser la catabase est hors sujet : le mec est bourré quand il stresse. D'autant que s'il avait fait ça on aurait tous dit "lol zola".

La jonglerie entre les registres est pas aboutie du tout. La partie du complot était de trop, ça fout en l'air l'intrigue et le coup du malade extraordinaire dont la condition peut être exploitée par une force maléfique pour faire des trucs bizarres avec les parties descriptives des manifestations de la maladie qui foutent peu à peu en l'air la vie du narrateur ça fait un peu "Narco". Et ça fait un peu expédié, un truc pareil aurait bénéficié d'un développement plus abouti, ou alors il aurait pas fallu aborder autant de thèmes à la fois. Ou le faire mieux.

commentaire édité par Aesahaettr le 2010-5-20 18:25:29
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 21/05/2010 à 13:47:01
kafkaien décaféiné.
Dourak Smerdiakov

site yt
Pute : 0
ma non troppo
    le 25/05/2010 à 00:32:50
Trop de phrases sans verbes dans l'avant-dernier paragraphe. J'aurais mis deux point et énuméré. J'ai trouvé ça d'autant moins fluide qu'il y avait retours à la ligne.

Sinon, oui, 'sympatoche', pensé, un peu intriguant, mais manque de globules.
Kolokoltchiki

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Pute : -1
    le 25/05/2010 à 00:49:58
T'as gagné un procès. Provocateur de merde.
Yog

Pute : 2
    le 09/06/2010 à 11:54:26
Fluide, agréable me fout un peu mal à l'aise.
Critique constructive pouvant être replacée à tout le monde même son plombier "je trouve votre travail intéressant"
.
    le 19/06/2010 à 10:57:27
et Tano ?
.
    le 19/06/2010 à 10:58:08
www.tano.fr
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