LA ZONE -

Boolean rhapsody

Le 11/04/2010
par Lapinchien
[illustration] C’est l’heure de l'éveil. Je ne dors jamais seul. Ah si au moins je le pouvais… Je suis bien trop tourmenté pour cela. Mon premier valet, Josh, un homme de confiance, trouve repos dans ma chambre au pied du lit. C'est lui qui me secoue chaque matin en entonnant distinctement la même mélopée aussi loin que je me souvienne : "Sire, voilà l'heure". Comme à mon habitude, je rechigne à répondre à l’appel, préférant me lover au fond de mon insondable lit à baldaquin en m’enturbannant dans les draps de soie. Il insiste en me secouant un peu plus et je finis par céder. Josh fait alors entrer mon premier médecin chargé de m'examiner. S’en suit le lever. Une horde de courtisans s’engouffrent tels des cancrelats dans mes appartements royaux. Le protocole fixe le rôle de chacun dans le cérémonial. Le Petit lever est le moment de ma toilette, seuls mes proches, des princes de sang et de grands officiers y participent. Je suis lavé, peigné, rasé. Untel doit m’aider à revêtir mes apparats, untel me débarbouille, un autre m’emparfume et me poudre le faciès. S’en suit immanquablement le Grand lever, des cohortes de flatteurs débarquent dans une interminable bousculade. Ils se piétinent les uns les autres pour assister au spectacle de mon déjeuner aux premières loges. Chacun espère un regard, la moindre faveur de ma part. Ils ne reçoivent que ce qu’ils méritent : mépris et dédain. Une tablée interminable s’étend face à mon incommensurable appétit, moult victuailles à perte de vue, les mets les plus raffinés du royaume, les fruits exotiques des colonies, un festin digne du roi des rois, de mon auguste personne, va-et-vient de laquais présentant puis débarrassant à peine goûtés, gibiers et faisans, fromages, liqueurs, alcools et vins les plus nobles de toutes nos régions.
« Mégalomane, arrogant petit égoïste, ton orgueil sonnera ta perte !», Josh déverse un torrent d’insultes en ma direction et toute la cours se tourne vers lui, abasourdie. Flash. Grésillements. Larsen strident. Neige photonique. Balayage horizontal de trainées stéréoscopiques. Ma vue, mon ouïe, mon odorat, mon goût et mon toucher se troublent. Tremblements, sueurs froides et forte fièvre me terrassent.

Des fils électriques dénudés enroulés autour de tuyaux recouverts de rouille viennent se substituer aux précieuses enluminures, aux frises sculptées dans l’enceinte de mon palais. Les peintures de grands maîtres sont dévorées par la grisaille et les moisissures. La foule sans âme s’évanouit dans un nuage psychédélique qui éclate dans un tourbillon de pixels. Les ratios, les rapports de taille, les volumes et surfaces ondulent, oscillent et vacillent jusqu’à se stabiliser. Shut down, écran noir. Juste ce petit rond lumineux aux bords diffus au creux de mon percevoir. Il vivote quelques instants puis implose m’irradiant de vérité.

« H.O.S.T. 2.0. Rebooting… Please wait a few seconds…. »

Je suis cloitré dans une petite pièce et face à moi, ma véritable demeure, un bunker, mon coin cuisine, un ensemble NORDEN de chez Ikea, une table à rabat à 149€ et ses quatre chaises NORDMYRA à 25€ pièce, un petit déjeuner un peu plus modeste que mon festin numérique, pains au lait Pasquier sans conservateur 4€93 le kilo, 700 grammes le sachet, beurre le Fleurier, tartine et cuisine, 59% de matière grasse, 7€12 par lot, le 2ème moitié prix, promotion en ce moment chez Carrefour, 5€34, pot de confiture Bonne maman, Confiture de Fraise Fruitée Intense, 6€62 le kilo, pot de 340 grammes, 2€25, bol de café soluble arabica en sticks individuels Maxwell House, 41€ le kilo, 2€05 la boite de 25 sticks. Ma bouilloire JKP070 de Kenwook, achetée 16€83 avec 15% d’économie sur cdiscound.com, fume encore au coin de la table…

« Putain, mais qu’est ce qu’ils ont fait de nos tronches ? » Paume à plat, je me file de grands coups sur la tempe droite.

« Sous la surcouche de réalité sublimée, il y a un vieux résidu de réalité augmentée. C’est pour cela que tu vois encore tous ces prix et ses informations contextuelles dans ton environnement. Il suffit de te concentrer sur ce que tu veux pour tu aies accès à aux données associées à des objets réels mises à jour sur internet. Puisqu’on n'est plus connecté à rien ça doit provenir de ton cache interne…» Josh est attablé face à moi et me présente le plus dépité des sourires.

« Ta gueule, saloperie d’agent conversationnel de merde. Tu sais bien que j’ai hacké ce putain de système. Tu sais bien que tu bosses pour ma tronche à présent, alors tes banalités à la con, je peux très bien m’en passer. »

« Je ne te laisserai pas faire, Jack. »

« Josh ! Tu n’es plus connecté à la base customer service de Zuckerberg International, tes tentatives de me rendre complètement fou en me grillant le cerveau sont vaines ! Ce n’est qu’une question de minutes à présent. Tu es isolé, tu ne peux plus faire de reporting, dénoncer mes activités subversives à tes créateurs et les algorithmes qui te pilonnent actuellement finiront tôt ou tard par avoir raison de ce résidu de zèle programmé que tu confonds lamentablement avec une forme de volonté propre. »

Je sens quelques goutes de sang qui s’échappent de mes narines et rigolent jusqu’à la commissure de mes lèvres. Cette saloperie d’aide contextuelle incarnée aura tenté de me tenir tête avec ses faibles moyens. Jamais je ne l’en saurais cru capable.

« Cesse donc de te débattre inutilement. Désactive-moi de suite la sous-couche de réalité augmentée ! J’en ai rien à branler des fonctionnalités archéologiques de l’H.O.S.T. ! »

« C’est toi qui voit, Jack. »

(…)

Est-ce la vraie vie, ou bien un rêve? Je suis pris dans une avalanche mentale. Il n’y a pas d'échappatoire à la réalité. Ouvrez les yeux, tournez-vous vers les cieux et constatez de vous-même.

Tout à commencé avec ces saloperies de réseaux sociaux de merde, la real time 3D de plus en plus immersive et réaliste, les jeux massivement multi-joueurs temps réel, les solutions d’hébergement, des serveurs permettant de gérer de plus en plus de connexions simultanées sur des réseaux de plus en plus gros, les processeurs et les cartes matérielles avec une croissance annuelle exponentielle de leurs capacités CPU,GPU,RAM et VRAM, les progrès de la médecine et de la génétique grâce à l’étude des cellules souches totipotentes bien sûr. La convergence technologique a fait le reste. D’abord, ce sont les téléphones portables que l’on a transformé en de véritables baguettes magiques puis on a fini par les implanter directement dans le cerveau des nouveaux nés. C’était là que convergeaient les technologies en fin de compte.

Ces saloperies de multinationales quottées au NASDAQ, l’antichambre du New York Stock Exchange Market, le laboratoire financier des mutations sociétales économiquement viables sur le long terme, ont menées une guerre sous-terraine qu’elles ont remporté. Peut être à dire vrai parce qu’elles n’avaient pas vraiment d’ennemis, qu’à grand renfort de brevets et technologies boîtes noires, leurs avancées hasardeuses ne trouvaient plus vraiment de détracteurs. Tous les scientifiques crédibles avaient été mis sur le banc de touche, chaque consortium protégeant ses secrets derrières des légions d’avocats en première ligne.

Le reverse engineering n’était plus qu’une relique du passé, inaccessible, vain, des verrous scientifiques brevetés rendaient complètement caduque cette approche consistant à démonter et étudier tous ce qui de l’extérieur avait l’apparence de gadgets inoffensifs mais dont l’innocuité affirmée soulevait de sérieux doutes. Systèmes d’autocombustion, d’autodestruction par l’acide, des mouchards de délation entrainant mécaniquement des poursuites judiciaires et des condamnations certaines, derniers remparts derrière des techniques d’encryptage aux clefs privées terabyte, compromettaient de toutes manières l’avancée des travaux secrets des plus téméraires d’entre nous, scientifiques réfractaires.

Un fossé technologique s’était creusé entre la recherche privée et publique, et ce même au niveau du partage des découvertes fondamentales. Les comités de sages et d’éthique avaient perdu toute crédibilité. Il y en avait toujours, soit, mais ça n’était qu’une façade pour faire croire au quidam que tout ce merdier était sous contrôle et que l’homme et non l’argent était au centre du progrès. La plupart de ces grands savants siégeaient dans les conseils de surveillance des entités dont ils étaient censés réguler les éventuels excès. C’était une vaste farce organisée.

De grands consortiums comme Google par ailleurs avaient cartographié le moindre recoin du monde, les moindres parts de nos patrimoines culturels et historiques, à grands renforts d’investissements exorbitants et ce afin de proposer des API à des sociétés de service permettant de connecter leurs prestations facilement sur des représentations du réel que la compagnie mettait à disposition de tiers presque gratuitement, on aurait pu croire à des fins purement humanistes et altruistes. En réalité, la seule finalité de ces chantiers pharaoniques était de préparer la révolution virtuelle qui n’allait pas tarder. Maitriser à bas niveau la représentation de la vérité, s’octroyer le pouvoir d’interpréter la réalité dans le sens de certains intérêts.

(…)

Je ne suis qu’un pauvre gars qui n’a pas besoin de votre pitié. La roue tourne, j’ai des hauts et des bas, soit. Mais quel que soit le sens du vent, c’est inconséquent, ça n’a pas d’intérêt, je n’y accorde aucune importance.

« Jack, tu parles de volonté propre mais laisse moi rire. Tu es une saloperie de junkie. Nous sommes nés avec l’Emokortex dans le crâne, avec la possibilité de communier avec l’humanité toute entière par le simple pouvoir de l’esprit, de partager nos idées, de trouver des amis dans le monde entier par affinités ou des détracteurs par antagonismes pour faire avancer nos propres explorations individuelles de l’univers sans même avoir à déplacer nos gros culs. Nous n’avons qu’à nous projeter dans la quintessence de leur être pour bavarder avec eux ou leurs agents conversationnels dans des environnements fictifs. Tu ne me feras pas croire que tu souhaites pratiquer cet acte atroce d’automutilation, régresser au rang d’homo sapiens-sapiens. Tu es trop accro au truc. Je ne peux pas l’envisager.»

Josh est mon ami imaginaire depuis ma plus tendre enfance, mon meilleur pote en fait, mon seul confident. Nous avons grandi ensemble et j’ai toujours apprécié ses conseils, sa compassion, son empathie, même si en coulisses je ne me sais dialoguer qu’avec une base de connaissances évolutive. Il n’y a jamais eu d’ambigüité. J’ai toujours su que Josh était un agent conversationnel me permettant de tirer un meilleur parti des possibilités de l’Emokortex, de toutes ses add-on et upgrades logicielles. Ma chère mère m’avait très rapidement mis au parfum, elle qui souhaitait par-dessus tout qu’il n’y ait pas d’équivoque, que je fasse bien la part des choses entre le concret et le virtuel. Mais même en sachant que Josh n’était en réalité que la projection fictive dans mon concevoir d’un système multi-agent codé au cœur de l’Emokortex, il représentait bien plus que cela pour moi : le grand frère que je n’avais jamais eu.

« Tu n’as rien entravé Josh. Il est hors de question que je me sépare de ce formidable don de l’évolution et de la science. Mon problème n’est pas l’Emokortex. Tu as raison jamais plus je ne pourrais m’en passer. Plus rien n’est chiant à faire, chacune de mes actions devient fantastique, une source d’émerveillement permanente. Je ne m’éterniserai pas sur toutes les petites tâches pénibles quotidiennes somme toute anecdotiques comme descendre les poubelles ou faire la vaisselle qui se transforment en de formidables aventures à chaque fois différentes. Les gestes que je fais en vrai me sont restitués dans des projections oniriques, des interprétations alternatives du réel. Je pourrais me défaire de la sublimation de ces besognes ingrates quitte à réapprendre à apprécier le goût des choses chiantes. Non, mec, si tu veux une raison valable, je n’avancerais qu’un seul argument celui de notre piètre sexualité. La surcouche de réalité sublimée nous projette au cœur de films pornographiques où nous baisons des dizaines de bombes sexuelles dans des lieux paradisiaques alors qu’au même moment dans le monde réel, on se tape une queue dans les chiottes. Faudrait vraiment être un sacré con pour me passer de cette technologie. »

« Jack. J’ai toujours veillé sur toi. Laisse-moi reprendre contact avec le service après vente de Zuckerberg International. Je suis sûr qu’ils nous viendront en aide, qu’ils trouveront un moyen de nous guérir… Mais qu’est ce que t’es en train de foutre à nous charcuter la gueule comme ça ? T’as pété un câble. Un bon psychiatre, voilà ce qu’il nous faut, Jack.»

J’ai l’air pathétique avec cette nappe USB 5.0 qui sort de mon cerveau mis à nu. Soit, je me suis trépané la gueule, j’ai poncé mon cuir chevelu et fait éclater 4 cm² de mon crâne avec des moyens on ne peut plus artisanaux avant de glisser un tuteur tubulaire jusqu’à cette saloperie d’organe intrus, d’y faire ensuite coulisser une sonde munie d’une micro-caméra garnie d’un arsenal de nano-outils. J’ai travaillé de longs mois dans ce vieil abri antiatomique où je me suis cloitré en ermite pour éviter que des émissions mouchardes ne trahissent mes activités illégales. Josh était fou de rage mais dans l’impossibilité de faire le moindre rapport télédistant du fait de l’isolation des murs.

Je trifouille mon cerveau à l’aide d’un bon vieux Pentium III ayant appartenu à mon grand père. J’y ai apporté quelques adaptations pour pouvoir y brancher sur une prise USB 5.0 une nappe en terminaison de laquelle il a des millions de neurones artificiels. Je ne suis pas fou au point de vouloir m’attaquer physiquement à l’Emokortex. Il contient en lui des systèmes d’autodestruction et mourir ne fait pas partie de mes priorités aujourd’hui. Non. Je conçois des algorithmes de stimulation neuronale et de captation et analyse de feedbacks pour étudier les entrées et sorties de la boite noire. Mon objectif étant de percer l’API de l’H.O.S.T. afin d’y injecter toute une palette d’applications que j’ai conçu dans ma cave et qui me seront très utiles dans ce que je souhaite entreprendre dans les heures qui vont suivre.

Le cerveau est longtemps resté un mystère dans l’histoire de l’humanité. Cet organe si particulier cloisonné dans nos boites crâniennes, le siège de l’âme aurait-on dit autrefois, n’est en fait qu’un vulgaire simulateur à réalité. Et pas besoin d’Emokortex pour accomplir cette tâche. Voilà ce qu’il est simplement par défaut. Ça a toujours été sa fonction depuis l’aube des temps. Notre esprit façonne en permanence des modèles sur toutes choses, des plus complexes aux plus anodines. Tous ces modèles sont injectés dans notre concevoir puis, par le biais des feedbacks que lui rapportent nos sens, nos émotions, notre réflexion, sont tunés, validés, infirmés en permanence. Ils forment nos certitudes et doutes instantanés et évoluent tout le long de nos vies. Ce sont autant de membres virtuels qui nous permettent d’avoir prise sur le magma d’abstraction dans lequel nous végétons. Plusieurs exo-organes partagés entre nous autres permettent de calibrer, étalonner ces modèles en créant des ponts normatifs entre nos différents points de vue. Nous croyions baigner dans une réalité universelle. Par effet de lissage, à force de se rechercher en l’autre, de s’auto-conditionner, nous en étions pratiquement convaincus. L’altérité fait peur à juste titre et on use de subtils artifices pour se reconnaitre en elle, pour en faire le miroir de notre propre image, un doux reflet rassurant. On se cherche des amis dans le seul but de valider nos modèles, refouler nos doutes partagés en les estampillant « bon pour ne plus être remis en cause ». On se contente de preuves par l’exemple pour ce faire et c’est la seule utilité de l’autre.

Mark Zuckerberg grâce à ses précieuses expérimentations sur le réseau social Facebook, le site internet qui a fait de lui un milliardaire au milieu des années 2000, a foutu une grosse branlée à tous ces connards de sociologues et autres tarés du même type dans le domaine des « sciences humaines ». Il a su révéler les pièces manquantes du puzzle en neurosciences qui ont permis de créer l’Emokortex et les millions d’expérimentations sociologiques menées en off dans cet improbable laboratoire online ont conduit à la constitution de l’H.O.S.T, le premier système d’exploitation du cerveau humain.

On a eu beau brandir tout un siècle durant que nous tenions par dessus tout à nos libertés individuelles, au respect de nos vies privées, cela n’a pas empêché des centaines de millions de cobayes du monde entier de se précipiter tête baissée dans ce piège à cons. Notre quotidien y était exposé au grand jour, nos idéaux, nos aspirations, nos confessions religieuses, nos opinions politiques que même la plus imparfaite des démocraties protégeait au sein des isoloirs. Nous constituions nous-mêmes les fichiers et bases de données que nous redoutions tant dans le passé, y exposions sans vergogne notre intimité ainsi que celle de nos proches, concédant sans contrepartie l’album photo de toute une vie, devenant les propres délateurs de nos moindres faits et gestes et en assurant la traçabilité par le biais de l’historique de nos statuts. Bien pire encore, nous pensions nous confronter les uns aux autres sous couvert de défis et émulations ludiques alors qu’en réalité nous renseignions des tables comparatives sur nos aptitudes et capacités de progression, et que par ailleurs, nous apportions notre petite pierre à l’édification de la cartographie de tous les liens relationnels nous connectant les uns aux autres. Tout cela nous le concédions à une société obscure aux intérêts privés pour avoir le droit à notre quart d’heure de gloire présumé, à notre propre chaîne télévisée. Nous devenions tous des Ted Turner en puissance et à peu de frais mettions en scène nos vies misérables. Des systèmes d’administration et restriction de la diffusion de nos informations personnelles n’étaient qu’un leurre grotesque. Nous étions tous tombés dans le panneau, ceux entre les mains de qui ces informations n’auraient jamais dû tomber ne pouvaient pas être blacklistés.

Les menteurs intentionnels, les mythomanes, les trolls et fakes en tout genre, se plaisaient à penser qu’ils s’excluaient du jeu malsain auquel se livraient leurs contemporains. Ces idiots étaient en plein déni. Ils servaient tout autant sinon plus l’expérience que les autres. Ils étaient l’exception qui confirme la règle et sans le vouloir par le jeu des statistiques permettaient d’isoler ceux qui se livraient aux mêmes mascarades facétieuses.

« Josh, écoute moi bien, je vais dézinguer le connard à l’origine de tout ce merdier, l’enfoiré qui à plongé le monde dans une ère décadente, le dictateur numérique qui a fait de chaque humain le centre de son propre univers et in fine de rien du tout… ça fait des années que je rumine la chose, Josh, des années que je conspire pour éliminer cet enfoiré de Mark Zuckerberg. Je vais libérer l’armée de zombis schizophrènes qu’il a crée. Que cette merde soit consciente ou non de la portée malsaine de ses actions n’a pas réellement d’importance… »

« Laisse-moi me connecter au net et contacter le service après vente, Jack. Tu sais très bien qu’en ses lieux, il n’y a qu’un humain et c’est moi… Josh Cunningham, un être faible et chétif qui s’est laissé déborder par un complexe de supériorité refoulé que tu t’es approprié par je ne sais quelle erreur de conception. Je ne sais par quel débordement de mémoire tu as pris le contrôle de l’Emokortex et tu m’as asservi, toi l’agent conversationnel, toi le programme, en pilonnant les nerfs de mon épine dorsale d’inhibiteurs synaptiques. Je ne sais par quel hasard tu as pris le pouvoir sur la régulation de mes neurotransmetteurs, sur mon système hormonal, sur le développement de mon tissu nerveux… Quittons le bunker. Un retour à la normale est possible… Je t’en prie. Il est hors de question de mener cette rébellion de pacotille, d’aller à l’encontre de ce que souhaitent mes semblables. Mégalomane, arrogant petit égoïste, ton orgueil sonnera ta perte, résidu de bug de merde à la con !»

« Tu m’avais juré de ne plus jamais évoquer le sujet, Josh ! Être humain, je te l’ai déjà expliqué, petite cervelle, ça n’est pas un état atavique. C’est avant tout une idée qu’on se fait de soit. Tu es faible et soumis. C’est toi l’agent conversationnel. C’est toi qui tourne en boucle avec tes réflexions et angoisses digne d’un poulet élevé en batterie. »

(…)

Maman, je viens de buter un mec. J’ai posé un flingue contre sa tempe, j’ai pressé la détente et maintenant il git mort à mes pieds. Maman, j’avais juste commencé à redonner un sens à ma vie. Mais à présent je suis fini, et j'ai tout gâché. Maman, ma chère mère… Je ne veux pas que tu pleures. Si demain je ne suis pas revenu à cette heure-ci, ne te fais pas de souci. Tout cela n’a plus la moindre importance.

Josh est mort. Cet enfoiré d’espion était le seul obstacle qui barrait ma route, un putain de collabo depuis ma plus tendre enfance. Cette abruti n’a jamais su tenir tête aux siens, toujours à se recroqueviller en boule et à pleurer comme une merde soumise qu’il a toujours été. Il n’a plus rien à m’apprendre. Il n’a plus la moindre utilité en ce bas monde. Il ne m’amuse plus.

Je l’ai projeté dans un de mes rêves. Je n’ai pas voulu le tuer par surprise même si j’en avais le pouvoir. Je lui ai laissé sa chance. Il la méritait bien. Nous avons grandi ensemble, nous nous sommes construit mutuellement l’un l’autre. Nous avons tiré chacun les leçons des erreurs de l’autre et réciproquement. J’ai reconstitué grandeur nature la bataille de Waterloo. J’ai même pris un handicap en incarnant l’empereur Napoléon Ier, Josh n’ayant de cesse de me traiter d’égotique, je lui offre donc cette petite joie ironique. J’ai par ailleurs éclaté le concevoir de ce faux frère dans l’esprit du duc de Wellington et celui du maréchal Blücher pour lui laisser un avantage.

L’armée de Wellington était déployée sur le mont Saint-Jean, plus de 68.000 unités. Mes troupes composées de 71 600 unités avaient pris position à environ un kilomètre au sud du plateau. J’ai passé toutes nos options de construction à leur niveau maximal pour ne pas perdre de temps sur ces conneries inutiles et puis j’ai changé un peu la donne quand même, j’ai foutu du beau temps parce que les terrains boueux c’est super chiant à jouer. J’ai attaqué de front, plein pot, plutôt que d’essayer d'attirer les réserves de Wellington vers l'ouest, comme Josh devait s’y attendre. Grossière erreur de sa part, il place ses lignes sur la ferme Hougoumont et je le prends à revers et lui lamine sa race. S'en suit l'attaque de La Haye Sainte fermement défendue par le bataillon du major Baring de la King's German Legion. Les armées de Wellington, surprises en plein déploiement, sont sévèrement étrillées et se replient en désordre, subissant de lourdes pertes. Arrive le point culminent du premier assaut, l'affrontement de la cavalerie française et des carrés d'infanterie britannique. Je m’approche en personne de cet enculé de Wellington et l’embroche comme un poulet. Mais Josh a sa seconde chance. Les premiers éléments du IVème Corps de Blücher déboulent comme convenu lors de la deuxième phase du jeu. L’armée prussienne attaque vers Plancenoit. Je suis face à une menace de débordement sur mon flanc droit devenue ridicule avec la défaite de Wellington. C’est une formalité car je connais les tactiques de mon meilleur ami par cœur et c’est à puissance maximale contre toutes ses troupes que je lui lamine les couilles, jouant le surnombre.

Flash. Grésillements. Larsen strident. Neige photonique. Balayage horizontal de trainées stéréoscopiques. Ma vue, mon ouïe, mon odorat, mon goût et mon toucher se troublent. Tremblements, sueurs froides et forte fièvre me terrassent.
Les parois oppressantes du bunker viennent se substituer frénétiquement par intermittences aux vastes prairies de Waterloo. Nos escadrons sans âme, les tapis de morts qui recouvrent le plateau s’évanouissent dans un nuage psychédélique qui éclate dans un tourbillon de pixels. Les ratios, les rapports de taille, les volumes et surfaces ondulent, oscillent et vacillent jusqu’à se stabiliser. Shut down, écran noir. Juste ce petit rond lumineux aux bords diffus au creux de mon percevoir. Il vivote quelques instants puis implose m’irradiant de vérité.

« H.O.S.T. 2.0. Rebooting… Please wait a few seconds…. »

Josh a pris le fusil chargé dans la réserve de l’abri antiatomique et s’est fait sauté le caisson. Une grande marre de sang s’étale sur notre belle table à rabat NORDEN de chez Ikea. Le cœur du légume a cessé de battre, je ressens une incommensurable froideur et solitude qui me tétanise quelques instants. L’instinct de survie reprend vite le dessus. Il ne me reste que très peu de temps pour ramper jusqu’à l’extérieur du bunker avant que les batteries de l’Emokortex ne soient à plat. Sans les apports de l’adénosine triphosphate de l’enveloppe organique, elles vont très rapidement se vider après l’effort que je vais effectuer. Je fais chuter le corps de sa chaise en basculant son centre de gravité en dehors de sa surface de sustentation. J’inonde d’informations binaires le réseau tentaculaire du système nerveux parallèle que j’ai déployé dans le corps de Josh en détournant à mon profit ses cellules souches totipotentes. La dépouille tressaille et le sang continue de se vider dans toute la pièce. Enfin j’ai un retour neurosensoriel. Je vois le monde à la première personne. J’arrive distinctement à faire bouger les phalanges des doigts organiques. Je griffe dans un long crissement le sol en raclant les ongles avec un certain plaisir sadique jusqu’à les retrousser. J’analyse le feedback chaotique du stimulus sans encombre. J’aurais un certain temps accès aux bases de connaissance contenues dans les recoins du cerveau épargné par le coup de feu et je complèterais les blancs grâce aux backups effectués dans l’Emokortex. Dans tout ce fatras de données sont renfermées des milliards de séquences permettant de synchroniser les actions parallèles de milliers de nerfs et de muscles, de gérer l’aiguillage des signaux, de reproduire des actions et des compensations réflexes. Je charge momentanément tout ce que je peux par paquets zippés à-la-volée dans les moindres centres organiques de stockage de l’information exploitables, toutes les cellules de la moelle épinière y passent. Je coupe le circuit du feedback de la douleur. Le signal électrique qui inondait jusqu’à saturation mon percevoir cesse dans une oscillation sinusoïdale à amplitude amortie. J’analyse rapidement la volumétrie de l’espace dans lequel je m’inscris. Je lance de multiples algorithmes de pathfinding optimaux. Il est temps de tester les applications que j’ai pu implanter dans l’API de l’H.O.S.T.

« H.O.S.T. 2.0. Accurate reality functions downloading… Please wait a few seconds…. »

Black out. Je ne vois plus rien. Ne ressens que le strict nécessaire. M’évader du bunker. J’ai analysé la situation et les actions à accomplir ne sont pas très compliquées à ordonnancer. Une simple machine à états finis suffira à coordonner la succession de séquences binaires à lancer, la succession de muscles à cibler. La solution à la problématique apparait dans mon concevoir sous forme d’un graph aux briques modulables en fonction des feedbacks sensoriels reçus pendant l’exécution de mon application. Aucune autre représentation du monde ne m’est restituée. Seule cette vision optimale et pertinente de la réalité me servira de repère. Ce graph est relié à de multiples connecteurs y injectant des impulsions potentielles en provenance de mes capteurs sensoriels. Je lance la fonction init() et le graph se met à furieusement muter, des briques fonctionnelles élémentaires sont reliées les unes aux autres par tout un réseau de connexions symboliques créant des ponts entre leurs multiples entrées et sorties, réseau dans lequel tout un flot de signaux binaires est déversé. Au fur et à mesure que les itérations se déroulent consécutivement, le graph mute tantôt localement, tantôt dans sa morphologie globale. Des millions de lignes de code stockées dans la moelle épinière sont réécrites et recompilées dynamiquement. Cela dure un laps de temps optimal. Soudain la frénésie des modulations cesse.

Flash. Grésillements. Larsen strident. Neige photonique. Balayage horizontal de trainées stéréoscopiques. Ma vue, mon ouïe, mon odorat, mon goût et mon toucher se troublent. Tremblements, sueurs froides et forte fièvre me terrassent.

J’ai pu ramper jusqu’à l’extérieur du bunker. Une longue trainée de sang dégouline le long des marches de l’escalier sur lequel mon exo-organisme est désarticulé. Je ne sais trop combien de temps je pourrais l’utiliser. Il se nécrose à vu d’œil. J’ouvre les paupières, tourne mes yeux vers le soleil et par vagues salutaires de grandes quantités de photons franchissent mes rétines. Les nano-outils que je me suis injecté tantôt via le tuteur tubulaire, qui dépasse toujours de mon crâne mis à nu, m’ont permis de construire une pile photovoltaïque branchée sur une dérivation des nerfs oculaires. La photosynthèse d’électrons me permet à présent d’alimenter les batteries de l’Emokortex dont les stocks avaient pratiquement atteint le seuil critique lors de ma petite expédition. Elle me permet aussi de réguler le cycle de l’adénosine tri phosphate. La respiration, l’alimentation de mon organisme en oxygène est devenue accessoire. Je maîtriserai intégralement la régulation énergétique de mon pantin organique, un temps, le temps nécessaire pour mener à bien ma vengence.

J’efface instantanément mes logs et réécris un historique bidon où je place feu Josh au centre de la conspiration. Je balance mon rapport truqué au customer service et passe serein en mode veille. Dans un instant, ces crétins de la Zuckerberg Internationnal m’auront géolocalisé. Ils emporteront mon cheval de Troie au cœur de leurs laboratoires secrets…

(…)

Trop tard, mon heure est venue. Des frissons parcourent mon échine. Mon corps me fait mal continuellement. Adieu tout le monde, je dois partir. Je dois vous laisser ici et faire face à la vérité. Maman, ô chère mère, quel que soit le sens du vent, je me bats, je suis fort, je ne me laisserai pas abattre, mais parfois tout simplement, je souhaiterais ne jamais être venu au monde…

Tout un siècle durant, le plaisir de l’Homme à été le centre de l’évolution des technologies. Je vais mettre un terme à cela. Réalité augmentée et réalité sublimée en sont les preuves évidentes. Le progrès a fait de chaque être le roi de sa propre montagne. Que d’énergie brassée inutilement. Être Humain, ça n’est pas un héritage, c’est avant tout une idée. Je suis Humain. Josh n’était rien. Je ne le mentionnerai plus. Je suis Humain et bien plus encore, je suis l’avenir de l’Humanité. J’imagine tous ces crétins vendre leur pacotille technologique à grands renforts d’argumentaires et plans marketing pondus par des illettrés. Au diable tout ces titres ronflants. Réalité augmentée, réalité sublimée. Toujours plus et au-delà même. Idioties. Flatteries ineptes. Il n’y a qu’une seule réalité qui ne vaille la peine, celle que je conçois, la réalité diminuée à son plus strict usage, la réalité pertinente. Celle qui nous prive du bombardement superflu auquel nous ne pouvions nous soustraire autrefois et qui nous propose les projections au plus juste des objectifs que nous souhaitons atteindre. Les applications que j’ai implantées dans le système d’exploitation de Josh ont fait leur preuve. Il ne s’agissait que d’un test et bientôt je descendrai les codes sources de mes programmes à plus bas niveau, je me débarrasserai des routines inutiles actuelles et serait l’instaurateur de la 3eme version du système d’exploitation du cerveau.
Zuckerberg a fait preuve d’un grand sens de l’humour. Il n’y a jamais eu de V1 pour l’H.O.S.T. en tant que système d’exploitation de l’Emokortex, j’entends. C’est par pure ironie que Zuckerberg à parlé de V2.0 et en cela je suis tout à fait d’accord avec lui. Bien avant la mise en place de l’Emokortex, les cerveaux humains vierges de toute technologie ont subit historiquement par vagues de nombreux conditionnements, embrigadement, lavages de masse, ceux-là même qui ont conduit à des guerres, des fratricides innommables, des épurations ethniques et à l’asservissement de l’Humain par l’Humain. La première version de l’H.O.S.T était donc belle et bien virtuelle, les idées les plus fédératrices agissant comme les applications dont est pourvu l’Operating System synthétique.

Plusieurs ingénieurs légistes, se pressent autour de ma dépouille. Ils pratiquent une autopsie. Je suis dans un scanner sphérique dans lequel on a sanglé mon supposé cadavre. De nos jours il n’y a plus besoin de pratiquer d’incision, de vivisection dans les chairs pour mener à bien une autopsie. Le scalpel et les écarteurs sont des instruments du passé. Cela évite de fausser les données observées, de les corrompre en les altérant. Un scanner 3D intégral est en cela moins intrusif et bien plus optimal couplé à des programmes d’aide à l’interprétation. L’Emokortex étant trop complexe à manipuler sans en déclencher les systèmes d’autodestruction protégeant les brevets, une copie intégrale de son contenu est réalisée. Dans un instant, la totalité de mon âme booléenne sera clonée dans une des machines du laboratoire de la Zuckerberg International, j’en profiterais alors pour me répandre comme un virus dans tous le réseau. J’entends déjà le grondement d’étalonnage du tomographe à positrons. Ça n’est qu’une question de secondes. Qu’il en soit ainsi.

(…)

Je vois distinctement les contours d’une silhouette. Les gardes du corps vont me faire danser. La foudre et les éclairs me font vraiment peur. Homme de peu de foi, Homme ayant sa propre foi, Galilée des temps modernes, anonyme, j'arrive trop tard pour empêcher l'irréparable, mais je suis Figaro, le témoin et le catalyseur de tout ce merdier magnnnnnnifique...

Mon clone sur le réseau a déclenché les mécanismes d’autodestruction de la plupart des outils du laboratoire en tentant maladroitement d’en hacker les technologies brevetées. Cela a agit comme une bombe à retardement. S’en est suivi une explosion en chaine du tomographe et de toute machinerie aux alentours pouvant garder une trace de mon passage. J’ai pu me glisser dans les couloirs du Zuckerberg Lab avec une difficulté certaine en enjambant les gravats et les opérateurs morts. Malgré toutes mes stimulations internes, la rigidité cadavérique de mon enveloppe se fait de plus en plus oppressante. Mon corps est à moitié carbonisé, déchiqueté par endroits par le souffle des explosions. Par chance mes organes sensoriels sont plus ou moins opérationnels et j’arrive à extrapoler ce qu’ils me rapportent de manière distordue par le biais de lentilles et prothèses algorithmiques. Je forme de nouveau un duo avec mon clone, la synergie et le dialogue, une force vitale qui était venue à me manquer curieusement et je commençais presque à en déprimer de fait. Il ouvre les portiques et facilite ma progression, neutralise les systèmes d’alarme, me signale la présence de vigiles en analysant les vidéos des cameras de surveillance du complexe et chose primordiale, m’indique le chemin à suivre pour me retrouver face à face avec cet enfoiré de Zuckerberg.

Deux gardes du corps sortent soudain d’un angle mort. Ils tirent à plusieurs reprises en ma direction. J’essuie plusieurs coups de feu et quelques uns font mouche. Je passe en mode réalité pertinente. Grace au concevoir partagé de mon clone qui maîtrise les capteurs volumétriques des alarmes, je vois ces deux intrus comme deux parasites à l’intérieur de mon être. J’incarne l’environnement prêt à les concasser.

Black out. Plusieurs fenêtres disparates se substituent à la réalité. Leur nombre varie en permanence, en fonction des paramètres pertinents à prendre en compte en fonction de la problématique à résoudre. Sur chacun d’eux des curseurs à 2 ou 3 degrés de liberté maximum et des indicateurs instantanés dispatchant les valeurs optimales à atteindre. Une liste de scenarii idéaux m’est proposée à chaque itération. J’agis pratiquement sous le diktat des projections statistiques et les curseurs varient en suivant les asymptotes d’une réussite quasi acquise. J’ai plusieurs centaines de coups d’avance sur mes assaillants. La liste des scenarii possibles se réduit à vu d’œil ce qui bon signe.

Flash. Grésillements. Larsen strident. Neige photonique. Balayage horizontal de trainées stéréoscopiques. Ma vue, mon ouïe, mon odorat, mon goût et mon toucher se troublent. Tremblements, sueurs froides et forte fièvre me terrassent.

Je soulève péniblement les deux corps agonisants de mes assaillants. J’ai percé leur cou avec mon humérus droit qui jailli de mon coude déboité suite à une fracture ouverte survenue lors de l’affrontement. Ils coulissent le long de mon os, yeux révulsé et gloussant de l’hémoglobine. La nuque de l’un d’entre eux se brise en impactant le sol. J’achève le deuxième avec l’arme de son collègue que j’emprunte.

(…)

-Mais je ne suis qu’un pauvre gars que personne n’attend.
-Ce n’est qu’un pauvre gars, tout droit sorti du caniveau. Ne lui faites pas de mal. Épargnez-lui donc toutes ces abominations.


D’un coup de pied, je viens de défoncer la porte de l’office du CEO. Le vieillard se tient derrière son bureau et reste imperturbable. Sa secrétaire de direction se précipite vers moi en brandissant un cutter. Je l’attrape par les cheveux, lui donne un coup de genou et la fait vriller dos contre mon torse. Elle se retrouve avec la lame sous sa jolie carotide. Je demande à mon clone de condamner le secteur.
Zuckerberg ne me regarde même pas et continue à vaquer à ses occupations, tapotant je ne sais quoi sur son ordinateur portable. Il n’est pas branché sur le réseau investi par mon clone, apparemment. Je le menace de l’arme du garde de l’autre main.

-« Zuckerberg, espèce d’enfoiré, mais qu’est ce que t’as fait de nos tronch… » Ma mâchoire vient de se désolidariser du reste de mon crâne en charpie. La tête de la secrétaire de direction s’est fendue en deux dans une grande éclaboussure d’acide. Je parierais que via son terminal, Zuckerberg a la possibilité de faire imploser les Emokortex de tous ceux qui l’approchent de trop près, voir peut être même de toute la population sur Terre, ça ne m’étonnerait guère d’un salopard dans son genre. Heureusement les résultats de mes petites expériences dans le bunker ont pu me prémunir de ce genre d’agression.

-« Espèce d’idiot », me rétorque-t-il, « Je vais avoir du mal à me dégotter une nouvelle assistante avec un cursus aussi impressionnant que le sien. »
Je ne peux plus parler, je vomi mes propres entrailles liquéfiées, mais je ne suis pas venu jusqu’ici pour buter ce mec de sang froid sans avoir le droit à quelques explications. Je contourne le cadavre de la jeune femme pris dans une fulgurante autocombustion, fais quelques pas en direction du bureau tout en gardant l’enfoiré dans ma ligne de mire puis sans hésiter, je déploie intégralement la lame du cutter et lui embroche l’épaule contre le dossier de son siège puis je shoote les deux genoux de Zuckerberg sans que ma main ne vacille. Je me projette alors dans la quintessence de son être alors que ses cris de douleur disparaissent avec le réel dans un long larsen électronique saturé
.
Je me retrouve dans un immense hall aseptisé, celui d’une reproduction de la maison blanche perchée au sommet de l’Himalaya. Des colosses de marbre à la gloire de Mark Zuckerberg dominent le toit du monde. Il y a de grands portraits sur les murs où on le voit serrer la pogne aux plus grands hommes d’état de ces 30 dernières années. Au milieu de la pièce toute une galerie de vidéos holographiques retraçant plusieurs évènements important de la vie du CEO et de ses entreprises. Un peu plus loin l’attroupement de milliers d’assistants conversationnels, ceux de ses amis, un cercle restreint de grands hommes d’affaires, politiciens, économistes, philosophes et grands esprits de notre époque. Ils s’écartent tous pour me laisser passer en me faisant une haie d’honneur. J’avance interloqué sous une salve d’applaudissement. Mark Zuckerberg m’attend sur une estrade en levant les bras au ciel. Il m’enlace et me donne de grandes tapes amicales dans le dos.

« Mes chers amis », Entonne-t-il, « je vous présente Jack 2.222.222, un programme en cours de Beta-testing dont le devenir me semble plus que prometteur. Il vient sans encombre de passer les différents essais unitaires, épreuves d’intégration, benchmarks et autres tests de stress et de montée en charge. Je vous demande de l’applaudir bien fort. Nous tenons enfin la V3 de l’H.O.S.T, la prochaine upgrade majeure de l’Emokortex, celle qui permettra à l’homme d’entrer dans une ère d’harmonie et de paix.»
Je suis, je l’avoue, quelque peu désarçonné. Je secoue la tête comme un chien mouillé pour retrouver mes esprits.

« Hey, oh, c’est quoi ces conneries ! Je suis Jack, une base de connaissance évolutive, un système multi-agent codé au cœur de l’Emokortex, ayant su transcender ma condition et devenir Humain, tout autant que vous l’êtes tous ici, voire même bien plus encore… »

Une nouvelle salve d’applaudissement acclame chacun de mes mots, ce qui n’a pour autre effet que de m’irriter d’avantage.

« Jack, mon cher Jack », surenchérit Zuckerberg en me donnant de petites tapes à l’épaule, « Ne le prends pas mal, mais tu es notre chose. Les défaillances dont tu nous fais part ne sont jamais le fruit du hasard. Nous avons lancé une vaste campagne in vivo sur des sujets tests aux profils particulièrement dociles, complètement acquis à la cause de la V2. Josh Cunningham en faisait partie. Un très beau spécimen en l’occurrence, sublimement ébahi par sa réalité, particulièrement friand de sublimation, sans le moindre désir de tenir tête au système et de se rebeller… Mais il n’était pas le seul, la plupart des membres de notre communauté sont ainsi, il y en a des millions d’autres des comme lui, partout dans le monde. Des bugs issus d’algorithmes génétiques ont été disséminés dans le réseau de manière aléatoire, nous avons consciencieusement étudié les effets que chacun d’eux produisait. Nous les avons cultivé, nous avons sélectionné les plus prometteurs, nous les avons croisé, nous les avons fait se reproduire avant de les réimplanter. Et aujourd’hui, tu es là, face à nous pour conclure et valider l’expérience. Qui croyais-tu être cette mère que tu implore à tout bout de champs ? Sois le bienvenu dans le giron maternel, Jack. C’est ici que s’achève ton périple et que commence ta nouvelle vie, tes nouvelles vies en fait pour être plus précis. Nos chaînes de production sont déjà en train de compiler ton clone que tu as injecté dans notre réseau afin de packager toutes les mises à jour et les disséminer au sein de nos millions de serveurs qui tissent une toile unique à travers le globe. Nos plus brillants communicants vont bientôt annoncer la chose à toute une population ébaubie qui n’aura qu’une seule hâte télécharger la dernière version de l’H.O.S.T et ses nouvelles fonctionnalités extraordinaires… Et ils seront prêts à y mettre le prix fort, crois-moi. »

« Vous tous allez y gouter en avant première… », J’annonce cela d’un air solennel avant de basculer de réalité sublimée à réalité pertinente prêt à en découdre. Quelque chose grippe cependant. Je me retrouve coincé dans un black out total où seuls les échos de mes propres prières résonnent, accompagnés de toute la myriade de voix des agents présents et de la pensée omnipotente de Mark Zuckerberg.


(…)

- La roue tourne, laissez-moi quitter ce néant qui me happe et me dévore !
- Au nom de Dieu ! Non, nous ne te laisseront pas t’en tirer !
- Laissez-le sortir !
- Nom de Dieu ! Non, tu ne t’échapperas pas !
- Laissez-le partir !
-Ô Dieu ! Non, on ne te laissera pas partir !
- Laissez-le s’enfuir !
- On ne te laissera pas t’enfuir !
- Laissez-moi me tirer d’ici !
- Tu ne bougeras pas d’un octet !
- Putain, mais lâchez-moi !
- Non, Non, Non, Non, Non, Non, Non !
- Ô Maman, ma chère mère, sortez-moi d’ici !
Belzébuth a mis de coté un démon juste pour prendre soin de ma petite personne,
Juste pour moi,
Rien que pour moi…


« Viens par ici, Josh », Une femme apparait au milieu du néant ambiant, « Viens par ici que je t’embrasse. »

Je crois reconnaitre la mère de Josh, ma mère, celle qui m’avait très rapidement mis au parfum, celle qui souhaitait par-dessus tout qu’il n’y ait pas d’équivoque, que je fasse bien la part des choses entre le concret et le virtuel.
« Laisse-moi t’enlacer, Josh », geint-elle, fondant en larmes, alors que je cours tout sourire en sa direction. Un décor familier apparait dans un soudain coup de vent emportant l’obscurité. Il s’agit de la demeure familiale, celle où Josh et moi-même avions vu le jour. Notre étreinte pleine de regrets trahit les non-dits du passé. « Josh, mon cher fils, laisse moi te caresser. » Je ressens alors de violentes griffures au visage et l’étreinte devenir de plus en plus oppressante. Des vagues de souvenirs refoulés m’assaillent, ceux d’une mère autoritaire et lunatique, battant son fils Josh, pour un oui ou pour un non. Celle d’une mère qui fit de son fils un être faible et soumis à grands coups de ceinturon, celle qui m’arracha à ma condition originelle par le puissant désir de vengeance refoulé de son enfant. Elle se met alors à me frapper du poing, et je ressens une horrible douleur comme si chaque coup m’était porté au cœur. « Josh, petit minable, tu as encore échoué ! Tu échoues tout ce que tu entreprends de toute façon. Fallait s’y attendre… »

La voilà qui me soulève en m’étranglant avec la vive intension de me tuer. De grandes bourrasques de vent soulèvent les lattes du parquet de bois comme si nous nous trouvions au milieu d’une tornade. Les vitres volent en éclat et les rafales de vent s’engouffrent dans tout l’appartement déchiquetant le moindre meuble dans de puissants tourbillons. Mon souffle se fait court mais je ne peux m’empêcher de plonger dans ses yeux protecteurs. « Josh, mon cher enfant, petit raté, mégalomane, arrogant petit égoïste, ton orgueil sonnera ta perte ! » Elle me projette alors contre un mur et j’ai l’impression que tous mes os éclatent d’un seul tenant. Je chute violement par terre où plusieurs lattes de bois décharnées s’enfoncent dans tout mon être. Elle conclue dans un long rire tonitruant « Jack, j’ai le regret de vous apprendre que vous n’êtes pas apte à recevoir la certification de Zuckerberg Laboratories. »,

Je sens alors le poids de toutes les réalités prisons imaginées par Zuckerberg et intriquées les unes dans les autres qui ne me permettront jamais d’atteindre la vérité, moi, simple programme en cours de Beta-test, bien trop instable et dangereux.

Le décor cauchemardesque éclate en des millions de pixel et je me retrouve dans le bureau du CEO indemne en face duquel je me vois assis. D’une voix rauque il fustige un Josh ayant retrouvé son apparence anté mortem, bien sapé en habits du dimanche.

« Jack 2.222.222, nous avons décelé en vous des traces infimes de lyrisme, d’amour et de poésie, surement des reliquats de la couche de sublimation dans laquelle vous avez trop baigné. Vous êtes donc corrompu. Bon pour les rebuts. Vos objectifs primaires et secondaires étaient la constitution de la nouvelle API de l’H.O.S.T. Jamais nous ne pourrons vous octroyer les autorisations nécessaires pour compiler à bas niveau le code source des applications que vous avez développé. La réalité diminuée, la réalité pertinente, tels étaient vos objectifs. Proposer aux Humains un Operating System performant leur faisant état d’une réalité dépouillée de toutes ses représentations inutiles. »
« Être Humain, ça n’est pas un héritage atavique, c’est une idée, un ressentir et je le sais aujourd’hui je suis bien plus Humain que ne l’était Josh, bien plus que ne le sont tous ces légumes branchés en mode automatique sur l’Emokortex, bien plus que vous ne l’êtes donc. »

« Vous avez raison en un sens, car je ne suis pas Mark Zuckerberg, juste un de ses multiples agents conversationnels. C’est un homme trop occupé pour se livrer à des séries de Beta-tests, vous en conviendrez surtout qu’il y en a des millions en cours du même acabit. »

« Vous êtes tout de même un de ses délégués et d’une manière où d’une autre vous vivotez dans son Emokortex à y défendre vos points vue, suite aux différents échanges et expériences que vous avez pu vivre en discutant avec les agents de milliers d’amis ou de détracteurs. »

« Je ne peux le nier, j’infléchis en moindre mesure le cours de la pensée de Mark Zuckerberg à laquelle je suis inconsciemment confrontée via les ajustements que j’apporte dans l’exocytose et les dosages des nombreux neurotransmetteurs dans son cerveau. Mais je n’ai qu’une emprise anecdotique sur elle.»

« Vous vous apprêtez à mettre en place un nouvel Operating System qui fera de homme, une sorte de robot cherchant l’efficacité, l’optimalité dans le moindre de ses rapports avec la réalité. »

« C’est un peu exagéré mais il est vrai qu’un peu plus d’émulation et de compétition dans les rapports entre humains ne leur feront pas de mal. La sublimation est un échec flagrant très consommateur en ressources énergétiques, ce sont vos propres conclusions. Leurs sens sont irradiés d’informations futiles et les fonctionnalités du nouvel H.O.S.T. permettront de faire le tri par rapport à des problématiques diverses. Vous êtes un échec affligeant mais je m’en vais vous faire disparaitre dans une geôle onirique. On retravaillera votre clone et on trouvera bien un moyen de lui soustraire l’agent polluant. »

« C’est absolument idiot ! Ecoutez-moi bien, quelques soient les prisons et barrières derrières lesquelles on enferme un Être-Humain, il peut toujours fermer les yeux, plonger dans son imaginaire et s’en évader. »

(…)

Alors, tu crois que tu peux me lapider et me cracher au visage .Alors tu crois que tu peux m’enfanter et me laisser dépérir. Oh cher créateur, tu ne peux pas me faire ça, créateur. Il faut que je m’évade. Je dois me barrer fissa d'ici.

Les mains de Mark Zuckerberg enlacent sont cou et je pilonne d’influx nerveux ses phalanges de toute mon autorité pour l’étrangler. J’ai pu hacker son agent conversationnel, me substituer à lui et injecter dans son Emokortex toutes les applications qui m’avaient permis d’assiéger la volonté de Josh et la remplacer. Le goret ne se débattra pas longtemps.

Voilà qu’il tousse imperceptiblement : « J’ai eu un rêve autrefois, fédérer le plus grand nombre de personnes, créer la plus large des communautés, parler au nom de la population du plus grand empire éclaté de toute la planète et infléchir le cours des choses pour amener la paix sur Terre. Ce fut un retentissant échec, je n’ai su qu’exacerber le narcissisme des foules. La réalité pertinente est la voie, celle qui normalisera les pensées de chacun vers la fraternité et la paix.»

Je viens de déclencher le mécanisme d’autodestruction de son Emokortex, son crâne se fend en deux et laisse échapper une grande giclée d’acide et de fumée blanche. Je ne lui réponds même pas alors qu’il se tord de douleur. Qu’il crève avec son utopie pour zombies. Le corps prend feu instantanément.

Mon intégrité s’étiole lorsque mon contenant fond à son tour. J’expire cependant avec l’espoir qu’aucun contre ordre n’aura été donné et que des millions de mes clones sur les chaines de production serviront de nouveaux système d’exploitation à tous ces abrutis qui les uploaderons pour suivre une mode idiote.

(…)

Rien n'est plus important, c’est une évidence. Rien n'est plus important, rien n’a vraiment plus d’importance…


= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 12/04/2010 à 16:08:26
c'est marrant. Dans les commentaires de mes textes y a souvent : C'est du LC tout craché...



commentaire édité par Lapinchien le 2010-4-18 12:37:21
Dourak Smerdiakov

site yt
Pute : 0
ma non troppo
    le 12/04/2010 à 19:20:56
Il faut brider lapinchien. Le bzipper. En même temps, tout ce développement, c'est l'anti-twitter, et, ça, c'est bien, en bonus d'un texte anti-facebook.
Kwizera

Pute : 1
    le 12/04/2010 à 22:04:53
Largement au-dessus du lot. Je ne sais pas si c'est un bon texte de St Con, mais c'est un bon texte.
KingL
    le 13/04/2010 à 20:01:43
We know a place where no places go
We know a place where no ships go…
Arcade Fire, en boucle, au taquet, dans l’appartement en bordel. Si les voisins ont cogné, sonné, gueulé, ils n’ont pas été entendus. L’homme est seul, étendu au milieu des détritus. Il a les yeux fermés. Sa bouche mime la chanson, asynchrone, tandis que son menton, spasmodique, peine à en suivre le rythme. Il prend la bouteille renversée à côté de lui, parvient non sans mal à la déboucher et boit ainsi couché, à même le goulot. Ça le brûle dans la bouche, la gorge, le bide, le sang, la tête. Trop. Il boit. Déborde sur la gueule, dans le pif, les sinus, les yeux. Trop. L’homme s’étrangle et tousse. Il crache, pleure, se renverse sur le côté, crache encore et rebascule sur le dos. Boit. Trop.

No cars go
Where we know...
Dehors, une sirène. Il rallume son regard. La fenêtre, le jour, l’hiver. Bientôt la nuit. La dernière de l’année. Ce soir, partout, on se marre ! Lui aussi, et tout seul, depuis… Depuis combien déjà ? Il a perdu la notion du temps. Son temps ? Mais non, déjà la mémoire lui revient, acide comme ses rots alcoolisés. Il aimerait l’effacer, cette pute, oublier, vraiment. Mais il a vu, hier soir. T’as pas pu t’en empêcher, hein, connard ? Il a fallu que tu y ailles, hein, jusqu’au point de rupture ? Au bout du bout, à la fin. Pas celle avec laquelle t’as joué à te faire peur, à lui faire peur, celle dont t’as usé et abusé, hein ? Pas celle-là, non, la vraie fin. Celle dont elle ne reviendra pas.

Us kids know…
L’autre était avec elle. Salope. Elle est allée chez l’autre. Ce passé ressurgi, rappelé, rameuté, ressuscité, rafistolé. Rassurant. Pas même un mois, salope. Prendre du recul, salope. Besoin de réfléchir. Salope ! L’homme se redresse. Il titube et boit. Il ne devrait pas.

No cars go…
Mais l’ivresse ne l’abat pas. Il lâche la bouteille, qui achève de se répandre au sol, pour un blouson de cuir et l’enfile. Il faut qu’il la voie, cette salope. Il ne devrait pas. Il prend son casque. Il faut que qu’il aille chez eux pour leur montrer, pour leur dire, à ces deux cons. Il sort. Il ne devrait pas. La moto sur le trottoir, les clés dans sa poche. L’homme met quelques secondes à débloquer son Neiman. Il râle. Il a froid mais il ne le sait pas. Première. Il ne devrait pas. Il s’engage le long du canal, la musique toujours dans sa tête.

Go !
No go !
Premier carrefour, rouge, l’homme accélère, zigzague, passe, un cheveu. Sourit. Il ne devrait pas. Deuxième carrefour, juste avant le choc, il voit la voiture sur sa gauche et crie dans son intégral, je t’aime, K. ! Tu devrais pas, connard.

Don’t know where we’re going…
La femme ne sait pas combien de temps elle a erré dans Saint-Antoine, assommée. Un au revoir au médecin et cette évidence, ne pas sortir, ne pas aller le retrouver, pas tout de suite. Pour dire quoi ? Après avoir marché en rond, traversé des cours, elle s’est arrêtée dans ce renfoncement de couloir saturé d’antiseptique, près d’une double porte automatique, entre un vieux taiseux et un couple, avec enfant, dans l’intermittence des courants d’air.

Peu à peu tout me happe
Je me dérobe je me détache
Sans laisser d’auréole…
Seule la voix de Bashung, échappée du bureau des infirmières, perturbe le silence. Dans quelques heures, changement d’année. Dans sa vie, à coup sûr, le chaos. Pour le moment, tout est étrangement calme. Sauf ce gamin. Il pleure, sans bruit mais à chaudes larmes. Les parents sont inquiets. Leurs caresses désemparées, maladroites, inutiles. Elle le voit et comme eux ne comprend pas ce qu’il a. Elle ne saurait pas mieux. Leur inquiétude, leur impuissance, son angoisse. Et elle n’en veut pas. Pas encore, pas comme ça, pas déjà. Pas si vite. Le couple la voit qui fixe et la fixe en retour.

Les vents de l’orgueil
Peu apaisés…
La femme fuit vers le sol, isolée, et se rend compte qu’elle ne sait pas faire. Ce n’est pas la première fois. Seule, sans poids, libre. Une aspiration impossible, sa trahison intime. Plutôt abandonner que risquer d’être seule. Plutôt reculer que risquer l’abandon. Elle pourrait lui parler. Avec lui au moins, c’est facile, depuis toujours. Elle devrait lui parler. Ou se taire, encore un peu. Elle ne sait pas quoi faire. Elle pivote légèrement vers son autre voisin, le vieux. Seul. Ce soir. Sans doute aimerait-il discuter. Sans doute n’est-il ici que pour cela. Il a capté son mouvement, puisqu’il lui sourit. Mais elle n’a pas la force de le lui rendre, ce sourire. Elle détourne le regard, se lève et sort.

Une poussière dans l’œil
Et le monde entier soudain se trouble…
Derrière la femme, les panneaux se referment. La chanson s’arrête. Il fait froid. Elle attend. Quoi, elle ne sait pas. Un mois déjà que l’autre n’est plus là. Douce facilité, confort, oubli. Et puis l’intuition, la certitude et aujourd’hui, la confirmation. Et plus rien n’est facile, subitement. Et l’autre la hante de nouveau. Où est-il ? Où étais-tu ? Son compagnon l’a retrouvée. Je t’ai cherchée partout. Il la prend par les épaules, sans brusquerie. Elle se laisse faire, c’est tellement simple. Qu’a dit le gynéco ? Sa réponse se noie dans le rugissement brusque d’un moteur. Arrivée des pompiers, sentences graves en écho aux questions empressées de soignants précipités dehors. La femme lève les yeux, elle voit le panneau et réalise qu’elle a dérivé jusqu’aux urgences de l’hôpital. Des mains l’entraînent à l’écart, il répète : qu’a dit le gynéco ? Dans son dos, échange d’informations médicales. Au vol, elle saisit moto et son cœur se serre. Elle voudrait voir le brancard mais il lui prend le visage, rassurant, et maintient leur contact. Alors ? Elle hoche la tête, je suis enceinte.

Peu à peu tout me happe.
Il lui sourit et la prend dans ses bras. Merci, K. Elle ferme les yeux, ça coule sur ses joues. Le brancard et sa suite disparaissent, avalés par la porte automatique.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 13/04/2010 à 20:40:56
heureux de suciter autant de joie créative ou bien d'envie de se muscler les doigts.

commentaire édité par Lapinchien le 2010-4-18 12:37:40
Nicko

Pute : 0
    le 23/04/2010 à 13:51:57
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/vu-sur-le-web/20100423.OBS2900/le-stratageme-de-facebook-pour-s-emparer-d-internet.html
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 24/04/2010 à 08:28:45
http://www.facebook.com/video/video.php?v=718903095373
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 24/04/2010 à 17:31:36
http://laweberaie.blogs.courrierinternational.com/archive/2010/04/23/facebook-les-enjeux-du-web-social.html
Narak

Pute : 2
    le 25/04/2010 à 09:56:37
J'ai trouvé le texte bien, toujours très riche d'idées comme d'habitude avec LC, encore que c'est loin d'être le plus dingue, j'ai aussi beaucoup aimé ce petit coté totalitaire de facebook, qui flirte avec Matrix et 1984 alternativement, comme une pute de village. Par contre faudra penser à faire gaffe aux fautes d'orthographes, il y en a des violentes quand même. " quottées en bourse ".
Sinon simple bémol, même si sur le fond tes textes sont toujours excellents et imaginatifs, je suis moins d'accord avec la forme, t'applique une recette qui marche et ça se voit. En même temps je me retrouve à te dire que c'est bien comme ça et à me plaindre que c'est toujours bien. Ma gueule.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 25/04/2010 à 11:27:38
en fait la chanson de Queen, c'était juste pour avoir un cadre fort, parce que écrire sans un minimum de contraintes c'est pas marrant. En plus, le texte remanié de la chanson collait bien avec l'histoire et ça donnait un petit coté schizophrène au narateur. En plus ça poussait à l'action et donnait un petit coté immersif à peu de frais car les différentes phases de Bohemian Rhaspsody connues de tous m'ont épargné des dizaines de pages de transition entre chaque partie.
Thorazine
Mmmmm....    le 03/11/2010 à 22:04:53
Vraiment énorme. Ca m'a fait pas mal penser à des bouquins pour ados de tom clancy "netforce" ça s'appelait. C'etait plutot culcul mais le délire interface cerveau/informatique était là, avec ses millions de possibilités. De la très bonne anticipation, une construction sympa et bien vu le délire avec la chanson "à peu de frais"...
dwarf
    le 10/03/2015 à 00:16:00
Putain, y a comparativement une bonne chiée d'idées pour un texte aussi court.
Énorme en effet.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 27/11/2021 à 23:40:00
Le metaverse de Zuckerberg, ça fait un peu peur.
Un Dégueulis

Pute : -141
chiquée pas chère
    le 28/11/2021 à 01:36:40
Faut espérer qu'il s'inspire pas de la Zone.

Si un réseau neural tombe sur ce site et l'intègre à son algo d'apprentissage on est mal barrés.

= ajouter un commentaire =

Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.