C'était bien René et ses doigts boudinés, à la cime desquels d'épais ongles noirs de crasse accumulée s'élevaient fièrement, comme promettant de pénétrer un jour l'anus divin.
Usés par le travail des champs et les coups portés à sa femme, ils formaient par quintette de courtes et épaisses mains, érodées par sa fausse vie à la manière d'une statue centenaire. La nudité du reste de ses membres supérieurs encore poisseux, recouverts d'une sauce supra-épidermique formée de sueur, de poussière et de poils d'animaux divers, parfois entremêlés et cimentés avec la pilosité anarchique locale, permettait d'observer une musculature naturellement puissante, contributoire de la forme torturée que prenaient les deux troncs lui servant de bras.
L'ensemble du thorax était recouvert d'un marcel jauni dont le tragique logo rouge vif "fête de la bière" se mêlait à la couleur du sang séché qui avait coulé jusqu'à la moitié du sternum, recouvrant partiellement une représentation maladroite de chope de bière. La flore s'échappant de ses aisselles pointait aux alentours en un plexus sinueux, garni de perles de sueur parfois assaisonnées de terre coagulée.
Plus bas coulait ce pantalon miteux qu'il portait depuis toujours, rapiécé çà et là avec plusieurs morceaux de tissus invariablement laids grâce aux mains malhabiles de sa femme microcéphale. Trop courte d'une bonne vingtaine de centimètres, la mosaïque était rattachée au niveau du nombril, point culminant du relief sphérique dessiné par son ventre graisseux, à l'aide d'une ficelle bleue, du genre de celles utilisées pour maintenir les bottes de foin.
Ses cheveux commençaient à me glisser des mains. J'avais eu du mal à trouver une touffe à peu près préhensible, les brindilles enduites d'huile s'échappant de son crâne se fuyaient les unes des autres quand elles n'étaient pas plaquées à la peau par des mois de sécrétions sudoripares. Il y avait du sang aussi. J'avais défoncé l'os occipital avec le manche de ma fourche, alors qu'il chantonnait gaiement le refrain d'un chanson paillarde nauséabonde. Le craquement sourd et libérateur du choc avait sonné le glas de l'ignominie, la fin de l'élément perturbateur, le retour au calme et à l'harmonie sonore naturelle d'un paysage soulagé. Ensuite, il a fallu prélever la tête avec le couteau de chasse qu'il avait apporté. La coupure n'était pas très nette et l'opération fût compliquée, un rachis cervical c'est pas si simple à sectionner.
Mais j'avais pas le choix. C'était mon arme à moi contre Atlas. OUAIS! Comme la tête à Méduse sauf que moi, c'est la tête à un sale péquenot de merde. CHACUN SON TRUC POUR COMBATTRE LE CIEL. Moi je suis un poète et je l'ai toujours été. ALORS LA GUERRE AUX P2ONS JE VIENS DE D2CLARER. VOUS M'ENTENDEZ TOUS, MOI, NESTOR GILBIAS, JE VAIS SEMER LA CULTURE, LE LYRISME ET LA BEAUT2 MYSTIQUE DANS CES VERTES CONTR2ES, PLEINES DE GROS P2D2RASTES VULGAIRES ET MALS2ANTS. LES DIEUX APPROUVENT MON D2SIR. Mon objectif est pur, ma voix est claire. La Terre qui est ma mère m'encourage à planter en son sein les germes de la PUISSANCE DU SAVOIR. Mais je l'entends qui chuchote :
Nestor, il va falloir faucher pour planter. IL VA FALLOIR FAUCHER POUR PLANTER. APRES LA JACH7RE, IL Y AURA DE LA PLACE. GARDE LES FEMMES ET R2PANDS TON FIEL, QUE TA DESCENDANCE D'2LITE RECOUVRE NOS CAMPAGNES COMME UNE CASCADE RAFRAÏCHISSANTE SOUS LAQUELLE SE NOIENT EN GESTICULANT LA STUPIDIT2, LA MEDIOCRIT2 ET L'INFAMIE, pendant qu'aux alentours, fraîches et pimpantes dans leurs tuniques de soie, LA GLOIRE, LA FORCE ET LA BEAUT2 DE L'ESPRIT SURD2VELOPP2 SE DANDINENT GAIEMENT DANS LES CHAMPS DE COLZA!
Enfin, je m'égare. Il faut que je retourne au village. Dans l'action. Dans le vif. Ouais, motivé. On a une guerre à mener mec. Va falloir frapper sec. Plus qu'à rebrousser chemin et arriver par l'entrée Nord de Skotoprigonievsk. Déterminé, mais l'air de rien. Voilà déjà le panneau. Marrant comme le nom du village va pas dans son panneau. Il va pas du tout dans son panneau. Quand j'aurais conquis le village je le changerai. Le panneau ou le nom. Ou les deux. Première maison, celle du Lucien et de la Suzette.
Salope de Suzette, toujours à l'affût du moindre signe de vie, à guetter les immondices qui se traînent sur la route. Je te vois ma vieille pute,
à travers les carreaux crasseux de ta baraque branlante. Et en plus t'es une sacrée salope Suzette, tu le sais ça. Tout le monde le sait ça. Tu montres ton cul aux autres vieux dans les repas communaux du 14 Juillet, et après tout le monde te défonce dans un coin champêtre. Même le maire. Même moi une fois. Je me rappelle, ça sentait la poudre, la pluie et la pisse séchée sur ta couche sénior. Tout était gris et vert, la lune me permettait juste d'apercevoir la cellulite houleuse de ton dos et les rebonds graisseux de tes fesses usées, moi qui te baisais lentement, remuant les feuilles alentours, tes mugissements couverts par le bombardement chaotique de la pluie tintant sur mon crâne.
Je l'ai fait pour la finesse intellectuelle ça, Suzette.
Je baisais d'un coup toute la non-vie du village qui m'avait toujours répugné. Tu n'as que ça à faire Suzette, m'observer. Tu te demandes pourquoi sur les habits y'a du sang, et pourquoi la tête de René est dans ma main droite. Tu préviens Lucien, qui sort à ma rencontre. Sale bête le Lucien. Pas bien beau.
Comme je suis quand même doté d'une intelligence supérieure, j'ai aucun mal à tirer profit de ma double position de médecin-vétérinaire dans le village.
Au départ c'était les bestioles mon truc. Mais en fait c'est presque la même chose, alors j'ai ouvert un double cabinet où faire mes besoins de haine.
Les bestioles crevaient les unes après les autres. Je leur disais, aux maîtres, que leurs vaches elles avaient des vers dans les yeux et puis qui sortaient par le cul, alors il fallait payer le Phoenectin et bien leur donner à ces saloperies. Ils avaient jamais envie, ils préféraient buter la vache ou attendre qu'elle crève toute seule, et la bouffer ou la vendre au boucher du village. Quand ils venaient me voir pour leur santé, ils me respectaient beaucoup. Docteur. Ils avaient compris que j'étais le mec censé augmenter leur espérance de vie. Le pouvoir de la mort à cause de celui sur la vie quoi. Ca m'excitait pas tant que je l'aurais cru, mais c'était bon quand même.
"-T'inquiètes pas Lulu, c'est le René l'a eu un accident, une bestiole bizarre qui lui a coupé la carafe. J'ai pris la tête pour voir c'que c'est la bête, d'après la coupure."
J'aime pas ta tête Lucien. C'est toujours la même gueule enfoncée sur elle-même. Comme si en-dessous du nez y'avait un trou qui attirait tous les éléments faciaux. Il avait été rachitique Lucien, et il a de l'ostéomalacie. Il a mal partout, et je lui ai jamais dit pourquoi. Il préfère entendre parler de rillettes que de vitamine D. Il me croit pas Lucien, ça se voit. Il reste là bizarrement à me regarder. Immobile. J'ai pas le choix, je brandis René en face de sa tête avec une exclamation terrifiante.
"POUR LA PO7SIE"
Au début il bronche pas, il bouge peut-être un sourcil, mais on voit rien tellement il a la face entropique. Et puis après il part rentrer chez lui en marchant aussi vite qui peut, tout en marmonnant des trucs étranges. Je fais pas attention parce qu'il faut que j'aille au cabinet vu qu'ils vont tous me tomber dessus dans pas longtemps. Une centaine de mètres à s’enfoncer dans la merde. Même pas besoin de lever les yeux, je sais déjà qu’ils m’observent tous derrière leurs rideaux en lambeaux. Tas de fantômes intellectuels puants. Tous fabriqués sur le même modèle. Enveloppe charnelle couturée de verrues qui sonne creux, fonctions vitales minimales, moelle spinale tordue, absence de cortex cérébral. Ouais, c’est René dans ma main. La moisson commence, bande d’enculés.
Bonne vieille odeur du cabinet. Avec celle du sang de René, ça fait un cocktail ambiance charcuterie assez stimulant. Les munitions. Deux bombes-seringues bien remplies de produit euthanasique pour bovin. Un bon vieux bison 2 dans une coque de pâte à modeler trouée de mini-seringues prêtes à l’injection. Un peu artisanal. Mais bon. Le cathétérisme c’est une pratique d’homosexuel.
Le traqueur de muse est sous le lavabo. Ma seconde main. L’arme principale. C’est l’humérus de Rosie, la plus belle vache qui ait jamais brouté dans les champs de Skotoprigonievsk. Elle avait été formidable. Elle chantait d’une voix pure lors des prises de températures, me clignait de l’œil secrètement quand j’allais faire des bilans de santé impliquant des tas d’intrusions agréables. Elle était pas comme les autres, Rosie. Elle avait pas l’air avachi comme ses camarades. On sentait qu’elle pétillait de lyrisme. C’était une vache poétesse. Une naïade. Mais c’était la vache de René. Et René allait la balancer à l’abattoir. Je lui ai dit que Rosie avait une grande maladie bizarre, et qu’il fallait pas la transformer en viandasse, sinon t’allais être mal René. Il m’a cru et je lui ai donné une mort comme on en donne aux grands poètes, dans mon jardin, à minuit, sous la lune. Rosie me regardait tendrement. On s’est observés comme ça un bon bout de temps, les yeux dans les yeux. Avant de puiser dans ses profondeurs les derniers vestiges de sa puissance créative, j’ai décapité Rosie, au son des grenouilles du ruisseau crépitant, en bordure de mon jardin. C’était romantique. Le traqueur est la dernière trace du combat que Rosie menait à mes côtés contre la puanteur inculte de notre environnement. Je l’ai gravé des noms de toutes nos plus grandes sources d’inspiration. Goethe, Plutarque, Miyamoto, Maupassant, Gogol, Werber. Amplifié par la puissance céleste de ces génies, nous ne ferons qu'une bouchée compacte des larves castratrices de poésie.
Pour Rosie, René est tombé. La guerre est déclarée, il est temps de renouveler le sang, faire jaillir la beauté et la grâce de nos vallées fertiles. Un coup d'oeil par la fenêtre me permet d'apercevoir la horde approcher lentement dans un chaos de cris et d'entrechoquements, de raclements ferrailleux, fourches clinquantes, masses grondantes enveloppées dans un nuage de poussière noire qui remonte la rue comme une colonie d'insectes contre nature. Les jambes écartées, fermement posées sur le seuil, j'attends la venue de la maladie à éradiquer, la main serrée sur le traqueur de muse, prêt à dégainer. La finesse cérébrale triomphera pour Rosie.
C'était une belle journée. Un peu de soleil mais pas trop. Des nuages comme il en faut, assez de vent pour rafraichir la peau sans trop remuer les éléments du décor.
Le murmure stable de la nature ambiante contribuait à donner à l'ensemble une impression d'équilibre parfait, sorte d'homéostasie rare qui n'est atteinte que pour disparaître.
Il y avait le bleu du ciel, le vert des arbres, le jaune du blé, et le rouge de René, décapité sur le chemin menant à la forêt, coloriant invariablement les divers cailloux éparpillés autour de son corps.
Le murmure stable de la nature ambiante contribuait à donner à l'ensemble une impression d'équilibre parfait, sorte d'homéostasie rare qui n'est atteinte que pour disparaître.
Il y avait le bleu du ciel, le vert des arbres, le jaune du blé, et le rouge de René, décapité sur le chemin menant à la forêt, coloriant invariablement les divers cailloux éparpillés autour de son corps.
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C'est franchement jouissif, j'adhère complètement. C'est même écrit avec classe, pour ne rien gâcher. Bien drôle et pas du tout vomitif, il faudrait presque une suite. Du tout bon ça.
Dommage qu'il n'y ait pas plus d'action, quand même, et dommage que l'auteur n'ai rien posté d'autre.
"Le cathétérisme c’est une pratique d’homosexuel."
Entre autres jolies perles jouissives, les envolées lyrico-zoophiles du plus bel effet, la description du redneck de base à la française : haaaaaaaaaa !
Je suis persuadé d'avoir déjà lu ce texte, mais il y a fort longtemps ou dans un état second. Je me souvenais quasiment plus de rien.
Du coup je l'ai relu et il est bien bon.
Ça gagnerait à être adapté au ciné par Rob Zombie.
très mignong, surtout la belle Rosie.
Superbe vocabulaire vétérino/médical d'usage approximatif, ça rajoute encore au charme champêtre, si sudoripare.
En fait c'est très étrange, le début m'a semblé pas trop mal foutu jusqu'à "la nudité (...) lui servant de bras" où ça commence à être balourd, étiré sur trois lignes sans rythme, qui parle quand même
du reste des (...) membres (...) supérieurs (...) recouverts d'une sauce (...) formée de sueur (et) de poils (...) (parfois entremêlés et/ou cimentés avec la pilosité)
(...) (qui, parce qu'il est nu, NDLADC) permettait d'observer une musculature (...) puissante (et) contributoire de la forme torturée que prenaient (ses) bras
...
Puis d'un coup, ça revient. En fait, tout le passage en capslock défonce. Le paragraphe suivant passe aussi bien dans la foulée. Il reste l'arrière-goût de la bouchée d'avant pour ne pas se rendre compte que la qualité de rédaction baisse.
En fait, dès que ça se veut violent c'est mauvais. Et sinon, ça peut être pas mal.
commentaire édité par Nicko le 2009-10-17 16:26:54
commentaire édité par Nicko le 2009-10-17 16:30:1