Bandini était maussade, en tailleur, à même le sol. Entouré de choses inutiles ou cassées ou les deux. Il avait marqué son territoire. Étrangers, vous n’êtes pas les bienvenus.
Bandini avait claqué une porte et pédalé jusqu’au parc. Les parcs l’apaisaient. Parfois. Pas cette fois. Il regardait les arbres et pensait « tronçonneuse ». Il regardait l’herbe et pensait « merdes de chiens ». Il regardait jouer les enfants et se sentait vieillir sur place. Il suivait des yeux les jolies femmes qui offraient leurs pas aux allées de gravier et leur prêtait à chacune une perversion originale. Celle-ci puait de la chatte. Celle là pétait au lit. Cette dernière avait mangé ses enfants, d’une manière ou d’une autre.
Une guêpe vint le déranger. Il voulu l’avaler mais n’y parvint pas. Il se demanda un moment à quoi cela aurait pu lui servir d’avaler une guêpe puis oublia.
Bandini était pieds nus. Il remarqua que ses ongles de pieds étaient longs et sales. Il pensa à toute cette merde dont il convenait de se gaver au cours d’une vie et combien, pour finir, c’etait inutile. Il pensa aux kilomètres d’ongles dont il s’était séparé, depuis le temps. Il envisagea des autoroutes de cheveux, des tapis roulant d’étrons, des litres de morve et de vomi. Il estima la prodigieuse quantité de crottes de nez dont il avait entreprit l’excavation depuis sa naissance. Le grand cycle de la vie lui donna la nausée.
Bandini déchirait une feuille morte puis il eut envie de fumer. Il roula une cigarette. Toujours cette forme grotesque. Ce surplus de tabac au milieu de son collage qui faisait ressembler ses mégots à des serpents repus.
Un enfant apprenait à faire du vélo. Bandini se souvint que son briquet était introuvable. Le père tenait la scelle d’une main et le col de son fils de l’autre. Il serrait fort. L’enfant voulait descendre, pleurait sans faire de bruit. « Qui m’a foutu un gosse aussi con ! » maudissait le père. Bandini l’entendait, sa clope éteinte pendouillant au bord des lèvres. Un pigeon le frôla. Les pieds de l’enfant quittèrent les pédales. Ses mains lâchèrent le guidon. Le vélo rouge et jaune termina sa course aux pieds de Bandini. On aurait dit un cheval mort, couché sur le flanc. L’enfant ne touchait plus terre, suspendu par le col, aux mains de son père, son père enragé. « Fils de pute. Qui m’a foutu un gosse aussi empoté ? ».
Bandini se leva.
Calmement.
Les feuilles mortes craquaient sous ses pas. Ses phalanges entre ses poings.
Les pas réguliers d’un homme au bien pauvre état d’esprit.
La gifle claqua aux oreilles de Bandini. La tête de l’enfant fit un tour. Il ne pleurait pas. Il regardait son père, la main de son père, puis son vélo, couché, puis le ciel. Bandini avançait. Il savait que l’enfant priait. Faites qu’il crève. S’il vous plait. Faites qu’il crève le plus vite possible. Le père hurlait, plein de santé et de vocabulaire. L’enfant n’entendait rien. Son oreille gauche sifflait et il se concentrait là-dessus. Ses yeux quittèrent le ciel, se plongèrent dans ceux du paternel. Ses pieds touchèrent le sol. Il respira à nouveau. Bandini était juste là, maintenant, sa main sur l’épaule de l’homme. Il dit « Z’auriez pas du feu ? ». L’homme lâcha l’enfant et sourit à Bandini. Dents blanches et urbanisme. « Mais certainement ».
Le gamin s’éloigna tandis que l’homme fouillait dans ses poches. Le môme aurait pu courir jusqu’à la sortie du parc, monter dans un bus, puis un autre, puis un autre, réserver une chambre d’hôtel, acheter une bouteille de whisky et appeler une pute, rester là quelques jours, peindre, se saouler et baiser. Mais l’enfant était prisonnier de ses six ans et il avança lentement vers son vélo en se tenant la joue. Il redressa sa monture et Bandini le regarda faire. « Voilà » fit l’homme en approchant une flamme. Bandini se pencha. On entendit crépiter le papier à cigarette.
Il pointa son menton vers l’enfant en tirant une longue bouffée.
- L’est pas doué vot’drôle…
L’homme s’alluma une cigarette à son tour. Ses mains tremblaient un peu.
- Il y arrivera ce petit fils de pute. Vous avez des enfants ?
- J’ai claqué la porte, répondit Bandini. Vous voulez que je vous le tienne un peu le temps que vous lui foutiez sur la gueule ?
L’homme refusa l’offre. L’enfant revint vers eux en se frottant les yeux du revers de la main. Une main sale d’enfant de six ans.
- Peut-être qu’il préfère le skateboard ? suggéra Bandini. Peut-être qu’il obtiendra le Nobel de mathématiques…
- J’en doute. Maladroit et con comme la lune, voilà ce qu’il est.
- Sans doute qu’il vous tuera alors, conclut Bandini. Z’ auriez pas une tronçonneuse ? Au fond de votre garage ? Une tronçonneuse, vous auriez pas ça qui traine ?
- Et pourquoi faire une tronçonneuse ?
- Toutes ces saloperies d’arbres, montra Bandini, je voudrais en abattre un. Au moins un. Vous avez déjà fait ça, vous ?
- Jamais, fit l’homme.
- Moi j’ai jamais frappé mes gosses. Pas une fois. Mes plantes bousillées dans le jardin, le feutre sur les murs, la grippe, les nuits blanches, les carnets de notes toujours plus minables, le shit qu’on trouve au fond d’un tiroir, la putain de guitare, les matchs de foot à la con, à des heures de bagnole, les parents de cette fille en cloque qui frappent un soir à la porte, les insultes, les fugues, et puis le silence. Pas une fois, je leur ai foutu une mandale. Je voudrais vraiment faire tomber un de ces arbres.
- Ca se pourrait que j’aie une tronçonneuse, conclut l’homme.
Cette nuit là, les voisins appelèrent la police à cause d’un taré et du boucan dans le parc. Quand ils débarquèrent, les agents découvrirent un magnifique chêne, couché sur un banc public. Tout au bout, à coté de la souche, ils trouvèrent Bandini, enivré par l’odeur de l’essence, fumant une cigarette mal roulée. Il souriait. Autour de lui, un tiers de sandwich au thon, un stylo en mille morceaux, du tabac, une bicyclette aux pneus crevés, un sac à dos éventré, des lunettes piétinées, quelques livres déchirés dont les pages s’éparpillaient ici ou là et un briquet, tout neuf.
Lorsque les agents l’interrogèrent, Bandini ouvrit la bouche et cracha une guêpe morte.
Puis il ferma les yeux et se laissa emmener.
Bandini se trouvait dans un bien pauvre état d’esprit. Il s’était assis au milieu d’un parc, avait dispersé autour de lui, sur l’herbe, sa bicyclette, un demi sandwich au thon, son sac à dos, ses lunettes, du papier, un stylo brisé en deux et un briquet, qu’il ne trouvait plus.
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Le début m'a clairement repoussé, par les multiples répétitions, certainement voulues mais maladroites et sans effet du nom "Bandini", lequel sied fort peu au personnage à mon goût. Bref, le début est un peu long, pas chiant mais frustrant. On attend le moment où le texte va décoller, et on finit par désespérer.
Puis, "Le môme aurait pu courir jusqu’à la sortie du parc, monter dans un bus, puis un autre, puis un autre, réserver une chambre d’hôtel, acheter une bouteille de whisky et appeler une pute, rester là quelques jours, peindre, se saouler et baiser. Mais l’enfant était prisonnier de ses six ans".
A partir de cette phrase, le texte bascule dans la pensée lâchée timidement, ou avec parcimonie, puis avec de plus en plus d'assurance. Même si ce n'est pas absolument génial, j'ai bien aimé cette montée en puissance jusqu'au final, dont on ne sait s'il est explosion ou calme plat. Bien entendu, c'est un peu court pour raconter vraiment quelque chose à travers un récit, et avec le début foireux, ça en fait quelques chose d'avorté. Dommage, mais lecture agréable.
Je suis très partial aussi, il y a un bûcheron.
commentaire édité par Das le 2009-9-28 14:51:8
Forcément, le nom Bandini me fait penser à John Fante s'il avait raté un virage à vélo. Du coup ça me donne un embryon de sens, entre le narrateur adulte qui a claqué la porte et le môme avec un père con comme une barrique et me fait venir à l'esprit ce petit déjêuner chez les Bandini/Fante avec la moustache du père pleine de jaune d'oeuf, avec un fil rouge étant le stylo brisé puis atomisé, mais je prends trop d'alcool, de neuroleptiques et je suis schizophrène. Il y manque un truc, la plume de Fante, ou ses couilles (ou les trois)
J'adore. je trouve déjà cette façon d'écrire très originale et agréable. C'est léger, ça s'arrête sur rien, toutes les idées se valent...
D'ordinaire je suis pas sensible à l'absurde et encore moins à l'humour qu'il peut contenir, mais là non seulement j'ai rigolé mais j'ai trouvé des passages vraiment beaux :
"Le môme aurait pu courir jusqu’à la sortie du parc, monter dans un bus, puis un autre, puis un autre, réserver une chambre d’hôtel, acheter une bouteille de whisky et appeler une pute, rester là quelques jours, peindre, se saouler et baiser. Mais l’enfant était prisonnier de ses six ans et il avança lentement vers son vélo en se tenant la joue."
Entre autres...
Oh putain, je vais dire une énormité, mais j'ai trouvé ce texte poétique. Voilà. C'est bô.
Ben, je suis assez d'accord, en fait, en un peu moins enthousiaste quand même. Les bons cotés n'occultent pas l'effet 'WTF', qui reste toujours désagréable, même si là c'est pas trop violent dans le genre. Les éléments bizarres sont amenés naturellement, ça m'a pas trop plié le cerveau, mais bon j'aime quand même pas trop qu'on me fasse chier la logique. Je suis un scientifique moi madame.
Et puis bon, il se passe rien quoi. Machin est dans un parc, Machin fume une clope, Machin cherche du feu. Oui, bon. Ca va que c'est pas trop long, quoi.
Bon, c'était pour nuancer les louanges de l'autre abruti, parce que sinon j'ai bien aimé quand même.
A mes yeux, le nom sied fort bien au personnage. Les répétitions du début siéent fort bien à l'atmosphère 'WTF'. La blague final-twistique sied abondamment à l'humour et ce texte à mon cul.
Merci.
Assez étrange et suffisamment intéressant pour que le lecteur se pose des questions. J'aime la description des différentes humeurs ( le coup de la guêpe est excellent aussi)Souvent pas mal écrit et rythmé (sauf urbanisme pour urbanité et deux trois détails sans grande importance).
Bref, sympa... mais je ne suis pas content, je m'attendais à une belle merde!
Itsanewday aime ça.
Itsafuckingnewday va au cinéma.
Sylvestre a envie de faire caca.
Assez plaisant somme toute.
"Urbanisme" je crois que c'est fait exprès, nan ? Où il est cet enculé de Trompette pour trancher le litige ?
Pour le reste, d'accord avec Das, très chouette passage, je le piquerais volontiers en l'état à cette tapette de Trompette si je ne le soupçonnais de l'avoir chouré lui-même par ailleurs, et je ne voudrais pas passer pour un vulgaire plagiaire.
Quant au passage en question, il est déposé dans son intégralité (brevet disponible aux archives municipales de Bitche, Moselle (57) sous référence 45XC89). S'en servir à mon insu vous exposerait à d'interminables poursuites judiciaires qui se solderaient par votre enterrement, vif, dans un square municipal de mon choix.
Par ailleurs, une explication, même bancale, du concept "WTF" serait la bienvenue. Jusqu'ici, mon cerveau pourtant fécond n'est parvenu à interpréter la chose que par le biais de "what the fuck ?" ou "Winny Try his Finger".
Me voilà donc bien avancé.
'chié.
Manque le début de mon message dans post précédent, bref, ça commencait en gros par :
"vous ne me ferez pas trancher un litige, vil scrotum d'huitre. D'autant plus que celui-ci est vraiment fascinant : urbanité contre urbanisme on frôle la métaphysique"
Il est vraiment mal embouché ce Trompette! Ca m'apprendra à être aimable, tiens ...
J'ai vraiment aimé, ça faisait longtemps. C'est tout tranquile, un peu poétique ouais mais de la poésie à la Vian je trouve. Je trouve juste les touches de vulgarités dispensables ("celle-ci puait de la chatte"). Mais putain, c'est bien, j'achète les droits pour le court-métrage.
Et j'adore la fin de qu'on sait pas comment il a eu le briquet de que si il l'a tué le méchant papa ou qu'il lui a donné et pourquoi qu'il mange la guêpe en fait.
"surréalustre" (nihil)
Un fan de Vian dégénéré é é é ééééé é é_é .. yééé ! fun, bref
sympa le texte, fait pas trop long, évite les formules chiasseuses, c'est propre, c'est net, c'est bien.
Et la trompette ça donne quoi ?
J'ai rien trouvé de problématique au texte, en tout cas rien qui me saute au yeux lors de la première lecture. C'est bien écrit, fluide.
Et au contraire de pas mal, j'y vois un certain sens -le mec contient, se trouve des exutoires.
Bon je sais, c'est faible, comme argument. Mais j'aime beaucoup ce texte.
mouaif, je reste dubitative
Ca doit manquer de lames de rasoir suicidaires ou d'histoires d'amour torturées pour toi. Dépressive de merde.
Des thèmes récurrents (le nez). Ne l'ayant pas commenté, je me demande si j'étais chez les Nenets ou si c'est moi qui l'avais publié. Aucune idée, si ce n'est que je me souviens l'avoir déjà lu.
Je crois qu'il doit rester deux ou trois trucs postés avec des pseudos différents, ici ou là sur le site. Je vais regarder si je peux encore mettre la main dessus.
https://www.lazone.org/articles/2472.html
ça, par exemple...
Faut vraiment que je sois con pour le faire remonter moi-même.
Brûlez-moi, par pitié.
Vous voulez que je vous le tienne un peu le temps que vous lui foutiez sur la gueule ?
La fraternité pure.