La carcasse qui craque contre le talon ferré, l’humérus en éclats sous mes pas. Les crocs des mâchoires brisés qui s’enfoncent dans la chair des bottes, le bruit des fibres des muscles qui s’écrasent enrobé par les peaux mortes. Ecraser l’ennemi pour creuser la victoire. Retourner à la nuit ramasser les cadavres à la trêve obligée, écraser l’ennemi sous mes talons d’acier, creuser les trous d’obus pour y trouver les corps et marcher sur des crânes, écraser l’ennemi. Le bruit froid des humeurs qui giclent dans la boue, les ventres qui se vident quand on saisit les corps. Ecraser l’ennemi comme on presse un fruit crevé, l’écraser comme une outre une vessie un sac mort de bile et de sang et de glaire et de merde et regarder en face. Goûter du bout des pieds. Ecraser l’ennemi.
Je m’écarte des autres et je fouille au profond des trous d’obus trop pleins. Je m’éloigne et j’oublie qu’il faut rapporter les corps, j’oublie les ordres et je continue à battre, à combattre, à parfaire encore la victoire. Ecraser du talon un crâne qui dépasse et l’oublier ici, ne pas prendre les corps et les fondre en la terre, écraser l’ennemi comme on pétrit la glaise, mêler les morts aux morts, les rendre à la poussière, calcaire et glaire en pâte. Pétrir et fracasser, le crâne qui résiste, la nuque qui craque avant et la tête qui pend. Du bord du talon noir faire éclater la tempe et m’arrêter, le talon dans les os défoncés. Ecraser l’ennemi et le regarder mort. Puis reprendre les coups et pétrir. Ecraser l’ennemi.
Le soubresaut des cartouches dans le chargeur de l’arme, le sursaut de l’arme noire et argent en bandoulière à l’épaule. Le claquement des métaux graissés, le claquement des os entre terre et talon. Briser des avant-bras tandis que le fusil craque à l’épaule. Ecraser l’ennemi. Le cuir raide des bottes qui craque à chaque pas, et les dents qui se frappent, à chaque coup donné. Faire exploser les os comme on écrase un bréchet, un oiseau, la nichée tout entière, célébrer la victoire en brisant l’ennemi. La pointe de la botte qui frappe en plein nez, la mâchoire éclatée, la main désarticulée. Ecraser l'ennemi.
Du canon du fusil crever les yeux révulsés. Ecraser l’ennemi jusqu’au creux des prunelles, poursuivre dans sa fuite son regard de cadavre. Pousser le canon gris jusqu’à ce que l’œil cède, jusqu’à ce que l’os cède, regarder gicler l’humeur aqueuse repeindre le masque de mort en coulées de jus d’yeux et de sang, parfaire la victoire. Empêcher toute fuite, tout regard qui s’échappe, les yeux qui se referment, les yeux qui se révulsent, les regards retournés vers l’intérieur paisible, vers la mort, célébrer la défaite, interdire la fuite. Ouvrir les yeux des morts en crevant, du fusil. Puis écraser les crânes.
Bourrer les bouches de cailloux, de schrapnels, de balles et de bouts d’os. Fermer les bouches des cadavres. Ecraser les mâchoires d’un coup de pied placé sous le menton, le plus fort que l’on peut, en criant la victoire, plusieurs fois, plus fort, écraser les cailloux, les schrapnels, les balles et les bouts d’os jusqu’à faire pénétrer les symboles de la mort jusque dans le crâne brisé. Ecraser l’ennemi par l’intérieur des bouches.
Déterrer l’ennemi enterré sous les décombres tièdes. Allonger l’ennemi face au ciel gris de cendre. Ecraser l’ennemi sous les parpaings brisés, sous les barres de fer tordues, sous les talons ferrés. Hurler et faire exploser les hanches au claquement soudain, profond et solennel. Faire éclater les côtes aux craquements mauvais, revanchards et multiples. Retourner les genoux aux glissements brisés, aux claquements sourds, aux bruits d’os qui avale. Ecraser l’ennemi dans la poussière et les cendres des vaincus.
Rassembler l’ennemi quand on trouve un cadavre déchiré en lambeaux. Rassembler l’ennemi, le bras séparé du corps enfoncé dans la plaie du suivant, la main morte qui pétrit dans les tripes froidies déchiquetées sans pouvoir les saisir, le talon qui écrase. Pétrir l’ennemi qui pétrit l’ennemi, rassembler l’ennemi en pâte à faire les morts. Terminer la victoire, supprimer l’ennemi. Presser chair contre chair, pétrir sang coagulé dans sang coagulé, écraser l’ennemi des paumes et du poids de tout mon corps, toute la victoire, toute mon armée. Rassembler l’ennemi, les entrailles vidées ramassées et poussées au fond d’une autre gorge, d’une tête sans mâchoire, et pousser du canon du fusil jusqu’au fond des trachées. Et bourrer l’ennemi d’ennemi puis pétrir, écraser l’ennemi.
Qu’ils fassent trêve s’ils veulent.
Ecraser les carcasses éclatées dans les trous, il faut
Ecraser l’ennemi le tasser dans les trous
Creuser les trous d’obus pour y trouver les os
Ecraser les carcasses écraser chaque crâne
Au talon de la crosse et des bottes écraser
Les carcasses
Ecraser l’ennemi le tasser dans les trous
Creuser les trous d’obus pour y trouver les os
Ecraser les carcasses écraser chaque crâne
Au talon de la crosse et des bottes écraser
Les carcasses
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Je suis scotché.
Je me sens pas capable de commenter de la poésie, mais là ça mérite vraiment un commentaire.
Bon alors d'abord c'est magnifique, voilà comme ça, ça, c'est dit. Et pourtant avant que je lise de la poésie, que je m'arrête plus de 5 secondes dessus, que j'apprécie et que je termine le texte, faut vraiment y aller.
C'est parfait ce principe de variation, contrairement au résumé j'ai pas trouvé ça fatiguant, au contraire, malgré les répétitions j'ai pas lu deux fois la même phrase tout ressentant clairement la même idée s'affiner au fur et à mesure du texte. Je trouve ça encore plus réussi parce que je trouve ça hyper casse-gueule comme forme de poésie. Là, à aucun moment on sort du truc, à aucun moment on se dit que l'auteur part en trip. Vraiment bien joué, je le dis d'autant plus que je suis pas fan de tout ce que fait Le Chouette.
Bon inutile de dire que le thème me plait déjà à la base. C'est mécanique, sec et sobre mais élégant CMBDTC.
"Faire exploser les os comme on écrase un bréchet, un oiseau, la nichée tout entière, célébrer la victoire en brisant l’ennemi."
(Parmi d'autres super morceaux.)
Tout est nickel jusqu'au dernier vers implacable. Sauf peut-être le 5ème paragraphe puisqu'il faut chercher des défauts, un cran en dessous je trouve celui là, notamment à cause de "l'humeur aqueuse" je sais pas, ça accroche. Ca sonne trop technique, trop précis.
"l’humeur aqueuse repeindre le masque de mort en coulées de jus d’yeux et de sang "
Humeur aqueuse + masque de mort + coulées de jus d'yeux, ça fait un peu beaucoup pour une seule phrase. Trop même. Lu à voix haute ça sonne grand-guignolesquement.
Mais sinon c'est magnifique, surtout la " pâte à faire les morts ".
J'ai bien aimé aussi. Ça donne un peu l'impression d'être balancé dans une cascade de craquements sourds et de labourages d'os frénétiques dans un paysage de cadavres boueux, ce qui atteste du bon choix de l'illustration d'ailleurs.
On se laisse malmener par un torrent d'images sonores concentrées d'écrasements divers, de piétinements rageurs et de broiements acharnés qui vont crescendo en intensité jusqu'à la pâte à modeler finale. C'est très "immersif" et chaotique.
Par contre les os qui avalent, avec tout ce qu'on voit par ici, j'ai pris ça dans le mauvais sens tout de suite. Mais c'est peut-être parce que j'avale aussi.
Exercice de style sans intérêt particulier.
Jamais entendu de soubresaut de cartouches.
Brisées.
Pourquoi la dernière phrase ?
Les indiens ne se battent pas la nuit.
Plutôt chouette.
Une fois qu'on est entré dans le texte est qu'on s'y est forgé un rythme, la lecture devient agréable, quoique tirant un peu en longueur sur la fin. Mais le texte parvient à conserver cette grande cohérence rythmique d'un bout à l'autre (à peine interrompue par 2-3 choses comme un "le plus fort que l’on peut" qui sonne faible, et qui fait comme un trou dans la chaussée. La "pâte à faire les morts" me gène un peu aussi).
Mais c'est un texte qui demande certes un effort, qui ne peut être relu sur le pouce, parcouru en diagonale à la recherche d'un élément apparu à la lecture. C'est logique d'un côté. Et peut être que c'est pas plus mal. Comme une musique qui ne s'envisage que dans son ensemble et non limité à une suite de notes.
Je continue sur l'analogie avec la musique (puisque cela semble être la nature même du texte). Ce texte est rythmé, nettement, ça rappelle l'indus martial comme ça marque le délire dans la tête du type. Mais je trouve le rythme un chouïa trop appuyé, et en particulier trop appuyé par des répétitions. Ces répétitions sont un peu trop envahissante (et encore, le texte est incroyablement digeste pour un si grand nombre de répétitions). Et donc, je trouve que ces répétitions font un rythme certes puissant, mais artificiel ; on perd beaucoup de naturel et de fluidité du fait des répétitions, ça fait presque penser à une machine qui tourne en boucle en injectant à chaque cycle un ou deux éléments dans sa perpétuel révolution.
Mais bon, du fait du sujet ça reste une simple remarque, comme celles que l'on lance l'air de rien sur le ton de la conversation et qui commence par un "Tiens au fait", et qui finissent une fois sur deux en pugilat.
Bon, après relecture, la phrase de fin est décidément de trop, inutile, moche et convenue.
Le reste j'aime beaucoup.
La phrase de fin est une grosse erreur. Je voulais écrire "un jokari", pas "trêve".
J'ai super adoré jusqu'au moment où mon esprit malade s'est mis à insérer des bouts de phrases aléatoirement au fil de ma lectures. Des "Charlie baby, Charlie baby" , des "ça c'est sûr, ça c'est sûr", des "je sais pas, pourquoi je dis ça, je sais pas", alternativement, de plus en plus vite. Puis j'ai vu Dustin Hoffman en Treilli, puis l'affiche du film "rain Man en Serbie erzegovine" alors j'ai pris mes medocs et finalement j'ai readoré.
Bah c'est bien. Du gros bruit de bottes bien régulier, avec le grondement des bombardiers en fond sonore. J'écoutais je sais plus quoi et au quart du texte, j'ai machinalement zappé sur les albums récents de Karjalan Sissit. Même Triarii et Across the Rubicon sont trop propres pour coller à ce texte.
L'intro m'a pas vraiment enchanté, mais ce qui m'empêche surtout de lever les bras au ciel, c'est que mon attention s'est délitée malgré moi à peu près à la moitié du texte. Parce que je savais déjà qu'il n'y aurait plus rien de vraiment nouveau. Une évolution sans doute, mais la même chose sur le fond. Il y a surement d'autres détails à critiquer, mais ça c'est perdu dans le fracas ambiant.
J'ai lu le texte comme le manifeste de Glaux-le-chouette pour la Zone. Une oeuvre puissante d'abord. Avant toute chose.
Les répétitions servent l'idée centrale et moteur, éternel retour d'une seule connaissance, d'un seul moment, d'un seul horizon "écraser l'ennemi". Je note que les deux termes reviennent ensemble dans tous les paragraphes, séparément dans certains d'entre eux et qu'on passe d'une prédominance du verbe, de l'action, du geste, pour glisser sur le nom, devant soi, cette personne, qui donc d'ailleurs, évidemment tout le monde.
Les trois premiers paragraphes sont exceptionnels, une vraie lobotomie chantée, acceptée par notre lecture, réussie comme par conversion. Ou comment peut-on 'adorer' l'Armée. La poésie introductive est le joyaux du texte, elle se reflète dans les autres paragraphes qui ne sont là que pour l'illustrer, l'étoffer de couleurs, lui rendre les fruits qui lui sont dûs.
Le début du quatrième paragraphe donne un premier signe de fatigue, je n'aime pas "le sursaut de l’arme noire et argent en bandoulière à l’épaule", trop lourd quand tout coulait, long si je voulais compter. Bien sûr, comme par magie, le texte pourrait se proposer de répondre lui-même que c'est bien lourd pour l'épaule -et que c'est la bandoulière qu'est longue.
Mais par la suite, plus mitigée, plus lasse, le charme a disparu, le libre arbitre reprend ses droits. Parfois la mélodie revient, il est évident que c'est un formatage, il est évident que c'est pour notre bien, et puis un autre truc fait tiquer, bordel de merde, un misérable moustique qui par sa piqure d'insecte digne de rien parvient à nous faire sortir de cette guerre ? Je pense que quelque chose s'est perdu, mais quoi, peut-être la formule finale en variant nous frappe-t-elle simplement moins fort, même si l'idée de variation devait marcher.
Sans doute n'a-t-elle pas été assez poussée, trop timide pour rivaliser face aux trois paragraphes ennemis, les trois premiers dans l'ordre -et dans le désordre. Qui ont tout pour eux, même l'espace. Tristement peut-être simplement leur place : à côté de l'image, tassé, virtuellement plus épais (même le premier!).
La pirouette finale est petite. Le texte est presque grand. Il reste fort.
J'ai aussi simplement aimé.
Évidement, je suis un connard et "il faut" que je le précise.
J'avais oublié.
Ahhhhhhhhhhhhhhhhhhh
Ça fait du bien.
Il y avait longtemps.
Pénible. Mais y'a bon !
Pour commencer, j'aimerais signaler que ce texte m'a fait penser à Gene Kelly et Singin' in the rain, avec des plèvres à la place des flaques, et des presses hydrauliques pour remplacer l'orchestre gentillon. Et des shrak shrak shrak à place des dou dou dou, plus globalement. Voilà.
Je vais essayer de pas trop m'attarder sur ce que j'aime dans ce texte, et qui a déjà été signalé :
Le poids du rythme, d'abord, au sens d'un écasement : ça frappe à l'arrière du crâne avec une intensité que j'apprécie, et l'objectif est atteint, qui est de faire du bruit avec des mots. Ça groove bien, pour autant que des gros coups de masse portés sur une enclume puissent groover.
Des images, ensuite, parce qu'il s'agit pas non plus de réduire le texte à son aspect rythmique (ni de diviser complètement le texte entre images et rythmes, d'ailleurs, exactement comme je suis en train de le faire) (mais on s'en fout). Je vais pas citer mes passages préférés, ça n'aurait aucun intérêt.
Ce que j'aime moins, beaucoup moins : un refus d'abandon de certaines structures, de certaines images qui encombrent le texte. Il s'est très probablement trouvé un mec dans l'Histoire pour dire que l'écriture est un grand renoncement, et bien un million d'autres pour le répéter en bêlant, mais ça a visiblement pas empêché l'auteur de s'accrocher à ces passages-là.
Comme Narak, j'ai surtout relevé l'humeur aqueuse.
Ou le "Bourrer les bouches de cailloux, de schrapnels, de balles et de bouts d’os. Fermer les bouches des cadavres. Ecraser les mâchoires d’un coup de pied placé sous le menton, etc.", qui fait très protocole et se rapproche beaucoup d'un gros défaut des textes de Glaüx qui essaient de décrire une manipulation, une expérience sur le corps : c'est-à-dire une tendance à pousser la précision jusqu'à nous embrouiller (dans "and we'll never part" et "On raconte", par exemple), ou, comme c'est le cas ici, à nous faire chier.
Ou encore le "Je m’écarte des autres et je fouille au profond des trous d’obus trop pleins. Je m’éloigne et j’oublie qu’il faut rapporter les corps, j’oublie les ordres et je continue à battre, à combattre, à parfaire encore la victoire.", qui ancre le texte de manière trop évidente dans un contexte qu'on aurait pu deviner autrement.
Et d'autres passages encore, qui tuent à la fois le rythme (par endroits) et le "climat" général. J'irais pas jusqu'à reprocher au texte de se raccrocher à la grammaire (qui impliquent certaines imperfections rythmiques), comme Glo lui-même l'a fait. Mais à un autre niveau, le refus de lâcher du lest a effectivement amoindri la qualité du résultat, à mon sens.
Mais c'est quand même un putain de bon résultat.
Le noble art de la réitération poétique est trop subtil pour toi.
On dirait tout à fait la recette du civet de lièvre de ma grand-mère où il fallait bien écraser la carcasse pour extraire les sucs..avant de les mêler au sang qu'on a soigneusement mis de côté.
mais c'est très mal de tuer des lièvres, mauvais pour le kharma. Personne ne tuera pplus un aanimal pour me nnourrir !
Je suis entrée dedans CMBDVCS. Une seule idée en perceuse percuteuse dans la tête, tout par les yeux et la vibration dans le rachis, je dis respect.
La fin oui, pas de sens à "trêve" ni à "ornithorynque"