Bordeaux, bourgognes, bières, apéro en tout genre, adieu. Je vous abandonne ce soir avec le pourboire. Je vous laisse là, à côté d'un cendrier qui vomit les cendres du paquet que j'ai fumé. Ca aussi faudrait que j'arrête, mais chaque chose en son temps.
Je finis mon ballon de rouge, cul sec. Je laisse un billet sous mon verre, et me lève. Je fais à peine trois pas que le carrelage poisseux m'arrive en pleine face. Je ne sens rien. Un type m'aide à me relever. Il me demande si ça va. Pourquoi ça n'irait pas ? Je le remercie d'un vague grognement. Il a une tête de premier de la classe. Genre, le gendre merveilleux qui échoue dans un bar miteux, parce qu'il ne pouvait pas supporter une minute de plus la compagnie de ses beaux-parents et de son beauf raciste.
Tu choisis ta copine mec, pas sa famille.
Il me faut une trentaine de minutes pour me retrouver devant la porte de mon petit home. Un studio délabré en haut d'un immeuble, juste à côté de l'église. Il m'en faut cinq autres pour ouvrir la porte et m'affaler dans le fauteuil. Le souffle du coussin s'affaissant sous mon poids soulève un nuage de poussière. J'allume une clope.
Sur la télé éteinte, un cadre. Une photo. Une femme. Ma fille. Je lui dis : tu vois, ce soir, c'est le bon soir, j'arrête. Droit dans les yeux et sans sourire. J'arrête l'alcool, je te le promets.
Ma fille, elle était danseuse. Danseuse de flamenco. Une danse espagnole qui chauffe là où il faut si j'ose dire. Ma fille, elle disait que c'était sensuel. Je lui répondais que c'était exactement ça : le flamenco, c'est une danse qui parle à l'entrejambe. Elle me traitait de pervers en me poussant dans ce même fauteuil et éclatait de rire quand les ressorts déjà défoncés couinaient en s'écrasant.
Sur la photo, elle est dans sa belle robe rouge. Elle était photogénique. Ma fille, pas la robe. Elle me l'avait fait acheter pour un de ses spectacles. Pour sûr, elle aurait pu percer un jour. Elle était douée. Mais être danseuse de flamenco, ce n'était pas la voie royale.
Elle donnait des cours dans les villages voisins. Et des fois, elle dénichait une troupe de danse dans une ville. Un jour, elle est même montée à Paris pour un gros truc. Je ne sais plus trop ce que c'était. De toute façon, il y a eu un problème. Des aides qui n'ont plus voulu les aider, ou quelque chose dans ce goût-là. Malgré ça, elle est restée trois ans à la capitale. Elle a travaillé avec les plus grands il paraît. Dans ses lettres, elle m'assurait qu'elle allait devenir célèbre. Que Paris, c'était le berceau de l'art, la muse des artistes, et plein d'autres conneries.
Un jour je lui ai répondu que si le berceau de l'art, c'était Paris, le sien, c'était ici, et que maintenant que j'étais en retraite, je ne savais plus trop comment tuer le temps. Au bout de trois ans, j'avais envie de la revoir ma gamine. Elle m'a répondu qu'elle devait descendre dans le sud bientôt, pour un spectacle, et qu'elle passerait quelques jours, que ça lui ferait plaisir à elle aussi.
Le soir de son arrivée, on est allé boire un coup pas très loin. Le patron, je le connaissais bien, c'était un ami. Il l'avait connue toute gamine aussi. Elle avait amené des CD. Il les a passés toute la soirée, et elle a dansé comme une folle dans la salle. Sur les chaises, les tables, sur le comptoir même. Elle portait sa belle robe rouge.
Vers minuit, je lui ai dit que je n'étais plus tout jeune, et que je rentrais me coucher, qu'elle pouvait rester encore un peu s'amuser, que je laissais la porte ouverte.
A deux heures trente du matin, je me suis réveillé en sursaut. Personne dans l'appartement. Le bar, il fermait au plus tard à deux heures. J'aurais pu me raisonner, mais une panique folle s'est emparée de moi. Je suis sorti en caleçon dans la rue et j'ai couru jusqu'au café. Arrivé devant celui-ci, vaguement éclairé par une lumière blafarde, j'ai vu ma fille allongée dans la ruelle. A l'absence d'expression de son visage, j'ai compris qu'elle était morte. J'ai failli m'écrouler, fondre en sanglot. Et puis j'ai vu la silhouette du mec en train de vomir. Le pantalon encore au niveau des genoux. Et j'ai réalisé que la robe de ma fille était relevée jusqu'à son nombril.
Le type, il m'a tout raconté. J'avais ses couilles dans ma main, ça l'a rendu bavard. Il m'a dit comment ma fille lui avait tendu le jean à lui en faire péter la braguette. Je lui ai collé une droite dans le nez. Il a crié. Il m'a dit comment elle était tombée en arrière, en essayant de le repousser. Elle avait trébuché sur une bitte. Il m'a dit le bruit sourd que la tête avait fait en cognant le sol. Je lui ai demandé « Comme ça ? » en claquant un coup la sienne sur le bitume. Il m'a dit comment il avait soulevé sa robe rouge et bâclé son affaire. Il ne pensait pas qu'elle était morte. Il m'a dit que de toute façon, elle l'avait bien cherché cette salope à agiter son cul sur le comptoir.
Je l'ai châtré.
Je le jure devant dieu, je l'ai châtré à mains nues. J'avais son paquet dans les mains, et quand j'ai vu son regard lorsqu'il a dit ça, son regard suintant la concupiscence, j'ai tiré. De toutes mes forces j'ai tiré. Il a hurlé à la mort, je voulais que son cri déchire la nuit, qu'elle partage ma douleur.
Je n'ai même pas eu d'emmerdes après. Ca sert d'avoir fait l'école buissonnière et volé ses premiers magazines pornos avec le seul flic du patelin.
Il y avait tout le village à son enterrement à ma fille, et même sa troupe de danseurs avec qui elle devait descendre dans le sud. Ils n'ont pas annulé. Ils n'ont pas voulu me le dire, mais j'ai compris qu'elle n'était pas danseuse, elle s'occupait juste de leur trouver des dates un peu partout. Et je crois qu'elle était avec l'un des danseurs, un grand brun ténébreux. Il avait un bracelet à elle au poignet.
Un gosse du village a laissé un mot sur le cercueil. C'était le fils du maire, qu'elle avait gardé quand il avait dix ans de moins. Sur le mot, il avait écrit quatre vers. Je ne suis pas un littéraire, mais j'avais trouvé ça niais. Il a dû progresser parce que maintenant, c'est un auteur qui vend des milliers d'exemplaires. Il est même passé chez Drucker à ce qu'on m'a dit. Je ne sais pas, je ne regarde pas la télé. Je bois. Je suis quand même allé voir dans une librairie à la ville. Le livre, il s'appelle Babysitter, mon amour. Ca parle d'un gamin qui tombe amoureux d'une fille qui le garde. A la fin, la fille elle meurt, en mettant au monde son fils. Le père est alcoolique. Alors le gamin, qui a grandi, il kidnappe le nouveau-né et se barre loin de toute cette merde.
C'est mon livre de chevet. J'aime bien imaginer la vie de ce petit-fils qu'elle n'a pas eu le temps de me donner.
Je chiale encore. J'ai les mains qui tremblent, et je sue dans mes draps. Un verre. Plus qu'un verre. Juste un petit verre, pour dormir. Et demain, promis, je te le jure, j'arrête.
LA ZONE -
Dix années que je suis un pilier de ce bar. Dix longues années que je m'imbibe à ce foutu comptoir. Et chaque soir depuis dix ans, je me dis, c'est le dernier. Alors voilà, ce soir, c'est le dernier. Je le jure.
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OK OK
Pas terrible, le dernier tiers est à chier.
Et puis, châtrer à mains nues...pourquoi pas énucléer avec la bite, tant qu'on y est?
C'est pas parce que
se taper la tête contre les murs
Donne envie d'écrire
Qu'il faut s'arrêter
"Elle avait trébuché sur une bitte"
heureusement j'ai rigolé comme un abrutis a ce moment la; dans le genre"NIAhaha heu comment ça une bitte?hein haha bitte"
Sinon c'est plus ou moins bien écrit,on sent bien l'atmosphère de gros beauf qui plane au dessus du texte.Mais çà doit être ça justement qui me gêne.D'une parce que il m'est arrivé de fréquenté des bars clandestins dans le sud et ce fut traumatisant pour ma vision de l'espèce humaine.Et surtout mettre en scène ce genre de personnage peut créer des incohérences si on joue pas le jeu jusqu'au bout.Par exemple le beauf du texte on l'imagine facilement raciste ,chasseur,avec un bon gros accent du sud.Du coup quand le héros fait des déductions psychologiques rien qu'a la gueule d'un gars et des critiques sur les beaufs raciste ça fait un peu bizarre.
Mais bon j'ai peut être rien compris a la psychologie du personnage que l'auteur a voulut planter.
Moi j'ai bien aimé.
Sans être le texte du siècle c'est bien écrit, fluide avec une histoire construite.
J'ai trouvé ça plat et banal.
sans avis. bien écrit, se lit facilement, plat, pas assez poussé, une bonne sensation de rien à braire mais 5 minutes de tuées agréablement à la fin du texte.
ah, si, un avis : le flamenco, je trouve ça chiant.
Ce n'est pas si mal, au départ, texte noir classique, phrases courtes. Mais rien qui décolle vraiment des clichés du genre, et puis ensuite quelques bizarreries.
La bitte qui débarque alors qu'on ne sait pas qu'on est dans un port, ça donne l'impression que le texte passe brutalement à l'humour débile.
La scène du meurtre est à peine crédible. Pour se laisser châtrer à mains nus, il faudrait que le violeur soit ivre mort, à la limite de l'inconscience et donc incapable de parler, alors qu'il est en état de raconter sa soirée, comme ça, juste à côté du corps, sans faire mine de s'enfuir. Et il faudrait que le père soit fou furieux, ce qui est imaginable, mais que le texte ne montre pas.
Et si ça se passe en pleine rue, avec un mec châtré qui hurle, ce n'est pas un petit flic de patelin qui va étouffer l'affaire.
Lisse, sans être ennuyeux, mais sans intérêt non plus. Peu crédible en effet, mais l'ambiance n'est pas mauvaise, ainsi que l'écrit.
Je me fie au panache rouge de Dourak.
J'ajoute que j'aime beaucoup l'ambiance glauque de mec qui a abandonné mais qui peut pas décrocher de l'existence, parce que c'est comme ça, il est là. Ca, j'aime beaucoup et c'est très juste.