Et dire que le pavillon venait juste d'être fini de payé, ça nous a coûté bien des sacrifices et des angoisses à cause de la banque qu'attend qu'une occasion pour vous reprendre le travail d'une vie, les charognards. Pas de vacances, pas de sorties, on aurait pu être un peu à l'aise maintenant.
Mais c'était plus possible, on n'en pouvait plus.
Je lui avais bien dit au fiston, "-Cherche pas l'aventure, les combines c'est pas des choses pour nous, trouve toi un vrai travail sûr, où qu'il y a de l'embauche, comme ta soeur dans le nettoyage." Mais il a rien voulu entendre, il disait : "-il faut entreprendre dans la vie, sinon on fait du surplace", "-si on avance pas on recule", enfin, que des conneries dans le genre qu'on lui avait serinées à son BTS. Que dans la vie il y a les gagnants et les perdants, et que lui, forcément, il en serait un de gagnant avec son BTS en poche et ses années d'expérience déjà dans la branche, pas comme tous ces branleurs qui glandent des années à la Fac pour finir érémistes à trente ans.
Et puis ça s'est pas du tout passé comme il le prévoyait, mais par contre tout à fait comme je le craignais. Il a pas su se démêler de toutes les chausse-trappes des affaires, les entourloupes que des gens simples comme nous on n'est pas préparés à affronter.
Je lui avais bien dit "-Tu finiras plumé à te faire berner par plus fumier que toi, t'as pas le vice qu'il faut dans le commerce."
La déconfiture a pas tardé, ça a été la faillite au tribunal de commerce, bien comme il faut.
La honte.
Il a dû rendre les clefs de son studio et revenir dans sa chambre à la maison. Il sortait plus, tout le dégoûtait. De temps en temps un huissier venait sonner à la maison, ces jours là c'était terrible, il gueulait sans arrêt "-Ah, putain, c'est ça la vie ?" et il sortait plus de sa chambre pendant trois jours.
Il nous faisait peur au début, et puis forcément au bout d'un moment ça a déteint sur nous, on en avait marre de l'encourager constamment et de lui répêter que c'était pas si grave que ça et que tout finirait par s'arranger. Quand sa mère lui disait "-Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir!" ça le mettait carrément en rage. "-Tu parles vieille peau, tant qu'il y a de la vie, il y a du désespoir, oui." Qu'il lui répondait. Ca me plaisait pas trop, à cause du manque de respect, mais moi aussi j'essayais de lui relever le moral, comme quoi on avait encore somme toute ma retraite de l'amiante pour vivre, et qu'en se serrant les coudes il y aurait toujours à manger pour les hommes et pour les bêtes à la maison.
Et puis les voisins ont commencé à persifler, ils insinuaient des questions avec un sale air de faux-derches : "-Et alors, qu'est ce qu'il fait votre grand fils, on le voit plus dans le quartier? Il est pas malade au moins ? " A la fin j'osais même plus aller faire mes bordures tellement j'en avait marre de me faire tanner de questions à la sournoise.
Ca a commencé à tourner pas rond dans ma tête non plus et je me prenais à souhaiter de le trouver crevé dans son lit mon grand fils.
On a fini par l'emmener de force au docteur qui lui a refilé des cachets, et qui nous a dit que ça irait mieux au bout d'un moment s'il suivait bien son traitement, et que si ça allait pire au début il faudrait pas s'inquiéter.
Sauf que ça a pas été mieux du tout, et puis qu'on s'est mis à en prendre nous aussi de ces cachets rien que pour pouvoir le supporter, notre entrepreneur. On était lassés pour du bon.
Sa soeur Fabienne, ça la déprimait fort de le voir errer dans la maison dans cet état-là, elle en a eu marre et elle a pris un appartement en ville, même si c'était dur pour elle avec son SMIC sur trente heures par semaine. On a pu se porter caution, vu qu'on avait le pavillon.
Elle a tenu comme ça pendant un an, mais elle bouffait toutes ses économies, ce qu'elle avait trimé pour mettre de côté pour le jour où elle serait en ménage. Ca la minait de vivre à pertes, elle qu'était si bien économe.
Quand on lui a suggéré d'aller au CCAS pour retirer un dossier de RMI, histoire de participer aux frais de la maison, il a piqué une crise, comme quoi il préférait être mort que vivre en parasite aux crochets de la société. Sûr qu'on lui a pas fait remarquer que c'était aux nôtres de crochets qu'il vivait depuis plus d'un an, ça aurait pu mal finir.
Enfin, voilà, ça a duré comme ça pendant deux ans cette histoire, et maintenant on était au bout du rouleau, éreintés, lessivés... à force qu'il nous ait sapé le moral à toute la famille j'en ai eu marre de le lui remonter. Je l'ai attrapé entre quatz'yeux et je lui ai dit "- Tu veux crever, très bien, mais on va faire ça à notre façon. En famille. Tous les trois."
Quand Fabienne a été au courant, elle a gueulé qu'on la mettait toujours de côté et qu'elle aussi elle en avait marre de cette vie de merde au moins autant que nous autres. De devoir bosser comme une négresse sans pouvoir gagner assez pour manger et payer un loyer, que c'était pas une vie. Elle causait plus du tout de fonder une famille, elle qu'aimait pourtant tellement les enfants dans sa jeunesse. Elle disait maintenant que si elle tombait en cloque, ça risquait pas parce qu'elle fréquentait pas, mais bon, elle étranglerait le moutard dès qu'il sortirait la tête. Ca l'avait complètement aigrie d'avoir dû bouffer ses économies.
Alors voilà, on l'a fait tous ensemble, comme la famille unie qu'on a toujours été, dans la vie comme dans la mort.
Si tout a foiré, c'est la fatalité. La faute à l'éducation qu'on n'a pas su donner à nos enfants.
On a trop déconné.
ps: rapport à l'héritage, étant donné que c'est tata Martine qui hérite du pavillon, les enfants se sont pendus en premier. Ensuite on savait plus trop entre nous deux ce qui serait le mieux pour les impôts, mais vu que Martine c'est ma soeur, j'ai pendu Solange d'abord.
LA ZONE -
A quiconque lira cette lettre, si on a pendu Sultan c'est pas par cruauté. C'est pour pas qu'il finisse dans une cage à la SPA, et il a pas mérité ça, vu que ça a toujours été un très bon chien.
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Bon, évidemment, il n'y a pas de quoi hurler au génie, mais la lecture est assez agréable, on se laisse tranquillement porter par la narration. C'est dommage que quelques écarts de registre fassent tache (exemple : "mais par contre tout à fait comme je le craignais"). La crédibilité du narrateur diminue pas mal à cause de ces écarts, et des changements incessants de style, lequel ne semble pas assumé, trop bridé. Par exemple, le texte de Lapinchien "Le putain de je sais plus quoi" (c'est dans les serial edit) utilise un langue résolument définie par l'auteur. Après, que ça marche ou pas sur le lecteur, c'est autre chose, mais au moins, c'est cohérent. Ici, l'impact sera forcément diminué dans la mesure où on passe d'un registre à l'autre sans justification. Bref, dommage. Ensuite, le contenu est assez primesautier, on s'amuse bien, c'est gentillet sans être trop mignon, bon enfant zonard quoi.
Quoiqu'il en soit, ça fait du bien de lire un texte, même sans prétention et assez quelconque, qui va quelque part et qui a un tant soit peu de sens, vu les dernières merdes postées ici.
Ah, et sinon, je suis encore assez indécis quant à l'attitude à adopter face à la subtilité de la blague qui illumine le résumé : "la corde du désespoir". Un texte plein d'impact finalement.
commentaire édité par Das le 2009-6-4 23:52:18
D'entrée de jeu, le chien, on s'en fout : c'est posé pour faire réaliste, mais quand on tombe sur des pendus, on va pas d'abord chercher si c'étaient des enculés ou pas. Et comme humour noir, ça passe pas. Puis, une fois oublié ce détail, on rentre plutôt bien dans le truc, y'a une histoire qui se découvre.
Ce qui fait la force du reste, c'est que la profonde banalité de l'histoire, racontée par un type tout ce qu'il y a de plus normal, et pourtant le récit n'est pas banal. Y'a quelque chose qui se prépare - et c'est grillé à trois kilomètres, mais on sent le rouleau compresseur broyer petit à petit la famille.
Rien d'autre. Tant mieux, c'est une sensation brute ; une seule sensation pour un texte, c'est peu, mais elle est distillée avec un certain talent.
La dernière phrase, mais non quoi. Rien à foutre là, ça apporte rien au texte : c'est donc une tentative de pirouette. Raté, j'ai pas ri.
Enfin, comme Das je pense que ce texte s'apprécie d'autant mieux par contraste avec les étrons le précédant, et j'agrée avec lui au sujet du style vacillant qui gâche le plaisir.
Globalement d'accord avec vos remarques.
Pour rappel, le mot d'adieu authentique se résumait à "On a trop déconné" et était suivi d'indications testamentaires sommaires et techniques dont je n'ai pas eu connaissance. C'est la raison de l'adjonction du post-scriptum, qui peut paraître superflu.
J'aime bien aussi. Ca aurait pu être plus long.
ctb