J'avais sept ans passés à peine, et cet évènement resterait gravé toujours dans ma mémoire : les autres, en cercle, me rouant de coups.
Ils étaient venus jusque chez moi, après la classe, et m'avaient suivi pour me défaire en giclées parfumées de ferraille dans la cour de notre maison. La dernière douleur que je me souvienne, c'est celle à mon visage qu'on avait écrasé entre le poing et la porte que seule la pluie avait voulu laver de mon sang. Ils m'avaient laissé là, cloué sur cette planche de bois lourd comme un oiseau de mauvais augure déversant ses liquides.
Ma mère, avec tout cet amour que je ne lui rendait pas, avait tant bien que mal cherché à panser mes blessures. Mon père, qui n'acceptait pas mes larmes, m'a fait faire, comme chaque soir, mon exercice de lecture. Je devais être intelligent, alors n'avais pas même droit au divertissement d'une présence familière.
Comme j'allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d'un arbre vint s'asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
De la forêt derrière chez nous, je connaissais chaque bruit, chaque odeur. J'avais des amis en forme de bruissements dans les feuilles et qui changeaient de voix à toutes les saisons; m'amusais à courir dévêtu dans les pousses hautes d'orties et d'apaiser mes brûlures en les laissant caresser par la mousse humide et froide sur le flanc des arbres. Je rentrais tard, sale, et ma mère me criait dessus, le visage amusé. Mon père ne me punissait qu'en allongeant plus encore mes études nocturnes. J'avais tout loisir alors, de quitter le foyer et d'inspecter si mes pièges avaient été efficaces. Ma réussite grandissante dans l'élaboration de ces meurtres mécaniques de petits animaux de la grume, allait de paire avec l'ennui que me procurait, à force, la contemplation de ces mammifères juste morts.
A l'âge où l'on croit à l'amour,
J'étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s'asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
L'été de mes seize ans m'avait offert d'être qui je voulais. Ce trio morne et taciturne que nous formions mon père, ma mère, moi, s'était vu invité chez un de nos riches cousins bretons de campagne. Là où nous allions, si l'on ne m'aimait pas, on ne me détestait pas non plus. J'étais le fils de mon père et tout au plus bénéficiais-je grâce à ce statut, d'une naturelle bienveillance de la part de nos hôtes.
Ils avaient une fille dont rapidement j'avais réussi à prendre la main dans la mienne après lui avoir glissé à l'oreille de mes sonnets amoureux et niais d'adolescent. Son premier baiser en morsure sur ma lèvre m'avait fait une coupure que je ne cessais de goûter du bout de ma langue.
Elle et moi, très proches, marchions ensemble pour la dernière fois du mois d'août, quand je vis une forme agréable se dessiner au devant de là où nous allions.
Sa bouche refuserait à jamais d'embrasser la mienne qu'elle vit goûter, ce soir-là, le sang d'un chat trouvé sur le chemin du retour de notre promenade.
Un an après, il était nuit ;
J'étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s'asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Il était mon seul ami qui me parlait dans la langue des hommes, et depuis tout petit je n'avais qu'un désir : Dessiner du bout d'une lame une calligraphie gamine, rouge, sur son ventre graisseux : « je te hais mon meilleur ami », et d' y mettre un point final profond et lourd qui l'aurait touché au cœur. Il m'aurait répondu, dans la prose vermeille des mourants, des postillons incompréhensibles et j'aurais ri franchement pour la première fois.
Ma mère a crevé quelques semaines plus tard je crois, d'une manière de dire que tout était ma faute. J'étais quand même insatisfait.
Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J'ai voulu m'exiler de France ;
Lorsqu' impatient de marcher,
J'ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d'une espérance ;
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;
Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Mon héritage m'avait fait beaucoup d'amis, et je me fis cette réflexion un jour, qu'il manquait à nos relations, ce qui me rassurait dans mes amitiés d'enfance autant qu'il manquait à ces dernières, les plaisirs que je partageais avec ces autres, devenu grand.
Quelques semaines plus tard j'organisais un repas. J'ai souvenir que nous avons fort apprécié.
La soirée fut particulièrement bonne et l'amitié en laquelle je doutais s'était révélée au delà de toutes mes espérances. Nous parlions tous d'une même voix, et parfois étions si bien que je n'arrivais plus à entendre autre chose que mon rire et ses échos -- Peu importe le rouge renversé sur la nappe blanche, peu importe le souper refroidi. Peu importe le rôti qui brûle au four, nous rions et c'est le principal, nous rions à en perdre le souffle.Certains s'écroulent sur la table, d'autres tombent à la renverse et c'est un réjouissant remue-ménage ! Tout vole, les cris, le rire, les verres, et le rouge coule à flots. Ils m'enjoignent à ouvrir la dernière bouteille : personne ne veut repartir. Je goûte et m'endors ivre dans un bonheur qui ne m'effraie plus.
Plus tard je me suis réveillé, une douleur aigüe au creux du ventre, les bras attachés à un lit d'hôpital. A mon chevet, dans le flou de mes yeux restés très mais trop peu longtemps fermés, j'aperçus une silhouette familière, cet inconnu vêtu de noir et qui me ressemblait comme un frère. Sans que je ne parle il répondit à mes questions, sans me juger, sans me traiter de monstre ainsi que l'ont fait ceux que j'entendais ces derniers jours dans mon demi sommeil.
Il prononça ces mots que je récite par cœur, encore aujourd'hui, dans la froideur de ma cellule :
« Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l'ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j'aime, je ne sais pas
De quel côté s'en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.
Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m'as nommé par mon nom
Quand tu m'as appelé ton frère ;
Où tu vas, j'y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j'irai m'asseoir sur ta pierre.
Le ciel m'a confié ton cœur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude .»
Du temps que j'étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s'asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
= ajouter un commentaire =
Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.
= commentaires =
Un message complémentaire de l'auteur :
"Voici donc un texte s'inspirant et utilisant Nuit de Décembre de Musset dans un découpage tout personnel et qui n'a de pertinence, s'il en a, que lié à mon présent écrit. Je dévie tout de même du sens premier pour en faire quelque chose de plus sombre, en prose. Peut-être est-ce trop mauvais pour être publié, peut-être est-ce trop retenu pour être zonard... Qu'importe. Merci."
C'est marrant, ça m'a fait une très bonne impression, et pourtant, j'ai de gros doutes.
Même avec des vers signés Evg, ça m'aurait gonflé, cette impression qu'un troubadour déboule sur scène pour annôner sa chansonette toutes les dix secondes. Ca détourne l'attention, ça casse le rythme et quatre entractes dans un texte, c'est pas jouable. Sachant qu'en plus c'est du copié-collé hein... Bon j'insiste pas.
A coté de ça, trois quatre scènes sensées dépeindre une vie, ça fait short, d'autant qu'on dirait qu'elles ont pas spécialement de rapport entre elles, et que la moitié ne sert pas particulièrement l'histoire. C'est juste trois quatre bouts de vie collés ensemble au pifomètre, sans continuité, avec une chute pour faire joli.
Sinon, c'est un texte qui semblait destiné à être échevelé et péniblement gotho-romantique. J'avais déjà le tableau de Friedrich plein cadre et je me suis retenu de déclamer des vers à la lune en me repeignant la mèche. Et en fait non, ça reste carré. Réussir à esquiver ce piège pour faire un truc sobre et classe, c'est un tour de force. Pour ça bravo. J'ai aussi apprécié que l'écriture évite de déborder dans tous les sens et se mette à débloquer de l'impressionnisme par tous les bouts.
Donc au final, je sais pas. Fais chier tiens.
Tiens, les deux clowns qui chantent toutes les trois scènes dans 'Mary à tout prix', c'est pareil. Sauf qu'eux ont au moins le bon goût de se faire tirer dessus.
Le cul entre deux chaises, oui.
J'ai lu sans les vers de Musset. Avec un autre poète, j'aurais peut-être essayé, mais là déjà rien que d'avoir lu son nom dans le résumé m'a fait commencer la lecture avec scepticisme.
Je suis d'accord avec nihil sur le côté "quatre bouts de vie collés ensemble au pifomètre".
Là où c'est bizarre c'est que le texte fonctionne parce que le résultat final donne l'impression d'être maîtrisé et bien écrit. Pourtant, quand je reprends certaines phrases ou certains paragraphes, je vois des choses complètement insupportables :
"dans la prose vermeille des mourants"
"Mon héritage m'avait fait beaucoup d'amis, et je me fis cette réflexion un jour, qu'il manquait à nos relations, ce qui me rassurait dans mes amitiés d'enfance autant qu'il manquait à ces dernières, les plaisirs que je partageais avec ces autres, devenu grand." (gné ?)
etc., et puis donc, les vers de Musset que j'ai fini par me coltiner.
Alors je ne sais pas si le texte est simplement sobre et réussi, ou bien facile et écrit le petit doigt en l'air.
Dommage, vraiment dommage, pour la structure putain de formaliste et compliquée à s'en taper la bite contre un hachoir à viande, ou réciproquement, je ne sais pas, je ne sais plus, mais ces entrecroisement, ça m'emmerde.
Dommage parce que, outre le fait que Musset m'emmerde, le texte d'EvG est fort bon globalement. Il y a une énorme fausse note à mon oreille, c'est le "remue-ménage" avec point d'exclamation, qui sonne nettement débilou, alors que c'était le moment du texte où le massacre, implicite, m'embarquait dans un berzerk mental assez plaisant, avec éclats de rire tarés incorporés. Mais là plouf, tout cassé le berzerk. Direction second degré, sans escale. Dommage aussi. Demeure que c'est bien foutu, un peu traînant sur le début mais on arrive aux détails qui clochent et qui veulent dire que ça va merder juste au bon moment (troisième paragraphe de récit pour moi), et ça pète ensuite, et l'ellipse est une fort bonne idée pour éviter la lourdeur, avant l'internement.
J4AIME BIEN
n'eût été Musset
Les vers sont sensés servir d'armature au texte (c'est son schelette quoi ahah). J'ai essayé de remplacer les vers de Musset par les paroles de 'Alexandrie, Alexandra', EH BIEN 9A MARCHE AUSSI? INCROYABLE.
Musset, Musset, moi je dirais plutôt Pierre Perret.
L'Ami Fidèle, refrain :
Mon amie c'est la solitude
Avec elle je me sens moins seul
Au grand jamais on ne s'engueul'
C'est le silence et c'est lui seul
Qui est notre divine habitude.
A par ça c'était pas mal, quoique comme il l'a déjà été dit assez peu consistant.
Je n'ai rien contre le principe des vers dans la prose. C'est très casse-gueule, donc courageux si on est conscient du risque. Par contre, pour un texte posté sur la zone, le choix de Musset était plus que téméraire. Mais pourquoi pas ? Art du contre-pied, tout ça...
Il y a des maladresses ou des fautes qui m'ont tout de même frappé au niveau de l'écriture :
"que je me souvienne" (dont je me souvienne ?)
"que je ne lui rendait" (simple distraction, mais bon...)
"m'amusais à courir [..] et d'apaiser [..]" (et 'à' ? mais certes ça se discute si c'est la tournure littéraire 'de' + infinitif, mais je la trouverais tout de même mal amenée, manque au moins une virgule)
"bretons de campagne" (à ne surtout pas confondre avec les bretons des marais ?)
"glissé à l'oreille de mes sonnets" ([quelques un] de ?)
"au devant de là où nous allions" (pas incorrect, mais fort lourd)
": Dessiner" (majuscule ? détail, certes)
"m'aurait répondu, dans la prose vermeille des mourants, des postillons incompréhensibles" (je n'ai rien contre "prose vermeille des mourants", mais contre 'répondre' + 'des postillons')
"crevé quelques semaines plus tard je crois, d'une manière" (le "d'une"... on comprend quelle crève d'une manière de dire)
"m'avait fait beaucoup d'amis" (j'aurais évité le verbe 'faire')
"[..] je me fis cette réflexion un jour, qu'il manquait à nos relations, ce qui me rassurait dans mes amitiés d'enfance autant qu'il manquait à ces dernières, les plaisirs que je partageais avec ces autres, devenu grand." (problèmes de virgules, ou je ne sais quoi, mais je n'ai RIEN capté à la phrase)
"en laquelle je doutais" (douter en qqch ?)
"Ils m'enjoignent à"
", à force," (langage familier, qui dénote à cet endroit-là du texte)
"me défaire en giclées parfumées de ferraille" (pas certain que l'image soit très compréhensible pour le lecteur, mais c'est peut-être moi qui suis con - ils cognent à coups de barre de fer, ou il a un excès de fer dans le sang, ou en fait le narrateur est un robot ?)
Sinon, j'aime bien le ton, certaines images, l'atmosphère de certains passages sombres et poétiques sans se casser la gueule, comme l'a fait remarquer nihil ("J'avais des amis en forme de bruissements dans les feuilles et qui changeaient de voix à toutes les saisons"), et l'audace générale.
Encore que "forme" de bruissements soit quand même douteux...
ah j'ai beaucoup aimé "me défaire en giclées parfumées de ferraille", ça sent le romantisme, la madeleine et ça colle bien à l'ambiance du texte. L'image rend bien le côté évocation furtive.
Globalement pas mal même si je m'accorde avec l'avis général selon lequel Musset is too much. Bon c'est pas que les vers ne vont pas avec le texte, mais c'est vrai que ça brise le rythme. Peut être tout à la fin ça aurait été mieux, en développant le texte lui-même.