Nos stalags se trouvaient à bonne distance du camp de Marne-la Vallée. Nous logions à quatre par cellule. Seuls nos kapos bénéficiaient d'une piaule individuelle.
Mes co-détenus étaient des petits mecs de banlieue qui voulaient arriver dans la vie en la jouant à la loyale. Ils écoutaient sagement du rap pour décérébrés en prenant des poses de petites frappes. Ils se complaisaient dans la mise en résidence culturelle qu'on leur infligeait en sus de notre relégation sociale.
Leurs poufiasses, qui jouissaient d'un droit de visite permanent, écoutaient du R'n'B sirupeux et usaient de la dernière énergie pour avoir l'exacte apparence de putes de bas étage.
Les relations sexuelles entre prisonniers (autrement dénommés de façon euphémisée "castmembers") étaient non seulement tolérées mais encouragées. Le cul ça faisait des loisirs à pas cher et ça tombait bien parce qu'il ne restait pas lourd de notre pécule mensuel une fois loyer et repas pris sur place restitués à notre bon maître Disney.
Au fond toute cette racaille était conservatrice, le seul truc qu'ils avaient du mal à encaisser c'était d'être partis de trop loin sur la grille de départ. J'avais bien du mérite à me tenir à l'avant-garde de ce lumpen-prolétariat dégénéré, si je leur avais exposé mes plans, sûr qu'ils m'auraient fait ma fête, et bien sadiquement encore ...
Car j'avais décidé de laisser une bonne fois pour toute l'action syndicale à la papa aux vendus et aux masochistes, de toute façon l'inspection du travail était interdite d'accès au camp. Disney avait obtenu de facto l'extra-territorialité.
Ils achetaient aussi la presse et tous les pouvoirs. Un silence assourdissant avait salué mon premier fait d'arme. Sans doute dans le but de défendre l'EMPLOI. était cocasse d'hypocrisie car c'étaient bien sûr les plantureux dividendes de Mickey que ces valets du capitalisme défendaient de toute leur veulerie.
On crevait littéralement de chaleur à cette époque de l'année. Donald était mort la veille d'une hyperthermie maligne. D'après le commandement du camp, il prenait des amphètes pour tenir le coup. Ca tombait bien pour eux, la mort d'un drogué ce n'est pas un accident du travail...
Mais, même si je pissais la sueur, mon uniforme de service était mon meilleur camouflage. Je repérai rapidement une cible potentielle. Une gamine avait échappé à l'attention de ses parents et s'était égarée dans le bosquet. On se trouvait précisément dans un angle mort des caméras de surveillance. Une offrande.
Elle était bien jolie cette blondinette aux cheveux légèrement bouclés, avec son petit nez à la retroussette et de grands yeux bleus rieurs. Elle paraissait douée pour le bonheur. Le genre de fille dont un tas de types tomberaient amoureux plus tard, et qu'on ne troncherait pas n'importe comment.
Ca m'a fait hésité tellement qu'elle était gracieuse, et puis cette réaction petite bourgeoise me fit honte. C'eût été ajouter une injustice à l'injustice. Je ne pouvais, en conscience, me résoudre à faire une exception pour ce genre de motif futile.
Quand elle m'a vu elle s'est écriée : "_Toi Picsou tu n'es pas gentil!", et elle a même éclaté de rire quand je l'ai saisie au col, découvrant deux grandes incisives toutes neuves qui tranchaient sur ses petites dents de porcelaine.
La gosse était tellement docile que l'idée m'a effleuré, mais il importait de ne pas brouiller le message: j'étais un politique, même si l'on me dénierait certainement ce statut.
Je ne sais pas pourquoi, sans doute était-ce trop lui demander dans ces circonstances, mais j'ai éprouvé le besoin de justifier mon geste dans des mots qu'elle puisse comprendre et je lui ai murmuré à l'oreille "_C'est pas ma faute petite, si je suis méchant c'est qu'on m'a fait du mal."
Et j'ai serré.
Elle s'est laissée faire sans regimber, juste étonnée de se faire baiser comme ça par la vie .
J'ai laissé son cadavre bien en évidence. S'ils réussissaient à imposer de nouveau le black-out, il y en aurait encore une autre. Rien ne pourrait me détourner de la lutte.
Je devais maintenant aller remiser mon costume fissa et percevoir le suivant. Je faisais le postérieur de Bambi dans la parade de 20 heures.
Les heures de transport, à l'intérieur du camp, et de changements d'uniforme ne nous étaient pas payées. Un simple défraiement forfaitaire de 2 euros nous était accordé pour 1 heure trente de servitude quotidienne.
2 euros.
Les salauds.
[remix de Marne-la-Vallée de Dourak Smerdiakov]
"Vous connaissez beaucoup de gourous qui ont de l'humour, qui vont comme moi à Disneyland en se mettant des frites et de la mayonnaise dans le nez ?"
Pierre Bellanger, philosophe.
"Vous connaissez beaucoup de gourous qui ont de l'humour, qui vont comme moi à Disneyland en se mettant des frites et de la mayonnaise dans le nez ?"
Pierre Bellanger, philosophe.
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Celui-là est pas mal.
Avec deux passages bien revigorant.
"Elle paraissait douée pour le bonheur. Le genre de fille dont un tas de types tomberaient amoureux plus tard, et qu'on ne troncherait pas n'importe comment."
et
"Elle s'est laissée faire sans regimber, juste étonnée de se faire baiser comme ça par la vie ."
j'aime bien citer, ça spoile pas mal le texte mais ça excite ceux qui se contentent de lire en diagonales.
tu laisses des petits mots à l'attention de ton Moi sur les textes.
c'est drôle ça aussi, tiens. et émouvant.
Marrant, ouais, et aux citations de Traffic je rajoute "Donald était mort la veille d'une hyperthermie maligne.", qui fait sourire en plus de bien planter le décor.
Précisions en réponse au résumé de présentation : un simple manche à balai réglementaire ne saurait s'entendre par "tout un régiment", et, si le narrateur use d'un vocabulaire volontiers imagé, le camp Disney est présenté dans sa triste réalité anti-sociale.
Mickey est toujours castré comme dab