LA ZONE -

Les aventures de Thrash Boy - 2e volet

Le 06/09/2008
par Mill
[illustration] A travers ses jumelles, le lieutenant Eli Gomez-Stern pouvait observer tous les détails de la pitance de Thrash Boy. A priori, c'était pas joli-joli. De la boustifaille de caniveau ingurgitée avec la grâce d'un ogre en quarantaine sur le trottoir défoncé d'un quartier classé ZONE A DETRUIRE. Franchement peu ragoûtant. Tandis que Thrash Boy dévorait les yeux du gamin, Gomez-Stern renvoyait le civil qui les avait menés jusqu'à lui. Il n'avait pas à raccompagner l'espèce de clodo hirsute, mais il aurait eu à le faire qu'il n'aurait pas pu. A peine était-il parvenu à décoller ses pupilles de l'affamé qui, à quelques dizaines de mètres, en contrebas, s'escrimait à dépecer les cadavre ensanglanté avec ses dents de squale.
    Il mordait anarchiquement. Un coup dans la joue gauche, puis la fesse droite. Tout y passait, par bribes mal déchirées, du gras du bide aux biceps, sans omettre la gorge, ni le cou, les cuisses et les oreilles. Le Lieutenant ne put réprimer une grimace écoeurée lorsque Thrash Boy mangea les testicules. Sa bouche se referma sur les deux couilles, les lèvres retroussées comme celles d'un chien errant, ses dents plantées dans la peau fine et fragile. Cette peau, le lieutenant la vit se tendre, s'étirer, pour finalement craquer dans une giclée de sang. Et vas-y que je te mastique tout ça et que je te recrache les poils...
    "Mon Lieutenant, je l'ai bien dans le viseur, là. Je pourrais facilement..."
    Gomez-Stern l'interrompit sèchement.
    "Vous savez aussi bien que moi qu'il n'est pas question de tuer cette... cet individu."
    Il avait failli dire "cette créature" mais s'était repris à temps. Il ne tenait pas à ce que ses hommes remarquent à quel point ce cannibale urbain le troublait. Comment imaginer qu'une telle aberration ait pu grandir et évoluer en toute impunité dans les rues de Paris?
    "En 2057, merde! On est plus au Moyen-Âge."
    Moyen-Âge ou XXIème siècle, le lieutenant Gomez-Stern, attaché spécial à l'ambassade américaine, et accessoirement agent de la NSA, se trompait largement quant à la qualification purement géographique du "territoire" de Thrash Boy. Anciennement connue sous le nom de "Neuf-Trois", cette zone n'avait jamais fait partie de Paris, à proprement parler. On y avait laissé pourrir la misère, sans eau, sans gaz ni électricité, sans rien. On avait tout coupé. Tout. Plutôt que de trouver une solution, l'Etat avait raisonné en Harpagon. Puisque ces gens-là étaient pauvres, que beaucoup ne travaillaient pas et que, parmi eux, une bonne proportion se foutait de la loi comme de la date de la bataille de Marignan, pourquoi dépenser les deniers des citoyens honnêtes et travailleurs en aides et subventions? "Qu'ils crèvent!" avait-on décidé, et les cités, avec les années, s'étaient progressivement vidées. Il ne restait que quelques bandes de délinquants, qui opéraient bien dans la capitale, mais qui se réfugiaient là, conscients que même les flics n'oseraient jamais pénétrer dans cette jungle de bitume. Et bien sûr, il restait Thrash Boy.
    Ce genre de considérations ne l'empêchait pas de se bâfrer, à sa manière tranquillement frénétique. A cet instant, il essayait d'agrandir un trou dans le bas-ventre afin d'atteindre le foie. Ses doigts maculés de sang plongeaient dans l'ouverture, agrippaient les bords, serraient, tiraient, fourrageaient à l'intérieur, ressortaient enfin un machin sanguinolent qu'il s'empressait de mâcher. Le lieutenant continuait de l'épier, de plus en plus fasciné malgré son malaise grandissant. Il n'osait se l'avouer, mais il se sentait désemparé.
    "Mon Lieutenant? Si nous voulons l'appréhender, c'est maintenant."
    Gomez-Stern ferma brièvement les yeux, soupira en silence, bredouilla un borborigme de circonstance, puis se tourna vers le sergent Parker.
    "Allons-y, sergent. Vous connaissez le protocole. On se contente de l'endormir. J'espère que c'est bien compris.
    - Affirmatif, Sir."
    Le sergent Parker, fraîchement débarqué de Newport avec sa propre escouade de marines, se tourna vers celle-ci :
    "Okay, boys! Je veux que vous remplaciez sur-le-champ vos foutus chargeurs à balles réelles par ceux à fléchettes. Pas d'armes de poing, pas d'armes blanches, rien qui pourrait coûter la vie à cette épave. Je ne veux pas d'embrouilles, tas de demeurés! Le premier qui déconne, je lui fais avaler son extrait de naissance!"
    Les soldats passèrent aussitôt à l'action. L'échange des munitions ne leur prit que trois minutes. Ils se munirent également de barres paralysantes avant de se précipiter hors de l'appartement. Le lieutenant restait seul, devant la fenêtres aux vitres brisées depuis bientôt un quart de siècle, les yeux dans les jumelles et la radio à portée de main.
Les ordres avaient été clairs et formels : on le voulait vivant. Le Pentagone, Langley et les pontes de la NSA avaient exercé une terrible pression sur la Maison Blanche. Il était en effet impératif que les Français autorisent cette ingérence directe dans une question purement locale. Evidemment, l'Elysée n'avait pas pipé mot. Gomez-Stern, qui vivait en France depuis maintenant trois ans, ne s'attendait pas vraiment à une résistance autre que symbolique de la part des hautes autorités de l'Etat. Mais il craignait que l'action impromptue de quelque tête brûlée sortie des RG ou de la DGSE ne vienne compromettre la bonne marche de l'opération.
"Si ce cannibale intéresse tant le Pentagone, je ne vois pas pourquoi l'armée française ne serait pas demandeuse. Et si une de leurs barbouzes de merde a envie de se faire mousser, débarquer à l'improviste avec un Thrash Boy dérobé aux Américains ne peut lui faire que du bien. Je vois d'ici le topo :
"Personne ne nous a vus. Impossible de remonter jusqu'à nous."
"Quel général sain d'esprit pourrait-il résister à ça? C'est comme proposer de passer deux heures dans un harem à un mec qui vient de faire vingt ans en cabane - ou dans les marines."
Un sourire vint aux lèvres du lieutenant. Malgré les sentiments mêlés que lui inspirait le jeune monstre qu'il était censé capturer, il se sentait détendu. Rien ne lui échappait. Il s'en rendait bien compte, maintenant. Il avait la situation en main.
"Lieutenant, ici Parker."
La voix du lieutenant claqua à ses oreilles dans un grésillement métallique, le ramenant du même coup à une réalité dont il se serait bien passé.
"Je vous écoute, sergent. Au rapport.
- Le sujet est encerclé, Lieutenant. Nos hommes sont en position et il ne peut toujours pas les voir."
En effet, rien chez Thrash Boy ne paraissait indiquer le contraire. Il continuait de festoyer, la gueule carrément enfouie dans les viscères du cadavre encore chaud.
"Utilisez les filets et les fléchettes. Prenez bien soin d'éviter le combat au corps à corps. Ce gars est particulièrement coriace.
- Comme vous dites, mon Lieutenant."
La voix du sergent revint à la charge après quelques instants de silence-radio. Elle parut cette fois beaucoup moins impersonnelle aux oreilles de Gomez-Stern, comme si Parker en appelait à une connivence qui ne s'était jamais vraiment installée entre eux.
"Dites, heu... Mon Lieutenant, je peux vous demander un truc?"
Gomez-Stern fronça les sourcils, intrigué, mais aussi un peu agacé. Thrash Boy ne les attendrait pas longtemps.
"Je vous écoute, sergent.
- Entre nous, mon Lieutenant, qu'est-ce qu'ils veulent en faire?"
Machinalement, le lieutenant haussa les épaules, un geste que le sergent Parker ne pouvait que deviner.
"Je ne suis pas dans le secret des dieux, sergent, mais si vous voulez mon avis... Vous avez vu Nikita? Vieux film français, années 80?
- Vous savez, moi, les films d'auteur...
- Dites-vous juste que cet énergumène risque bel et bien de devenir notre prochaine arme de destruction massive. Alors soyez prudent, mais évitez de me le zigouiller.
- Bien, mon Lieutenant. Terminé."
Plus loin, à l'extérieur, Thrash Boy se nourrissait encore, le visage toujours enfoncé dans la viande.
"Par CNN, il ne respire donc jamais!"
Peut-être Thrash Boy célébrait-il un rite. Peut-être concevait-il chacun de ses sinistres repas comme des moments de grâce durant lesquels il communiait, corps et âme, avec le sang, la chair, la vie...
"Mouais, et peut-être qu'il est juste devenu fou et qu'il en a eu marre de bouffer des petites pilules, comme nous autres."
L'apparition simultanée de six soldats, tout autour de Thrash Boy, vint ponctuer cette dernière pensée. Le sergent avait lancé l'attaque et l'escouade entamait son mouvement d'approche. Des snipers, munis de fusils lance-fléchettes, étaient postés de part et d'autre de la rue. Certains s'étaient frayés un chemin à travers les immeubles délabrés pour atteindre les étages juste au-dessus de leur cible, bénéficiant ainsi d'une sécurité enviable. Tous se déclaraient prêts à faire feu.
A ce moment précis, Thrash Boy se releva.
Il ne leva pas la tête, révélant une face entièrement noyée de sang, ne toisa pas les soldats, ne les regarda même pas.
Ayant posé ses genoux à terre, Thrash Boy saisit les restes du corps de Tox par la cambrure des reins, redressa son buste en soulevant le cadavre au-dessus de sa tête, les dents toujours plantées quelque part entre la vessie et l'intestin grêle. Dans une macabre pantomime, Thrash Boy se mit debout, tenant toujours aussi fermement son horrible fardeau. Le torse du cannibale était inondé de sang, de bile et de divers autres fluides corporels. Des fragments de chair mâchée et des morceaux de tripes s'accrochaient à ses vêtements trempés. Et il grignotait encore. A pleines dents.
De ce fait, son cou semblait rétrécir au fur et à mesure que ses dents creusaient dans la chair. Bientôt, sa tête y passerait tout entière.
"Et les os? pensait le lieutenant. Comment il va faire pour les os?"
Les six soldats avaient resserré leur cercle autour de Thrash Boy. Le plus proche n'avait que trois pas à faire. Au lieu de ça, il fit signe aux autres de le couvrir, mit son arme en bandoulière, déplia un petit filet en fibres de nylon. Le lieutenant ne sut jamais si le marine avait lancé maladroitement ou si Thrash Boy, tout à fait conscient du danger qui l'entourait, s'était précipité de lui-même, cueillant le filet avec les pieds du junkie avant de se mettre à tourner sur lui-même. Déséquilibré par le mouvement intempestif de Thrash Boy, le soldat bascula en avant et se retrouva accroupi, la tête à moins d'un mètre des rangers de Thrash Boy. Cinq détonations éclatèrent à l'unisson. Cinq fléchettes se fichèrent dans le cadavre en lambeaux.
Du haut de son poste de vigie, le lieutenant Gomez-Stern s'avouait stupidement qu'il ne comprenait rien à ce qu'il venait de se passer, là, à l'instant et sous ses yeux. Ainsi, dans le laps de temps qui s'était écoulé entre la perte du filet et le tir quasi instantané des cinq autres trouffions, toute l'attention du lieutenant s'était reportée sur le soldat à terre. Du coin de l'oeil, il avait vaguement suivi la ronde solitaire du jeune bouffeur de macchabs, mais n'avait rien vu d'autre que des mouvements désordonnés, comme la réminiscence douteuse d'un pogo semi-éthilyque. Tout ça n'avait pas duré plus de deux secondes.
Un délai suffisant pour Thrash Boy : il avait plié l'enveloppe charnelle de part et d'autre de ses épaules. Sa tête dépassait du bas du dos de Tox, dont il avait cassé la colonne et descellé les os les plus gênants de façon à se composer un absurde poncho de protection.
La nuque hérissée et les mains sensiblement moites, le lieutenant commençait à comprendre l'intérêt que pouvait représenter Thrash Boy aux yeux de n'importe quelle armée digne de ce nom.
"Sergent! Faites reculer vos hommes et mitraillez-moi ça! Visez les membres et mettez de la distance, bordel! Ce type est foutrement trop rapide!"

= commentaires =

nihil

Pute : 1
void
    le 06/09/2008 à 15:30:38
"Peut-être Thrash Boy célébrait-il un rite. Peut-être concevait-il chacun de ses sinistres repas comme des moments de grâce durant lesquels il communiait, corps et âme, avec le sang, la chair, la vie..."

Mouahahah.

Ta gueule, pute.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 06/09/2008 à 15:33:47
Gomez, quel nom pourri.
nihil

Pute : 1
void
    le 06/09/2008 à 16:30:08
T'es à la limite du racisme là, enculé de norvégien.
dwarf
    le 06/09/2008 à 20:08:21
Haaa, eh bien ça fait plaisir de lire un bon texte.
C'est un peu confus et un peu trop soutenu par moment, mais c'est bien sympathique.
Tinca
Oh!    le 06/09/2008 à 21:07:33
fiss de singe mal dégrossi, ta mère elle est née à carrefour.

ça chie grave ce texte !
l'ocsa
    le 07/09/2008 à 00:11:13
j'ai encore plus apprécié que le premier épisode...j'attends les autre au plus vite...
Aesahaettr

Pute : 1
    le 07/09/2008 à 12:30:05
Mouais, se passe pas grand chose, quand même.
Mais c'est sympa.
Ah, et oui, "la voix du SERGENT", pas "la voix du lieutenant", sale con. J'ai bloqué 5 minutes là-dessus.
Faudrait peut-être voir à faire un truc plus drôle, avec plus de phrases comme : "Peut-être Thrash Boy célébrait-il un rite. Peut-être concevait-il chacun de ses sinistres repas comme des moments de grâce durant lesquels il communiait, corps et âme, avec le sang, la chair, la vie" ou "Par CNN".
Parce que ça reste quand même très descriptif et pas assez bien écrit pour l'être.
Konsstrukt

Pute : 0
    le 08/09/2008 à 11:26:13
j'ai trouvé ça excellent. le style très polar, l'atmosphère légèrement série b ; un bon sens de l'image, du rythme, une intrigue qui progresse au rythme idéal, des bons dialogues. vraiment très très bon, et tout à fait accrocheur. ça déparerait pas dans la série noire, ce truc.
Pygwenali

Pute : 0
    le 08/09/2008 à 16:17:04
J'apprécie beaucoup également.
Cela ce lit très facilement, et c'est originale.

MILL...
    le 08/09/2008 à 18:49:54
Original, ça? WWAAAAAHHHHAAAAHHHAAAAHHAAA...

Tu vas trop loin, pine d'huître.
Pygwenali

Pute : 0
    le 08/09/2008 à 19:07:58
C'était quoi ça?
Tu crois parler à ta copine dans la cour de récrée ou quoi?
MILL...
    le 08/09/2008 à 19:33:05
Toi t'as un petit problème de genre. Ca se voit tout de suite.
EvG

Pute : 0
    le 12/09/2008 à 00:14:31
"dont il avait cassé la colonne et descellé les os les plus gênants de façon à se composer un absurde poncho de protection."
A part ça, le deuxième volet reste sympathique. J'y retrouve peut être un peu moins d'énergie que dans le premier... Bla bla bla et fin du commentaire.

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