Il revêtait alors la belle chemise à carreaux offerte par sa sœur des années auparavant, moins pour être beau que pour avoir le plaisir de la déboutonner doucement, au lieu de retirer son t-shirt d'un seul geste, ce qui avait le fâcheux inconvénient de dévoiler sa bedaine d'un seul coup. Avec sa chemise, il pouvait prendre son temps, bouton par bouton, ainsi son ventre donnait l'impression d'être moins imposant.
S'il se permettait une pute plus qu'une bonne bouteille de vin, c'était essentiellement pour avoir des choses à raconter à propos de sa vie sexuelle à ses amis du banc de la place Gambetta. Car Henri n'avait pas la chance d'être le genre de personne à avoir des relations sexuelles gratuites, sentimentales ou réciproquement désirées. Henri était un loser.
Et c'est pourquoi, cette fois-ci, le revenu de son RMI ne lui servirait pas à se vider les couilles, mais le cerveau. Littéralement. Dans un éclair de ce qui lui paraissait être de la lucidité après sa sixième pinte, Henri avait décidé de s'offrir une arme à feu pour se foutre en l'air.
N'étant pas moins con qu'un autre, il se doutait que la réussite d'une telle entreprise tenait, en partie, dans la qualité de l'arme susnommée. Son ami André, ancien militaire, actuel SDF, éternel alcoolique, était en bonne place pour le business de ce type de produit. André avait pas mal de relations, notamment dans le milieu du tout petit banditisme (à savoir la bande de la rue de Courcelles et du carrefour Charles Miton), et il lui avait à plusieurs reprises parlé d'un mec qui pouvait échanger des flingues contre des billets.
Quand Henri se décida à en parler à André, ce dernier se trouva vivement intéressé, étant persuadé que l'arme à feu pourrait servir à dévaliser le CocciMarket, voir le Kebab un peu plus loin qui devait se faire pas mal de blé à voir les lycéens qui y dépensaient tout l'argent destiné à la cantine.
C'est donc accompagné d'André que Henri se retrouva à frapper deux coups brefs, puis un coup long, puis à gratter trois fois la porte du deuxième étage d'un immeuble qui, s'il n'était pas à l'abandon, ne devait pas coûter cher en charges pour les partie communes. Au bout de quelques secondes d'un brouhaha insensé de l'autre coté de la porte, celle-ci s'ouvrit enfin sur un petit homme chauve, barbu et en sueur. Lorsqu'il lâcha un "ha…" de soulagement en s'effaçant pour laisser entrer les visiteurs, une femme, nue, se traîna hors de sa cachette : le dessous du canapé. Henri eut du mal à saisir l'utilité d'un tel camouflage, alors que ses vêtements étaient restés bien en vue, étalés sur l'ensemble du lino du petit appartement, mais il se garda bien d'en faire la remarque.
Le petit homme prit alors la parole : "Dédé, mon vieux, 'faudra que j'te donne le nouveau code, celui-là est trop connu, les poulets l'utilisent quand ils ont besoin de coke…". André parut vivement désintéressé par cette phrase, et entra dans le vif du sujet. "Mon pote et moi on a besoin d'un pétard".
Visiblement, le petit homme était impressionné par André, car il partit immédiatement dans une pièce adjacente en lançant de grands "Ha, tu m'connais Dédé !", "Tu vas pas être déçu mon pote !" et autre "Bordel, l'est où cette saloperie de putain d'boîte à la con". En revenant dans la pièce principale, une boîte en carton sous le bras, il congédia ce qui semblait bien être une pute, mais qui se révéla être la voisine. Bien que le mélange des deux ne soit pas impossible.
"Tiens mon vieux, regarde-moi cette merveille, tu vas pas être déçu, un sacré joujou, parfait état, nickel". Mais André s'y connaissait, ou en tout cas il en donnait bien l'impression. "Range ta pétoire, on veut un truc qui tient la route. T'as pus ton beau P22 ?
- Ha non mon vieux, j'ai dû le bazarder par la fenêtre à la dernière descente de bleus et un clodo, sans t'offenser, l'a embarqué.
André se tourna vers Henri, pour fournir les explications, pendant que le petit homme farfouillait dans son carton :
- Tatar avait réussi à se récupérer un joli P22 à la grande baston de l'année dernière, tu t'souviens, entre les gars du centre commercial et ceux de la place De Gaule. L'un des gamins avait embarqué ça à son père, Tatar a réussi à endormir le bijou, ni vu ni connu, en tabassant le mioche. Les flics étaient bien emmerdés, c'était le gamin d'un bœuf-carotte.
Puis, se tournant vers le Tatar en question :
- C'est quand même con mon Tatar, un P22 ça court pas les rues et ça en jette."
L'autre a relevé la tête d'un coup, a regardé André comme si il venait de prononcer une phrase incompréhensible mais hautement importante, cligna avec force des deux yeux en même temps puis replongea dans son carton, pour s'en relever aussitôt, une arme à la main, chromée, brillante et imposante à souhait.
- Regarde-moi ça mon Dédé !
- Te fous pas de ma gueule, c'est un grenaille, ça se voit à dix bornes.
Tatar parut réfléchir quelques secondes.
- Vous voulez un truc qui en jette ?
Il se leva alors et retourna farfouiller dans la pièce d'à coté pour revenir rapidement avec une arme pour le moins imposante, constituée de deux canons superposés.
- Qu'est-ce que c'est que ta pièce d'artillerie ?!?
- Alors ça mon Dédé, c'est un LDB des forces de l'ordre de notre bonne République. Avec ça mon vieux, non seulement t'impressionnes, mais en plus tu fais pisser dans son froc le plus con des flics que j'connaisse. J'ai embarqué ça à une manif' dans Paris, un car entier de CRS à l'abandon, j'suis rentré comme dans un moulin, j'me suis servi.
André, impressionné par la taille de la bête, décida de fermer sa gueule, de mettre un coup de coude à Henri en lui tendant la main. Henri, voyant le calibre de l'engin, ne trouva pas à émettre la moindre protestation, sortit une liasse de billets de sa poche, et repartit avec le fameux LDB soigneusement empaqueté dans du papier cadeau brillant à étoiles.
Pour une raison inconnue, André lui avait donné rendez-vous le lendemain devant le CocciMarket de la rue Mitreuille, certainement pour qu'Henri l'aide, en contrepartie de son soutien dans l'investissement récemment réalisé, à acheter de quoi alimenter en pinard toute la ruelle du Poussin.
Et c'est donc ainsi que Henri se retrouva dans le coma à l'Hôpital de la Pierre-Feu, le crâne légèrement défoncé par l'impact d'une boule de plastique tirée par le Flash-Ball Super-Pro qu'il venait d'acquérir.
LA ZONE -
= commentaires =
Trop grillé le final twist.
Mais l'ensemble du texte est bien sympa.
Nan, moi je l'avais pas grillé du tout le final-twist du coup je l'ai trouvé excellent. Sinon le texte dans l'ensemble est sympa, mais avec des défauts bizarres comme les phrases "Bordel, l'est où cette saloperie de putain d'boîte à la con" en gros décalage avec " Ha non mon vieux, j'ai dû le bazarder par la fenêtre à la dernière descente de bleus et un clodo, sans t'offenser, l'a embarqué."
J'ai un peu de mal à imaginer un gars utilisant "sans t'offenser" de cette façon à l'oral.
Final twist = mauvaise idée littéraire de toute façon, par principe.
Celui-ci est de plus assez prévisible, quoique marrant tout de même.
La façon sent le bancal tout en me plaisant néanmoins ; j'aime assez la distance du narrateur et les petites notes d'humour noir, j'aime assez aussi les phrases simples et portant chacune un seul accent sur un seul mot ou expression clef. Pas trop de recherche, pas trop lourd du cul, pas trop d'intention surtout.
En revanche je trouve que c'est pénible à lire à l'oral, y a aucun rythme, c'est foutraque.
Ca me laisse une impression de cul entre deux chaises et comme j'ai un petit cul, c'est pas très agréable au bout du compte.
c'est pas un final twist, c'est une chute, tout ce qu'il y a de conventionnel, et nécessaire (et en l'occurence, réussi), dans ce genre de texte.
le style ne m'a pas gêné ; les ruptures de ton nom plus. au contraire, elles campent le personnage, je trouve. Il m'a fait penser au taré du nunchaku dans la haine, la coke en moins.
enfin bref j'ai tout à fait accroché au texte, j'ai pas lu en diagonale mais vraiment lu, ce qui est rarissime pour un texte que je lis sur un écran.
si je savais comment voter et lui mettre du plus, à celui-là, je le ferai.
Bien aimé aussi. Rapide efficace.
Juste j'ai tiqué sur la description d'André au début, ou plutôt juste sur "éternel alcoolique". Je ne sais pas pourquoi ça sonne faux pour moi, trop construit avec actuel SDF.
A part ça, le mec sur la photo, il va se rater et avoir très mal et une sale gueule ensuite.
C'est Philippe Nahon, connard. Dans Seul contre tous.
Pour le texte, moi j'ai trouvé ça plutôt plat. Rien de trop extraodinaire, ni dans le drôle, ni dans le pathétique, ni dans le style. Agréable, sans plus.
A part ça, Philippe Nahon, connard, dans Seul contre tous, il va se rater et avoir très mal et une sale gueule ensuite.
Incultiste de merde.
ceci dit, d'une certaine façon, il va se rater.
Sympathique, le style est un peu sec mais ça passe. Je reste cependant un peu sur ma fin.
J'ai trouvé le texte "plat", c'est vrai et je m'inquiétais de savoir si ça allait enfin décoller. La chute du texte ma fait sourire, sans déconner, je m'y attendais vraiment pas, j'ai trouvé ça sympa, presque rigolo.
Tiens j'ai pas commenté ce texte.
Ben c'est assez simple : j'ai aimé, pas trouvé de grosses incohérences stylistiques, j'ai senti la fin venir mais j'ai été surpris par la qualité de sa mise en place. Une bonne lecture indeed.