Pas la peine d'attendre que la pendule du salon sonne midi. A n'importe quelle heure je peux me tenir là, gueule ouverte, à fantasmer une dernière fois devant mon réfrigérateur, savourant l'attente magique qui précède mon ravitaillement gargantuesque. Une interjection réjouie, un grognement aux sonorités porcines, et je plonge mes mains épaisses jusqu'au tréfonds mystiques de mon garde-manger. Avec ferveur je le balaie des bras jusqu'à ce qu'il ait achevé de vomir à mes pieds son flot paradisiaque d'aliments bariolés. Puis je m'accroupis. Par terre. Inspiration. Les yeux clos, je porte mes mains au sol et enfourne l'ensemble de mes trouvailles en une seule bouchée. Ravi, je mastique bruyamment pour mieux entrer en contact avec la nourriture en forme de purée saliveuse. Ma langue claque de part et d'autre de ma bouche et rencontre ça et là une chair lisse, légère et tendre de jambon blanc luisant, la texture généreuse d'un quartier de rillettes, la fermeté d'une saucisse de campagne suintante, l'arôme puissant d'une branche de brocoli ou la rondeur douillette d'un œuf dur épluché et gobé tel quel. Ma conscience d'homme est peu à peu abolie par la conscience de mon estomac. Plus rien n'existe autour. Seules subsistent les formes mirifiques que mon esprit visualise par l'association des saveurs. Mes mâchements humides ne tardent pas à se stabilisent en un rythme mécanique. J'avale à intermittences parfaitement régulières. Chaque parcelle de nourriture vient huiler généreusement mon système digestif.
Puis vient la retombée.
Il ne reste rien. Tout le contenu du frigidaire est passé dans mon estomac. J'en ai la nausée. Je suis plein. Plein. Lentement je m'allonge en respirant bruyamment et de manière saccadée. Peu à peu les effets de ma énième transe gustative se dissipent. Alors je me rends compte. Je pleure. Comme à chaque fois, j'émets de misérables couinements intempestifs avec une voix tremblotante de mulot effrayé. Honte et douleurs abdominales se conjuguent pour me nouer la gorge. Je suffoque.
Bientôt, je sens un flot gluant déborder au coin de ma lèvre. Encore un rot, et je décore ma chemise d'une flaque jaunâtre où réapparaissent devant mes yeux les bribes luisantes d'aliments à moitié digérés.
Divine retrouvaille.
Alors, sans me donner le temps d'une réflexion préalable, je ré-ingurgite le tout, et sanglote et gémis de plus belle. Passionné, risible et hermétique.
Mon ventre est une entité à part entière. Toujours sa conscience dort en moi, guettant le moindre signe de faiblesse dont elle pourra profiter pour s'éveiller et me surprendre. Lorsqu'elle s'éveille je n'existe plus.
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Sympa ce truc. C'est potablement écrit sans en faire des caisses. Organique et malsain sans que ça se prenne la tête. C'est pas un chef d'oeuvre, ce sera ingéré, roté et chié en moins de trois minutes au chrono, mais j'ai bien aimé.
+1
Il me laisse une putain de bonne arrière-lecture ce texte. Ça a un côté merveilleux, un héros alimentaire, une lutte titanesque gastrique, c'est grand et ça tiens dans une cuisine.
Le côté impersonnel de la bouffe, ça me plait. J'ai lu "le ventre de Paris" récemment et ça m'a tellement saoûlé que là ça fait plaisir, un bon fatras inconsistant sans plus de détails.
Le schéma bouffer/couiner/vomir/rebouffer avec un personnage sans personnalité guidé par son bide, sans rien ou presque pour visualiser afin d'emphaser sur le schéma nutritif en tant que mouvement musical, j'aime beaucoup.
Mais je doute que ça soit fait exprès et donc je dois partir dans un trip tout seul, ce qui est bien aussi.
Y'a cependant des lourdeurs, et c'est assez gênant pour un texte qui se veut plutôt concis :
"Lentement je m'allonge en respirant bruyamment et de manière saccadée" OK lol, ça c'est bien nul.
C'est pas mal.
Bien écrit à propos d'une maladie mentale comme la boulimie, ce texte a le mérite de la clarté.
Pas mal. Je saurais pas dire pourquoi mais c'est vrai que ça passe bien et que ça laisse un bon souvenir.
Les tréfonds avaient-ils besoin d'être mystiques, je ne sais, surtout si on lit ce qui est écrit à propos justement de la conscience et du ventre plus haut, et ça me semble faire un peu tapette esthète cette formulation, mais admettons.
A part ça (et deux trois adjectifs superflus), plutôt sympathique. Je trouve le ton inabouti, j'aurais aimé soit plus de distance (cf. notations comme tragiques présentes dans le texte) soit plus de rentre-dans-le-lard et d'énergie (cf. notations techniques et détails glauques). Ici c'est entre deux chaises et lourd du cul, dommage.
Mais l'idée est plaisante, parler d'entrailles et de tout ce qui s'y rapporte, c'est toujours une bonne idée, surtout si c'est pour en dire du mal. Youpi. Et le texte ne part pas dans tous les sens, bon point aussi ; ein idée, ein page, ein texte. Gut, mein Herr.
Bref. Pas mal.
"Le schéma bouffer/couiner/vomir/rebouffer avec un personnage sans personnalité guidé par son bide, sans rien ou presque pour visualiser afin d'emphaser sur le schéma nutritif en tant que mouvement musical, j'aime beaucoup."
Putain, 400asa, t'as bouffé un sociologue linguiste eunuque pianiste ?
Non, je l'ai fumé.
Ouais bah tu pourrais avaler la fumée au lieu de crapoter tes amants et de recracher leur substantifique moelle sur la Zone, merde.
Moi au moins je suis pas chauve.
*triple saut périeux arrière, disparaît derrière un toit en tuiles de type Kirizuma*
Un saut "périeux", d'accord. Tu veux bien exploser s'il te plaît, sur-le-champ ?
ha ha, "périeux". HAHA J4AI TROUV2 LA RECETTE DU DUC§§§§§
HA HA JE VAIS FAIRE PLEIN DE CLONES§§§§
Moi, j'adore ce texte parce que j'adore la bouffe. Je trouve qu'il y a vachement de style, de description, on sent bien les différentes textures...C'est cool, on s'y croirait :
"Ma langue claque de part et d'autre de ma bouche et rencontre ça et là une chair lisse, légère et tendre de jambon blanc luisant, la texture généreuse d'un quartier de rillettes, la fermeté d'une saucisse de campagne suintante, l'arôme puissant d'une branche de brocoli ou la rondeur douillette d'un œuf dur épluché et gobé tel quel" ...
Ce texte est vraiment cool, franchement...
J4ADORE QUAND C4EST COOL? C4EST GRAVE BON QUAND C4EST COOL§§§§ JE KIFFE LE MOT COOL? YOUHOU §§§ TOUCH2 COOL2 §§§ TROIS PETITS TOURS ET PUIS S4EN VONT.
Comme Cuddle j'ai trouvé le début du texte très sensuel au sens premier, les textures, les couleurs de la bouffe, l'ingurgitation jouissive et porcine, et assez zonard le petit passage final repentir, gerbe et remanger à la vue de cette bonne bouffe régurgitée, comme un mouvement perpetuel.
Il est bon pour moi de garder l'aspect tres jouissifs de la mangeaille (où on aura pu trouver des sardines crues et des tripes) et que le passage d'auto apitoiement soit court pour rebondir sur le remanger.
Ensuite, certains termes comme "mystiques" crachent car on est dans le charnel, mais je passe ça aisément.