LA ZONE -

La nuit noire (1)

Le 24/03/2008
par Konsstrukt
[illustration] 1 : 33

Mes plus vieux souvenirs, se sont des odeurs d’aisselles et d’autres parties de mon corps. J’adorais ça. Je ne sais pas quel âge j’avais, à l’époque. Je restais des heures dans un carton, à écouter mon père et ma mère picoler et discuter de trucs de plus en plus incohérents. J’aimais ce carton. Je m’y sentais chez moi. J’y restais des journées entières ; c’était avant que j’aie l’âge d’aller à l’école.
Je frottais mes doigts contre mes aisselles, et je les reniflais. Je passais la main entre mes couilles et mes cuisses, et je humais. J’ai continué à faire ça une fois adulte. L’odeur de ma sueur m’a toujours fasciné. Et toutes mes autres odeurs corporelles. Je suçais mon doigt, le matin, avant de me lever, et je respirais l’odeur aigre de ma salive. J’enfonçais mon doigt plus ou moins profondément dans mon trou du cul, selon que je voulais avoir une odeur plus douce ou plus acre. Mes parents n’ont jamais rien su de tout ça. Je restais plusieurs minutes enfermé dans mon carton, à renifler mon doigt imprégné d’odeur de merde et de sueur, sans penser à rien d’autre. Je n’entendais même plus les conversations idiotes de mes parents.
Très tôt, j’ai respiré ma merde. Quand je chiais, avant d’appeler ma mère pour m’essuyer (et puis plus tard, quand j’ai su me torcher tout seul, avant de tirer la chasse), je me penchais dans la cuvette pour renifler. Ou bien, je m’en mettais un peu au bout du doigt. Chaque jour, elle avait une odeur différente. Pourtant, je la reconnaissais tout le temps. C’était ma merde. Rien qu’à moi. Quand j’allais aux toilettes pour sentir la merde de ma mère ou de mon père, juste après qu’ils soient sortis, ça n’était pas pareil. Ca ne me plaisait pas. Il n’y avait que mes propres odeurs qui m’attiraient. Une fois, j’ai goûté mes excréments. Ca m’a déplu. Je n’ai pas recommencé. J’avais sûrement six ans, puisque mon père était encore vivant.

2 : 32

Enfant, j’avais un fantasme. Il m’a duré des années. Jusqu’à ma renaissance en fait, jusqu’à ce que je m’isole et que je quitte la société des hommes. C’était le fantasme de l’homme dehors, qui approche avec sa hache et vient me chercher. Qui vient me tuer.
La nuit, dans mon lit, juste avant de m’endormir, quand j’étais allongé sur le côté, il arrivait que mon oreille soit repliée sur elle-même, et alors j’entendais le battement de mon cœur pulser là, à mon oreille, avec une nuance granuleuse, qui rappelait les pas de quelqu’un vêtu de bottes, sur un sol de terre sèche ou de graviers. Ca arrivait juste avant que je m’endorme, et à chaque fois j’avais le même fantasme. L’homme à la hache venait me chercher, il allait d’abord tuer mon père, et puis ma mère, et puis moi ; il essaierait de défoncer la porte avec sa hache ou alors à coups de pieds, mon père entendrait ça et irait voir, ce serait le premier à mourir ; ma mère ensuite, les coups de hache feraient taire les hurlements qu’elle aurait poussés en découvrant la scène. Et moi, enfin. Calme ; ce serait un moment attendu depuis longtemps, quelque chose de normal ; je n’aurais pas peur, je ne me débattrais pas. L’homme serait enfin là, devant moi ; à force d’approcher, chaque nuit, chaque nuit, il serait là ; il serait grand, avec un manteau noir, une barbe, couvert de sang, et sa hache goutterait sur le sol. Il me sourirait, ses yeux seraient noirs et magnétiques, il lèverait sa hache, lentement, j’essaierais de ne pas fermer les yeux mais je n’y parviendrais pas, sa hache me fendrait la poitrine, j’entendrais l’os craquer, je sentirais le sang chaud, ça serait fini.
C’est un de mes plus doux souvenirs d’enfance. Ce moment, juste avant de m’endormir, où je prends la bonne position, et j’écoute les pas de l’homme, qui approche, à pas lents, calme, inexorable.
Vers quinze ans, j’ai perdu l’image.

3 : 31

La première chose morte que j’ai vu, c’est une mouche. Je n’allais pas encore à l’école. Mes parents et moi habitions un appartement en ville ; je ne sortais presque jamais. Ma mère était effrayée à l’idée que j’aille dehors. Elle faisait le ménage, et mon père était à son travail. Par la fenêtre, j’observais les gens, quatre étages plus bas. Il y avait des mouches. Ma mère en a tué une, juste devant moi, d’un coup de torchon contre la vitre. La mouche a laissé une trace rouge et elle est tombée par terre. Ma mère l’a ramassée et jetée dans un cendrier. J’étais fasciné. J’avais vu voler cette mouche, et je l’avais vu mourir. J’ai attendu que ma mère change de pièce, j’ai récupéré la mouche et je suis allé dans mon carton. Je l’ai observée, pendant un long moment, puis je l’ai écrasée entre mes doigts. Je me souviens de la sensation exacte. L’abdomen transformé en purée jaunâtre, humide contre ma peau, et le reste du corps, écrabouillé aussi, mais plus solide. Ca m’a soulevé le cœur. Et cette sensation était bonne, comme si ce haut-le-cœur dissimulait quelque chose de supérieur. Une conscience plus grande. Voilà ce que cette sensation m’avait suggéré. Bien sûr, à ce moment-là, je n’avais pas du tout identifié cela. J’étais un enfant. J’avais juste éprouvé une sensation d’écœurement qui faisait du bien. J’ai ressenti du trouble et de la confusion. J’ai terminé d’écraser la mouche entre mes doigts. Il n’en est resté que de la pulpe. Le trouble s’est prolongé, et puis dissipé, mais il a marqué mon esprit. J’ai quitté mon carton. Toute la journée, et toute la nuit, j’ai repensé à ça. Pour moi, à l’époque, ça ressemblait à un secret. Quelque chose connu de moi seul, que j’avais trouvé par hasard ; quelque chose d’important. C’est ce jour-là, je crois, que ma vie a complètement changé. Toute la suite s’est déterminée dans cet instant où j’ai tout compris sans rien pouvoir formuler.

= commentaires =

nihil

Pute : 1
void
    le 24/03/2008 à 22:35:08
Mise à part la frustration habituelle dans les textes à épisodes, celle du texte incomplet, j'ai beaucoup aimé. J'ai trouvé le personnage très humain, il est à moitié tordu, mais il ressemble à plein de gamins, ceux qui arrachent les pattes des mouches juste pour voir, ceux qui se racontent des histoires effrayantes avant de s'endormir. Pour une fois sur la Zone, y a pas de surenchère dans le malsain, et ça reste réaliste. Ce qui n'empêche pas que j'anticipe un monstrueux pétage de plomb à un moment ou un autre dans la rubrique.
Agréable à lire en plus, putain c'est autre chose que la rubrique Minutes, cet immondice insoutenable.
nihil

Pute : 1
void
    le 24/03/2008 à 22:37:19
Au passage :

La gravure est signée Jean-Marc Renault (http://www.jmr02.blogspot.com)

Ce sera la même provenance pour les autres illustrations de la rubrique.
400asa
    le 25/03/2008 à 01:09:25
Si c'est une intro c'est super.
Si l'action ne vient pas tout de suite au deuxième texte ça va vite devenir chiant.
Konsstrukt

Pute : 0
    le 25/03/2008 à 10:48:38
ah bin merci.
je connais assez l'exigence littéraire de la zone (et je blague pas, là) pour apprécier ces compliments à leur juste mesure.
nihil

Pute : 1
void
    le 25/03/2008 à 12:57:38
Choupinet, j'ai raté ta lecture publique samedi soir. Je suis arrivé vers 21h, au début du spectacle de Costes. T'as lu quoi ? Tu t'es fait jeter des tomates ?
Le Duc

Pute : 1
    le 25/03/2008 à 15:29:40
J'aime beaucoup, on dirais que le passage sur les odeurs corporelles sent le vécu par contre.

"j’ai récupéré la mouche et je suis allé dans mon carton"
Cette phrase m'a fait beaucoup rire.

J'ai hate à la suite. Contrairement à 400asa, moi j'aime l'ambiance malsaine que déguage ton personnage. Sans que l'on puisse vraiment réussir à mètre le doigt dessu, on sent que c'est un sérieux psychopathe. Le fais de rentré dans une boucherie sanguinaire trop rapidement, sans plus de reflexion sur sa mentalitée serai dommage, enfin pour ce que j'en pense.

Sinon encore une foi tu tien une super intro. Putain je deteste dire comme tous le monde.
Konsstrukt

Pute : 0
    le 25/03/2008 à 17:55:00
nihil : et costes, c'était bien ? du coup, moi je l'ai raté pour aller picoler entre amis.
et bé, j'ai lu le début de la nuit noire, et figure-toi que j'ai été applaudi par au moins quinze personnes, peut-être même plus. un franc succès. la vidéo et la clarinette n'y étaient pas étrangères, remarque. de loin, la meilleure lecture que j'ai faite.

le duc : ouais, y'a une petite part de vécu là-dedans (mais pas aussi obsessionnel, quand même)
Marquise de Sade

Pute : 0
    le 25/03/2008 à 20:15:04
tu oublies de parler de l'ours, Kons
c'était mieux que la clarinette il parait

Hag

Pute : 2
    le 26/03/2008 à 19:06:32
Enormément aimé, j'ai plongé lors de ma lecture (surtout à partir du second paragraphe) comme rarement.
Du coup, je sais pas trop quoi dire de constructif. Je vais donc faire dans le non-constructif : pute, pute, papillon, pute.
    le 29/03/2008 à 13:39:41
Ah, putain, voilà. CA j'aime beaucoup.

J'aime la distance entre le narrateur et ce qu'il dit : pas d'exaltation débile, ni admirative ni dégoûtée, juste une objectivité poussée autant que possible, et comme amusée parfois ; le ton est excellent. Ca donne une portée réelle par exemple au paragraphe de l'homme à la hache qui, exalté et sans distance, pourrait être vraiment ridicule et déjà-vu. Il est, déjà-vu, comme les autres pour ce qui est des thèmes et des images, mais il est bien mis en œuvre et on garde nous aussi la même distance au texte que le narrateur, au moins, donc on le prend pour ce qu'il est, un récit sans prétention et léger (au sens intellectuel).

L'écriture aussi (au contraire de plein de trucs de Kstkrrtks mais ma gueule, on parle pas des auteurs, ma gueule) est enfin un peu libre et enfin un peu syntaxique. On a des phrases françaises, on n'a pas de volonté de choquer le sens grammatical du lecteur, on a des effets utiles quand il en faut, et chaque phrase est pensée il me semble (du moins pas anodine), mais comme c'est utile, ça reste extrêmement fluide.
J'ajoute que les paragraphes sont un petit bonheur de lecture face aux textes magmatiques ou monolithiques qu'on se chope le plus souvent. Faut lui rendre ça, à Kskrtzksssglglgl, il sait ce que c'est que l'unité de ton et l'unité de sensation ou de sentiment.

Bref bref.
Hourra.
    le 29/03/2008 à 13:42:22
J'ajoute que j'ai mis la note maximale et que d'un point de vue historico-zonard ça me fait extrêmement mal au fion. Fils de pute.
EvG

Pute : 0
    le 29/03/2008 à 13:54:24
Bah alors ! C'est très bon ça, très bon mis à part que les enfants ne suent pas ou à peine. J'entends par là qu'il s'agit ici d'un gamin très sale qui n'attend pas la puberté pour pourrir ses slips et chemisettes.
Vraiment bien aimé, bien pensé, bien vécu ?
Bien cinglé, une folie latente et retenue parce qu'elle n'est pas encore apprivoisée... Enfin je ne sais pas, ça respire quelque chose de vrai et sur la zone comme ailleurs, les écrits qui puent le vrai sont rares.
Je trouve que ça se tient bien ainsi, j'ai des craintes quant à la suite.
Je pars de suite violer une drosophile avec une aiguille !
Konsstrukt

Pute : 0
    le 29/03/2008 à 17:10:17
ah bon, y'a des notes sur la zone ? fichtre, alors.
EvG : j'ai un enfant de huit ans ; certes, il ne sue pas autant que carlos, mais, quand même, un petit peu.
nihil

Pute : 1
void
    le 29/03/2008 à 17:12:03
Bonjour, je suis moi-même un enfant de huit ans et je transpire du lait par la bite. C'est normal ?
EvG

Pute : 0
    le 29/03/2008 à 17:20:12
Bonjour j'adore les enfants suants et suintants. Mon p'tit, tu as une phallorrhée de première classe... ou alors tu peux vite courir voir un certain monsieur Sevran qui se fera une joie de te faire tourner sur le bout de son doigt qu'il aura insinué dans ton rectum attendant que cette stimulation soit récompensée par une douche de sperme tout neuf et tout pur.

FIN

Bonne nuit mon zoubidou !
nihil

Pute : 1
void
    le 29/03/2008 à 18:00:31
Ma maman m'a dit de pas parler aux inconnus, de les sucer direct.
EvG

Pute : 0
    le 30/03/2008 à 01:43:42
Soit ta maman est une femme sage soit c'est rachida dati et ce n'est que dans un de ces deux cas que je te conseille de suivre ses conseils mon petit putto sans ailes.
Narak

Pute : 2
    le 30/03/2008 à 16:58:09
Je trouve ça presque poétique d'un certain point de vue, tout ce qui ce passe avec l'oreille est tellement juste et bien décrit et en même temps universel que vraiment ça en devient touchant sans basculer à aucun moment dans le truc gratuit et gnan-gnan. En fait je ne vois rien de vraiment malsain dans le texte (à part toutes les références à la famille du gosse qui laissent éventuellement présager une évolution à base de perceuse entre les omoplates.). Le gosse en lui même me parait clean. Je m'identifierais presque, sauf que moi je fantasme sur les flèches plantées dans les côtes et les hameçons dans le nombril. Ceci, je ne suis pas ce qu'on pourrais appeler " clean ".


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