Quand je devais me rendre dans une église, je prenais du sel. Beaucoup d’enterrements, les naissances des enfants des enfants des enfants. Je me mettais au fond pour que Dieu ne me foute pas à la porte. J’avais tellement imploré qu’il rende son tablier. Ce connard n’avait rien voulu entendre. Vous connaissez le syndrome de Peter ? Ben voila, c’est ça.
Je jetais du sel sur les statues de l’église et sur le curé aussi quand il me tournait le dos.
Après j’embrassais les jeunes. Je savais que je ne sentais pas très bon et que personne ne prenait plaisir à toucher ma peau. J’aurai bien décidé de me tuer avant si j’avais réussi ma vie. Par mégarde, je l’avais complètement loupé. Comme les autres. Je me disais que je pouvais peut-être gagner à la loterie pour rattraper mon inconsistance.
En fait, non. Gagner un paquet de fric ne m’aurait plus servi à rien en fait. Pour la bonne et simple raison que rien ne me servait à rien de toute façons. Je vivais désormais dans une zone laide et puante où personne ne se rendait. Tout ça c'était par la faute de la méga déchetterie non loin. Ca sentait tout comme moi. La carne pourrie. Et ça m’arrangeait. Les gens pouvaient penser que l’odeur venait de là. Mes dents étaient toutes tombées sauf une. J’avais un dentier pour les fêtes. Sans ça, j’avais été prévenu, je ne serais pas invité. On m’asseyait au milieu de gens ennuyeux ou des voleurs de poules. Ceux de la famille d’en face par exemple. J’emportais du sel là aussi. On m’appelait le "vieux au sel" par devant. Par derrière, je n’imaginais même pas.
La grande erreur que j’avais commise était de n’avoir pas su faire fortifier un héritage quelconque et ma deuxième erreur était que les gens le sachent. Dans ces conditions gagner à un jeu de hasard n’aurait pas représenté grand-chose d’intéressant. Sans doute qu’un des descendants parmi les plus sensés en eut profité pour me faire déguster le bouillon de onze heures.
De ce fait, j’avais une autre envie et c’était celle de faire taire ce monde. J’observais attentivement les nouvelles des étoiles et peut-être que j'espérais qu’une météorite s'en vienne percuter notre monde et nous fasse disparaître nous les vieux dinosaures sur deux pattes. Si vous saviez combien de ces convois de caillasse aussi massifs que des paquebots gravitent dans l'espace, vous saisiriez bien l'éventualité d'un grand bang utopiquement ancré dans mon esprit.
Je comprenais de plus en plus les choses au fur et à mesure que je m’ennuyais. Les "choses" (comme je les appelais) étaient que je n'étais qu'un bout de barbaque inutilisable. J’avais été opéré de la prostate, de la cataracte et de l’œil de chat, de l’intestin inférieur, je me débattais avec une dystrophie facio scapulo hymérale qui me paralysait le visage et les membres supérieurs. Je pouvais manger des épinards et boire de l’eau à condition qu’elle soit mélangée à des mixtures pharmaceutiques amères. Tout me ramenait au regret de n'avoir pas songé à me tuer quand il en était encore temps et que j’avais un fusil à ma disposition. Je ne l’avais sans doute pas fait parce que le jour où j’étais presque décidé, il faisait beau ou une débilité comme ça. C’était con à dire. Maintenant, je ne savais pas, je ne savais plus ce que je foutais là à part souhaiter que ceux dont j’avais des nouvelles aient de gros problèmes et le plus possible de tristesse dans leur vie. Pas par méchanceté, non. Juste pour avoir l'occasion, dans ce cas, de parler un peu de moi en faisant semblant de compatir.
Dans mes grands moments, quand je voyais les gens baisser leur garde, je tentais systématiquement de leur souffler de toujours garder un fusil pas trop loin. Ils me voyaient bien alors prendre ma respiration et mon air de conspirateur et aussitôt ils tournaient les talons. Il ne me restait plus qu'à les maudire et à leur lancer du sel dessus le plus vite possible, quitte à avoir mal au bras. Un peu plus ou un peu moins, vous savez.
Enfin tout ça c’était avant. Parce qu'un jour, je n’avais plus rien eu à dire. Je sortais de la salle de bains ou j'avais frotté au gros savon de Marseille ma peau fripée et je m'apprêtais à enfiler un slip. Un gros slip de vieux. Et j’étais soudain devenu muet. Ca m'avait pris tout en haut du cou, j’avais eu très mal au bras et sur le coté du corps. J’étais tombé de manière navrante par terre, c’était bien évidemment une crise cardiaque qui m’avait amené là. Ca devait avoir l'air marrant dans le fond, j’avais concrètement essayé de ramper au début (marrant pour le connard omniscient juste pour lui) mais c’était étrange parce que plus rien ne répondait. Mayday mayday. Une plaisanterie de jeune. A mon âge on dit, putain de dieu de merde. Putain de monde pourri, je te hais. Que crèvent tous les connards que je connais et l'ensemble de leur progéniture, pas un qui ne soit jamais là et encore moins aujourd’hui quand j'en avais besoin.
J'avais fini par sentir que la camarde m'avait épargné quand la douleur avait disparu. Néanmoins, il n'y avait toujours pas moyen de bouger ne serait ce que d'un centimètre par quel côté que ce soit.
Toujours pas âme qui vive à l'horizon au bout de six-huit heures et moi étendu à poil comme un cafard à moitié gazé. Le seul qui s’intéressait à ma vieille carcasse était encore Rex le clébard. Il venait me voir de temps à autre. Au début, j’avais pensé qu’il allait hurler à la mort et donner l’alerte. Ca me semblait envisageable. Il paraissait que ça se passait comme ça dans certaines anecdotes. Mais en fait non, Rex était passé près de moi à échéance régulière et il se contentait de plonger ses yeux dans les miens. Le deuxième jour, il était de nouveau venu s’asseoir, il avait essayé de poser sa patte sur ma joue comme pour jouer et devant mon absence de mouvement son regard avait changé. Il ricanait d’aise. "Qu’est ce qu’il a l’air con, mon vieux maître couché comme ça, comme une tortue renversée" semblait il exprimer. Il passait peu à peu à quelque chose d’autre. Sa décision, il la prit le troisième jour. Méthodiquement il avait tourné autour de moi un certain temps en me reniflant avec insistance lorsque soudain il décréta que c'était le moment. Ses crocs se plantaient alors fermement dans ma jambe pendant que de la bave coulaient de ses babines pendantes. J’avais eu à peine mal. Lui il s'escrimait à arracher un bout de viande en tirant dessus. Au bout de trois minutes il était parti s'occuper de son trophée sur le tapis du salon.
Moi qui haïssais tout l'immeuble, je foudroyais de damnation les voisins du dessus et de dessous qui ne se demandaient même pas pourquoi je n’allais pas traîner dans le hall pour les faire chier eux ou leurs enfants débiles. Faut dire que très régulièrement je les insultais pour toutes sortes de raisons, tapage nocturne, pour leurs chiards sans éducation, pour les stupides cris de joie qu'ils poussaient en se regroupant. Tous de sordides imbéciles qui ne prouvaient rien dans la vie. Même si moi aussi je n’étais arrivé à rien. Je ne trouvais absolument pas que ce fut une raison suffisante pour la boucler. Ca faisait un sacré bail que ce n’était plus dans mes cordes ce genre d'ambition. La cerise sur le gâteau semblait en fait que ma destinée ait été toute dirigée dans l'objectif de me voir muter en Canigou au crépuscule de mon existence. Ils allaient se réjouir encore une fois pour pas grand-chose, ces pauvres glands.
Rex, avec une dextérité quasi chirurgicale, avait réussi à me grignoter la jambe jusqu’à l’os sans atteindre la moindre veine ou artère vitale et maintenant il rongeait mon genou, couché sur le côté en tressaillant des pattes tellement il se régalait, je ne sentais presque rien tout le long sauf quand il parvint finalement à me le croquer en deux. Là, putain de raclure de chiotte, j'avais sacrément dégusté et m'étais évanoui. Ce taré de clébard m'avait réveillé une fois rassasié, en venant me lécher le visage pour me récompenser de le nourrir si grassement. J’avais son haleine pleine gueule et je ne sais pas si c’était ses dents pourries ou ma chair qui puaient le plus dans l'air vicié de mon appartement minable.
Quatre jours au sol à servir de pâtée alimentaire et je ne sais pas pourquoi, un formidable coup monté du bon dieu, pas avare du fait le saligaud, j'étais encore vivant. Ca picotait grave, ça lançait rude et moi tantôt je m'engourdissais perdant connaissance, tantôt je devenais dingue haletant comme une sale pouffiasse bien engagée. Je préjugeais que le vieux barbu devait être en train de juger que j'en avais peut-être mon compte lorsque j’avais entendu les clés dans la serrure. Mon fils. Avec sa gueule de con qui arrive trop, trop, trop tard. Planté comme un banc, il me regardait avec une expression d’effroi devant le tableau de mes deux jambes bouffées et j’étais sans doute un peu verdâtre. En plus ma crise cardiaque je l’avais faite à poil et on devait voir mes couilles de vieux. Pas super beau les couilles d’un vieux sans jambes, j'imagine.
J'étais sorti de l’hôpital pour Noël. J’étais installé sur une belle chaise roulante payée par la sécurité sociale. Le miracle de la médecine moderne faisait que j'étais sauvé. J'étais apparemment censé me féliciter de vivre encore. On m’avait bien expliqué que si j’avais eu cinq ans de moins on aurait essayé de me poser des prothèses de plastiques. A 70 ans ce n’était plus la peine. Je crèverais cul de jatte, pourquoi pas. Il était pas loin de 21 heures, tout le monde s’empiffrait de crevettes et de dinde fourrée. Dans ce salon d'une belle maison de campagne, il y avait une grande cheminée, du feu dans l'âtre, le bon dieu devait bien s'esclaffer en me regardant entre deux flammes surnaturelles. Avachi sur mon tronc, je sentais bien que je m'endormais et que personne ne tiendrait à me réveiller avant la distribution des cadeaux. Personne ne se souciait évidemment du "vieux au sel " et les bûches crépitaient de plus belle, de plus belle, inondant la maison de sa lumière bienveillante et réchauffant le pelage fauve de mon fidèle chien, le dernier encore à veiller sur ce qu’il restait de moi.
LA ZONE -
Comment faire taire le monde ?
Je l’entendais piailler à tout instant. Ce monstre revendiquait sa croissance comme jamais et je venais d’avoir 70 ans. Les humains de 70 ans sont fatigués la plupart du temps. Quand ils émergent, ils font semblant d’être en pleine forme. Ca suffit, selon eux, à faire comme si tout allait bien.
Je l’entendais piailler à tout instant. Ce monstre revendiquait sa croissance comme jamais et je venais d’avoir 70 ans. Les humains de 70 ans sont fatigués la plupart du temps. Quand ils émergent, ils font semblant d’être en pleine forme. Ca suffit, selon eux, à faire comme si tout allait bien.
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Faut bien surveiller le garde manger pépé!
J'ai d'abord pensé que c'était dommage d'en dévoiler trop dans la description du texte, mais finalement ce n'est pas mal vu d'encourager le lecteur.
Plutôt foiré, le texte, trop long à se mettre en place et, une fois en place, pas trop crédible la manière dont il nous raconte ça, le narrateur : ha, oui, tiens, on me bouffe la jambe, merde, pas de chance, tiens, je vais râler après les voisins au lieu de hurler en mon fors intérieur que putain ça fait mal. Dommage, bonne idée de base.
"Je sortais de la salle de bains ou j'avais frotté au gros savon de Marseille ma peau fripée et je m'apprêtais à enfiler un slip. Un gros slip de vieux."
Il y a de belles envolées lyriques, quand même.
J'aurais aimé avoir la fibre littéraire pour être capable de torcher des tirades comme celle ci.
Je vais tacher de mémoriser ces deux phrases pour les ressortir un de ces jours.
Vite, alors.
C'est de la grosse merde, c'est pourri.
Je veux dire... va te faire foutre!
(il fallait que je casse un texte la, pas de chance c'est tombe sur toi)
Bon, j'en ai quand meme lu un bout... Mais ca commence mal deja avec une histoire de vieux... J'ose avouer que ce qui m'a motive c'est la description de Nihil... mais je suis pas arrive jusqu'a la fameuse scene beuuuuh.
Alors bon. Je vais t'aider parce que je t'aime bien.
Dire du mal d'un texte, oui, évidemment, mais il y a des choses à éviter :
- "Putain c'est d'la lecture pour rats, ce torchon mérite une euthanasie douloureuse (lolol je rigole, vive l'amour)."
- Traffic en général. Surtout Traffic. Traffic je t'aime.
- Ma bite.
Ah pardon, faut qu'je suce maintenant?
Je suis devenu fan des textes de traffic ; heureusement je n'ai pas fini de tous les lire.
Celui-ci est (pour le moment) mon préféré.
Glaçant de justesse et de réalisme, et cette nonchalante ironie, cette économie d'effets.......d'autres sont un peu plus déjantés, mais celui-là, en plus, est prophétique.
Traffic : "Rex, avec une dextérité quasi chirurgicale, avait réussi à me grignoter la jambe jusqu’à l’os sans atteindre la moindre veine ou artère vitale et maintenant il rongeait mon genou, couché sur le côté en tressaillant des pattes tellement il se régalait, je ne sentais presque rien tout le long sauf quand il parvint finalement à me le croquer en deux."
Erruer : Glaçant de justesse et de réalisme, et cette nonchalante ironie, cette économie d'effets.......d'autres sont un peu plus déjantés, mais celui-là, en plus, est prophétique.
Narak : Mouhahaha, mais mouhahaha !
ah, ma soeur, avec un bon AVC qui vous nique l'aire cérébrale correspondante on peut être à la fois paralytique et insensible. Tu verras.
et une bonne crise cardiaque qui déclenche un AVC c'est non seulement vraisemblable mais.....
AHahhaaHHAHaa
ta gueule
ah mais aurais-je déjà deux ennemis personnels dans le petit peuple de ce site ?
ta gueule
Je voulais juste dire par mon " mouhahaha " que t'en faisais un peu beaucoup dans la formulation.
Sinon, en ce qui concerne Glö, je crois que c'est l'ennemi personnel de l'humanité. Et de ma gueule, oui.
En plus il est bourré.
ta gueule
Comme prévu.
Paul Préboist dans ton cul salope.