La cellule
Gaston était adossé contre le mur, il devinait sur sa droite l’entrée de sa cellule par le courant d’air qui soufflait autant qu’un rat à l’agonie et dont l’odeur soutenait la comparaison. Depuis son réveil, pour s’occuper, il s’était d’abord mis dans l’idée de faire toute une série de pas, pour joindre un possible mur à l’opposé, puis avait convenu intérieurement qu’il était plus sage de ne pas s’appuyer inutilement sur sa jambe gauche dont le genou, au toucher, se ressentait encore des quelques coups de marteaux donnés par les gardes, pour vérifier ses réflexes, comme ils disaient. Gaston avait commencé par rire avec eux, puis la douleur l’avait un peu obligé à revoir sa position, mais il ne s’en sortit pas si mal, et les vrais ennuis ne commencèrent vraiment que lorsque les gardes apprirent la raison de son arrestation. Après toutes les formalités d’usage qui s’étaient alors imposées, on lui avait remis un uniforme rouge, pour « ne pas le confondre avec la boue » et aussi un petit fascicule qui expliquait les principaux gestes de survie à l’ennui, mais il fut plongé dans le noir où tous ces détails n’eurent guère plus d’importance.
Vers quatorze heures, on vint le chercher, et c’était quatorze heures du lendemain, parce qu’il y avait eu beaucoup de retard administratif, à cause de la crise du matériel, lui confia un gardien qui n’avait pas sa langue dans sa poche, mais celles de plusieurs ex-détenus qui bariolaient gaiement son porte clés. Il était plutôt prévoyant, et ceci se manifesta notamment lorsque Gaston reçut un sceau d’eau froide pour le réveiller. Des glaçons qu’on y avait plongé pour obtenir la température adéquate, une bonne moitié figurait encore sous leur forme initiale, et, d’un simple cri, Gaston fit remarquer à juste titre que leur contact à pleine vitesse avec ses blessures de l’avant veille au visage n’avait rien d’agréable, ce qui sembla donner pleine satisfaction au gardien quant à l’avoir réveillé.
Dans la salle d’attente pour rencontrer son avocat, il put s’asseoir un instant, mais ce fut uniquement pour marquer l’arrière de son uniforme avec le numéro tracé sur la chaise qui servait de tampon, sans que l’utilisation inverse ne semble avoir cours d’autre part. Son avocat s’appelait Maître Roselle, mais on pouvait simplement l’appeler maître, et Gaston lui en fut reconnaissant en n’utilisant ni l’un ni l’autre. Sa langue souffrait des petits inserts qui continuaient à grandir, ce qui lui interdisait déjà de la lever. Il s’aperçut en testant qu’il pouvait encore la bouger de droite à gauche, et ça lui redonna le sourire, jusqu’aux oreilles, qu’il portait maintenant pendantes comme des favoris.
« Vu la gravité des faits qui vous sont reprochés… bien, ah, oui… oui, vous avez un peu de chance… c'est-à-dire, que, comment vous expliquez… la victime consent à un arrangement à l’amiable… elle demande un entretien avec vous… on peut l’organiser demain, ou même ce soir… bien entendu, c’est un privilège qu’on vous fait là… elle choisira elle-même la sentence… c’est une fille, il y assez peu de chances qu’elle connaisse tous les châtiments possibles, mais si je peux vous donner un conseil, et ce sera bien le seul dont je vous ferai cadeau, c’est de ne pas trop l’énerver… qui sait, vous vous en sortirez peut être avec une simple séance de fouet… »
Il éclata d’un rire exagéré, mais sa blague ne l’était pas moins, et Gaston n’y prêta guère attention. Dans le couloir, on lui confirma que l’entretien aurait lieu dans la soirée, qu’il n’était pas nécessaire de le faire regagner sa cellule entre temps, et il fut amené dans une salle de préparation au monde extérieur, où tous ses inserts furent retirés, sans trop de ménagements. Ça laissait des trous énormes parce que la plupart atteignaient leur taille adulte en moins de vingt quatre heures. La fille qui s’occupait de le conditionner portait des gants prévus spécialement à cet effet pour ne pas accrocher la peau, cependant celle de Gaston frémissait dès qu’elle le touchait, et lorsqu’elle le dévêtit complètement, il ne put pas cacher grand-chose de son émoi. Comme on avait lié tout un flanc de son gland à sa cuisse droite, il dut la relever pour suivre le mouvement et la préparatrice eut un rire très professionnel, car à ses dires, cela arrivait souvent avec les condamnés pour crime passionnel comme lui. Elle ne semblait pas troublée le moins du monde, ni par cette manifestation ni par les hurlements suivants, dont elle s’agaça seulement en défiant Gaston de recommencer grâce à un regard plein de persuasion. Cependant l’arrêt de son activité fut plus convaincant, et Gaston ne reprit son silence qu’à ce moment, en enfilant ses nouveaux vêtements. Peut être pour se faire pardonner de sa froideur, la fille montra à Gaston qu’elle avait aussi eut une sorte d’insert au nombril, quand elle était plus jeune, et qu’en conséquence, en terme de douleur, elle savait de quoi elle parlait. Elle mit beaucoup de soin à ne pas trop comparer son cas à celui de Gaston, ce qui le toucha profondément, et pour ne pas rester en retrait de gentillesses, il la remercia.
« Pfff, vous êtes bien tous les mêmes » conclut elle, puis elle disparut et cela lui fit encore gagner en distance et en beauté.
L’entretien
On les avait disposé l’une en face de Gaston. Sûrement avait on jugé que Gaston jouait le rôle de l’hôte, aussi fut il introduit en premier dans la salle, où il dut attendre bien une demi heure avant d’être rejoint par Maureen, et ça ne lui fut pas de trop pour s’habituer à la terrible lumière qui sembla encore se multiplier avec l’entrée de la plaignante. Quand il regardait Maureen, comme ça, Gaston avait l’impression qu’elle se déplaçait à la vitesse de cette lumière omniprésente, ce qui le fatiguait, et il dut se faire violence pour la fixer sur une image. Après des débats orageux, ses yeux cédèrent, et ils cessèrent de produire ce va et vient qui leur faisait ressembler à une roulette russe observé au travers de lunettes.
MAUREEN - « Tu as une mine affreuse. »
GASTON - « C’est à cause de l’air d’ici, ça vous attaque la peau. Les gardiens ont très chaud, c’est la sueur de la justice qu’ils disent, mais c’est difficilement supportable quand ils vous croient coupable… ou que vous l’êtes. »
Il prononça tout ça d’un coup, et s’arrêta comme essoufflé, car il n’avait plus parlé aussi longtemps depuis son arrestation. Afin de ne pas se vautrer dans sa satisfaction, il reprit en se penchant un peu, pour témoigner de son intérêt :
GASTON - « … ça va, toi ? »
MAUREEN - « Oui… ça peut aller… » et après un court silence où elle se détacha de sa vue, qui devenait déplacée : « Croc s’inquiète beaucoup pour toi. »
GASTON - « Ah… »
Cela ne servait sans doute à rien d’en rajouter ; les conseils, qui ne méritaient qu’à peine l’emploi d’un pluriel, de l’avocat lui revinrent et il finit par lâcher :
GASTON - « C’est gentil de sa part. »
MAUREEN - « C’est un garçon très gentil ! » comme si la réplique de Gaston incitait à en douter.
GASTON - « Oui, ce n’est pas pour rien que vous êtes ensemble. »
MAUREEN - « T’es dégueulasse Gaston ! Ton meilleur ami ! »
Ils avaient certainement tous les deux beaucoup à dire, car ils restèrent sans parler pendant un bon moment, comme s’ils ne leur manquaient qu’un signe de l’autre pour se lancer. Gaston contemplait le trou de sa main droite ; en y baladant délicatement un doigt tout le long du périmètre, on devait toucher à plusieurs nerfs, et toujours, ça faisait assez drôle impression pour provoquer des chatouilles dont il s’amusa un instant. Maureen, aussi curieuse que sa beauté le suggérait se prit au jeu, et lui fit même découvrir une sensation encore plus intense en tapotant avec son doigt à l’intérieur du trou, comme le battant à l’intérieur d’une cloche. Le son produit était les sursauts de surprise de Gaston, tout sourire, ce qui ne manqua pas d’attirer les surveillants, mais Maureen leur fit signe que ça n’était pas la peine de s’alarmer, qu’elle allait bien, et Gaston la remercia car du haut de leur air sévère il y avait fort à parier qu’ils en avaient après sa bonne humeur soudaine, et ne seraient parti qu’en la lui ayant confisquée.
GASTON - « Tu vois, ça n’aurait rien du changer à nous deux, toute cette histoire. »
MAUREEN - « Comment tu veux dire ? »
GASTON - « Toi et Croc, ça n’aurait rien du changer à nous deux. »
MAUREEN - « Gaston ! je suis pas comme ça… »
Elle tenait encore son doigt au creux de sa main, mais maintenant Gaston l’avait refermé et retenait son doigt prisonnier.
GASTON - « Je sais très bien comment t’es pas ! Et je sais aussi comment nous n’étions pas. Et tout ce à quoi vous allez toucher, Croc et toi, - dieu me garde d’y seulement penser - nous on y touchait pas, quand on était… »
MAUREEN - « Qu’on était quoi ? »
GASTON - « Avant que Croc ne s’en mêle. »
Elle lui avait abandonné sa main.
MAUREEN - « Ecoute Gaston, il va falloir que je parte. Je suis passé pour régler les détails administratifs. J’ai là un catalogue des peines, je te laisse choisir, ça m’importe peu, je n’interviendrai pas dans cette décision. »
Gaston réfléchissait à tout un tas de trucs qui lui passaient par la tête, et qui prenaient, par cette vitesse, des airs de vérités. Il se disait que la beauté d’un être, comme la véracité d’une idée, ne devait sa condition qu’à son mouvement, et il s’imaginait au milieu d’un ballet de cadavres, tous en petites tenues, dansant comme ils se devaient d’être, exquis.
GASTON - « Je choisirai quand tu seras partie, alors. Tu vas vraiment y aller ? »
MAUREEN - « Oui… écoute, je suis désolée qu’on en soit arrivé là, mais je suis avec Croc maintenant et tu m’avais tout de même écrit un poème, on ne pouvait pas ne rien faire. C’est la procédure, tu sais… »
Il tenait toujours sa main, mais elle lui paraissait de plus en petite à mesure que le temps passait…
GASTON - « Les gens qu’on aime c’est comme des pays sur une carte, y vaut mieux continuer à se tenir à distance pour leur laisser leur charme intact… »
MAUREEN - « Bon, j’y vais »
GASTON - « Quoiqu’il en soit, je lui en souhaite bien de la chance, à Croc, pour supporter toute celle qui lui est tombée dessus. »
MAUREEN - « Tu dois délirer, on ne comprend plus rien à ce que tu dis. »
GASTON - « C’est parce que je suis honnête, je n’ai plus grand-chose à perdre. On commence à se comprendre quand on se meurt. »
MAUREEN - « Ecoute, Gaston… »
GASTON - « Non, j’en ai marre de tes « Ecoute, Gaston ». Tout ce que je dis, c’est que votre truc ça ne mène à rien, voilà… c’est plein de bons sentiments, même que y en a qui vous traiteront d’amoureux, mais ça sent le chimique à vue de nez, votre machin, à vous deux. Y a trop de touchers, de plaisir, et d’autres choses qui contribuent au bonheur, et c’est encore pire que des choses pour le malheur, ça, parce que personne ne les fuit et tout le monde vous les envie, et une fois qu’elles sont passées de mode, on vous trouve ringard et kitsch avec et c’est impossible à revendre à qui que ce soit. Voilà, et je voulais aussi te dire, pour ta gouverne, que moi, c’est pas parce que j’aurai jamais le bonheur, comme vous faites si bien, d’avoir plus de toi que ta pauvre petite main, que je ne sais pas ce que c’est ou que je ne prends pas mon pied à la serrer, ta main. Il est même fort possible que j’ai plus voyagé que toi et Croc et que je sois en ce moment entre le septième ciel et l’ultime, tandis que vous, dans votre compagnie 1er prix, achetée à crédit, vous volez les fenêtres fermées et que ça empeste si bien le cadavre dans votre loge que vous les jetez par-dessus bord, sans parachutes, et moi j’aime beaucoup, parce que les cadavres sont les meilleurs chorégraphes que le vent ait jamais eu à disposition, il suffit de regarder les feuilles l’automne pour s’en rendre compte. »
Le gardien, qui avait pénétré dès que Maureen s’était levé, n’eut aucun mal à emporter Gaston, mais il le laissa finir son discours sur un signe de Maureen.
Elle rejoignit Croc dehors qui l’embrassa et lui trouva un sale état. Elle s’était levée un peu vite tout à l’heure, et son doigt était resté dans la main de Gaston, recroquevillé et hameçonné au trou. Il lui suffirait d’en porter un faux en attendant que celui là repousse, mais ça lui laissait une sale sensation de déséquilibre d’un côté. Croc la fit rire un peu pour soulager l’atmosphère qui, toute délestée, s’enfuit dans le ciel à la recherche de la nuit. Leur faim les conduisit dans le petit restau de la tante de Maureen, où une télé rediffusait le tirage du loto enregistré comme chaque soir pour les clients qui l’auraient raté, mais personne n’avait rien gagné et ça foutu une sale ambiance.
LA ZONE -
Tous les pays se ressemblent. C’est pas même drôle à découvrir, à part peut être la première vision, descente du train… les maisons vous les voyez plantées là, c’est comme des graines, hop ! vous pourriez les balancer sur n’importe quelle terre, ça pousse ! Les hommes c’est bien pareil au fond… vu de l’extérieur aussi… que ça pousse n’importe où… ou plutôt pousserait ! pour peu que vous les y poussiez ! Oh mais il fallait que je raconte mon histoire, je m’en oubliais…
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Délicieux, personnellement j'adore le style de Kwizera.
Je pourrais faire un commentaire intéressant mais ça serait trop long, déjà rien que pour énumérer les figures qui m'ont fait bander.
J'ai pas aimé. J'ai trouvé ça lourd.
ok
c subverssif ça ??? laicheurs troublions, on vois bien qu'il connaisses rien en prisons !!! ça rigolerrai pas comme ça...
J'ai pas lu le texte et je serais bien en mal de répondre d'après lui, mais ce que je sais, c'est que j'aime pas les colleurs d'étiquettes et d'affiches. J'ai donc le plaisir de t'envoyer jouer ailleurs, mon ami, par exemple au fond de ton cul, avec tes adjectifs Pannini. "Subversif", il va aux alentours du premier virage de ton côlon, je crois.