Volume 1 : Sortie de groupe
Il faut avoir une opinion sur tout, ou au moins tenter d’en avoir une. On sort de Da Vinci Code, une adaptation ratée d’un roman, un bredouillement pseudo-créatif mainstream, mal écrit et aussi chiant qu’un Hercule Poirot qui n’aurait jamais été édité pour cause d’incohérence. Vous verrez par la suite, amis lecteurs, que je ne ferai aucune louange particulière à ce drame de la littérature mondiale, ce sera peut être de la jalousie ou juste du mépris. Je suis accompagné de mon dealer dont le col est légèrement plus froissé que tantôt, du frère de mon avocat (Joe), de Rebecca et de Sophie, deux bonnes amies, ainsi que mon caméraman, Richard Sterlingman. Je demande à Sophie de filmer, avec son gsm HD, le caméraman DV, « faut le garder à l’œil, je lui fais pas confiance ». Rebecca n’est pas spécialement jolie ce soir : sa robe Issey Mikake est trop moulante, ça met trop en valeur sa taille fine, ce qui n’est pas dans mes goûts car la graisse est à la mode maintenant ; c’est surtout en disharmonie cinglante avec ce foulard Vivienne Westwood que je lui ai offert pour ses 17 ans, hier, lors d’une bourrasque humide sensée concrétiser notre amour éphémère comme sa beauté, mais la scène avait eu le mérite d’avoir son charme, même si je ne m’en souviens plus clairement, car tout s’effrite dans ma tête, comme dans la vie, surtout depuis le Da Vinci Code.
J’attire l’attention de mes amis sur une injustice qui se trame sur le trottoir d’en face. Je reste stupidement figé en pointant du doigt un évènement sordide. Rebecca prend une photo avec son gsm. Sophie clame son désaccord mais il est trop tard, tout le monde regarde ailleurs. J’observe Sophie quelques secondes, je détaille avec minutie son visage où je décèle toute la laideur de ses traits aussi tirés que cocasses, puis je pense à autre chose pour me rassurer d’être là.
« J’arrive pas à comprendre pourquoi ils ont mis cette coupe de cheveux à Tom Hanks ». C’était le dealer qui avait parlé, mais il ne nous regardait plus, en fait, en étant plus attentif, il parlait à son oreillette bluetooth. « T’en penses quoi Sophie de la coupe de Tom ? ». C’était moi qui venais de dire ça, le caméraman n’en avait pas raté une miette. Sophie a fait une espèce de grimace en se passant la main dans les cheveux en guise de réponse, ça donnait plus de brillance à son tailleur Valentino, Rebecca a ajouté dans la foulée, je cite : « que l’atemporalité psychédélique de la mouvance du corps de Hanks dans l’espace des choses indémodables méritait d’être surlignée ». Je pointe du doigt Rebecca en beuglant : « tu as sans doute préparé cette phrase à l’avance pour rendre cette scène de sortie de cinéma plus réaliste et moins spontanée du coup… ». Rebecca me dit « Tu as objecté naguère à l’encontre de mon désir d’être une fille simple, alors je me défends… ». Le dealer s’atrophie à l’horizon. « Pensez-vous qu’il a honte de vous ? » me dit la caméra. Je me retourne d’un geste vers l’objectif en fronçant les sourcils : « il est juste en train de négocier discrètement des choses, ne vous fiez pas au fait qu’il semble exclu. »
On entre tous dans l’Audi de Richard Sterlingman, le fils du frère de mon avocat Joe. Il allume la radio, je reconnais la musique, on dirait les 3 notes de la mélodie d’un tube. Rebecca me spécifie que ce conglomérat de sons correspond effectivement à un tube. Sophie me rappelle à l’évidence : « mais oui, voyons, c’est ce tube dont tout le monde parle ». Me voilà soulagé, je souris pour me détendre. « Quelle grosse pute cette Audrey Toutou !! ». Je ne comprends pas, qui a dit ça ? « C’est moi » dit Joe qui nous filme à partir du coffre, tout le monde rit à chaudes larmes, je pose ma main sur la cuisse de Sophie ou de Rebecca, tout semble aller mieux, l’atmosphère s’est détendue, j’allume une cigarette, le dealer déballe un bonbon blanc, petit et rond comme un médicament. Il se retourne et me livre, tout en avalant la douceur, un grand sourire jauni par l’héroïne, le café ou autres substances dangereuses mais néanmoins agréables. Mon GSM sonne un truc que j’ai composé moi-même avec ma console portable, c’est un SMS de ma sœur qui m’explique tout va bien également pour elle. Je ne comprends pas.
Richard Sterlingman, le cousin du neveu de Sophie, nous raconte pourquoi il a acheté une Audi. « Moi, franchement, c’est la pub qui m’a fait craquer. Vous voyez un peu, t’as le type il quitte son boulot, genre il casse tout, il balance ses papiers, sa mallette, il se jette dans une flaque d’eau comme pour se rafraîchir ou pour éprouver le plaisir d’être sale, il est heureux, il est libre, c’est presque un coming-out, puis, incroyable, il voit la nouvelle Audi passer, et là c’est le flash : il reprend sa mallette et il retourne au travail tout trempé, puis le slogan apparaît : Audi, avez-vous vraiment le choix ? ».
Richard avait raison c’était brillant, j’aurais pu pondre ce concept quand j’étais encore dans le métier, c’est un peu le même principe pour Da Vinci Code. Je n’ai jamais voulu lire cette merde, parce que j’avais des œuvres plus importantes à lire en priorité, mais le livre me poursuivait, il me narguait, il apparaissait sur les tables de chevet de mes amis pauvres à côté d’un volume de Harry Potter, c’était le sujet de conversation pour être branché-connecté avec la foule en liesse, je voulais l’éviter, mais inexorablement, il me revenait en pleine face, telle une évidence irréfutable, tôt ou tard, je devrais bouffer Da Vinci Code, et même si je résistais à l’envie d’ouvrir le livre, tôt ou tard, je devrais au moins me taper Tom Hanks avec sa coupe de cheveux et son maquillage rajeunissant qui essaye de me raconter l’histoire d’une chose extrêmement bien vendue, un peu comme ce tube qui crie dans la radio, ou cette oreillette bluetooth qui ne se sépare plus de mon dealer. J’étais enragé, j’avais envie de tuer Dan Brown, de lui arracher les orteils et de lui insérer dans les yeux à l’aide sa bite que j’aurais préalablement arrachée et trempée dans son cul qui pue comme l’haleine de sa mère. Dan Brown, si tu lis ceci, saches que je te hais, toi et ton fric. Et je ne suis pas jaloux Dan. Je demande à Rebecca de me faire une pipe contre un billet que je tends presque en tremblant de rage.
Volume 2 : Hyper-Drague
Dans mon quartier, depuis peu, une nouvelle chaîne est apparue, elle permet à chacun de surveiller tout le monde. Au début, j’étais très réticent à ce concept, mais je suis rapidement tombé accroc, drogué que je suis. Je surveille les trottoirs devant chez moi sur mon HD Philips, l’image me suit de pièces en pièces grâce à un récepteur-centraliseur multimédia salon WIFI en plein living room sur mon meuble qui a la classe, je suis ancré en permanence dans la réalité du monde extérieur à ma demeure. Je peux prédire qui va sonner à ma porte avant que ça se produise, je peux voir comment s’habille le maghrébin qui a essayé de cambrioler une grand-mère en face de la librairie du coin pour tenter d’agrémenter sa vie de quelques poussées d’adrénaline. C’était ça être citoyen, c’était assurer ma sécurité et au passage celle des autres, et espérer récolter une micro-célébrité temporaire ou, encore mieux, un cachet mirobolant d’une revue people pour mes shoots et mes captures d’écran d’un fait sordide susceptible d’intéresser le client-lecteur assoiffé de sensations nouvelles, parce que conditionné à être en permanence sollicité par des flux d’informations qui doivent être de plus en plus énormes et improbables.
Je suis donc en train de compter le nombre de passants, et voilà que se ramène Frans, je l’admire ce type. Il est tout le temps en costard Armani, mais il n’est pas golden-boy, c’est juste un serial baiseur. Il arrive, il me demande où il peut brancher la batterie de son portable, je pointe du doigt un mur au hasard. Il sourit en regardant une imitation d’un tableau Van Gogh au mur.
Je suis fasciné, le maître en personne chez moi, je vais me chercher un Cécémel au frigo et j’observe le pro en silence. Il me parle un peu de son film où il est figurant, mais c’est de la frime. « Je connais Carole Bouquet maintenant, je crois que je dîne avec Sofia Coppola demain. » Là, il a pas le temps d’approfondir le sujet, il doit enchaîner des femmes sur internet. Je suis curieux. « Tu peux m’expliquer un peu Frans ? » Frans branche d’abord son MSN et son Thunderbird, il a à peu près 300 filles sur le grill en ce moment, « … et quelques mecs, je choisis des mecs comme moi qui connaissent pas mal de meufs, et on s’échange les adresses, parfois je vends mon kit d’adresses msn de gonzesses chaudes sur Ebay, ça finance les restos et les verres que je paie… » C’est un professionnel. Frans se prend une ligne de coke sur son portable, sur la barre d’espace. En fait, Frans nous montre à tous à quel point on peut avoir une vie stressante de golden-boy même en étant chômeur, ça doit être ça le 21ème siècle.
« Regarde là, j’ai 3 brésiliennes qui font strip-tease par webcam, elles sont prêtes à tout pour un séjour chez nous, les riches, tu te souviens de Joe ? Tu vois comment il est moche ? Et bien il est marié avec une fille du Pérou, je te dis pas la bombe. Elle parle même pas la langue, elle suce et elle avale, c’est tout, le rêve américain quoi. Joe, je l’ai jamais vu aussi heureux, et c’est grâce au net et aux combines du bon Frans, regarde moi, pas besoin de ces sites de rencontre payant, moi je fais à la sauce Frans, et ça marche mieux, faut juste le style.» Je prends des notes. Et quoi Frans, franchement ? Ca t’arrive de baiser des grosses et des moches ? « Tu sais, dans la vie, rien ne vaut la bonne chaleur d’une chatte humide, après l’emballage autour de la chatte, on finit par s’habituer, c’est variable. » Sacré Frans.
Il me fait, regarde, j’ai un stock de 10 mails standards, ça c’est le mail « premier contact », tu prends, tu copies-colles, j’envois des tofs, et je personnalise un peu, clic clic, faut que je prenne des notes pour savoir ce qu’elles aiment dans la vie, je parcours les blogs en vitesse, les grosses adorent voir un blog, et j’adapte un peu le mail, regarde là, je mets son prénom, ctrl-v, là je remplace cette ligne par une feinte en rapport à notre dernière discussion dont j’ai un résumé ici qui se fait automatiquement via ce freeware bidon. Hop, je copie colle ce ver de Rimbaud-Verlaine. Elle aime bien l’Inde qu’elle dit la blonde, vite Google, je lis en vitesse, regarde Bombay ça a l’air cool, hop, je colle « vive bombay », j’envois l’image agrémenté d’un lol, regarde elle me répond par un smile, elle mouille déjà, hop clin d’œil msn customisable bisou inédit 1 euro pas cher. Son GSM sonne. « YO BABY OK OK OK CIAO CIAO CIAO ». Bon, je te laisse, je dois baiser.
Frans est le prototype du dragueur du futur proche et du présent en fait, il est parfait, il enterre n’importe quel playboy de discothèque, tout simplement parce que Frans, il peut aménager un horaire, baiser 5,6 filles par jour, espacées partout sur la carte, dans toutes les castes sociales, de 13 à 47 ans, c’est le mâle ultime, il ridiculise n’importe quel playboy, parce qu’il a accès à toute la marchandise, à tout le stock mondial, d’un seul clic. La drague par internet, je note, c’est vraiment bien. Ma vie de chômeur commence vraiment à me plaire. Je remarque que je pense tout seul, je remarque que la pièce est vide, je remarque que mon tableau Van Gogh a disparu. Il faut que j’en parle. Je note l’anecdote, ainsi que mon numéro de téléphone, sur mon blog.
Volume 3 : La Fête
Je bois un scotch contre un bar avec le caméraman. J’en bois un deuxième. On parle des derniers tubes à la mode, de la cuisine mexicaine, je fais un sourire au barman, je raconte ma vie.
Après mon crash dans GTA, je n’avais pas eu trop le choix, j’avais gagné mon procès à l’aide de l’avocat. C’était très difficile, on m’accusait de racisme, parce que, soi-disant, mes victimes étaient des nègres, mais j’ai dit que je ne m’en souvenais pas à cause du choc de l’accident. Ma femme m’a lâché juste après car j’étais insupportable et passablement infidèle. C’est là que j’ai commencé à écrire une nouvelle avec un type qui a écrit un livre et qui essaye d’écrire un roman avec un coach, le tout filmé pour une émission de télé-réalité, ça m’avait valu un certain succès, j’en avais presque oublié mon ancienne carrière de publiciste visionnaire. La pub, j’avais raccroché, c’était terminé maintenant, j’adorais ma vie de chômeur mondain. Je fais un signe ridicule au barman, plutôt beau gosse, pour qu’il nous mette une tournée de champagne. Il nous sert une chose qui n’avait pas le même goût mais qui était suffisant pour célébrer la situation.
J’offre un verre à une pute et en une émouvante leçon d’optimisme j’arrive à la convaincre de la validité de ma tentative de coucher avec elle. Le caméraman est jaloux, ça se voit à la brillance maléfique de son regard, mais sa caméra semble rassasiée. La pute s’appelle Sophie.
Elle était SDF avant, elle avait participé à Popstar, j’avais du mal à la croire. « J’ai été arrêtée au premier casting. » Elle me dit qu’être SDF c’était plus dur que Popstar, c’était éprouvant et pointilleux Popstar. Elle me fait écouter un mp3 à partir de son gsm où elle chante du Eiffel 65. J’affiche un sourire monochrome. J’explique que j’étais célèbre avant et que j’ai atteint le level 43 dans W.O.W avant d’arrêter et de me rendre compte que c’était une manipulation capitaliste.
D’une beauté sensible et envoûtante, Sophie avait tenté par tous les moyens d’accéder à la célébrité. Cela n’arriva jamais. Je lui promets que sa beauté mérite d’atteindre les sommets, elle rougit comme une langouste, et devant plusieurs témoins, je jure que l’humiliation de la Popstar ne se reproduira plus jamais, un nouveau chapitre de la beauté féminine va s’ouvrir. On boit cul sec un Johnny Walker qui se trouvait là en souvenir du bon vieux temps.
Sophie me présente à Rebecca et on va s’écrouler dans une banquette, puis le DJ a mixé un remix d’un tube construit sur un sample d’un plus vieux tube dont j’arrivais plus à me souvenir du nom, ni de l’auteur, ni de la chorégraphie qui allait avec. Je me contente de battre du pied. J’ai reconnu mon dealer et un ami de mon banquier dans la foule à l’horizon, je salue de loin, pas de réponse, un inconnu gay me fait un clin d’œil, je lui réponds par un majeur. Le caméraman danse avec un autre caméraman en se filmant mutuellement. Je prends en photo un bout de cuisse de Rebecca. J’envois un MMS à ma sœur pour lui dire que tout va bien. Je me souviens que demain je dois aller chez le carrossier, je le dis à Sophie qui fait mine de comprendre avant de se retourner et de parler à un beau métis musclé mais avec une sale gueule. Je gobe une pilule qui était au fond d’une poche, je ferme les yeux en contant ma rude journée à Rebecca qui parait être là.
Un homme s’avance vers moi alors que j’avais mes doigts plantés en plein dans la chatte de Rebecca toute moelleuse. « Je me nomme Augusto Karimohler. Je suis bio-physicien quantique. Spécialisé en épistémologie épique, pour être précis. »
« Quoi ? » je lui demande. Je me rends compte que mon majeur était maintenant planté dans l’anus de Rebecca qui m’injure en espagnol. « Vous êtes sûr que vous êtes celui que je cherche ? Vous êtes professeur d’iconologie religieuse stochastique à Harvard. Vous êtes l’auteur de quinze ouvrages sur les systèmes sémiotiques dans les symboles de la Renaissance des matériaux… »
« Exactement mec, et là je suis occupé… » Je remarque que mon doigt branle le vide, Rebecca s’est levé pour tituber vers le bar. Je pousse un gémissement sourd de frustration. « Excusez-moi de vous déranger professeur, j’ai quelque chose à vous montrer. Il m’est impossible d’en parler au téléphone. » Je pousse un marmonnement interrogatif, ce type est effectivement dans mon téléphone. Je regarde ce type qui s’est assis à côté de moi, je remarque qu’il ne me parle pas. Je suis confus. « Pardon Auguste ». « Plait-il ? ». « Rien ».
« On vient de recevoir un message de Dieu et on a besoin d’un spécialiste. Le mois précédent, une danseuse de cabaret de Varsovie lui avait promis la nuit d’amour de sa vie s’il prenait l’avion pour authentifier le signe de croix qui venait d’apparaître sur la planche de son WC. ».
« Comment avez-vous eu mon numéro ? » je marmonne.
« Pardon ? »
« Pourquoi êtes-vous dans mon téléphone ? »
« Je suis sur votre blog. Le site de votre bouquin. Il faut que je vous voie. Je vous paierai.» insiste Augusto. Je vous paierai bien.
C’est à ce moment là que j’ai rangé mon téléphone dans ma poche et que Rebecca est venue s’asseoir sur mes genoux. Le DJ a mixé 2 tubes, je les ai reconnu, puis je me suis endormi.
Volume 4 : Au Musée
On arrive dans le musée en courant avec Richard Sterlingman. « Vite plus que quelques minutes… » crie la voix off. Richard ne filme pas vraiment, je le sens distant. « Qu’est-ce que tu filmes Richard ? ». « J’ai du mal à courir et à filmer en même temps. » J’entends des rires enregistrés. Je suis nerveux, j’ai l’impression d’avoir laissé les plaques de la cuisinière allumées. On arrive enfin dans la pièce consacrée à Vincent Van Gogh, et avec au milieu un Augusto Karimohler sur un banc, sous un projecteur, la tête dans les mains. Je semble deviner un trouble en lui. « Top chrono » gueule l’animateur. Je m’assois à côté d’Augusto. Il jette un bref regard dans ma direction puis ses yeux se rivent, incrédules, sur les étranges caractères gothiques écrits sur ses mains. Il a de longs cheveux, je demande à un technicien de rajouter un ventilateur pour donner du corps à la séquence.
- Illuminati, balbutie Augusto, le coeur battant à tout rompre. Ce n’est quand même pas... D’un mouvement lent, appréhendant ce qu’il va découvrir, il fait pivoter ses mains à 80 degrés. Lit le mot d’un angle qu’on ne soupçonnerait pas plus confortable que le précédent. Il en a le souffle coupé - à peu près comme s’il venait de se prendre une voiture en pleine poitrine dans GTA et qu’il venait de perdre du même coup la vie et toute envie de continuer une partie.
- Opus Déï, répète-t-il dans un murmure. J’entends Richard Sterlingman se repoudrer le nez derrière moi. Abasourdi, Augusto tombe à genoux. Il reste pétrifié, sous le coup de la commotion qu’il venait de recevoir. Ses yeux sont attirés par le clignotement de mon cellulaire.
« C’est eux… » dit-il la voix tremblante. Je décroche. Je raccroche. « C’était le banquier, je crois qu’il nous reste une chance de sauver Jésus Christ ». L’animateur annonce la pub. Je masse les épaules d’Auguste. Il pleure.
Volume 5 : Le retour du Christ
Je suis sur la banquette arrière de l’Audi de Richard Sterlingman, je lis le coran. A la radio il y a Justin Timberlake qui chante. Richard siffle en même temps. Il pleut dehors. « Il y a une dichotomie flagrante entre la voix de ce minable et la météo actuelle. » « Pardon ? » « Coupe moi cette merde Richard s’il te plait. » Richard s’exécute, on a droit à une jeune lolita qui chante l’amour. J’en avais produit des petites connes à une époque, ce qui était bien avec ces filles c’est qu’elles ne mentaient pas, l’art ne les intéressait pas, elles voulaient la gloire, et moi le fric, on avait tout pour s’entendre. On m’a demandé si j’avais fait comme René avec Céline Dion, j’ai répondu que ça m’était arrivé et que j’en avais pas honte ; si c’était moi, c’était un autre, et inutile de tenter de la raisonner la jeune fleur. La lolita veut être applaudie par un public inconnu et invisible afin d’être aimée par un homme un jour.
« Pourquoi tu as choisi le métier de caméraman Richard ? ». « Je ne l’ai pas choisi, c’est le seul truc qui me permet de ne pas penser. » « On va où Richard ? » « On va voir la paléontologue pour identifier le symbole équestre préféré du calife de Bagdad mis à sac lors de la quatrième croisade de Michel IX.» « Je comprends rien mais on va faire ça, t’as raison mec. » « Au passage, on espère trouver le mythique royaume du prêtre Jean et conclure avec lui une alliance contre les Ottomans. » « Parfait mec, t’es à fond dedans, continue, file moi l’allume-cigare ou un briquet ou une allumette ou deux morceaux de silex… ».
J’ai l’impression que Richard se fout de moi, j’ai l’impression qu’il se cache quelque chose derrière ses élucubrations vaseuses, il me manipule, il tente de m’embrumer l’esprit par ses vulgarités vigoureuses camouflées sous des kaléidoscopes métaphoriques de mauvais goût. Je ne sais pas si Richard est un homme cultivé ou un homme qui tente de l’être, ou qui arrive très bien à le faire croire. Je ne vois pas non plus en quoi cela pourrait infléchir mon destin dans telle ou telle direction, il contrôle parfaitement l’espace et la situation, il me conduit vers mon destin, même si on pourrait croire que je gère totalement la scène en réclamant un feu.
« Une allumette Richard, s’il te plait… »
Richard Sterlingman m’avait déjà gratifié de conseils cruciaux dans ma vie. Il m’avait convaincu par exemple d’une chose incroyable, on pouvait vivre comme un roi avec les allocations de chômage, il suffit de changer de pays. Une allocation de chômage c’est cinq salaires mensuels moyens en Thaïlande. J’en avais vu des copulations en Thaïlande, sur les plages. Elles sont bien entretenues là bas en plus, et depuis le tsunami, il y a moins de gens, tout est plus calme, tous les vieux bourgeois sont partis, il n’y a plus que de jeunes hippies riches dotés d’un inexplicable orgueil mais d’une générosité sans équivalent imaginable avec celle des occidentaux restés en occident, comme si le bon air débloquait les facultés reproductrices.
« Du feu Richard, je t’en prie… »
Richard ne répond pas. C’est presque d’un saut que j’arrive sur le siège avant, le siège du copilote, la place du mort, en m’écrasant la gueule contre la boîte à gants, le coran entre les dents. « Réagis merde… ». Je remarque alors que Richard est mort, que nous avons quitté la route, et que la voiture roule dans un champ. J’allume mon joint avec l’allume-cigare et je réfléchis. Augusto avait donc raison, il se passe des choses étranges, l’Opus Déï attaque.
Toute tentative d’agir restait à l’état de pures anticipations potentielles, en réalité, j’étais comme une taupe à attendre que les choses s’arrêtent subitement.
Volume 6 : Home Sweet Âme
« Quand est-ce tu vas comprendre que je suis malheureuse avec toi ? » « Je ne vois pas de quoi tu parles. » « Quand est-ce que tu vas comprendre qu’on est incompatible, tu ne vis pas dans la réalité, tu vis ailleurs, tu ne me regardes même pas, tu passes ton temps à faire semblant. » « C’est totalement faux et je le prouve, je vais te préparer du café. » « Arrête. »
La situation est tendue avec Rebecca. Mais à part ça, ça va, je suis chez moi, j’ai enlevé mes chaussures, il fait chaud, il y a Beyoncé qui prend un bain sur MCM, il y a juste du sang partout sur le divan, Rebecca se coupe une oreille.
« C’est vraiment dégueulasse ce que tu fais là, merde, manges tes cheveux tant que tu y es, comme la névrosée chez Delarue là. » « Tu ne comprends rien à l’amour. » me dit-elle en pleurant et en souriant simultanément. Je la prends dans mes bras, je suis dégoûté, elle salope ma chemise Lagardère. Elle me repousse : « Tu crois que tu vas me consoler avec un bête câlin, mais arrête de te foutre de ma gueule merde ! Dis moi juste comment survivre à ta folie !». Je jette un œil à la télé, c’est un rappeur qui crie pour expliquer que s’il est chauve, ce n’est pas la faute à tondeuse mais à la société. « Je n’ai pas peur de m’engager tu sais, c’est toi qui es trop exigeante, tu sais j’ai besoin de souffler aussi. » « Dis pas n’importe quoi, tu n’as pas honte, quelle manque total de vergogne, tu fais semblant de t’occuper de moi, si tu restes avec moi par peur d’être seul, dis le qu’on en finisse. » Je tiens une manette XBOX en main et j’essaye de retrouver mon cd de GTA. « Pardon tu disais ? ». Rebecca se lève d’un bond et sort de la pièce, puis de la maison. Je jette un œil par la fenêtre. Elle a pris la voiture et elle est sortie de la rue et de ma vie aussi. Je joue à GTA. Je roule sur un trottoir pour sentir sous mes roues un maximum d’os se briser. Le son de mon autoradio virtuelle couvre le carnage.
J’ai été transporté fugacement autre part, un sentiment croissait en moi, une existence qui me conduisait au-delà des limites connues, je pouvais en étudier une image quelque peu précise grâce aux très authentiques sensations qui émergeaient en mon sein et accessoirement par les mouvements se succédant sur mon écran plat Philips HD. Je pensais à un truc beau pour changer, à un papillon noir, semblable à un automate grossier, qui s’envolait portant sur ses grandes ailes gluantes les dernières bribes de sensations qui me rattachaient à un sentiment de liberté, il gueulait en langue odieuse des versets incompréhensibles.
Volume 7 : Le Champ de Mine de Rien
Il faut offrir une sépulture décente à mon ami Richard, je décide donc de le brûler lui et sa voiture grâce aux deux silex qu’il planquait jadis dans sa boîte à gants. Je me sers du Coran comme combustible. J’observe en silence la calcination de mon caméraman. Je filme le tout sur mon gsm, l’air grave et humble, c’est sûrement ce qu’il aurait souhaité le bougre. Je devais mener à terme la dernière bataille décisive de la vie de Richard, sauver Michel IX des griffes de Vasco de Gama et de son empire Ottoman grâce aux indices trouvés par Auguste dans le musée grâce à ses mains marquées par Satan personnifié par l’Opus Déï. Il fallait que je me mette à courir avant que la voiture explose. Le champ est immense mais à l’horizon je peux deviner une sorte de maison en bois. Pour m’encourager, je joue du Sean Paul à partir de mon gsm, et je cours vers l’horizon.
J’ai du mal à atteindre ma vitesse de pointe, je repense à ce qui disait Auguste, lors de la dernière conférence épiscopale : « ne sous-estime pas la flotte du calife ». En apparence, je dois avoir l’air con à courir sur fond de Sean Paul, mais il permet de me restituer une parfaite clarté d’esprit. Aussi, passé le bref instant de la douleur de courir, je suis maintenant prêt à affronter les hostilités qui m’attendent dans la maison de l’horizon qui est, de toute évidence, le lieu où va converger toutes les clés de l’énigme dans laquelle je me suis plongé malgré moi, en me faisant passer pour ce brillant chercheur de Harvard dans le seul but de profiter du caviar du conservateur physicien quantique du musée ; cette stratégie va peut-être me précipiter droit vers l’horreur, mais je sens que le destin m’a désigné. Il me faut une arme, il me reste quelques pages bien aiguisées du Coran.
J’ouvre la porte. La pièce est remplie de peintures ancestrales, datant sans doute du monde de Jésus. Passé le choc psychologique de cette vision de cauchemar, je reprends mon souffle et avance d’un pas à la foi ferme et souple vers l’escalier qui va mener au sommet de la tour. J’agite mes pages de Coran pour faire fuir les mauvais esprits. Tous les tableaux sont identiques et représentent un type avec une oreille en moins, je vois aussi quelques natures mortes à l'huile ainsi que des aquarelles moches, j’y décèle le caractère outrancier des opinions religieuses du peintre. La révolte gronde en moi, je mets un mp3 de Snoop Dogg featuring Pharrell Williams et je monte les escaliers délicatement en bougeant mon fessier en rythme, ça sent le sexe. Je repense aux effluves de bonheur émanant des contractions des muscles fessiers d’une ancienne partenaire, les tractions de son bassin se muant avec une vivacité extraordinaire en pompe redoutable, une érection s’enclenche dans mon pantalon, le genre qui vous transforme en bête vénéneuse et redoutable, en animal hermétique à toute forme d’intelligence, en mâle en ruth. Je constate rapidement que cette réaction s’est enclenchée grâce aux jouissements qui émanent du sommet de l’escalier, plus que par la voix et la musique de Snoop. Je lance une feuille de Coran devant moi pour purifier le terrain.
Je reçois un sms de Sophie qui me demande si Dj Keoki est quelqu’un de fiable pour une soirée de type enterrement de vie de jeune fille. Je réponds frénétiquement grâce à mon pouce cosmique : ça dépend de la vibe que tu veux donner à ta soirée, si t’aimes l’ambiance electro froide gay communiste, c exactement le type qu’il te fo.
J’arrive à l’étage, j’ai Snoop qui continue de chanter au creux de ma main, devant moi il y a un grand lit King Size au milieu d’une pièce plutôt décorée, tendance déco Alessi. Le lit a l’air coiffé d’un très bon matelas. Je devine un sommier à inclinaisons multiples, réglables mécaniquement, ce qui est plus polyvalent et plus facile d’emploi mais la mobilité n’a pas de réelle influence sur le confort du couchage. Sur ce point, le choix du matelas est bien plus important que celui du sommier. Sommier et matelas doivent être également bien assortis. Et ici, sûr et certain, c’est le cas. Lorsqu’on sait que l’être humain passe près d’un tiers de sa vie à dormir et donc dans son lit, il devient important d’accorder le maximum d’importance à la literie et de pouvoir bénéficier du meilleur des conforts. Un matelas ayant une durée de vie se situant entre 5 ans et 10 ans, lorsqu’il faut le changer, chacun de nous devrait opter pour une bonne qualité, essentielle dans un domaine vital pour le métabolisme humain, le bien être et l’équilibre : le sommeil. La personne qui habite ici a bon goût, elle a choisie un matelas Butlex. Sur le lit, il y a Rebecca et Frans en train de baiser aussi.
Rebecca s’exclame en se recouvrant la chatte avec un bout de drap égaré : « Qu’est-ce que tu fous là ? ». « Je savais bien que je devais pas installer MSN sur ton pc, mais j’ai un si grand cœur. » Frans essaye de parler : « Ce n’est pas ce que tu crois… je… » Je mets un mp3 de Rihanna, la protégée de Beyoncé, je monte un peu le volume et je coupe Francis en parlant suffisamment fort pour me fondre avec Rihanna : « Je vais reprendre mon tableau, il doit sûrement être là en bas non ? ». « hum… oui ». « C’était donc toi le grand calife ? » dis-je à Frans, droit dans les yeux. Il baisse son regard et regarde sa bite devenue molle. « Tu mourras sans talent ! » dis-je en le pointant du doigt, je lance quelques billets à Rebecca « vas t’acheter une oreille, chienne ! » et je m’en vais en prince, pour ma sortie, je mets un mp3 de James Blunt.
A la sortie du royaume des morts, m’attend mon cheval au milieu du champ, je l’enfourche, le tableau sous le bras, et je disparais vers l’horizon. Ma vie aventureuse débutait à présent, grâce à ce Van Gogh, tout prenait forme enfin, je jette un regard vers le ciel et je pense vraiment fort à tout l’amour que je vais offrir au monde, toutes ces pensées secrètes comme un crime, aussi inexprimable que la beauté du coucher de soleil vers lequel mon cheval Joe me conduit. J’espère rencontrer des piétons secrètement au fond de moi. Je jette un œil vers la carcasse de la voiture de feu Richard.
LA ZONE -
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Ce texte m'agrée fortement et jouissivement sans escalier.
Aux "intoxiqués de la génération fast-food-net" qui passeraient d'abord par les commentaires pour voir s'il est judicieux de se farcir ce texte de plus de 10 lignes, je signale qu'il ne commence à dégager une "impression de non-sens" qu'à partir du moment où le narrateur avale la pillule au fond de sa poche.
Ça m'a rappelé toute sorte de chose mais, entre autres, le film qui fit changer de pseudo zonard au grand El Défoncer, ou, à certains égards, "Un soir, tous les soirs" proposé sur la Zone par Womble.
Pour être plus clair, ça me rappelle un peu The Big Lebowski, au départ surtout à cause du Van Gogh dans le rôle du tapis, mais pas seulement.
Je suis le seul à trouver ça bien, ou le seul à l'avoir lu, ou bien je suis mort et je lis des textes d'auteurs morts que je suis le seul à voir ?
Nous sommes tous mort Kov, ça te va ?
Le problème avec ce genre de texte, c'est qu'on s'est deja fait avoir avant et qu'on sait bien qu'on a rien à en attendre à la fin... J'ai commencé à lire attentivement, çà m'a bien plus, c'est super bien écrit... au bout d'un moment je me suis dit : "ok c'est génial mais si t'arrêtes de lire le truc maintenant ben t'en auras tiré autant que si tu poursuivais ta lecture..." C'est ce que j'ai fait.
J'ai mis du temps pour le finir, non pas que c'est chiant, mais l'intrigue, pour peu qu'on puisse l'appeler ainsi, elle tellement diluée qu'on peut lâcher le texte en plein milieu et ne pas y revenir pendant une semaine sans effets secondaires. J'aime bien, c'est très marrant, loufoque, peinardement nihiliste, ça passe tout seul, mais ça donne vraiment l'impression qu'on peut lire un paragraphe sur quatre sans rien rater d'essentiel. Ou plutôt, même en lisant tout, on a l'impression d'avoir raté l'essentiel. C'est genre puzzle pourri ce truc, le genre que si il te manque une pièce ça te gâche pas l'ensemble parce qu'il y a pas d'ensemble.
Le texte passe d'une trame à l'autre, mais avec suffisamment de classe pour ne pas perdre le fil du récit.
C'est très bien écrit, complètement disjoncté, le tout est un vrai puzzle qui, heureusement, arrive à être reconstitué vers les dernières lignes, bien qu'il reste des choses en suspend.
Le personnage est drôle, avec son pur m'en foutisme assumé.
Il y'a des choses qui servent à caser, donc pas forcément utiles(des dialogues complètement vides de sens, par exemple, mais parfois drôles, tout de même). Mais le tout est complètement fluide et décomplexé, très agréable à lire pour son côté imprévisible. Jouissif, et en somme, très bon texte.
commentaire édité par Koax-Koax le 2009-9-1 1:38:25