LA ZONE -

Asylum - Cellule 219 (prologue)

Le 17/05/2007
par nihil
[illustration] Cellule 219 - Professeur Tchekov Arthur
Le professeur Tchekov se tenait, droit et figé, au centre de la cellule plongée dans l'ombre. Son visage éteint, sans expression, ne laissait rien deviner de ses pensées. Seuls ses yeux fuyaient de la porte aux murs, et des murs au plafond. Les parois de la chambre 219 avaient été hâtivement dépecées de leur capiton, remplacé par des armoires métalliques chargées de dossiers. Quelques pointes tordues saillaient encore, là où la toile jaune avait été arrachée. On avait placé un lourd bureau à la place du lit à sangles, quelques vieilles photos de famille encadrées donnaient l'illusion de la vie au lieu. Mais rien n'y faisait. Même ainsi aménagée, la cellule restait une cellule. L'univers psychiatrique se rappelait au professeur de manière permanente, insidieuse. Derrière les murs s'élevaient mille murmures mêlés, les cris des patients angoissés, les chocs étouffés des matraques des gardiens contre les portes. Une femme, quelque part, psalmodiait une sorte de prière amorphe, une voix rauque d'homme mûr gazouillait une comptine d'enfant. Il fallait les faire taire, tous, qu'on lui épargne ce vacarme qu'il avait à subir depuis des semaines déjà. Il avait donné des consignes en ce sens, et les infirmiers s'étaient mis à bâillonner les plus bruyants sur leur couche. Hélas, tous les patients ne pouvaient rester la nuit durant ligotés à leur couche, et il en restait suffisamment pour orchestrer un tintamarre d'enfer. Tous éveillés au beau milieu de la nuit, ils tapaient contre les murs, se répondaient en échos de glapissements asynchrones, geignaient sans s'arrêter. Les murs dépourvus de capiton n'épargnaient aucune gêne au professeur.
Et depuis quelques jours, c'était la chaudière, ce monstre vrombissant et luisant de graisse qu'on l'avait contraint à faire installer au fond du couloir, qui générait un bruit de fond rampant, un grondement permanent, à peine perceptible, qui s'accompagnait de claquements mécaniques à intervalles réguliers.
Il ne dormait plus depuis trois jours. Il était tombé en enfer, un petit enfer personnel qu'il avait bâti de ses mains, qu'il avait peuplé de mille damnés tous plus dérangés les uns que les autres, et dans lequel il s'était vu contraint de se retrancher. Sa femme, une héritière fortunée de douze ans son aînée, avait définitivement cédé à ses penchants licencieux et l'avait chassé de la demeure familiale. Elle l'y avait remplacé par l'un de ses cent amants, un jouvenceau au visage anonyme, attiré par le faste et la vie des grands soirs. Longtemps, le professeur avait du subir les allées et venues de ses rivaux dans les appartements de sa femme, qui ouvrait joyeusement sa porte au premier venu. Impuissant, il avait assisté à ses multiples ébats débridés avec de multiples partenaires qu'elle recrutait dans quelque bas-fond, quelque bouge minable qu'une dame de bonne société ne saurait fréquenter. Avec un dégoût mêlé de fascination, il avait observé de longues heures ces laborieuses batailles par l'œillet ménagé dans le boudoir. Elle savait bien qu'il était derrière et s'en amusait. Au lit, elle se faisait violenter par un ou plusieurs galants de la plus odieuse des manières. Lui qui avait toujours été si doux, si attentionné, il s'en voyait bien remercié. Peu de temps auparavant, sa femme l'avait congédié sans égards, éprise d'un nouveau galant qu'elle mènerait, comme lui, à sa perte. Il avait du se résoudre à passer ses nuits dans ce pauvre bureau aménagé à la hâte, persécuté par les glapissements de ses patients. Il n'avait plus rien, il n'était plus personne. L'inspection des services l'avait mis sur la paille en exigeant de lui l'installation de cette maudite chaudière à l'étage. Il s'était endetté au-delà du raisonnable.
Le sol était jonché de papiers qui avaient glissé des dossiers et qu'il ne s'était pas donné la peine de ramasser. La lampe de chevet brisée par un mouvement d'humeur reposait au sol, et il avait marché pieds nus sur les tessons de verre sans même s'en apercevoir. Le bureau avait été repoussé contre le mur sans ménagement pour son contenu, qui s'était déversé à terre. Les yeux rougis de lassitude, il passait d'un mur à l'autre et les frôlait du bout des doigts, comme pour les faire taire, une bonne fois pour toutes. Du silence, que diable. Qu'ils s'éteignent tous enfin, tout de suite, que le monde se fige dans le silence et l'immobilité. Il était si fatigué. Il ne pouvait plus le supporter, il ne supportait plus le tremblement souterrain qui faisait frémir les papiers au sol, qui faisait pleuvoir des lignes de scories sur le lit de camp.
Il fixait la grille de la porte, hâtivement colmatée de planches, lorsqu'il l'entendit. Elle, ses geignements caractéristiques de truie en chaleur, ses halètements de bête couverte par le mâle. C'était là, juste là, derrière le mur, comme si elle était venue jusqu'ici pour le narguer, se faire défoncer par tous les patients les plus déficients qu'il avait eu le malheur d'enfermer entre ces murs. Tous ces rebus de l'humanité dont plus personne ne voulait, qu'il avait amassé ici sous couvert de psychiatrie.
- Oui, encore !
Oui, vas-y, chienne pourrie, fais-toi donc prendre dans la fange par tous les dégénérés les plus atteints que la terre ait porté. Ca te va bien, la souillure, l'infamie. C'est ton domaine, la malédiction infecte que tu portes en ton ventre, ta maladie ignoble qui se déverse de ton utérus puant de femelle insatiable. Tu répands la mort et le vice sur l'humanité. Le centre brûlant de la dépravation du monde.
- Encore ! J'en veux encore, viens sur moi, allez !
Elle hurlait, et gémissait, là derrière les murs, sans que le professeur puisse déterminer où exactement, mais il savait que cette comédie grotesque était jouée à sa seule intention. Lui qui avait été un amant tendre et sincère, et qui s'en voyait ainsi remercié par les moqueries de celle sale putain qu'il avait aimé au-delà du raisonnable.
- AAAH ! PLUS FORT T'ENTENDS ? PLUS FORT !
Insupportable, inadmissible. Cette catin allait devoir payer ses méfaits. Un nouvel assaut de claquements sourds, accompagnant les râles de plaisir infect de la truie, le fit lâcher prise. Il se dirigea vers le bureau, et tirant une petite clé de sa poche, déverrouilla le tiroir où il cachait son pistolet. Une antiquité, qui n'avait jamais servi. Mais tiède, tiède comme le sang, prête à cracher la mort sur tous ces tarés qui le persécutaient. Il allait la retrouver, cette salope immonde suintant son infamie par tous les trous. Il allait la trouver, arpentant tous l'établissement pour la débusquer, s'il le fallait. Il allait jouir, à son tour, de la vision sublime de ses fluides répandus, mais ces liquides sombres et chargés seraient les derniers que Madame Tchekov déverserait jamais. Et ce serait enfin son tour, lui le perdant trop maniéré, trop effacé, de rire. Une bonne fois pour toutes.
Empoignant son trousseau de clé, il fit claquer les verrous de la cellule 219 et s'engouffra dans l'obscurité du couloir.

= commentaires =

G Kwizera
    le 17/05/2007 à 13:00:21
en tout cas ça commence par un truc bien écrit, qui se lit bien. à la suite, donc.
Astarté

Pute : 0
    le 17/05/2007 à 13:41:25
Une seule chose a gêné ma lecture c'est la répétition suivante : "il s'en voyait bien remercié." et "qui s'en voyait ainsi remercié.
Sinon le décor est bien planté et j'attends la suite.

Tchekov ? Arthur ?
Hag

Pute : 2
    le 17/05/2007 à 13:47:41
Trèèèès bon début.
Aelez

Pute : 1
    le 17/05/2007 à 23:50:27
Excellente entrée en matière, en effet. Il se passe pas grand chose, mais c'est une bonne tranche de vie vraiment bien (d)écrite.
La suite, donc, aussi.
nihil

Pute : 1
void
    le 18/05/2007 à 23:49:19
Bah ça sert à peu près à rien en tant que tel. C'est surtout une piètre tentative de donner une certaine cohérence à l'ensemble des épisodes. J'ai aussi rajouté un paragraphe reprennant le professeur Tchekov à la fin de chaque épisode d'Asylum. Histoire d'éessayer de faire de ce dossier Asylum une sorte de mosaïque d'histoires liées entre elles plutôt que du patchwork d'épisodes sans aucun rapport.
Narak

Pute : 2
    le 19/05/2007 à 11:55:35
J'aime bien ce genre de préliminaire L'ambiance est super bien installée.
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 19/05/2007 à 12:21:50
Hâte de lire la suite et découvrir la logique que l'esprit tordu de nihil a bien pu pondre pour lier toutes les histoires... oui l'esprit tordu du nihil pond. L'esprit tordu de nihil est ovipare.

Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 19/05/2007 à 12:24:31
Precision : en fait l'esprit tordu du nihil est ovovivipare
(qui pond des œufs mais dont l'incubation se fait dans les voies génitales de la femelle)
Carc

Pute : 0
    le 20/05/2007 à 10:57:42
excellent début. je lis le reste...
Aka

Pute : 2
    le 21/05/2007 à 11:16:32
Le résumé est sévère. Excellent début qui fonctionne aussi très bien par lui-même. Le concept est vraiment sympa, surtout quand on a participé à l'écriture : on a un peu l'impression de sortir de sa cellule pour aller visiter les autres.
Mill

lien fb
Pute : 2
    le 21/05/2007 à 13:18:52
Je trouve également que ce récit fonctionne indépendamment du reste, mais c'est une bonne intro. L'idée n'est pas franchement originale mais bien exploitée, bien menée, bien écrite.
nihil

Pute : 1
void
    le 21/05/2007 à 16:42:25
Bah merde alors, moi qui ai juste torché un truc vite fait histoire de laisser la place à mes confrères, j'ai pas l'air con alors. Note aux futurs lecteurs : merci de ne pas apprécier ce texte.
Guillaume Durand
    le 23/05/2007 à 05:57:24
Et ça se permet de donner des leçons...

Bon sang c'est de la pure merde.
    le 23/05/2007 à 12:14:02
Voilà une puissance critique qui laisse sans voix.

Pour ma part, j'ai lu ça comme une mise en bouche et une sorte de scène d'exposition ; de ce point de vue-là, ça colle. C'est assez lisse et sans bavures pour que ce soit passé dans ma tête sans chahuter, et assez informatif pour que ça m'ait fait imaginer des suites possibles. Le tout, avec quelques détails qui me plaisent parce qu'ils sont sélectionnés et pas jetés au hasard. Du point de vue des sens surtout. On n'entend pas n'importe quels bruits, ni n'importe quelles vibrations, le peu d'éléments qu'on a est signifiant. Et ça c'est bien.

La part psychopatho m'a gonflé, en revanche. Souvent, ça me gonfle, le psychopatho, au fond, sauf quand c'est vraiment exalté et dingue au possible. Là ça reste trop descriptif et trop extérieur pour moi.

Bref, pour soi, ça passe, en tant qu'intro à la série, super.
Traffic

Pute : 1
    le 27/05/2007 à 23:01:37
Ca part bien, ça dérape sur les chapeaux de roue, ça se rattrape et on est bien ferré à la fin du texte.

A la suite.

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