Il s'usa maintes fois les yeux à l'ombre des tombeaux millénaires des rois déchus, s'éroda l'esprit pour mener à son souvenir nombre de faits errants dans la nasse de l'amnésie collective ; il cotoya les peuplades de mille passés révolus, et à sa langue maternelle, il préféra les dépouilles d'innombrables idiomes que l'on pensait oubliés. Peu importait le présent : il était à portée de main. Et s'il ne pouvait faire obstacle à l'avancée du temps, il arrêterait son formidable constat à la date où lui vint son dessein ; ainsi grava-t-il en sa paume la date du 10 avril, afin de ne jamais devenir témoin du temps, qui passe.
Fut finalement affûté l'ultime vers, et achevée son oeuvre, incommensurable, mais fruit de labeur, de constance et de génie. Il y avait là une extraordinaire quantité de feuillets, et certains - les plus anciens - jaunissaient déjà. On raconte que cet homme, qui de nous avait tout écrit, savourant alors en son corps exténué les délices de l'achèvement et de la quiétude, leva les yeux au ciel et s'aperçut, accablé, que dans son ouvrage, il avait ommis la Lune. Il fut saisi d'un incoercible remord ; de colère aussi : il brûla ses élucubrations, et le feu dura trois jours, et trois nuits. Jusqu'à ce que s'éteignent les cendres, il hurla à la mort ; certains disent à la Lune.
Les ans défilèrent, changèrent les usages et les gens. Les amis du poète ne recevaient plus de lui que de courtes suppliques où il réclamait des vivres. Certains (ceux qui avaient ouï sa longue complainte, en vérité) subvinrent avec zèle à ses besoins ; les autres en firent un paria. Ainsi subsistait, dans les faubourgs, trace de celui qui avait voulu changer en mots notre condition, et de son terrible sort. On veilla à ce que chaque enfant entendît l'histoire du sire Connleth (car tel était son nom), pour que jamais il ne manquât l'essentiel ; on prit garde à tout, et conséquemment, la cité prospéra.
L'homme, saint dans sa peine, reparut finalement aux yeux du monde, et fut acclamé promptement. La foule lui fit mille offrandes, et on le bénit au moins autant de fois. De ses cadeaux, il ne garda qu'une vaste cape violacée (il était alors quasiment nu) et, n'ayant que faire des grâces qu'on lui rendait, s'en fut.
"Vers l'Orient", dit-il. Et le peuple se tut, tandis qu'il s'éloignait à l'Est.
Bien des mois plus tard, alors que l'essor de la ville connaissait son apogée, une étrange rumeur naquit au Sud des interminables plaines glacées de l'Empire Russe. Le bruit courut, à travers l'impérial ottoman ; des Balkans, il atteint le Saint-Empire ; là, il fut entendu de nos aïeux. La nouvelle disait qu'un homme seul (et l'on entendait là qu'il se trouvait démuni de tout bien matériel) avait gravi les farouches saillies orientales. De ses mains nues. Il advint que l'itinéraire de cet homme, flanqué seulement d'une robe violette, croisa celui d'un indigène, qui s'enquérit :
"Où vas-tu, étranger ? Là-bas, il n'y a rien que de hauts pics que ton maigre habit ne saurait te faire traverser.
- Je m'en vais là-haut, ami, droit vers l'astre nocturne."
Nul à la cité n'y crut. En vérité, tous se le défendirent : leur temps n'était plus au doute, il leur fallait être fiers et pragmatiques. On cessa de chanter les louanges de Connleth, et l'on étouffa la rumeur. Il devait en être ainsi, et cela sonna comme une fin. En vérité, il ne s'agissait là que d'un commencement.
On vit bientôt la Lune en plein jour. Le phénomène alarma le plus grand nombre, et ceux-là se barricadèrent chez eux, se lançant dans des logorrhées de supplications adressées à tous les dieux, ou ils brûlèrent mille idoles païennes. Et chaque matin, dès l'aube, on voyait poindre à toutes les fenêtres de la ville les faces éplorées des habitants, qui réalisaient avec grande peine l'inefficacité de leurs génuflexions face à l'inexorable persistance de la boule de safran dans la haute voûte céleste.
À l'inverse, certains exultèrent, voyant là le signe annonciateur d'une grande révolution divine aux principes ésotériques. Durant les longs mois que dura la déviation de la platine, les quartiers isolés devinrent les berceaux d'un nombre considérable de cultes astraux. Ils honoraient les deux disques, postés dans un même firmament, blâmant ceux qui les fuyaient. On se blâma, on se querella, on combattit ; on alla jusqu'à mourir, sur d'immenses bûchers aux cieux ouverts.
Quand venait la nuit, il ne restait au ciel que les étoiles.
Aucun ne nota, pas même les plus doctes, que lentement (mais inexorablement), la Lune convergeait vers l'aveuglant Soleil.
Enfin, ce fut un épouvantable brasier céleste. On vit la forme ronde s'enflammer, comme si elle avait été faite de paille. Puis ce fut une foudre rougeoyante qui fondit ciel et terre ; du rouge, partout. Il n'y eut nul bruit, en réalité : juste un silence aveuglant et pénétrant. Enfin, quand tout ce tumulte eut cessé, il ne restait rien de la Lune. Rien d'autre que d'impossibles poussières étendues dans l'espace. L'éclair grenat avait emporté avec lui la cité, dont il ne restait que des gravats fumants. Ses habitants, dont le devenir reste à ce jour inconnu, avaient disparu. D'un battement de flammes, tout avait été soufflé.
C'était le poète qui, monté au ciel, avait conduit la Lune à sa fin.
Aujourd'hui nous rampons, la nuit venue, à la faible lueur des étoiles ; le jour, notre seigneur, finit toujours par décliner. L'un des nôtres s'en est allé, l'autre jour, voir si le Soleil y pouvait quelque chose.
Il est dit qu'au centième jour d'un an incertain, un homme (son existence, bien que contestée, est vraisemblable) entreprit de consigner dans un gigantesque répertoire, toutes les choses de l'univers. Et cela est vrai, Frère, aussi vrai que la nuit nous mue en ombres.
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"omis", voyons. Excepté ce point de détail qui révèle qu'au fond tu ne vaux pas tripette, l'histoire est plutôt entraînante, on s'y prend bien. L'ensemble laisse toutefois un goût de naïveté en bouche, et on pourrait critiquer le caractère simpliste de la chose. Tu aurais pu développer le passage sur la terreur de la populace, notamment.
Enfin, histoire de rester dans ma continuité, j'apprécie particulièrement la dernière phrase, qui fait un peu contrepoids à ce que j'ai critiqué.
MAIS POURQUOI Y A UNE SQL QUI S'AFFICHE QUAND J'ÉDITE, BORDEL ?!
commentaire édité par ceacy le 2007-4-17 20:56:25
C'est presque con que ce soit un texte de Saint-Con.
En tant que texte de Saint-Con ça vaut pas grand-chose : choix du con basé sur une expression de merde, justification-prétexte, aucune vanne, une crémation qui devrait être cataclysmique et qui laisse pourtant pas une impression démesurée...
En tant que texte à part entière, c'est super bon, mais tant qu'à faire dans ce genre-là, autant ne pas se compromettre à essayer de suivre les règles de la Saint-Con et justifier tant bien que mal des réactions et des actes pas crédibles. Ca méritait d'exister pour soi-même.
Bel effort d'écriture et beau résultat dans l'ensemble. Pour nuancer, je bute cependant dès le début sur "an incertain", ça sonne mal, c'est dommage vu que le texte mise tout sur le style. Puis la répétition du mot ombre et le mot nombre qui vient appuyer là-dessus. Et, de manière générale, trop poético-poétique pour moi.
L'écriture est délicieuse, un véritable plaisir à lire et qui plonge de suite dans une ambiance étrange et agréable (cmb)
On en oublie presque le contenu, qui ne brille malheureusement pas trop par lui même.
Superbe, un morceau de poésie comme je n'en ai pas vu ici depuis longtemps. L'écriture est bandante. Pas beaucoup de rapport avec le thème de la Saint-Con mais c'est tout de même un chouette texte.
Le paragraphe d'intro et le suivant, pris en tant qu'eux-mêmes, sont du niveau de l'élégance des contes perses ou presque, quoi que j'en aie, de Borges. Traduction : oh, putain, sa, mère.
Le reste est presque à l'avenant, mis à part l'avant-dernière phrase que je trouve très dommageable, parce qu'elle romp la poésie et l'implicite avec en plus une tournure présentative très mochimoche ; mais c'est de l'ordre du détail. Un détail à l'avant-dernière phrase donc ARGH PUTAIN QUEL DOMMAGE mais un détail.
La dernière phrase rattrpae la sauce de magistrale façon.
Sur l'écriture, c'est une leçon de musique. Ca, c'est écrit. Comme j'aime. Je suis pas d'accord sur le "lourdaud". Les phrases imposent la lenteur à la lecture, mais j'ai vu nulle part (à part le un an incertain que j'avais aussi repéré) de gros écueil élocutoire ni de ruptures, ça coule, comme de l'eau, et c'est doux sur la langue. Ca se lit à voix haute. C'est lent mais pas lourd, à mon sens, et lent n'est pas une critique, au contraire.
Le jeu de mots caché euh, je, j'ai honte, j'avais pas capté.
C'est vrai que ça fait peu pour justifier une participation à la Saint Con mais je m'en branle, je peux pas ne pas voter pour ça.
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WINTERIA
Salut LC,
en fait j'aurais besoin de tes conseils avisés pour mon texte de Saint-Con. J'aimerais savoir comment il serait possible (et admissible) que la Lune s'écrase contre le Soleil ?
J'aimerais juste réquisitionner tes connaissances scientifiques le temps d'une heure (ou un peu moins) (ou un peu plus).
Donc si tu as MSN, et que ça t'emmerde pas trop
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MOI
heu , ben je suis pas un expert en lune si on exclu le domaine pornographique de cet aveu bien sûr mais j'imagine que pour que le satellite s'ecrase sur le soleil il faudrait lui faire quitter son orbite gravitationnelle afin qu'elle trouve une vitesse superieure à la vitesse de liberation de son orbite, c'est à dire lui inculquer une impulsion dans un sens donné pour tout simplement que cette impulsion n'induise pas son ecrasement sur Terre deja et qu'elle conduise à son ecrasement sur le Soleil.
On peut par exemple imaginer envoyer Bruce Willis se faire exploser avec une bombe atomique de plusieurs milliers de megatonnes, il a bien reussi cela avec une comete...
Ou bien construire une canne de billard geante par exemple ?
Ou bien jouer de l'effet gravitationnel en creant ponctuellement dans le temps un truc de tres massif à un endroit donné de l'espace pour inculquer l'acceleration voulue dans le sens voulu et de l'intensité voulue... çà impliquerait l'usage d'une technologie que l'humanité n'a pas pour le moment bien sûr...
yeah
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WINTERIA
D'accord, et si je te dis que l'action de mon texte se passe au XVème siècle, que le héros va dans l'espace avec un truc en bois, et qu'il veut détruire la Lune en l'envoyant sur le Soleil ?
En gros, je veux pas non plus être super pointilleux dans le domaine scientifique. Je voudrais quelque chose d'assez plausible et de drôle à la fois qui puisse faire que ce genre de truc arrive.
Je me casse le cul là-dessus depuis ce matin, sans trouver de réponse, c'est pour ça que je me tourne vers toi.
Je te demande pas non plus de me mâcher le boulot, hein. J'ai juste un gros besoin d'idée Lapinchiennesque.
Je peux t'expliquer la trame de mon texte en vitesse, ça se fait aussi :
Un mec décide un jour de consigner l'ensemble de l'univers dans un grand répertoire, et une fois le truc achevé, il se rend compte qu'il a oublié de parler de la Lune. Alors il veut la détruire.
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MOI
cest vrai qu'on dit con comme la lune... et qu'en effet la Lune est un bon gros con à cramer.
Mon idee de masse enorme ponctuelle et instantannée qui apparaitrait à un endroit donné de l'espace-temps reste toujours valide au XVe siecle vu qu'elle utilise une technologie que nous n'avons pas. On pourrait l'avoir eu puis l'avoir perdue... De Vinci pourrait en être à l'origine par exemple.
çà pourrait se baser sur les etats du vide qui modulés par la convergence de rayons lumineux à partir de grosses loupes placées à des endroits sensiblement differents sur terre, creeraient l'espace d'une seconde une sorte de plissure spatio-temporelle comparable à la presence d'une supra-masse astrale catapultant la Lune . Bien sûr pour que l'orbite terrestre ne soit pas affacté il faudrait pouvoir produire un systeme comportant le premier point de torsion gravitaionnel (celui qui permet le catapultage de la lune) et un second point identique symetrique au premier par rapport à la Terre.
JE crois que j'aurais du mal à pondre une theorie plus tordue
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CONCLUSION
J'ai plusieurs fois entendu dire : lorsqu'on fait un film parlant du plus beau tableau du monde, de l'oeuvre la plus parfaite que l'homme n'ait jamais créé, il faut bien se garder de la montrer au spectateur car l'idee même du film serait detournée par l'interpretation de chacun.
merci de ne pas avoir expliqué comment le mec avait pu balancer la lune dans le soleil.
Pour ce truc, je me suis inspiré de :
"La Lune" de Borges, pour l'histoire du poète qui souhaite tout répertorier.
"Vie de Saint-Con" de Dourak, pour certaines idées que j'ai tournées à ma sauce.
"Les Etats et Empires de la Lune et du Soleil" de Cyrano de Bergerac, pour l'idée du mec qui voyage jusqu'à la Lune.
Ouais, on s'en branle, tout ça, mais ça me semble tout de même important de les évoquer.
Encore un connard qui commente que ses propres textes. Putain de clone d'Omega-17.
Avec Mill, ils tiennent le haut du pavé. Je pensais qu'il y avait un quota à respecter à ce niveau.
Je peux savoir pourquoi tu cites Borges avant moi ?
Par contre, je ne vois pas trop ce que tu m'aurais emprunté.
lol mdr sai coole
aa+++ kisss
la rencontre n ai ke l ombre de l humaniter..enfin je pensse..loll
Tu me sembles faire un bon exemple d'ombre de l'humanité, toi aussi, sympathique camarade sous-évolué. Je suppose que tu avales, puisque la déglutition fait partie des fonctions nécessaires à la survie. Tant mieux. Les humains accomplis ont inventé des subversions formidables de l'acte alimentaire, tu verras. Pute.
T'aurais enlevé le "pute" ça aurait un peu (un tout petit peu) intéressant ton commentaire. Dommage, tu régresses, Glops.
Bonjour, joli censeur. Veuille contineur à te tartiner du pâté sur la poitrine en chantant des Te Deum, et te taire. Pute.
C'est grave si c'est de la terrine de lapin et pas du paté ?
J'pense à un truc, tu devrais aller voir un psy, tu serais un cas intéressant. C'est rare un mec qu'a un orthographe et une grammaire de perfections parano-maniaques et qui peut pas s'empêcher de ponctuer ses phrases comme un banal illettré de campagne. Ou c'est peut-etre un genre ? Ou peut-etre que t'es pas un mec ?
Tu viens de K-pax toi aussi ?
Salut,
J'ai pas bien saisi le tout dernier passage :
"Aujourd'hui nous rampons, la nuit venue, à la faible lueur des étoiles ; le jour, notre seigneur, finit toujours par décliner. L'un des nôtres s'en est allé, l'autre jour, voir si le Soleil y pouvait quelque chose."
Comme la lune a disparu après être apparu en plein jour, ils veulent que le soleil paraissent la nuit pour... qu'il fasse jour tout le temps ou bien pour déclencher le même genre d'apocalypse ? Au pire, je relirai le titre.
Sinon, avant ça, ça se lit bien.