Le repas aurait pu être délectable si je n’avais pas eu à subir ces torrents puants de flatterie verbale. J’étais le convive d’une dame pour ce dîner à la Tour d’Argent l’autre soir… un tête à tête aux chandelles, voyez-vous çà… Mon hôtesse : cette vieille peau de journaliste star officiant sur la première chaîne, une femme pleine de ressources mais délaissée par son époux, Don Balkan, un grand financier aux mœurs peu catholiques. J’ai tout de suite saisi l’aubaine et la séduire fut un jeu d’enfant avec ma gueule de gigolo et mes attentions toutes calculées au millimètre. Que l’âme de cette catin était tourmentée, bruyante, limite agaçante ! J’eus vite fait de finir l’ouvrage pour lequel j’étais mandaté. Cette journaliste n’a eu de cesse de son vivant de caresser les politiques dans le sens du poil, de dérouler le tapis rouge aux puissants à tout va, de cirer leurs bottes souillées avec sa langue baveuse, d’épousseter leurs vestons poisseux à grands renforts de courbettes bien basses. Je l’ai serrée dans les toilettes comme elle y allait pour se replâtrer la façade. çà l’a surpris, çà c’est sûr. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que je lui pourrisse la gueule, que je la tire par les cheveux jusqu’aux chiottes avant de plonger sa tronche ensanglantée dans la cuvette, de rabaisser la lunette dix-huit coups de suite avant de me défroquer et m’y asseoir, de tirer une dizaine de fois la chasse d’eau jusqu’à ce qu’elle ne périsse noyée et que j’y chie un bon coup sur la gueule. « Flatteuse, t’iras pourrir au second bolge. Un fleuve de fiente humaine t’attend, ces rives, par l'haleine qui d'au-dessous monte et s'y épaissit, recouvertes d'une croûte moisie, qui rebute les yeux et le nez… »
Excusez mon incorrection. J’ai omis de vous faire part de l’essentiel : Je récolte les derniers souffles de ceux qui comme moi appartiennent au huitième cercle. Nous seront bientôt unis pour l’éternité alors en quoi serait-ce pécher que de leur ôter la vie? Je mène une quête ici bas pour retrouver notre maître, l’âme-Clef, et je rassemble nos troupes dispersées. Qu’ y peuvent-elles ? Contrairement à moi, elles n’ont pas conscience du lien qui les relie éternellement aux enfers. Nous sommes les éruptions momentanées de ce magma éternel, le huitième cercle, les membres d’un même corps réceptacle de l’âme-clef. Je suis un chien de berger, en aucun cas un missionnaire. Non, pas question de recruter. Par mes mots, nul n’est converti. Par mon bras, nul n’est perverti. Ma tâche est de rassembler le troupeau, de réunir les miens pour que l’âme-Clef puisse nous investir et nous guider. Chacun reste ce qu’il est. Je rétabli quelque équilibre universel lorsqu’un de ces salauds expire, lorsque mes mains desserrent leur prise sur la nuque brisée de ces autres qui me ressemblent comme deux gouttes d’eau, que leur enveloppe vide et inutile s’écrase lourdement au sol, puis que je m’en débarrasse sans messe ni cérémonie. Je n’attends pas de compassion, de compréhension de la part des Hommes, croyez-moi, je n’ai que faire de leur sotte justice. De quoi m’accuserai-t-on de toutes manières ? D’automutilation ? C’est ridicule. Je ne tue pas mes morts. Ils sont moi, je suis eux, nous sommes le huitième cercle : Malebolge…
S’il y a bien un rituel auquel je ne manque jamais, c’est bien celui de la confession… J’ai repéré un jeune prêtre dans une vieille église de Cordoue, une ancienne mosquée travestie en église… Je prends un malin plaisir, je vous l’avoue sans rougir, à lui dévoiler tous mes crimes en détail… Je ne l’ai rencontré qu’une fois, et c’est par courrier que je sollicite son écoute à chaque étape de mon calvaire sur cette Terre … Bien sûr en aucun cas je ne le laisse me laver de mes fautes, me purger de mes péchés… Le pourrait-il au moins ? il était faible et lâche, tremblant comme une merde quand nos regards se croisaient… C’est ce qui m’excite d’ailleurs, le savoir là sans la moindre ressource… je me branle dans le confessionnal… je me branle dans le confessionnal… je me branle dans le confessionnal et j’étale mon foutre avec délectation sur la grille qui nous sépare.
« Ceux qui ne connaissent pas Dieu et qui n'obéissent pas à son message de pardon, auront pour châtiment une ruine éternelle, loin de la face du Seigneur et de la gloire de sa force. »
Loin est la lumière, loin est la source chaude, si loin qu’on pourrait croire qu’elle ne nous a jamais irradié. Autour de moi, ne règnent que pleurs et grincements de dents. C’est ainsi que je reconnais les miens, que je les repère en ce bas monde, que je les traque. Leur âme souffre sur cette terre pour laquelle elle n’est pas faite, elle crie, elle n’est que tourment. Et j’entends toutes ces âmes, c’est horrible ! Plus je m’approche de leur incarnation et plus elles crient et plus je partage leur souffrance. Nous vibrons, nous sommes les harmoniques les unes des autres…
Le cinquième bolge du huitième cercle est réservé à tous ceux qui utilisent les fonds publics à leur profit : Trafiquants, prévaricateurs, concussionnaires. J’ai rarement l’occasion de m’en farcir un de ce type. C’est qu’ils sont rusés, les bougres ! Cette fois-ci, j’étais dans une petite bourgade près d’Athènes. Depuis l’élargissement de l’espace Schengen, j’ai multiplié la rentabilité de mes actions par deux, faut dire. Je me fonds dans la masse, je change d’identité. J’étais assez proche de cet enfoiré d’élu local, un habitué des trucages d’appels d’offre publics, une âme très bruyante et tourmentée, pleine de pleurs et de grincements que j’ai traquée depuis fort loin me repérant à ses bruits. Je peux même dire sans me fourvoyer que j’ai rapidement pénétré le cercle des intimes de ce notable. Probablement s’était-il un peu reconnu en ma personne aussi, en notre appartenance commune au Malebolge plus certainement ? Je suis assez fier de moi pour le coup, il ne fut pas bien difficile de trouver un stratagème pour m’en débarrasser. Ce maire n’était pas seulement adepte des pots de vin au sens métaphorique du terme. Au petit matin, il n’était pas rare de le retrouver saoul et endormi dans une de ces belles pinèdes en flanc de montagne face à la mer. J’aime à donner un avant goût de l’enfer à mes alter ego du huitième cercle. çà donne un petit coté dramatique et ironique à leur mise à mort, ce qui n’est pas pour me déplaire. J’ai coupé la Retsina du damné avec de l’acide chlorhydrique concentré. Le con a vomi ses entrailles sur la corniche. Faut dire que le cinquième bolge est réservé à ces pourris de corrompus, et qu’ils y sont jetés dans un lac de poix bouillante et tourmentés par les diables l’éternité durant. « Salaud de grec ! toi tu n’iras pas rejoindre tes vertueux ancêtres philosophes qui végètent dans les limbes du premier cercle pour ne pas avoir reçu de baptême. Toi c’est direct dans la cité de Ditè que je t’expédie, dans l’attente du retour de notre Maître salvateur, l’âme-Clef…»
Une nouvelle missive à mon jeune prêtre adoré… Je suis sûr qu’il est gay… un putain de gay refoulé de merde :’Il nous renie. Il nous renie. Père nous renie. Le Créateur ne cesse-t-il pas de nous sermonner ? Ne cesse-t-il pas de nous le reprocher ? Sa voix murmure à nos oreilles en permanence: « Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité.» C’est lui qu’il faut blâmer. C’est lui qui nous a enfanté. Nous ne sommes que parce qu’il nous chasse en permanence, qu’il nous repousse au loin, qu’il ne veux pas s’unir à nous, qu’il veut bien nous considérer in fine. Il est le Tout, il nous rejette et donc nous sommes... Une nouvelle entité, née de l’amputation d’une partie de lui-même… C’est par sa volonté qu’a eu lieu la division et il ne nous manque plus que l’âme-Clef pour constituer une divinité à part entière. Ne dit-il pas à ceux qui sont à sa gauche : « Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. » ? Qu’y pouvons-nous ? Qu’y pouvons-nous donc ?’
Le huitième cercle, celui des fraudeurs est formé d’un puit profond divisé en dix bolges au dessus d’eux, chacun des ponts converge vers un puit central. J’ai pour mission d’alimenter les dix fosses, nos poumons, notre cœur, en combustible, en air, en sang et d’y conduire l’âme Maîtresse qui y fera s’articuler le tout. C’est une question de survie. Nous sommes par la grâce de Dieu et en aucun cas nous ne souhaitons disparaître, revenir à lui, pour ne plus exister, entrer en consensus comme il ne l’a pas désiré. Jamais nous ne serons son égal sans Guide, et nous le vénérerons, et nous craindrons son courroux jusqu’à ce que l’âme-Clef ne vienne pour nous protéger. Il est grand et c’est par sa volonté que nous sommes. Mais nous devons survivre, et pour ce faire il nous faut récupérer toutes nos âmes… ne surtout pas qu’elles passent dans l’autre camp, qu’un abruti ne les absolve de leurs péchés ou ne les convertisse au bien… Et cela pendant des siècles et des siècles jusqu’à ce que le règne de notre Maître ne vienne.
Le premier bolge, c’est là que vont pourrir les séducteurs et des ruffians. Probablement est-ce là que nu je passerais l’éternité à recevoir des coups de fouets infligés par d’horribles tourmenteurs ? En permanence, je séduis, je trompe, je tue. Oui, le premier bolge, peut-être deviendra ma demeure pour l’éternité ? Mais je ne suis pas sûr encore. A moins qu’on me démembre et qu’on ne jette chacun des morceaux dans les dix fosses de souffrance ? Me préparer. Je dois me préparer ici bas pour m’habituer. ne pas offrir ma souffrance en cadeau au Créateur. J’irais en ces lieux, je suis damné pour tout ce que j’ai fait, tous ces meurtres, je le sais. Mais je ne souffrirais pas en enfer. Il est hors de question que j’aie à y souffrir. Je me suis préparé et continuerai à le faire. Tout a commencé par les bains chauds. Pour m’habituer, m’accoutumer… vous allez voir, je serai prêt en temps voulu. J’ai progressivement augmenté la température de l’eau de mes baignades, graduellement, très doucement et maintenant je prends des bains bouillants sans problème. Ma peau est toute rouge, soit, mais tannée, pas brûlée. Au début mon cuir s’asséchait et tombait en lambeaux. Tétanisé par la douleur je m’enfermais de longues semaines jusqu’à ce que plus rien n’y paraisse. çà n’est plus le cas. Les brûlures de cigarette et les séances de flagellation marquèrent le début d’un second calvaire. Il me fallut un temps d’adaptation pour apprendre à ne plus en souffrir… çà ne me fait plus rien à présent…
Matthieu l’a rapporté : « Comme on arrache l'ivraie et qu'on la jette au feu, il en sera de même à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » J’ai demandé à mon confesseur cordouan si je pouvais bien être un de ces anges déchus, affecté à ces sales besognes… Si mon existence même n’annonçait pas la destruction prochaine du Monde. Il ne m’a jamais répondu.
Fût un temps en mon périple de foi où mes pas croisèrent ceux de la personne la plus importante qu’il ne m’ait été donné de croiser. La plus malheureuse aussi. J’ai même cru l’espace d’un instant avoir trouvé l’âme-Clef avant de déchanter. Il s’agissait de l’archevêque de Cracovie en pèlerinage pour Compostelle. Il voyageait incognito probablement pour réparer l’inavouable offense que je n’allais pas tarder à connaître. Jamais je n’ai croisé d’âme plus torturée, de loin je l’ai repérée, à l’autre bout de l’Europe son aura noire m’a investi. Elle excita tant mon appétit que je la traquais comme une bête et qu’il me fallut faire preuve de la plus grande retenue, de la plus grande humanité pour ne pas déchiqueter la frêle enveloppe charnelle dans laquelle elle vibrait et grinçait réclamant qu’on la libère dès que je l’eus trouvé. Un autre homme s’intéressait à l’archevêque et le suivait de près, un voleur, un malandrin, qui en voulait à tout l’argent qu’il récoltait sur son périple. Je pris un soin tout particulier à m’occuper de lui en premier lieu. La septième fosse du huitième cercle est réservée à ceux qui dérobent les choses de Dieu, et c’est indéniablement ce que l’homme s’apprêtait à faire. Dans cette bolge, les damnés sont réduits en cendre et finalement ramenés à la vie pour être éternellement tourmentés. Après l’avoir capturé, je brûlais vif le brigand, l’harnachant à deux poutres croisées puis calcinant tour à tour chacun de ces membres en prenant bien soin de lui faire apprécier éveillé chacune des combustions. Il rendit pourtant l’âme avant que je n’attaque le tronc… Je m’empressai après avoir enterré ses restes de rattraper ma cible principale. Nous fîmes, l’archevêque et moi, une partie du pèlerinage ensemble. Au bout d’une semaine, irradié par cette invisible connexion nous liant à Malebolge, harmonique exaltée, l’homme d’Eglise me révélait tous ses méfaits, éploré. Il y a quelques années de cela, sous d’autres régimes moins nobles, il avait copieusement collaboré, il avait trahi et vendu les siens, et en avait retiré une substantielle contrepartie sonnante et trébuchante. N’en pouvant plus d’attendre, trépignant d’impatience, je plongeais mes deux mains sur son cou nu lorsque nous nous trouvâmes isolés sur un petit chemin. En lui faisant avaler une à une les pièces de toute sa quête, je citais l’apocalypse : «Veni, ostendam tibi damnationem meretricis magnae, quae sedei super aquas multas, cum quâ fornicati sunt reges terrae.» C’est à coups de pieds dans le bide que je l’ai fini sachant pertinemment où j’expédiais l’enflure. Le troisième bolge du huitième cercle, la fosse des simoniaques allait compter un nouveau locataire en son antre ce soir. Toutes les hautes dignités ecclésiastiques qui ont détourné à leur profit les biens de l’Eglise et monnayé les biens spirituels s’y retrouvent dans un improbable conclave ad vitam æternam. Pour avoir inversé l’ordre moral des valeurs, ils sont suspendus la tête en bas dans un puits de feu en attendant d’y être totalement enfoncés par la venue du traître suivant.
« Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les débauchés, les magiciens, les idolâtres, et tous les menteurs, leur part sera dans l'étang ardent de feu et de soufre, ce qui est la seconde mort. » Ce message je l’ai adressé par email à mon jeune prêtre andalou, je lui ai consciencieusement détaillé la manière que j’avais de jouir lorsqu’un des miens exsufflait entre mes doigts… Ma seconde mort me trouble… Ô la première, je ne la crains guère… Le croirez-vous ou non ? C’est bien la seule fois qu’il a daigné me répondre : «Mais, si c'est un méchant serviteur, qui dise en lui-même: ‘Mon maître tarde à venir’, s'il se met à battre ses compagnons, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s'y attend pas et à l'heure qu'il ne connaît pas, il le mettra en pièces, et lui donnera sa part avec les hypocrites: c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Heureux est celui qui comme moi, connaît sa mission en ce bas monde. Bien sûr on me traque, j’ai Interpol et quelques vengeurs à mes trousses et il me faut user d’habiles subterfuges pour ne pas être pris. J’ai peur pourtant que la fin ne soit proche : j’ai pris goût à l’ébouillantement à force de le pratiquer pour préparer la vie éternelle qui m’attend, je suis accro aux flammes, tout mon corps les réclament et quand je n’y tiens plus il faut que je soulage mes bas instincts. J’improvise un de mes délicieux supplices dans ces retraites miteuses où je me terre tel un rat, j’utilise les gazinières des cuisines équipées de ces hôtels sordides qui me servent de planque, pour porter un tison de fer à incandescence et je l’enfonce ensuite consciencieusement avec délectation au creux de ma peau qui le réclame. Le feu m’appelle. Les cicatrices que laisse le fer sont de plus en plus visibles. Elles me trahissent inexorablement et l’étau autour de moi se resserre…
Ce jour là je noyais mes doutes, mes peurs, me chatouillant le gosier en vidant une bouteille de soude diluée (saine pratique à laquelle j’avais pris soin de m’adonner également à des fins préventives, investissement pour un avenir qui n’était plus si lointain…). La gazinière travaillait à plein régime, quelques tisons métalliques posés à même la flamme, des gâteries en préparation. On frappe à la porte et à peine ai-je le temps de me lever qu’une brute épaisse l’enfonce à grands coups de maillet en grommelant de stupides avertissements. Je me retrouve sur mon postérieur avec des éclats de bois enfoncés en plein dans le bide. Deux armoires à glace pénètrent dans ma chambre ainsi qu’un troisième type, un vieux qui pointe une arme dans ma direction : « Maîtrisez-le, les gars ! C’est bien l’enflure qu’on recherche. ». Je reconnais le lascar, un proche conseillé de Don Balkan, le mari de la flatteuse que j’ai refroidi quelques mois plus tôt. Un des deux malabars, un maure, me relève et m’empoigne vigoureusement alors que le second, un grand roux aux grosses mains, me ruine de coups de poings. Je pousse de petits jappements, je glousse, j’éclate de rire et j’en redemande. J’aime çà. « Amenez-le moi ! », Hurle le vieillard apparemment agacé… Il tient la porte des toilettes alors que ses hommes de mains me projètent violemment tête la première dans la cuvette des chiottes. J’entends un gros craquement, et mon nez aquilin s’enfoncer dans mon visage. Un torrent ferreux exalte mes narines et mes papilles… Le fond de la cuvette prend soudainement une teinte pourpre. On me soulève. La faïence est fissurée tant l’impact a été lourd. De grosses goûtes de sang viennent obturer mon champ de vision. « Pourquoi ? », aboie le vieillard, « Pourquoi as-tu pris si ignoblement la vie de l’épouse de Don Balkan ? Un avertissement de la pègre roumaine ? C’est un avertissement à l’encontre du clan, pas vrai ? Qui t’a envoyé, bâtard ?» Le maure me file un grand coup de poing dans la face qu’il réussit presque à m’aplatir. Mes globes oculaires gonflent et s’injectent de sang, de grosses poches se forment autour de mes paupières. C’est alors que dans un grand éclat de rire, je cite les paroles de Jésus rapportées par Matthieu, elles viennent de m’illuminer, de m’investir comme seule la Vérité pourrait le faire. Je viens de comprendre le sens de l’arrivée impromptue de mes convives : «Mais, si c'est un méchant serviteur, qui dise en lui-même: ‘Mon maître tarde à venir’, s'il se met à battre ses compagnons, le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne s'y attend pas et à l'heure qu'il ne connaît pas, il le mettra en pièces, et lui donnera sa part avec les hypocrites: c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Même aveuglé par le sang et irradié par la joie, je n’ai pas de mal à localiser mes assaillants: « N’ayez pas peur. J’ai tout compris !», Que je rigole, « Ceci est une réunion de famille… Vos âmes chétives tremblantes et éplorées, réclamant qu’on les libère… vos grincements de dents… Nous appartenons au même clan… Don Balkan est notre Maître sur terre, l’âme-Clef du Malbolge… Rappelez-vous les paroles de Jésus, je suis le méchant serviteur impatient qui frappe ses compagnons…»
« C’est un fou ! », entonne le maure. « Un abruti d’illuminé ! », tient à préciser le roux. « Brisez-lui les membres et ligotez-le à genoux contre les waters, çà sera le mont Golgotha de ce messie de la connerie… J’ai un coup de fil à passer à Don Balkan, une bonne nouvelle à lui apprendre… » « Quelle ironie n’est ce pas ! », en m’adressant au maure qui m’empoigne à l’écart alors que le vieux quitte la pièce et que le roux semble attiré par mes tisons sur la cuisinière, «Je l’ai tant traqué, je l’ai tant recherché et finalement c’est lui qui me trouve… L’âme-Clef, notre Maître, t’en rends-tu compte, damné ? Notre Guide, notre Sauveur sur le point de venir nous rejoindre ! Il vient punir son serviteur impatient ! Il va de sa main m’expédier auprès des hypocrites au fond de la sixième fausse du huitième cercle ! C’est donc là ma demeure éternelle ? là que vêtu d’une cape dorée doublée de plomb, je me courberais de douleur, l’éternité durant par la volonté de notre Maître ?» Ma mâchoire se fend alors en deux morceaux, j’en reste brièvement sonné avant d’être inondé par le plaisir de souffrir. C’est le maure qui ne semble pas apprécier mes paroles qui me le fait savoir à grands coups de pieds : « Je n’ai qu’un Maître, pauvre fou ! Et c’est Allah… Je n’ai qu’un guide, le Prophète… la paix soit sur lui… » Je le coupe abasourdit : « La paix ? Maure, tu sembles oublier que les fauteurs de schismes et de discordes croupissent au huitième cercle des enfers… Mahomet que tu dis être ton prophète reçoit le châtiment qui lui convient au profond de la neuvième fosse… Il y est déchiré en permanence pour avoir apporté la confusion sur Terre… Il est lentement éventré par les Djinns qui prennent le soin de cautériser ses plaies avant de recommencer et recommencer encore… Son disciple Ali y voit son visage fendu du menton à la houppe jusqu’à ce que les meurtrissures se referment et que les Djinns ne recommencent et ne recommencent encore… » Le maure apparemment irrité par mes révélations alors qu’il s’apprêtait à me briser les jambes avec son maillet, vocifère des insanités : « Blasphémateur ! tu vas payer pour tes sacrilèges sans nom ! »
« C’est quoi tout ce raffut ?», S’exclame alors le roux qui se pointe avec un des tisons ardents qu’il a trouvé en cuisine, « Regarde donc ce que ce taré préparait… » Puis agrippant prestement le maure par les coudes : « Oh ! Mais calme ta joie, mec, t’allais quant même pas gâcher le plaisir du boss? il veut noyer cette pitoyable merde de ses propres mains, ce sont ses ordres et je peux t’assurer qu’il va bien le gâter. On l’entendra gueuler à l’autre bout du monde, Don Balkan s’en va venger la mort de sa femme avec la plus grande des inventivités… Je peux t’assurer que çà va être un carnage et que ce pourri demandera 100 fois pardon avant de nous implorer de l’abattre tant ses douleurs seront insoutenables…» « Rien à foutre ! C’est un blasphémateur ! Je m’en vais lui exploser la gueule à coups de maillet ! » « Pète-lui déjà les membres comme te l’a demandé le vieux ! » Je tourne alors la tête en direction du maure : « Infidèle ! idolâtre zélé de faux prophètes ! Faussaire de la foi ! Il y a une place pour toi au dixième bolge. Auprès de ceux qui contrefont la vérité tu brûleras, le corps couvert de gale et de lèpre ! » Je tourne alors la tête en direction du roux : « On préchauffe en ce moment même le quatrième bolge pour préparer ton arrivée, il abrite ceux qui ont trompé par de fausses divinations. Ils sont condamnés à marcher la tête tournée vers l’arrière… »
Tout d’un coup le maure file un grand coup coude dans les côtes du roux qui le retenait vigoureusement, se libérant ainsi de son étreinte étouffante. Il soulève le maillet et je m’apprête à le sentir emplâtrer mes vertèbres cervicales quand un grand cri perturbe ma résignation. Le roux vient d’enfoncer le fer rouge dans la cuisse du maure qui hurle en faisant tournoyer le maillet dans toutes les directions. Le roux finit par s’en prendre un coup en plein thorax qui le propulse contre la table du salon. Il empoigne dans un geste réflexe ma bouteille de soude et projette son contenu non dilué en pleine tronche de son incontrôlable partenaire. Ce dernier hurle de douleur en s’arrachant des lambeaux entiers de peau de son visage attaqué par la base. Ivre de rage, il concasse le maillet contre le cou de son collègue qui sous le choc se brise alors que sa tête claque et vrille sur elle-même le tuant instantanément. Le maure fait quelques pas et s’effondre en exhalant son dernier souffle…
« Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la ; mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie, que d'avoir les deux mains et d'aller dans la Géhenne, dans le feu qui ne s'éteint point. Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le ; mieux vaut pour toi entrer boiteux dans la vie, que d'avoir les deux pieds et d'être jeté dans la Géhenne, dans le feu qui ne s'éteint point.» J’ai mes deux mains, j’ai mes deux pieds, qu’ils assurent ma salvation, qu’ils me permettent d’entrer triomphant par la grand porte du Malebolge investi par mon maître protecteur !
Le vieux pénètre dans la chambre avec fracas. « Don Balkan ! », vocifère-t-il, « l’abominable animal est là, offert, dans l’attente de votre estocade… hein ? heu ! Mais où est… » Je file un énorme coup de maillet en plein dans la nuque du chnoque comme je m’étais planqué derrière la porte en guettant son retour… Il se retrouve à quatre pattes sur le linoléum de l’hôtel miteux. Je ne lui laisse pas la moindre chance : avant que l’intention de se relever ne lui traverse l’esprit, j’enfonce un de mes tisons ardent dans sa colonne vertébrale. Il hurle comme un goret alors que sa veste prend feu et que j’entonne : « Perfide conseiller, tu conspirais dans l’ombre… Tu as trompé notre maître. Tu finiras enveloppé de flammes au huitième bolge…» Une torche humaine traverse le salon avant de s’écraser sur le sofa où dans une explosion elle semble soufflée dans toutes les directions.
Je prends alors conscience d’une présence juste derrière moi… Je sens ses respirations régulières et sereines… Elle a dû passer le seuil de la porte à pas feutrés et je ne l’ai pas entendue. Don Balkan ! Le vieux l’a appelé avant que je n’organise son retour au Royaume… L’âme-Clef tant convoitée juste là, à portée de souffle… Un contact froid point au creux de ma nuque. Un gros calibre, probablement… Je me débarbouille les yeux avec attention, perce les poches gonflées de sang dans mes paupières pour faire face avec respect à celui qui s’ignore être mon Absolu… Ma tâche va être ardue l’obliger à me tuer, puis à se donner la mort… « Les paroles de Jésus ont éclairé mon jugement, âme toute puissante du Malebolge… », Que je scande tout en me tournant vers lui… Une réalité horrible toute autre s’impose alors à moi :
Un barbu crasseux me fait face, me menaçant d’un crucifix taillé en lame en son extrémité. Il tend sa main gauche au bout de laquelle se tient la tête de Don Balkan. Celui qui à l’apparence d’un moine fou se lance alors dans un long monologue mystique :
« Voici, Cornu, un passage de l’Apocalypse… J’invoque le pouvoir des textes sacrés à transcender la Vérité et à l’imposer aux égarés : Puis je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus. La terre et le ciel s'enfuirent devant sa face ,et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres, d'après ce qui était écrit dans ces livres. La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux, et chacun fut jugé selon ses oeuvres. Puis la mort et le séjour des morts furent jetés dans l'étang de feu... Quiconque ne fut pas trouvé écrit dans le livre de vie fut jeté dans l'étang de feu. »
D’un geste, le barbare jette la tête de mon Maître dans les flammes qui lèchent et pourlèchent toute ma chambre à présent. Je ne sais que dire... Qu’il me tue ce pauvre fou ! qu’on en finisse et que sonne l’heure de Maleborge !
« Ce soir, vous n’aviez que faire du livre de vie, vous n’aviez que faire du trône blanc et de celui qui est assis dessus… Ce soir vous deveniez écrivains indépendants, ce soir vous lanciez vos propres éditions…» Il plante alors son épée dans mon ventre… La surprise laisse bien vite place à l’ivresse… L’ivresse de joie qui me fait empoigner la lame des deux mains, la lame que j’enfonce entière dans mes entrailles déchirées… « Pauvre idiot ! », Je lui rie, « Tu viens de nous réunir mon Maître, mes autres et moi… Tu viens d’officier la naissance du dieu Malebolge ! »
Le barbu me file un coup de pied dans les hanches et me débroche d’un seul geste. Je tombe près de la tête de Don Balkan alors que les flammes se jettent sur ma faible enveloppe agonisante. Je n’ai peine à entendre la triste nouvelle cependant… immunisé contre la douleur du feu, mon corps se consume sans que je n’aie à en souffrir alors que notre bourreau conclue : « Je suis le prêtre auprès de qui tu t’es amusé à confesser toutes tes abominations par pure malice et perversion, par pure jouissance de me croire impuissant ! Détrompe-toi je ne le suis pas tant que çà, Cornu, car par le pouvoir que m’a conféré Notre Seigneur, j’ai lavé Don Balkan de tous ses péchés ici bas avant de le décapiter… J’échange sans regret la damnation de mon âme contre la salvation de la sienne pour que jamais votre machination ridicule ne prenne forme… »
Je rassasie le huitième cercle, un Malebolge privé d’âme maîtresse et de guide. J’y attise le feu en y consumant mon essence, je retourne en réalité à la forge qui lentement me voit disparaître.
(O_____O)
Un jour viendra où, en personne, j’irai rassasier le huitième cercle. J’y attiserai le feu en y consumant mon essence, retournant en réalité à la forge qui m’a vu naître… En attendant ce jour béni, je me contente d’en alimenter le foyer par le biais de quelque offrande sans grande prétention. J’en conviens bien volontiers, mes actes n’aggravent en aucun cas ma peine, pas plus qu’ils n’influent en faveur de ma délivrance…
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la Géhenne. »
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la Géhenne. »
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J'aime pas le dernier mot, j'aurais mis "foutre" conjugué
au plus que subliminal de l'imparfait .
Sinon j'vais aller lire ce texte . Dans un instant .
C'est tellement bon de pouvoir se cacher derrière un pseudo austentatoire .
J'ai préféré le remix de Nihil, mais j'ai peut-être mauvais goût.
-et tu préfères ton papa ou ta maman ?
-ben je sais pas...
-reprends-en un peu de chaque alors.
Est-ce qu'un admin pourrait noter ce texte à 10 pour contrecarrer ce connard qui fout zéro à tous ses textes ? Merci. Est-ce que les autres connards pourraient commenter ce texte putain de bordel, faut tout faire soi-même sur ce site de mongoliens.
J'ai mis neuf, camarade commissaire.
Superbe. Mon texte préféré sans aucun doute. Violent, parfois frénétique avec un héros totalement jouissif et sadique. L'écriture est maîtrisée, jamais confuse, je suis jaloux.
Mais il y a quand même trop de points de suspension.
c'est que j'ai pas reussi à tout écrire de la dictée
Ayé, fini.
Ca m'a pris 3 jours, putain d'enfoiré.
Du coup, ça m'a dégoutée de mon envie de commenter. Ce texte est fort sympatique, mais bôôôcoup trop long pour que je puisse l'aprécier à sa juste valeur quand y'a 20 autres textes qui attendent derrière.
Pour la saint-con, faire concis.
Sympa, mais je trouve que c'est du "petit" Lapinchien. Bien écrit mais je sais pas, je trouve ça un peu plan-pan par rapport à d'autres écrits.
Je mets pas plus de 7.
le gout du soufre dans la bouche ......... me laisse delicieusement perplexe....c'est fin, cru, méchamment terrifiant.
j'arret là .. les flatteries bavent de mes doigts..... et Lapinchien risque de ne pas aimer çà ! lol
Pas mal, mais il manque quand même quelque chose qui a fait que je n'ai pas accroché. Peut être au niveau des détails, ou plus généralement de l'ambiance.
L'idée de base est bonne, et certaines scènes sont très réussies (quand les deux hommes de mains de Don Balkan s'entretuent, par exemple), le personnage est un illuminé, mais cette folie est contrastée par celle de ses cibles, ce qui le rend plus crédible, mais peut être qu'il manque un peu de fond dans tout ça.
Globalement, c'est bien écrit, mais je reste tout de même un peu sur ma faim.
La symbolique vénération de la douleur dans tous ses états; Gore! Et Gare aux gorets de tous poils roussis! Bienvenue dans ton enfer aux maux colorés d'eux même, monsieur Lapichien! J'ai bien aimé la trame mais,si je peux me permettre une critique, on voit arriver la fin de l'histoire,
et ça c'est dommage!
Il n'y a que les abrutis heureux qui ne sentent pas arriver la fin. Et elle est proche, je vous le dit... A merde, je me suis encore confondu avec le clone ADN de Nostradamus. Shampoing.
https://www.youtube.com/watch?v=L3fDbmfJspk audiobook karaoké adapté de cette nouvelle sombre ésotérique publiée sur la Zone avec un lecteur de synthèse et un prompteur texte sur fond musical déformé de Frantz Liszt et gravures de Gustave Doré.
Tu caches de si ragoûtantes choses Lapin, lâche les sonnets.
Je reprends mon exploration de la Zone.
Le teaser, là.
Je me rappelle pas l'avoir lu mais je constate qu'il y a présence de prévaricateurs et de concussionnaires.
Ca me laisse pantois comme c'est charmant ; tu devrais jouer à Pyramide.
non merci. c'est un club de gens atteints de troubles obsessionnels compulsifs qui cherchent à savoir qui est le plus atteint.
mais pourtant assez proche de la réalité. (top40)
le plus grand bénéfice que tu pourrais tirer de cette expérience serait de savoir renoncer et arrêter. Et tu pourras alors reproduire ce même schéma dans d'autres domaines de ta vie dans lesquels ce petit vélo dans ta tête roule à plein régime en circonvolutions stériles avec un dopage mécanique et un pot belge proche de la potion magique d'Asterix. Je sais que tu sais de quoi je parle. Je sais que tu sais que j'ai raison.
Vos petits tours de passe-passe avec les mains, ça ne marche pas avec moi, Jedi.
Plus sérieusement, j'arrêterai fatalement dans les meilleurs délais, incapable que je suis de mener une activité à son terme sur une période de plus d'une semaine de toute façon.
Par ailleurs, le top10 caracole à 9000 points, ce qui est décourageant quand on sait la proportion de mongoliens sous-cultivés qui fraie en ces lieux.
mais ce pyramide-like à toute sa place dans les commentaires d'un texte sur la damnation mais n'exagérons rien ce doit plutôt être un simulateur du purgatoire.
Chaque erreur coûte cinq fois plus de points que ce que l'on gagne par victoire.
Sisyphéen, c'est le mot.
je vois très bien l'épisode d'Ulysse 31 auquel tu fais allusion https://www.youtube.com/watch?v=pGkBrRC7ENE
Tu comprends à quoi je suis exposé ?
"Melliflue" ta mère, non ?
Comment je peux devenir grand maître du vocabulaire compétitif au niveau national en me tapant "MELLIFLUE", comment ?
Il faut avoir été élevé par des loups et ensuite par des apiculteurs, pour sortir un mot pareil. Enfin !
oui non mais hacke la matrice, c'est tout. en 4 briques, Marie-Ange.
rébus
gibson
couche
débit
Avec Marie-Ange, ça changerait tout. On ferait tout en une brique et je pourrais planter mon museau dans sa coiffure volumineuse et parfaitement laquée. Ce serait le bonheur, elle sentirait l'agrume et je serais son brugnon.