Elle n'oublia pas que pour soutenir sa crédibilité, il fallait qu'un rire gras emplisse la pièce, et qu'elle tourne les talons sans sourciller, laissant sa future victime dans la certitude que le plan d'attaque qui allait s'abattre sur elle était parfait et que plus rien ne pourrait contrer les augures qui annonçaient son funeste destin.
Il y a longtemps qu'Olivia n'avait pas connu une telle jubilation. Elle se souvenait du jour où elle avait découvert que le Père Noël n'avait rien à voir avec ce que ses parents tentaient de lui faire croire et que le soi-disant bienfaiteur venu du froid avec ses reines et sa hotte chargée de cadeaux n'était autre que son oncle Marcel. Elle avait trouvé suspect qu'il n'arrive pas avec sa tante et ses deux crétins de cousins, surtout qu'il était le seul à savoir conduire et qu'ils n'avaient pas pu débarquer par l'opération du Saint Esprit. Personne ne se demandait où était Marcel, ni pourquoi, un soir de Noël, alors qu'il était fonctionnaire, orphelin et jaloux, ce boute-en-train aux ressources inépuisables n'était pas de la fête. Olivia n'entra pas dans l'ambiance joviale qui s'installait instantanément quand les deux soeurs se retrouvaient enfin et que les cousins plongeaient dans les caisses de jouets pour jouir des trésors qu'ils n'avaient pas chez eux. Elle se posta devant la porte, et s'aida d'une chaise pour atteindre le judas et observer, à intervalle régulier, ce qui allait se passer dans le couloir. Elle vit donc Marcel sortir de l'ascenseur, déposer les cadeaux dans une énorme hotte, enlever chaussures, pantalon, chemise et se trouver nez à nez en semi tenue d'Adam devant la vieille et horrible sorcière qui leur servait de voisine. Olivia comprit qu’il lui demandait d’être discrète, d’attendre encore quelques minutes avant d’alerter la brigade des moeurs en lui assurant qu’elle allait comprendre pourquoi il se déshabillait en cachette devant chez elle. Il sortit d'un vieux sac plastique un costume rouge, une fausse barbe, des lunettes et un bonnet. Inutile de chercher plus loin : Olivia savait qu'il allait se déguiser en Père Noël comme les clodos du quartier. Elle sauta de la chaise pour rejoindre le reste de la famille. Il était bientôt minuit, le verre de lait était posé sous le sapin. Du haut de ses quatre ans, Olivia découvrit les joies des premières étincelles sarcastiques et au lieu de dévoiler ce qu'elle avait découvert, elle préféra fomenter un savoureux stratège pour ridiculiser l'oncle qui ne pouvait pas s'empêcher de lui tirer les oreilles chaque fois qu'il la voyait en lui disant, sur un ton de reproche insupportablement injuste : "Alors ! J'ai appris qu'on avait encore été vilaine avec son petit frère !"
Le Père Noël était entré dans l'appartement en chantonnant dans sa barbe de grotesques "Pom, pom, pom, regardez qui va là" sous les yeux ébahis des cousins. Les mères prenaient leurs enfants à témoin et répétaient bêtement : regardez qui va là. On installa la troupe de têtes blondes sous le sapin et la distribution des cadeaux commença.
- Et toi ? As-tu été sage.
- Oui, Père Noël ! J'ai même eu dix sur dix en lecture.
- Ah, ah, ah ! Je sais tout cela ! Mes lutins m'ont tout dit ! Mais as-tu été sage avec ta maman ?
Le petit Pierre s'assura dans les yeux de sa mère qu'il avait "été sage avec sa maman". Le sourire qu'elle offrit aux anges ne fit aucun doute. Le Père Noël n'attendit pas la réponse et tapota sur la tête du bambin.
- Ah, ah, ah ! Je sais aussi que tu as été sage avec ta maman. Regarde ce que je t'ai apporté.
Sur chaque cousin, le rituel fut le même et la magie opéra de la même manière.
- Et toi, Olivia ? As-tu été sage ?
Il attrapa son oreille.
- Ah, ah, ah ! J'ai appris qu'on avait encore été vilaine avec son petit frère !
Sur ces paroles, Olivia baissa la tête, et se mit à pleurer. Elle savait bien pleurer : les larmes coulaient à flot et il fallut quelques minutes avant qu'elle puisse expulser quelques mots compréhensibles des vagues de sanglots qui secouaient sa poitrine. Les mains des mères cherchaient des mouchoirs et tentaient d'apaiser le chagrin de la petite fille.
- Comment est-il possible qu'une si jolie petite fille se mette à pleurer le soir de Noël ?
Olivia prit une chaise pour se hisser à la hauteur du vieil homme. Elle lui raconta poliment, au creux de l'oreille, que son oncle Marcel n'était plus de ce monde, que son papa et sa maman n'avaient pas osé lui dire le soir de Noël, qu'elle avait bien compris qu'il ne fallait pas encore en parler, qu'elle serait gentille avec sa tata et que s'il en avait dans sa hotte, à la place des trains électriques et des jeux de société, il pourrait donner à ses cousins un nouveau papa. Elle s'écarta légèrement pour le regarder dans les yeux, et lui demander, dans un long soupire : Est-ce que tu l'as vu, toi, dans le ciel ?
Marcel pâlit. Les mamans aussi. L'un parce qu'au lieu d'illuminer les rêves, il venait de plonger une petite fille dans un profond désespoir. Les autres, parce qu'elles savaient que l'extrême gentillesse d'Olivia signifiait souvent qu'elle préparait une terrible bêtise. Marcel aurait pu continuer sa mascarade, ramener la gaieté avec un grotesque "Pom, pom, pom, mais qu'est-ce que tu racontes ?", continuer sa distribution, avaler son verre de lait, partir, se changer dans le couloir, attendre quelques minutes et revenir en Christ triomphant. Cela supposait qu'il eût un sens de l'à-propos et une forme de talent pour l'improvisation. Lui qui avait tellement de blagues dans son chapeau, il aurait pu chercher à surprendre l'assemblée. Il se trouva tellement décontenancé qu'il ne put se retenir de plonger sur ses fils pour les couvrir de tendresse impudique, pleurant, s'excusant et criant : mais non, mes garçons, votre papa est toujours là. Les cousins, bien plus jeunes qu'Olivia, apprirent donc en même temps que le Père Noël n'existait pas et que leur papa pouvait devenir une mauviette alors qu'il leur avait bien dit que les hommes ne chialaient pas. Olivia jubila.
Face à son nouveau dessein, et parce que Pâques venait de lui offrir une opportunité aussi prometteuse que la révélation du Père Noël, elle déduisit que les fêtes religieuses portaient en elles les germes de la vengeance. Cette fois-ci, ce n'était pas l'oncle qui allait en faire les frais, mais bien le mignon, l'adorable, bref, celui que tout le monde désignait comme étant le "si gentil petit frère".
Le début des congés scolaires venait de commencer. La maisonnée s'affairait et préparait les fêtes de Pâques. Depuis l'épisode du tonton déguisé, les mamans avaient renoncé à faire croire aux enfants que d'obscures cloches déposaient les chocolats au moment où sonnaient les matines. Elles avaient préféré expliquer que ces fêtes, même si plus personne dans la famille ne croyait aux histoires de fils de Dieu (ni qu'il soit né dans une étable, ni qu'il soit revenu parmi les vivants), permettaient essentiellement à la famille de se réunir, de s'offrir des cadeaux, de montrer que tout le monde s'aimait, de bien manger, de bien boire, d'aller se promener au bois et de se vautrer devant la télé en attendant que le repas du soir soit prêt. Il fallait donc préparer la maison, cacher des oeufs un peu partout et déposer pour chacun un personnage qu'on avait le droit d'acheter ou de fabriquer pourvu qu'il fût constitué, fourré ou bien nappé de chocolat. Pour les enfants, ce n'était pas si aisé de trouvé de l'argent et surtout l'envie de dépenser ses propres économies pour un autre. Pour faciliter la distribution, on tirait au sort le nom de la personne à qui l'on allait offrir son chocolat. Le petit frère tomba sur "maman". Olivia sur "Oncle Marcel". Papa allait offrir à tata qui allait offrir à l'un de ses fils qui allait offrir à son frère qui allait offrir à son oncle. Marcel était chargé d'offrir au petit frère et maman, à Olivia. Le compte y était.
Olivia commençait à trouver lassant qu'à chaque fois qu'on leur dévoilait les secrets des surprises qui tombent du ciel, il fallait mettre la main au porte-monnaie, et décida de ne pas dépenser un centime pour son tonton ridicule, d'autant qu'elle présentait qu'il se moquerait d'elle, comme il le faisait à chaque fois qu'il lui adressait un mot. Elle se fit inscrire à l'atelier chocolat de la maison de quartier parce qu'elle savait que sa mère ne refuserait pas de payer une modeste inscription à un nouveau loisir et qu'elle en ressortirait avec un chocolat gratuit. L'atelier consistait surtout à assembler différentes figurines pour créer une composition personnelle, un peu comme à l'atelier fleurs ou à l'atelier "déco-malin". Olivia choisit de placer une souris sur une plaque de chocolat et d'apporter quelques détails en sucres pour que l'ensemble ressemble à un piège. Elle trouvait amusant d'associer une fois de plus le piège à son oncle Marcel. La vieille dame qui encadrait les enfants fut horrifiée par le manque de soin avec lequel l'ouvrage d'Olivia avait été préparé. Elle la félicita tout de même d'avoir choisi l'atelier chocolat plutôt que l'atelier "déco-malin" et la reconduisit à la porte en souhaitant ironiquement que le fameux piège soit vite avalé. De retour chez elle, Olivia déposa son oeuvre dans la cheminée (il en avait été décidé ainsi, "pour faire joli") et découvrit celui que le "si mignon petit frère" avait déposé : Pouïnky.
A la différence de sa soeur, et peut-être parce que son destinataire valait plus à ses yeux que celui qu'avait eu Olivia, le petit frère avait cassé sa tirelire et s'était précipité dans la confiserie d'à-côté pour acheter quelque chose de parfait. Il allait donc, une fois de plus, remporter la palme du cousin le plus mignon de la famille et c'est leur mère commune qui allait lui décerner par ses célèbres "Oh, mon chaton, tu es têêêêêêêllement mignon". Olivia voyait déjà s'enchaîner les scènes familiales et même si le secret devait être gardé jusqu'à l'arrivée des invités, sa mère allait vite comprendre qu'elle n'avait pas pu confectionner un si joli poussin à l'atelier chocolat et que le petit Pouïnky lui était destiné. Elle allait passer devant plusieurs fois en se demandant à voix haute (fluette et idiote) qui pouvait bien l'avoir déposé dans la cheminée et par la même occasion, qui aurait l'honneur de le recevoir comme cadeau. Le reste de la famille allait débarquer, l'oncle Marcel allait s'en doute se moquer du piège à souris et surtout le comparer aux autres. "Regardez celui-ci, comme il est laid ! Nous n'avons qu'à les mettre les uns à côté des autres, et chacun doit donner une note. Olivia, toi qui es si fortiche en Maths (Ah, ah, ah, on m'a dit que tu avais eu quatre à ton dernier contrôle), quelle note donnerais-tu à ce masque Africain raté ?". Il ne pouvait pas s'empêcher de détourner l'identité des personnes et des objets qu'il raillait afin de faire savoir aux assemblées pliées de rire à quoi lui faisait penser untel ou telle chose. C'en était trop. Tout ceci ne devait pas arriver. Il restait encore quelques heures à Olivia pour agir.
"Si tu crois que tu vas t'en sortir comme ça. Tu vas voir un peu de quel bois je me chauffe".
Le petit frère retrouva Olivia dans sa chambre. Il semblait fier de son achat et pensait qu'un peu de complicité avec sa soeur lui permettrait de partager son enthousiasme et surtout d'éviter d'aller gâcher la surprise auprès de sa mère.
- Tu as vu ce qu'il y a dans la cheminée ?
- Vaguement.
- J'ai acheté un poussin pour maman.
- Ah ?
- La dame m'a dit qu'il s'appelait Pouïnky. Tu trouves pas que c'est super comme nom ?
- Bof.
- Elle m'a dit que c'était le poussin le plus mignon du magasin, et qu'il ferait très plaisir à maman. Tu crois que ça va lui faire plaisir ?
- Ch'ais pas.
- J'suis trop content ! Vivement que je puisse lui donner ! Il est trop mignon.
"Mignon ?", pensa Olivia qui élaborait déjà son plan d'attaque, "Avec son sourire béat, son bec orange et son chapeau ridicule ? Tu parles qu'il a l'air mignon. Il a surtout l'air con !"
La mère entra dans la pièce pour proposer aux enfants d'aller chercher encore quelques oeufs pour garnir la table. Le petit frère accepta de l'accompagner. Olivia, elle, fit mine d'avoir encore un dessin à finir. La fenêtre d'action venait de s'ouvrir. La porte claqua. Olivia était seule dans l'appartement.
Elle courut dans la salle de bains des parents pour prendre ces énormes bâtonnets de coton que sa mère cachait de temps en temps dans sa main quand elle allait aux toilettes et sur lesquelles était marqué Vania. Elle s'arma du spray d'alcool à 90° qui servait à soigner les bobos de la famille. A la cuisine, elle prit un paquet d'allumettes, une bougie de table, un bout de ficelle et surtout, un carré de chocolat et une noisette qu'elle alla déposer, dans la cheminée, à côté de son formidable piège.
Quelques instants plus tard, Pouïnky se trouva entouré de bâtonnets attachés entre eux et reliés à la bougie qu'Olivia s'empressa d'allumer. Elle regarda encore le petit poussin, puis le carré de chocolat à la noisette qui allait devenir le nouveau cadeau de son frère puis aspergea la ficelle qui unissait bougie et bâtonnets. Le bûcher s'enflamma.
Le sourire béat fondit.
"Si tu crois que tu vas t'en sortir comme ça. Tu vas voir un peu de quel bois je me chauffe". Olivia attendit encore quelques secondes avant de proférer son ultime menace, pensant bien que le regard qu'elle venait d'adopter allait fournir à son doigt le peu d'énergie qui lui manquait pour devenir, sous l'éclat des musiques triomphantes qui sonnent dans les moments cruciaux et savent faire trembler les spectateurs au moment où le sinistre méchant révèle son penchant machiavélique et rend haletante n'importe quelle intrigue, le doigt le plus menaçant de l'univers.
"J'aurai ta peau, connard !"
"J'aurai ta peau, connard !"
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Tout ce suspens, toute cette mise en situation des acteurs, des liens familiaux, de la sociologie, tout ça. Pour ça.
Faudra quand même que la concurrence soit faible pour que ce texte l'emporte.
Si j'avais posté tous les textes il aurait donc gagné haut la main, tu veux dire ?
Tu m'enlèves les mots de la bouche, si je peux m'exprimer ainsi sans risquer les trois lettres qui tachent.
Tu viens d'inventer l'auto-critique socratique à ironie inverse, camarade Claudia. Toutes mes félicitations. Un petit pas pour toi, un grand pas pour le socialisme.
On n'écrit pas "rattraper" ?
Un peu trop mièvre pour un texte Saint con mais pas ignoble.
Avec ses tampax autour du ventrou il m'a fait penser à Human Bomb, c'était cool, j'ai joui, un Human Bomb en chocolat ça laise augurer des jeux bucaux sans fins.
La fin est un peu décevante, parti comme c'était j'attendais beaucoup, au moins une description conséquente. En revanche de ceux que j'ai lus (dans l'ordre) pour le moment c'est le plus cohérent.
Cette piètre tentative de saboter une fête Zonarde n'aura aucune conséquence.
Alternate Ending
Olivia Ruiz finira par se presenter à la StarAc' et de fait signant un pacte avec les dealers de temps de cerveau disponnible, ira sans échapatoire possible, bruler en Enfer dans quelques années.