Elle était prévue pour le lendemain. Il avait été s’enfoncer du coton dans le nez une heure auparavant. Une hémorragie nasale avait éclaté violemment. Ce n’était pas le moment. Le match avait lieu le lendemain. Pas question de ne pas le jouer.
Quand il avait dix sept ans, il était super bon. Il les foutait tous par terre. La petite balle jaune, il la rêvait la nuit. Une passion d’ado dans un monde peut-être parfait. Ou vide. Un univers sans montagne à grimper, ni pente à dévaler. A croire qu’il y a des personnalités que ça ne stimule pas.
Après il s’était embarqué dans un sacré foutoir qui l’avait éloigné de tout ça. Il avait galéré dans un lycée du 91 avec des histoires pas trop nettes. L'idée était de se défoncer avec des litres d’alcool en fumants des joints avant de se mettre en marge dans un squat bidon qui n’avait pas tenu trois mois.
A partir de là, ça n’avait plus été du tout. Il avait commencer par passer deux mois en HP à dix neuf ans d'où il s'était cassé sans prévenir personne. On ne l’avait pas cherché. De là, il avait atterri dans le milieu homo. Un très bon accueil. Malgré son absence de tendance sexuelle marquée, il avait baisé avec des mecs dans les after du Marais, dans des backrooms en banlieue. Il y avait contracté le Sida pour lequel il suivait une trithérapie depuis cinq ans.
Suite au choc du dépistage, Tom avait essayé de reprendre le cours des choses mais c’était quoi le cours des choses. Une vie minable, cabossée. Un catalogue de scandales, de conneries sordides, de décisions terribles. Il avait pris des emplois dans des guets-apens qui lui rendaient bien son inaction, son incapacité fonctionnelle. Il s’était fait jeter de partout.
De retour dans l'appart familial, il avait tenu dix jours avant de se barrer. L’étape d’après avait constitué en un plan gigolo, sortir avec des nanas friquées dans des clubs pour quinquas à la recherche de chair fraîche. Dans un costard qui lui allait super mal, il avait refilé le VIH à plusieurs de ces vieilles peaux. Puis fatigué de ramer, il était parti sucer des queues Porte Dauphine où il s’était fait défoncer la mâchoire par des travelos. C’était un cyclone de bordel, en plein dans la zone de l’oeil.
Mais ce n’était pas tout. Son père avait contribué à ses mésaventures en réussissant superbement une tentative de suicide qu’un sens standard de l’observation pouvait attribuer à ses agissements. Peut-être aussi parce que c’était génétique l’autodestruction. Sa mère lui agitait le spasme et la culpabilité sous le nez lorsqu’il venait lui demander du fric pour payer une dose, de l’alcool, une chambre d’hôtel, une dette pas claire. Il disait c’est ça, c’est ça. Il voulait cinq cent euros minimum. Tout simplement 500 euros. Ne repartait jamais sans et la vieille les lâchait de toutes façons.
De quoi tenir deux, trois jours avant de se casser dans une autre région, plutôt vers le sud. Il y cherchait une arnaque pas claire comme par exemple braquer un putain de vieux qui sortait de la poste. Ou bien se faire des potes avant de leur piquer un chéquier, une carte bancaire, du matos informatique qu’il allait fourguer sur un marché avant de se casser en train. Ca avait duré à peu près trois ans.
Quand il rentrait, il revenait à l’hosto pour le traitement de son Sida. Avant de rejoindre un hôtel minable quand on ne pouvait plus le garder. Maigre. Sa peau puant le rance. Ses cauchemars tournaient sans cesse autour des araignées et des cafards. Il les voyait là à lui grimper sur la peau. Ils le bouffaient. Tout le temps. Putains de cafards, de fourmis, d’insectes. Il n’y avait que le crack pour chasser tout ça, ouais la voila la solution. Il en prenait tout le temps. Ne se rappelait plus ce qu’il avait fait de son temps entre deux prises et quand il émergeait, il avait sa sale rage contre le monde qui avait encore enflé. Collectionnant des tas d'embrouilles sur son parcours, pour presque rien, il avait donné des mecs à des réseaux, il avait fait sa pute comme ça pour pouvoir tenir juste un jour de plus. Au bout du compte, une affaire lui était tombée sur le dos. Il s'était fait serré pour recel. Ca avait sauvé sa vie.
Il était poursuivi par un groupe de petits camés qu’il avait arnaqués. Des malades barbares qui lui avaient promis qu’ils lui éclateraient la tête dans un étau en lui foutant le feu. C’était vraiment une opportunité d’être tombé à ce moment précis.
Fleury Mérogis : six mois ferme. Tom s’était fait violemment enculer dès le premier soir par un psychopathe. Puis les mecs l’avaient lâché quand l’info de sa séropositivité avait couru. Il avait pété un câble dans une crise de manque et on l’avait mis au mitard. Il y avait ce bruit dans sa tête. Il voyait des cafards partout. Il se demandait quand il cesserait enfin de comprendre. Même avec des pertes de mémoire énormes, il finissait toujours par se rappeler la plupart des trucs qui lui étaient arrivés. Il était ravagé, n’avait pas de tune, et donc aucun moyen de se payer sa came. Au mitard. Son estomac se tordait dans tous les sens. Lorsqu'il était sorti de l’isolement au bout de trois semaines. Il en avait profité pour se couper, en quatrième vitesse, une veine à la base du cou avec un morceau de ferraille. La connerie de trop. Les matons l’avaient estimé trop dangereux pour leur compétence. Direction l’infirmerie de la prison où on avait pris la décision de le mettre dans un hôpital psychiatrique.
Un de plus. Dans la section réservée aux malades susceptibles de représenter une menace pour autrui et eux même. L’hôpital était situé vers Limoges. Dans ce trou, Tom avait bouffé des sédatifs en pyjama bleu. Des trucs pour animaux. Il errait hagard dans un couloir marqué de brûlures de clopes, le fond de l’œil terne. Des dérangés poussaient des hurlements affolants en bons zombies dans les zones communes.
La psy qui s’occupait de Tom, une des dernières motivées de son espèce, avait été très pro et avait commencé à s’occuper sérieusement de son cas. Par des actes concrets pour une fois. Comme par exemple celui d’essayer de comprendre ce qui clochait. Même si tout clochait de toutes façons. Sa vie avait déraillé tellement tôt pour peu de choses que c’était assez inexplicable. Il pouvait s’agir d’un problème de malformation cérébrale. Avait été réalisé sur lui des trucs dans le genre scanners et tout un tas d’autres tests.
Pendant des mois.
Quelqu’un avait aussi parlé de lui infliger un traitement à base d’électrochocs. Un but avoué de déconstruction psychique. Mais l’idée avait été ajournée. Par faute de budget ou de lenteur administrative. Tom avait simplement été sevré de ses toxicomanies médicales et stupéfiantes, environ sur six mois. Et puis contre toute attente, comme ça, il avait fini par ralentir dans sa tête. Un minimum de diminution de la souffrance s’était amorcé. Son corps tel un manège complètement fou qui ralentit de façon à peine perceptible. Mais le mec coincé là haut sur le truc infernal, dans une panique monstre, lui il le sent. Un frottement contre les barrières de sécurité et juste ne pas lâcher la rampe, tenir le coup.
Quand la psy avait constaté cette amélioration, presque instantanément en vérité, elle l’avait déplacé dans un pavillon thérapeutique soins légers. Quarante mètres plus loin. Dégagé des contrôles quasi pénitentiaires et des surveillants. Là il y avait beaucoup moins de ces malades compulsifs qui se mettaient à gueuler le diable du fond de leurs entrailles dès que le traitement les laissait émerger. Mais Tom n’était pas tiré d’affaire pour autant. Il était retombé particulièrement vite entre les pattes d’un dealer résident qui lui avait revendu une saleté de crack et il avait replongé. Résultat des courses, re-transfert au bout de seulement quinze jours dans le pavillon psychiatrie. Une belle pagaille. Les va et vient s’étaient succédés un moment. La lutte de Tom continuait à bénéficier de la compréhension et de la compassion de la psy. Très pro.
Ca faisait neuf mois qu’il était là et un jour il était revenu dans le pavillon soins légers une fois de plus. Cette fois là en se baladant en serrant les dents, il avait découvert la salle de sport. A l’intérieur, des haltères rangées dans un coin. Des ballons de foot, de volley. Et au milieu une table de tennis de table. Pourrie cela va sans dire. Avec un trou sur un bord. Pleine de coups. Il y avait un sachet avec quelques raquettes accroché à la table. Des trucs basiques, du contreplaqué avec la mousse bouffée.
Tom en avait pris une. Et aussi une des balles. Et il avait commencé à la faire rebondir. Toc toc toc. Son cœur battait un peu plus. Toc toc. Il avait transformé la table en position jeu solo et s’était mis à lancer la balle contre la partie relevée. Des sensations familières l’avaient rappelé à lui. Pas à son histoire, non. A lui. Ou plus exactement une infime partie de lui qui vivait encore. La bête n’avait pas tout infecté. Finalement même les destinées les plus intégrales contenaient leur part d’imperfection.
Une semaine plus tard, Tom avait pris l’habitude de venir jouer dans la salle. Avec un animateur ou un interné. Le dealer n’était jamais très loin pour lui refourguer sa came. Il l’évitait, tiraillé en permanence. Pas si simple à évacuer avec la chiasse, la baisse des cachets, la promesse de la facilité, de s’évader. Son corps n’avait qu’une envie. Crever et marcher à la merde. Mais il y avait ce petit rectangle vert foncé et la balle jaune. Comme un petit marche pied pour sortir la tête de l’eau des égouts de sa vie. Pas des masses. Juste de quoi respirer la gueule coincée entre le plafond et la surface. C’était une solution. Il envoyait chier son corps qui se nécrosait de partout. Une vraie scission interne. Frapper toujours dans la balle comme on respire. Sans questionnement, sans hésitation. Apprécier la trajectoire d’une balle qui rebondit et qui revient et le Narcisse renaît de nulle part.
Son corps et son mental qui ne répondaient plus - plus d’érection, plus de vitalité, plus d’émotion - trouvait là un micro tunnel compliqué pour sortir de quelque chose d’infernal pour aller vers quelque chose comme sans doute un mur de fond d’impasse. De toutes façons, sortir de quelque chose n’est pas forcément rentrer dans une autre. Est ce que ce n’était pas exactement ce qui pouvait constituer la plus adaptée façon de se continuer quand on avait perdu la boussole ?
La foule des autres dehors qui l’attendait pour redémarrer la machine infernale. Cette broyeuse qui était la seule promesse et qui l’avait plongé dans des tas d’emmerdes. Il y pensait beaucoup. Mais il se disait putain, regarde, je peux aussi m’inscrire dans un club de ping pong. Dans une MJC avec des gars qui vont pas me regarder comme le type qui vient foutre le boxon. « Qu’est ce que ça peut faire si j’ai l’air d’une loque. Je ne suis pas plus une loque que les autres. J’ai la même merde à l’intérieur. Qu’est ce que c’est le Sida ? Une diminution des T4. Tu crèves parce qu’il t’en reste de moins en moins. Ce n’est pas vraiment grave. C’est juste comme ça. Un corps parmi tant d’autres qui marche moins bien, qui a eu un accident de parcours et qu’on a pas bien réparé. Dans cent ans toute cette histoire de système immunitaire déficient, on en sera débarrassé. Il y aura un gars qui aura trouvé un remède et on aura donné son nom à un tas d’hosto tandis que des compagnies pharmaceutiques s’en seront foutus pleins les poches. Mon histoire à moi sera celle d’un mec parmi d’autres. Je ne serai plus une loque dans cette perspective. J’aurai crevé d’un mal de mon époque. J’aurai peut-être l’air moins con qu’un mec qui se plante sur l’autoroute parce qu’il a bu le verre de trop ou celui qui se fait dézinguer à coups de revolver SIG SAUER 2022 dans une banlieue par ce qu’il a nargué une fois de trop les keufs excédés par tout le bordel. En tout cas pas plus. »
Toc toc. Et toc Et Toc. Tom s’entraîne et joue des matchs contre ceux qui veulent bien jouer avec lui. La nuit, il calcule des mouvements à essayer pour le lendemain. Il ferme la porte de sa psyché à tout autre possibilité. Toutes seules viennent se rajouter de simples ramifications de construction. Il sourit, parle dans la salle du foyer. Il se met à exprimer d’autre chose que de crever, des conneries qui le bouffent, des enfoirés qu’il hait. Il a quitté la position de l’absolu.
Il en parle à la psy. C’est évident qu’il s’agit pour lui d’un exutoire. Elle s’interroge «finalement qu’est ce qu’on a fait pour lui ? » « On l’a protégé ? » « Le temps qu’il retrouve un fonctionnement ? » Et encore protégé, c’est un bien grand mot. Ici dans un HP sordide rempli de chausse trappes. On a fait confiance à l’être humain qui est en lui. C’est peut-être tout simplement ça.
Elle apprend un jour qu’un gars infirmier d’un autre service fait partie d’un club de tennis de table et en parle à Tom. C’est un mec qui fait de la compèt’ le week-end. Se sent-il prêt ? Elle le prévient. C’est très important. S’il perd, il ne faut pas qu’il se décourage. Ce match ne doit servir qu’à lui faire passer un pallier. Il ne doit pas lâcher son activité sportive quoi qu’il arrive. Elle est satisfaite qu’il n’ait pas replongé dans le crack. Elle le valorise sur tous les points de son changement. Lui la regarde, il veut savoir exactement quand où et comment. C’est tout.
Elle lui dit qu’il y a un but thérapeutique. Le comprend t-il ? Lui il n’a plus qu’une idée en tête : Jouer le type. Il veut l’affronter. Lui le paumé, le mec qui n’a plus rien à comptabiliser vu le tas de passif qu’il s’est foutu sur le dos. Il ne remettra aucun compte à zéro, on est pas dans un film à la con, un forrest gump à la mord moi le nœud. Il est camé, n’a pas d’amis, pas de famille. Il ne vas pas aller à l’Elysée serrer la main de ce fils de pute de président de la république de merde française. Il veut jouer ce match et après en jouer d’autres. Tout simplement.
L’infirmier a une carrure massive. Le genre de gars qui fait du sport. Qui a des petites copines qui lui prépare des tartines au ptitdéj. Qui sait s’occuper de ceux qui sont pleins de bordel dans leur tête, un mec dont le boulot occupe sérieusement une place importante dans la vie. Le mec sain équilibré. Sans compter que c’est le mec qui baise, qui a des loisirs. Bien intégré. Il a des amis, une famille, des problèmes de frics quand il faut. Des crédits sur vingt ans. Le mec normal. Et de toutes façons même si c’est du baratin, Tom ne voit que ça en regardant l’autre débarquer avec sa tenue de sport. Il a porté son équipement. Une raquette de combat -une Tibhar et tout. Il va où lui. Un duel ça se joue à armes égales. Tom lui dit qu’il n’est pas question que l’autre joue avec une arme de killer pareille. Ils joueront avec le même contreplaqué, c’est tout.
La veille, Tom a saigné du nez abondamment. Il a eu peur de crever dans la nuit. Il s’est dit putain je veux jouer ce match merde. Je tiens à ça au moins. Et là il est là. Il est devant la table. Et ce mec, l’infirmier vient spécialement l’affronter. C’est pas rien. Tom est un bon. Il est bon au ping pong. Il n’est peut-être pas bon au tennis de table, ça il le saura après. Parce que l’infirmier, lui, ce qu’il fait c’est du tennis de table, dans un club, affilié à une fédération.
Une salle de ludothérapie dans un hopital psychoneurologique.
Des malades névrosés sous calmants comme spectateurs.
Une table de ping pong.
Des vitres mal faites qui laissent passer la lumière d’un soleil de février un lundi après midi.
Limoges dehors.
Un adversaire qui veut lui montrer que le sport, c’est le sport.
Son sang atteint par une merde infâme.
Sa vie bousillée dont il n’a rien à branler.
L’idée que pour fuir tout ça, il faudrait pouvoir changer de galaxie.
Une raquette bien prise dans sa main.
Toc toc.
Et c’est parti.
Tom engage.
Sur la gauche de son adversaire qui lui retourne la balle sur sa droite à une vitesse supra sonique. Il n’a rien vu venir. Ca fait mal au dentier là sur le coup. La partie se joue en trois sets gagnants de onze points. Et un de paumé.
Il n’y pas mort d’homme. Il revoit en flou le match qui lui avait permis de remporter le tournoi interscolaire. Il en avait bavé avant de battre un petit rouquin au centre de gravité bas avec une allonge anormale qui lui permettait d’aiguiser ses balles avec une puissance bizarre.
Deux zéro puis trois. L’infirmier cartonne. Dans les balles d’échauffement, Tom n’avait pas remarqué une si grande facilité à le désorienter, à alterner.
Le mec en face de lui, peut-être que sa copine c’est une grosse. Peut-être que c’est le genre de nana qui ne suce pas et peut-être qu’il est marié avec elle. Que tout ce qu’il aura, c’est une baise à la papa. Tom ne doit pas se laisser impressionner.
Il change son jeu, regarde la balle et frappe en envoyant toute la sauce. La balle sort connement. C’est rageant. Elle rate la table de peu. L’infirmier n’avait pas bougé assez vite. Quatre.
Il a commencé par fumer du shit dans un hall avec des mecs un peu bourges qui se la jouait. Il n’a jamais habité dans une cité crasseuse. C’est lui qui allait toujours plus loin pour voir. La limite était où ? Il est sorti de la table connement ?
Quatre-Un. Cinq-un. Onze-un.
Voila. Il a sauvé l’honneur.
On change de côté. L’infirmier l’encourage. Les mecs qui regardent le match ont applaudi son point.
Il reprend la balle et joue encore différemment. C’est plus serré. Les échanges durent plus longtemps. Il y a cinq trois pour l’autre. C’est con la vie. C’est une compétition. On aime gagner et on déteste perdre. C’est tout là l’enjeu. On définit des règles. On triche plus ou moins mais ça s’égalise. A la fin, on en est toujours là. On aime gagner et on déteste perdre. Même là. Les années passent et on ré-engage la balle tous les matins.
6-5 pour Tom. Le jeu a pris un vrai rythme. 11-9 pour lui. Un set partout.
Est-ce que l’infirmier a baissé le pied ? Pour ne pas le démoraliser. Est-ce que ça a une importance ? Les spectateurs sont de son côté. Des cris ont retenti quand il a conclu le set. Tom n’entend que des Toc.
Il joue comme on fait l’amour. Une partie c’est un mouvement perpétuel qui ne s’arrête que pour laisser le plaisir se diluer. Et il reprend. Sans plus compter les points. A peine, entend-il le score de temps en temps. Sa tête s’est remplie de sang. Il se demande pourquoi il a foutu toute cette merde en lui. Il gagnerait le match facile dans le cas inverse. Il n’en serait pas à batailler à deux sets à un contre lui. Pourquoi il s’est rempli si facilement de sourde douleur ? Parce que ce n’était pas possible autrement. Evidemment. Quand on refait le chemin à l’envers, tout devient clair. La partie ne doit pas s’arrêter. Pas encore. L’infirmier met la balle à coté. Enfin Tom n’est pas sûr. Elle a peut-être touché le bord de la table. Il n’a pas fait attention, ça a vrillé. Si le point est pour lui, il égalise à deux sets partout sinon c’est dix à dix. Que faire ? Accepter ? Défendre son camp ? Laisser l’autre seul juge ? Négocier ? De façon tacite ? Pour se laisser baiser ? Même si tout ça n’est qu’une partie à blanc ? Tom choisit de ne rien dire. Il passe de l’autre côté de la table. De son air le plus concentré. Peut-être qu’il a volé un point, peut-être pas. Il a volé des choses bien plus graves. L’infirmier le regarde comme s’il était persuadé que la balle a touché. A moins que Tom ne s’imagine que son adversaire se pose cette question. Balle en face. Deux à deux. Dernier set.
La salle est chaude. Il y a bien 25 types qui les regardent. Le clochard contre le modèle. Peut-être que le clochard gagne parfois des matchs. Souvent à la télé. Mais ce sont des scénarios. Rédigé à l’avance. Pour faire plaisir.
Mais Tom est aussi le héros de quelque chose et veut, pour une fois peut-être depuis longtemps, veut gagner. Balle à droite, balle à gauche. Pensées absurdes refoulées. 3-3. L’autre qui se met à transpirer. Il fait semblant, on s’en branle, il veut se ressentir thérapeute, veut se donner l’impression d’être utile. Tom s’en branle largement plus encore. Ils sont là avec leurs bras comme deux cons autour d’une table. Il n’y a plus de thérapie. De sida. Plus rien. Pour quelques minutes encore. Après tout va reprendre sa place. Tom retournera dans sa chambre. Il chialera qu’il ait gagné ou perdu et pas de joie. Bientôt il voudra sortir de ce merdier, laisser décliner ses globules dans le sens qui a été défini pour eux. Il se heurtera à toutes les problématiques que l’on connaît par cœur, des problématiques incontournables. L’être humain égaré loin de toute croyance et de toute divinité se supprime souvent avant terme.
7-8 pour l’infirmier. Puis 7-10. Puis balle de match. Tom n’a pas encore dit son dernier mot. Il remonte. 9-10. Une tension de plus. Un battement dans les tempes de plus. Ne plus fixer que cette balle. Pour changer quelque chose. Pour changer tout. Soudain un des mecs autour de la table se jette sur l’infirmier. Un type quelconque qui semblait tranquille depuis le début du match. Et il lui plante les dents dans l’oreille. Le sang pisse. Quelqu’un cherche quelque chose au sol. Le type lui a arraché un morceau du lobe. Il l’a bouffé ou recraché ? Et qu’est ce que ça peut foutre ? Ca se recoud ça ? C’est le foutoir dans la salle. Tom reste interloqué, il ne veut pas lâcher la balle. C’est à son tour d’engager. C’est vraiment un bon match. Un des surveillants de la salle a ceinturé le type et l’a embarqué alors qu’il faisait une crise de tétanie, les yeux révulsés. L’infirmier est examiné,il n’a pas perdu grand-chose, un tout petit bout du lobe. C’est rien, il rassure tout le monde. Il est parti se soigner à l’infirmerie. Voila c’est fini. 2-2 et 9-10. C’est comme un monde qui reprend vie. A deux points de la victoire. A un point de la défaite. Les dés n’étaient pas pipés. Des tas de gens en sont au même point. Bloqués. Comme Tom.
Il descend de son cerveau. Et pose la raquette sur la table. Il regarde les gens autour. La salle n’a pas été évacuée. L’ambiance est retombée. La torpeur se dissipe doucement. « Quelqu’un veut jouer ? » Un gars vient prendre la raquette et un autre s’installe en face. Ils s’y mettent. Toc. Toc. Toc. La balle sort de la table logiquement pendant que Tom quitte la salle.
Il fait quelques pas sur le chemin de gravier qui mène aux chambres. Un après l’autre vers un endroit qui ne lui plait guère. Absolument aucune envie de chialer au contraire de ce qu’il pensait. C’est bizarre comme il ne comprend pas comment les choses se sont enchaînées entre deux simples matchs de ping-pong. Et enfin dans la lueur révélatrice, il comprend soudain l’ampleur de toutes ses conneries.
LA ZONE -
Après tout ce qui lui était déjà arrivé, Tom n’avait plus qu’une seule idée en tête, qu’ils aillent tous se faire mettre comme des chiens pédérastes. En une seule année, il avait affronté un arsenal juridique inflexible, la prison, sa frustration quotidienne, des substituts pour toxico, la vie dans un hosto psycho neurologique et des tas d’autres connards de ci, de là. Une bonne cuvée. Maintenant il n’avait plus qu’une seule idée dans le fond du crâne et c’était celle de remporter une partie de ping-pong.
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Le seul truc qui me chagrine dans ce texte, c'est qu'on a l'impression que tout est en accéléré, tout est résumé ou survolé, ça va trop vite sans jamais trop approfondir. Le passé du mec est évoqué à grands traits, pourquoi pas, c'est le principe, mais après ça continue à speeder sans jamais trop s'arrêter sur le détail des péripéties, hormis celles du match en cours. C'est sûrement voulu, mais ça donne un peu l'impression d'un grand brouillon qui manque de finition.
C'est pas très grave, c'est quand même bien écrit, bien pensé et c'est très chouette à lire. Juste l'impression de passer à coté de quelque chose d'assez fabuleux, un genre de 'en route vers le clochard' (http://zone.apinc.org/article.php?id=1414) en version beaucoup plus sombre...
J'ai envie de dire : tout pareil que nihil avec deux p'tites différences :
Je n'avais pas aimé "En route pour le clochard". Dans "Ping Pong", la trajectoire du personnage est avant tout un contexte. Cette putain de partie de ping pong est bourrée d'enjeux ultra-personnels pour le héros. On sent bien qu'il joue quelque chose de très profond.
Le style speedé m'a plu mais il m'a paru un peu timide. On aurait pu l'épurer davantage (en virant les doubles négations, par exemple, ou en prenant encore plus de liberté avec la ponctuation).
Enfin, ça me rappelle des nouvelles de Stephen King, et j'ADORE Stephen King.
Putain dès que ça fait plus de dix lignes, y a plus personne pour lire. Et non, je ne considère pas Mill comme une personne.
J'ai tout lu. Ca ressemble à un long dépliant publicitaire pour le ping-pong, ce sport délaissé qui demande pourtant force d'esprit et vigueur de corps (et qui permet aux rejetés de la société de relever la tête ça va de soi).
je vois vraiment pas le rapport avec king
par contre c'est un très bon texte, c'est vrai que ça avance vite et que des efforts de changement de rythme pourraient etre utile (genre ce qui est fait dans la partie sur le match).
seul vrai bémol : la dernière phrase, assez navrante.
Tennis de table. Sinon ces gens-là t'attrapent et te font découvrir toutes les joies de la raquettes, toutes.
Sinon, perso, j'ai plutôt trouvé ça longuet. Ça vient sans doute dans une bonne mesure de moi plutôt que du texte. Il n'est pas mal écrit et j'apprécie qu'il raconte quelque chose. On sent bien le type qui se raccroche à quelque chose, tant que ça tient. Le problème est peut-être que ça ne décolle à aucun moment, avec ça quelques phrases un peu trop balourdes pour appuyer sur le sens de l'histoire. Mais y a une morale, et ça c'est toujours bien d'avoir une morale.
bla bla bla bla bla ciment bla bla bla bla caroube bla nosferatu bla bla le glaude bla
J'ai jamais réussi à entrer dans ce style lourd et penaud, ça coule jamais, ça grumelle, ça tient pas tout seul, c'est comme un légo mal foutu qui se défait quand tu le chopes, c'est énervant.
J'ai jamais réussi non plus à me persuader qu'il pourrait y avoir quoi que ce soit de surprenant, d'intéressant, d'inattendu, dans ce texte. Et j'avais raison, hélas.
Bref, évitable, en son entier.
Ca me fait l'effet d'un texte à intention. C'est jamais bon, les textes à intention. Même les grandes plumes s'y merdent comme des gnous.
j'ai failli louper ce texte, dommage. bien écrit, je me suis laissé entrainer sans probleme. petite difference d'approfondissement entre le passé, l'HP, rapides, et la partie de ping pong détaillée comme un match de pokémons ou d'olive et tom, ça devient presque agaçant. sinon, bon bon texte.
Pour Kwizera. Le rapport avec King, on le voit en relisant les nouvelles du maître - meuh non chuis pas ironique - qui n'évoquent rien d'horrible ni de surnaturel (ex : Shawhank, le corps, la cadillac de Nolan...) ou encore dans la structure narrative. Cela dit, c'est vrai que j'ai parlé un peu vite. Stephen King est assimilé à juste titre à des histoires d'horreur, mais il ne s'y cantonne pas.
les yeux du dragon par exemple ? Mill tu me fais chier
Sinon le texte est bien écrit mais j'ai pas été captivée, peut être comme le dit nihil trop résumé ça décolle pas.
Les Yeux du Dragon n'a rien à voir avec ce que je raconte. Et bonjour à toi aussi, Astarté.
Mill : "Stephen King est assimilé à juste titre à des histoires d'horreur, mais il ne s'y cantonne pas".
Astarté : les yeux du dragon par exemple ? Mill tu me fais chier
Mill : "Les Yeux du Dragon n'a rien à voir avec ce que je raconte".
"Je dédie CE CONTE (les yeux du dragon) à mon ami...et à ma fille Naomi King"
Edition Albin Michel 1995 où on peut lire sur cette couv
Quand S.K. choisit de raconter une histoire en forme de conte...
Une facette inconnue de S.K.
Vraiment Mill t'es con ...en parlant de choses que tu ne connais pas.
"Le rapport avec King, on le voit en relisant les nouvelles du maître - meuh non chuis pas ironique - qui n'évoquent rien d'horrible ni de surnaturel ". C'est ce que j'ai écrit plus haut. Je parlais pas de "contes", mais de présence ou non de surnaturel. Là y en a pas, alors que y en a dans les yeux du dragon. On peut passer à autre chose.
Mill :"On peut passer à autre chose."
C'est une invite à une réponse style cours de récré donc : "si je veux"
C'est pas un peu chiant d'avoir toujours raison et vouloir toujours avoir le dernier mot ? ah merde c'est vrai il me cause plus. Ouin!!
*d'habitude j'aime pas polluer les commentaires*
Dear Astarté, tout le monde aime avoir le dernier mot sur ce site. Et j'ai juste oublié le point d'interrogation à la fin de ma phrase. Désolé-pardon-pardon-pas-la-tête-s'il-te-plaît-ou-alors-avec-ça-oh-oui-oh-oui-fais-moi-mal. Comment ça, j'te cause plus? I kiffe you so much.
Les préliminaires c'est toujours un peu chiant.
Mais en général plus c'est long, plus ça pète, après.
Alors je garde ma bite à l'air et j'attends la suite. Continuez, continuez.
Glaux, je crois bien que c'est tes commentaires que je préfère, sur la zone.
Et encore, t'as pas vu sa tête.
Tiens, c'est pas une mauvaise idée, ça. A quand le trombinoscope de la zone?
Jamais.
JAMAIS !
OK, donc tu t'en occupes, d'accord? Bon, avis à tous les zonards : vous êtes priés d'inonder la messagerie de Glaüx avec des photos plus ou moins retouchées de vos jolies trombines. Yeeha!
Dis moi que tu sors de l'imagination débridée d'un joyeux zonard.
Dis moi que t'es pas vrai en vrai.
Dis moi que t'es un cauchemar.
Je préviens charitablement que je ferai suivre toutes les photos immédiatement aux RG avec dénonciation pour terrorisme, homosexualité putative, zoophilie, écologisme et cheveux roux.
Chère Astarté, je sors de l'imagination débridée d'un joyeux zonard, je ne suis pas vrai en vrai et je suis un cauchemar. Ca va mieux? T'arriveras à dormir ce soir?
En d'autres lieux, j'avais survolé ce texte à si haute altitude qu'en fait ne rien faire du tout aurait été d'égale signification.
Voilà qui est rétabli à présent et non, rien de rien, je ne regrette rien. Je fais l'impasse sur la quinzaine de fautes de frappe puisque les mentionner serait ridicule au vu de la nature de la nouvelle.
La trame n'est pas parfaite, c'est vrai. C'est un peu brouillon dans la deuxième moitié, certes, et j'ai repris une ou deux fois quelques lignes au-dessus pour me resituer dans la narration, principalement au niveau du dialogue intérieur de Tom ( manque un guillemet sur deux, je crois, l'ami, eh ouais c'est capital ) qui se détache un peu mal du reste, d'où la possibilité de noyade du lecteur dans cette zone.
La fin est riche en raccords cependant ça aurait pu être un peu mieux travaillé, côté pré et post flash-backs. Ca manque un peu d'articulation à ce propos, même si la brutalité des transitions sert l'aspect massif et brut du ton général.
Conclure sur une réhabilitation envisageable et finalement sur la notion de possibilité avec toute la distance, le doute et l'aléatoire qu'elle impose entre le héros et son devenir, c'est un choix qui se tient. La dernière phrase ne dépareille pas selon moi, elle est dans l'esprit du texte et colle à l'ambiance développée depuis l'intro.
Sans compter que nous avons affaire ici à un double plussé - encore un pour l'auteur - et j'aime les doubles plussés. Mérité celui-là, de surcroît. C'est pas toujours le cas et mon récent bouffeur de bambou en témoigne, lui qui voulait créer sa propre catégorie --, ben il a été fort déçu.
Merci pour lui.
NAS
Exact.
NASSCDG, donc.