Tous les matins, il se levait vers sept heures quarante-trois. Il avait coutume de somnoler une dizaine de minutes, après quoi on pouvait le voir se lever, s'étirer longuement, bailler, s'étirer, bailler à nouveau, puis boire coup sur coup trois cafés bien noirs. Deux, cela ne suffisait pas.
Il s'appelait Antoine, bien que sa famille et son état-civil s'obstinassent à le nommer Jean. J'ai eu bien des fois, lors de soirées relativement arrosées, l'occasion de lui demander la raison de cette incongruité ; invariablement, il en profitait pour manger un blini au saumon. Quand il n'y en avait pas, il partait en acheter.
Enfant, il était, comme tout enfant d'ailleurs à l'exception du neveu de mon cousin qui, dit-on, finira avocat : convaincu de l'existence des fées, des cow-boys, des monstres et de tout ce qui s'ensuit. À force d'entendre des contes de tout ordre, il avait même brièvement envisagé de se construire une maison en pain d'épice remplie d'ours.
Puis il avait grandi. Cependant, cet inévitable et malencontrueux accroissement de la distance séparant le haut de son crâne de son gros orteil droit ne s'était pas, comme chez la plupart, accompagné d'un assèchement imaginatif qu'il m'a été trop souvent l'occasion de déplorer, notamment lorsque je n'avais rien de plus lucratif à faire. Il avait mûri au milieu de Peter Pan, de magiciens et de dragons. Même adulte, il conserva en lui cet espoir. À vingt-sept ans, lorsqu'il décrocha une situation intéressante dans un ministère, situation généralement synonyme de mornes et improductives heures à contempler des trombones aux frais du contribuable, il était toujours convaincu que, quelque part, existait quelque chose de mieux. Avec des lapins portant des montres à gousset, peut-être.
Cette certitude tint encore cinq ans, soit environ cinq mille cinq cents cafés - ce qui, en soit, est déjà remarquable eu égard à la tolérance de l'organisme humain à la caféine. Après quoi, peu à peu, il commença à devenir comme tout le monde : un peu pragmatique, plutôt désabusé, relativement indifférent. Le processus avait été long, mais il avait eu lieu, et Peter Banning avait pris le dessus.
Malheureusement pour Antoine, le dix-huit octobre deux mille cinq, à l'âge de trente-deux ans, sept mois et cinq jours, il buta sur une canette de Coca-Cola vide laissée pour morte sur le quai de la station des Lilas, ce qui causa plusieurs nuits blanches à la conductrice du métro qui arrivait justement, et, accessoirement, la fin prématurée du susnommé Antoine, né Jean. Grandir tue, hélas.
LA ZONE -
= commentaires =
Tiens, moi, ça ne me déplaît pas. C'est vrai que la dernière phrase édifiante est de trop, et que m'obliger à lancer une recherche pour savoir qui est Peter Banning est une indélicatesse, mais globalment ça passe, bien que le 'message' sous-tendu soit plutôt affligeant sur la zone, certes.
Oh mince, à cause de toi, Dourak, j'ai compris. Du coup c'est un peu naze, en effet. Mais sans ce foutu nom, j'adorais le texte, pour son côté détaché (pour le coup la dernière phrase ne me dérangeait pas tant, partant) (noter la paronomase) (je vous encule, j'avais envie de le dire).
Le blini au saumon, j'ignore s'il y a un sens derrière, j'espère que non, pour le moment il me fait mourir de rire.
Commentaire édité par Glaüx-le-Chouette.
Encore une preuve qu'on est vachement plus heureux quand on est con.
C'est sympa, ça se lit tout seul, mais, mais à quoi ça rime ?
A antimoine.
En fait, si je poste ici, c'est uniquement pour devenir célèbre.
No future mec, t'as raison.
Le seul mec à célébrer ici, c'est Glaüx
heureusementy que c'est court. sinon ce serait chiant.
là c'est presque marrant, enfin ça occupe quelques secondes a ne pas reflechir, quoi...
sn c'est antimoine ?
Ben c'est pas ahurissant de nullité ma foi. Reposant : l'absence d'insultes et de critiques existentielles surprend...
Ce qui est balot c'est que ce texte m'a fait penser à Amélie Poulain. Et aussi que la mort du héros (donc le final twist sensé tuer sa maman) est bof quoi. Putain ya des morts plus bandantes quand même, je sais pas, enculé par un marteau-piqueur tenu par un ouvrier dont le pied à dérapé sur la merde de chien posé par choupette à 17h43, elle-même tenu en laisse par madame merdier, qui comme toutes les 674 minutes sort son clebs de merde, etc... 'Fin bref, il aurait fallu faire une suite d'évènements jusqu'à ce que le héros crève, comme un jeu de domino. A part ça j'ai quand même lu plus mauvais, et avec un petit remix ce serait mangeable.
zzz...
BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE BËTES DE POISSE WIR WOLLEN EIN BËTES DE POISSE
Je trouve cette histoire géniale mais coca-cola peut potentiellement nous faire un proces. Ils ont des etudes truquées sur le taux d'accidentalité lié au cannettes de leur produit et ils se defendront becs et ongles (c'est des mutants) pour qu'on ne ternisse pas l'image de leur boisson. Je propose que dans le doute on remplace la cannette de coca par un flamby car leur lobby est moins puissant.
Bah il est pas dégueulasse ce texte au final. Mais j'ai rien de plus à en dire quand même.