Maintenant je vous dis ce qui se passe sous vos yeux, sans que vous le perceviez. Une jeune femme déboule sur le quai, visiblement perdue. Elle a les yeux bleus. Elle est vêtue d'une jupe bleue, d'un haut serré bleu, de chaussures bleues et d'un chapeau bleu -avec une plume, noire. Elle a les cheveux blonds.
Elle est perdue mais n'a pas l'air inquiète ou stressée. On dirait plutôt qu'elle est un peu excédée, comme si un bambin lui avait fait un mauvais tour qui l'empêche de trouver la sortie. Les panneaux d'affichage sont trop crasseux, trop rongés, trop usés pour qu'on puisse y lire quoi que ce soit.
D'un air résigné, elle dégraphe son chemisier bleu, le plie avec soin -pour qu'il n'y ait pas de plis- et le pose par terre. Elle retire son soutien gorge bleu, en dentelle, et le dépose par dessus son haut avec autant d'attention.
Ensuite elle fait doucement glisser sa jupe bleue, dévoilant une culotte en soie bleue, qu'elle retire délicatement. Elle ne porte plus que son chapeau et ses chaussures bleus. Avec précaution elle enleve le premier et déchausse les secondes. Elle ne fait aucun bruit et pourtant on entend raisonner l'écho de ses gestes
Complètement nue, elle se penche pour réordonner le petit tas bleu. La jupe bleue ne doit pas froisser le chemisier bleu. Les talons bleus des chaussures bleues ne doivent pas abîmer la dentelle bleue des sous-vêtements bleus. Le chapeau bleu doit être posé bien droit pour que la plume noire ne se plie pas.
Puis elle amène ses deux mains dans son entrejambe. Un petit bruit metallique se fait entendre. Elle ouvre une grande fermeture éclair qu'elle remonte droit jusqu'à son front, puis, avec son autre main, elle redescend dans son dos. Ensuite elle sort tout naturellement de sa peau qu'elle plie soigneusement. Il ne faut pas abîmer sa coiffure.
Le corps commence alors à retirer méthodiquement ses entrailles, il déboîte ses muscles et les pose au sol, déroule ses intestins, retire ses reins, enlève ses yeux, dénoue ses veines, dégage ses poumons, décroche son coeur, déconnecte son estomac, attrape son pancréas, décharge son foie, découvre son cerveau, décolle sa graisse, dévisse ses ovaires, prélève ses tyrroïdes, extrait ses tympans, râcle ses sinus, ôte ses artères, prend sa langue, détache sa vessie ... Cela produit des sons doucement électriques.
Un peu plus loin une vieille dame soupire : "de mon temps on ne se serait jamais permis de faire des choses comme ça en public". Une autre lui répond sur le même ton "oui, c'est dégoûtant. Il faut espérer qu'elle ne salira pas le quai". La grand-mère fait le geste qu'elle accomplit depuis trente ans qu'elle est sur ce quai : elle tente de dégager ses pieds englué dans l'asphalte mou du sol. Rien à faire. "Il est déjà assez sale". L'autre approuve.
Les autres gens, comme vous, ne remarquent rien. Les nouveaux arrivés, les esprits rationnels et modernes ne peuvent voir ça.
Pendant ce temps le corps, devenu un véritable squelette, a fini de se vider de ses entrailles, qu'il range avec soin. Le cerveau ne doit pas écraser les yeux. Les artères doivent être bien enroulées pour ne pas se tordre. Le pancréas ne doit pas se perdre dans le foie.
La moëlle épinière commence alors à se libérer de ses carapaces d'os. Elle déboîte ses fémurs, ses homoplates, ses tibias, ses radius, ses clavicules, ses zygomatiques, ses métatarses... et en dernier le crâne. Ne reste plus alors qu'une tige brunâtre qui range les os en un petit tas bien ordonné pour ne pas perdre les petites phalanges et les minusclues os des pieds.
La tige brunâtre prend alors le chapeau bleu à plume noire et fait rentrer le tout dedans, peau, entrailles et os. Alors que l'épine dorsale se rigidifie, elle enfile le costume bleu. Petit à petit elle devient dure et noire, se transformant en un vrai porte-manteau.
Enfin une petite étiquette du pressing sort de la poche du costume bleu, tout en y restant accroché. On peut lire dessus, en écriture bleue manuscrite :
- - -
Je suis perdue.
Si vous me trouvez, merci de
me déposer chez moi...
24 rue du Docteur Livingstone,
je suppose.
- - -
Le distributeur de boissons vide : Je vais vous dire ce qui se passe en ce moment même. Vous êtes nouveaux, vous ne remarquez pas encore, vous ne voyez pas encore ici. Moi la machine je sais. Voilà ce que vous voyez : un quai de métro presque vide et mal éclairé , on est en début d'après-midi, avec tout de même quelques grand-mères avachies par le poids de leur déjeuné.
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Message complémentaire de Nico, avec justification :
"Ce conte fait parti d'une pièce de théâtre -sans prétention- que j'ai écrite, sous le titre "Connectés". Cet extrait est presque compréhensible (!) sans le reste de la pièce. Je modifie le texte constamment, il ne me plaît jamais totalement. Pour info et replaçage, le reste du texte tourne autour des thèmes -classique & banal- de la solitude et du vide moderne vs le monde merveilleux des anciens temps (dans l'idée de Terry Giliam et Peter Gabriel). A noter aussi, l'introduction laisse entendre que toute la pièce se déroule dans un monde virtuel dans lesquels les esprits sont enfermés et perdus."
C'est ce que je me disais en lisant, ça ferait une bonne pièce de théatre de merde, ou une pièce pas mauvaise de théatre absurde au choix, de toutes façon c'est la même chose.
Je dirais que c'est plastiquement pas ininteressant, dans le sens ou les images qui se développent dans ce texte sont bien foutues même si ça manque d'originalité. Mais au delà de ça, c'est un peu pète-burne. Si il y a une quelconque forme de message je ne l'ai pas compris, surtout au regard de la fin. Et si il n'y a pas de message particulier, je trouve ça encore plus chiant, parce qu'un e scène comme ça gratuite, je trouve ça un peu dommage.
Voilà, on pourra pas dire que je commente pas.
T'as plus qu'à écrire des textes et tu passeras admin
J'ai trouvé ça génial, et ça faisait longtemps que j'avais pas trouvé un texte génial. Que ce soit simple et sans prétention, c'est un fait, et c'est une putain de qualité en littérature. Par contre c'est pétri de références bien assimilées et simplement sous-jacentes, pas portées en étendard (sauf le "Livingston, je suppose" de la fin qui fait un peu clin d'oeil, et j'aime moins du coup). Les images et l'ambiance me faisaient penser coup sur coup à Dali (le sol mou), à Michaux (le mécanisme du corps et la clarté de la dissection, même joyeuse), à Beckett, à plein de trucs.
Le style, au départ, m'a semblé un peu plat - les trois premiers paragraphes. Après ça, tout prend comme de petits engrenages, phrase après phrase, les mots les uns dans les autres, et ça devient admirable. J'ai vraiment pris mon pied à lire cette page.
Et je n'ai pas réussi à deviner ce qu'on allait me servir au bout ; ça aussi, c'est rare.
Hourra, bordel.
Tiens, est-ce qu'on a lu le même texte ? Moi j'ai vu une gonzesse qui faisait un strip intégral de chez intégral, tripes incluses, genre un peu comme un concept évident auquel on a tous pensé un jour mais qu'on a tous écarté tellement le texte débilocon était inévitable.
Sauf qu'il y a texte évident mais mené de main de maître et texte évident et mené de main d'El Def.
Ici, le petit passage maniaque sur les habits et leur pliage, la structure bien découpée et bien sèche des phrases lorsqu'elle dépose ses organes, qui suit le mouvement justement, le fait que rien ne dépasse, que le texte n'est gonflé en rien, ça me fait dire que c'est du côté du texte sur un sujet peut-être évident, mais super bien mené.
L'idée de fin du monde, c'était aussi de la grosse connerie à laquelle tout le monde avait pensé. C'est pas pour autant que l'Apocalypse, c'est de la merde.
Ceci dit c'est pas encore l'Apocalypse, là, certes. Mais ça viendra.
La dame elle va exploser ?
C'est un putain d'OVNI, ou c'est complètement con ?
Ame et réincarnation, étrange inquiètude des corps mutilés, lieux intemporel et absurde ... c'est surréel pour ne pas dire, pas très original mais sympa ... a encourager !
J'ai aimé le passage où j'ai cru que le personnage était obsessionnel compulsif.
Difficile de le commenter je ne l'ai trouvé ni con, ni génial. Original mais froid
Megaplump, t'es de l'Education Nationale, pour sortir des conneries du type "à encourager" ?
Ou du guide Michelin.
Ou du conseil des Jedis.
Oh bah si on peut plus être con 5 min alors sans que ça ne declenche des passions, en plus j'étais quand même sincère ...
Je t'encourage donc à fermer ta gueule à l'avenir.
Petit faciste à la con!
Petit con tout court.
CTB