Tony Morand était un looser. L’archétype du mec sans aucune utilité, celui qu’on ne remarque qu’au moment où il prend timidement la parole, pour mieux l’oublier quelques minutes plus tard. Il était membre de cette caste des éternels anonymes, qui doivent sans cesse répéter leur prénom à un auditoire subitement frappé d’amnésie en leur présence. Son visage était à ce point dénué d’originalité qu’il eût pu appartenir à n’importe qui. Le peuple, la foule, sont composés de gens comme lui, des insignifiants, des négligeables, des inconnus, des lambdas. Néanmoins, lorsque je l’ai rencontré à ce congrès sur la figuration, il m’a bien fallu lui reconnaître un certain coté hors normes. En effet, en dépit de mon excellente mémoire, j’étais à la fin de la journée dans l’impossibilité de me souvenir de son nom. Et il en fut ainsi pour les quatre autres fois où je le rencontrai, dans des castings auxquels il ne fut jamais retenu. Lui se souvenait de moi, de nos conversations futiles ; je ne parlais que rarement de mon activité de producteur avant de connaître un minimum mon interlocuteur.
Lorsque je le revis dans une banale agence de spectacles, je me décidai à essayer de faire plus ample connaissance avec lui. J’étais fasciné par cette capacité qu’il avait à disparaître - sans laisser la moindre trace - de la mémoire des personnes qu’il rencontrait. Son « pouvoir » était à la limite du surnaturel. Un homme qu’on oublie si rapidement qu’il pourrait accomplir un meurtre, se cacher dans la foule et y devenir instantanément invisible, le souvenir de son visage dans l’esprit d’éventuels témoins demeurant inexplicablement flou.
Il ne semblait pas avoir conscience de ce curieux don que lui avait fait la nature, sinon il aurait sans nul doute facilement déduit que ses espoirs de carrière dans le cinéma relevaient de la plus improbable utopie. Il avait à peu près autant de chances de voir son rêve se réaliser qu’un noir qui souhaiterait rejoindre le Ku-kux-klan... Il attribuait cependant son manque de succès à la malchance, au pistonnage auquel il n’avait évidemment pas accès et, dans une certaine mesure, à son manque d’expérience. Il était loin d’imaginer qu’il avait certainement plu à plusieurs producteurs qui, au moment de le contacter, s’étaient retrouvés incapables de retrouver sa fiche… En discutant autour d’une bière, j’en appris un peu plus à son sujet. Provincial issu d’un milieu modeste, il s’était installé sur la capitale trois mois auparavant et commençait à tirer le diable par la queue. Au fond, on pouvait dire de lui que c’était un brave gars, un peu naïf, un peu paumé sur les bords. Je décidai de lui filer un petit coup de main, et lui fit part de la nature de mon travail. Après qu’il m’eut avoué être sur le point de devoir quitter son appartement, je savais d’avance qu’il ne pourrait refuser ma proposition. Il me promit d’y réfléchir, se rhabilla et sortit de l’agence d’un pas hésitant, puis me salua de la main et s’enfonça dans les rues de la capitale, quidam parmi les quidams. A peine avait-il fait cinq mètres que je ne parvenais plus à le distinguer des autres passants.
Deux heures plus tard, une voix que j’eus du mal à reconnaître me confirma son intérêt pour mon offre. Je lui donnai rendez-vous le surlendemain, pour sa première participation en tant qu’acteur, sur le tournage de mon dernier porno en cours de réalisation.
Personne ne sembla remarquer sa présence lorsqu’il arriva sur le plateau. Les acteurs durent le prendre pour un technicien, les techniciens pour un acteur, les autres avaient de toute évidence l’esprit trop occupé à la contemplation de la scène de sodomie pour se rendre compte de quoi que ce soit. Je m’isolai une heure avec lui, le temps de le briefer sur mes attentes et sur son nouveau métier de hardeur. De son coté, il semblait avoir pris son rôle au sérieux et s’était documenté, aussi était-il au fait de la plupart des contraintes imposées par cette profession. Devant la caméra, il s’avéra faire preuve d’un sérieux presque étonnant pour un novice, et sa difficulté à contenir ses orgasmes s’amenuisa rapidement. Il répétait sans cesse qu’il ne tournait qu’en extrême limite et qu’il continuait à faire les castings, courant toujours après son heure de gloire, mais en vérité, il venait jusqu’à deux fois par semaine. Le moment arriva même où je dus le rappeler à l’ordre, constatant des baisses de plus en plus fréquentes dans sa concentration. Je lui fis essayer la coke, à petites doses, et ses performances retrouvèrent rapidement un niveau honorable ; j’avais conscience de l’emmener dans un engrenage qui finirait par le mettre en danger, mais sa valeur m’était apparue lorsque dans la presse spécialisée, la critique avait été plus qu’enthousiaste à propos du dernier film dans lequel il avait joué, encensant « cet acteur qui, de par sa ressemblance avec personne et tout le monde à la fois, nous permet de nous identifier pleinement au héros du film, et de ressentir ainsi toute la sensualité de cette œuvre comme si nous étions réellement à sa place ». J’imaginais sans peine des dizaines de milliers de types la bite à la main qui, sous l’effet de « l’aura anonymisante » de Tony, voyaient leur imagination décuplée au point de se croire dans le décor du film, en train de lutiner de jolies secrétaires et de coquines infirmières. Mon flair ne m’avait donc pas trompé : ce type si insignifiant en apparence avait contribué à faire de mon dernier film la meilleure vente du mois dernier en porno amateur.
Alors que j’allais profiter de la fin d’une journée de tournage pour le tenir au courant des projets auxquels je tenais à ce qu’il participe, il prit la parole avant moi sur un ton étonnamment assuré, et ce ne fut pas la moindre de mes surprises. Il m’apprit qu’il avait tourné, sans m’en parler, pour des films produits par Xavier, un collègue qui officiait dans un registre nettement plus hardcore voire extrême. Et il me fit part de son intention de cesser son partenariat avec moi, étant donné que ses autres prestations étaient plus courtes et mieux payées. Il tenta de se justifier, argumentant sur l’augmentation de son temps libre pour reprendre des études ou sur celle de son salaire, mais je sus instantanément quelle raison se cachait derrière ce subit retournement de veste. Je n’avais pas voulu y croire malgré les signes évidents qui s’accumulaient de jour en jour, mais c’était désormais une évidence : il avait goûté à la came, avait apprécié plus que de raison, et était a présent accroché à cette poudre brune que seul Xavier consentait à lui fournir. Je pensais lui avoir suffisamment répété de ne jamais toucher à cette merde, qu’il n’était pas assez fort pour faire face aux démons de l’héroïne, mais mes avertissements n’avaient visiblement pas suffi à l’en dissuader.
-« Combien tu en tapes par jour, maintenant ? »
- « Pas grand-chose… je dois me faire un ou deux grammes par semaine ». Il avait perdu son assurance et fixait le sol.
- « Arrête tes conneries, maintenant. Je veux que tu me dises la vérité. »
- « Un gramme par jour, parfois un et demi » fit-il en continuant de fuir mon regard
- « Tu la piques ? »
- « Ça ne te regarde pas. »
- « Nom de Dieu, bien sur que ça me regarde ! » explosai-je. « Tu ne touchais à aucune de ces saloperies quand je t’ai rencontré il y a quatre mois… Et maintenant pour te payer ta dose, tu vas enculer à sec des putain de déchets à moitié séropositives jusqu’à ce qu’elles en aient la rondelle ensanglantée ! Et ces pauvres filles font ça pour se payer leur putain de fix à elles aussi, et je ne devrais rien dire ? »
- « C’est pas ton problème… c’est plus ton problème. Je te remercie pour ce que tu as fait pour moi, sincèrement. Maintenant, je suis désolé mais… »
- « Conneries ! CONNERIES !! Ne va pas me faire croire que t’as des remords, quand t’auras eu ton prochain gramme tu ne te souviendras même plus que j’ai existé… Va te faire foutre ! Va fourrer ta queue dans des chattes qui sont autant de cultures bactériofongiques, pour avoir le fric pour acheter ta putain de poudre pour oublier que t’es une merde ! »
- « Tu sais, je comprends ta réaction… J’ai merdé, je sais, j’espère que tu me pardonneras un jour. » Sa voix tremblait.
- « PutAIN mais TA GU… » je m’interrompis brusquement. Il s’était retourné et s’apprêtait à s’en aller, mais j’avais eu le temps d’apercevoir des larmes envahir son regard. Finalement, rien n’avait avancé. Il était toujours aussi naïf, toujours aussi paumé, toujours dans la merde financière, ses revenus engloutis dans sa nouvelle passion opiacée. « Donne des nouvelles de temps en temps », finis-je par lui lancer avant qu’il ne quitte la pièce.
Je me tins au courant de l’évolution de sa carrière via les magazines et sites internet dédiés au porno extrême. Il pratiquait désormais la scatophilie, l’urophilie, la coprophagie, il baisait des vieilles, des grosses, des vieilles grosses moches qui lui chiaient dessus. Parfois, il me disait dans quel arrondissement se déroulaient ses tournages, et j’allais lui rendre visite le temps d’un après-midi. Il me donnait rendez-vous dans un bar à proximité du plateau, jamais à l’endroit exact - il savait pertinemment que s’il m’arrivait par malheur de croiser Xavier, je lui exploserais le crâne avec le calibre que je porte en permanence sur moi.
A chaque fois que je voyais Tony, il me semblait que son état s’était encore empiré. Son « pouvoir » avait complètement disparu : son teint blafard, sa démarche fébrile et ses yeux aux cernes marquées exerçaient maintenant sur son entourage une crainte mêlée de dégout. Désormais, loin de susciter l’indifférence, les gens éprouvaient une répulsion instinctive à son égard, et je dus moi-même avouer que si je ne l’avais pas connu auparavant, je ne serais pour rien au monde resté en sa compagnie. Même sa conversation avait changé. Alors qu’il n’était capable que d’échanger des banalités, voilà qu’il se mettait à afficher tantôt une exaspérante désinvolture, tantôt une forte tendance à la dépression. A sa manière de me parler, je n’eus aucune difficulté à comprendre que j’étais son seul interlocuteur en dehors de son sordide travail. Mais quoi que j’eusse pu lui dire, il m’était impossible de lui faire entendre raison ; je ne pouvais qu’assister, spectateur passif, à sa lente descente aux enfers.
Parfois, je parvenais à le motiver exceptionnellement pour une soirée, et je faisais de mon mieux pour le sortir et lui changer les idées. Je lui imposai de se passer d’héro pour les moments où nous étions ensemble, et compensai en l’arrosant généreusement de cocaïne, ce qui semblait lui redonner un semblant de vivacité, le temps pour nous de discuter autour d’un verre, ou de danser dans d’obscurs night-clubs. J’essayai en vain de le présenter à plusieurs de mes connaissances, mais ni eux ni lui ne réussirent jamais à sympathiser, et bien qu’on ne me fit jamais de réflexion désobligeante à son égard, je compris vite que présenter Tony comme un ami à moi était un fin de compte plus nuisible à ma vie sociale qu’utile à la sienne. J’aurais pu laisser tomber et essayer d’oublier, mais je ne savais que trop la part de responsabilité qui était la mienne dans le désastre qu’était devenu sa vie. Il aurait pu rester un anonyme sans histoires si je n’avais pas décidé de le prendre sous mon aile ; au lieu de cela, je l’avais fait pénétrer dans l’univers du porno auquel il n’était pas préparé, je lui avais fait sniffer son premier rail alors qu’il avait à peine fumé quelques pétards au lycée et à la fac, et pour couronner le tout, c’est moi qui lui avais présenté Xavier.
Il me fallait faire quelque chose, mais je ne parvenais pas à savoir quoi. Ce n’est que plusieurs mois après son départ que je me décidai à agir, un lundi matin, comme poussé par un pressentiment qui m’avait tenu éveillé toute la nuit durant. Je savais qu’il tournait une séquence dans une usine désaffectée de la banlieue parisienne dans l’après-midi, aussi l’appelai-je afin de l’inviter à déjeuner dans la ville où avait lieu le tournage. Lorsqu’il entra dans le restaurant, il était complètement défoncé, et insulta copieusement la serveuse qu’il avait manqué de renverser. Je dus faire toute la conversation, il était tellement dans les vapes qu’il en était incapable de suivre la discussion, tout au plus parvenait-il à baragouiner quelques mots en réponse à une question simple. Il luttait pour garder les yeux ouverts, pour mettre la nourriture sur sa fourchette, pour couper sa viande. Jamais je ne l’avais vu dans un tel état. Il se refusait à me dire ce qui s’était passé lors des précédentes sessions, et je n’eus pas le courage d’insister trop lourdement. Tony Morand, l’ex-homme neutre, l’ancien individu lambda, transpirait la misère par le moindre pore de sa peau. J’ignorais ce qu’il cherchait à fuir en se réfugiant ainsi à un niveau de défonce plus proche que jamais de l’overdose, mais j’étais bien décidé à le découvrir, malgré son souhait de ne pas me mêler de ses affaires, que j’avais toujours respecté jusqu’à ce jour. Lorsque j’eus fini mon repas, il n’avait pas entamé le quart du sien mais avait par contre eu le temps de se rendre à trois reprises aux toilettes, sans doute pour y vomir : se fixer une fois de plus, dans son état, lui aurait été fatal. Inutile donc de lui demander de manger davantage. Nous sortîmes ensemble et je lui demandai de m’accompagner à ma voiture. Je le fis attendre quelques secondes, le temps de fouiller dans ma boîte à gants, et lui remis un petit sachet contenant deux grammes de coke extra-pure.
« N’en abuses pas, elle vient directement de Bolivie, garantie sans coupe. Ça te réveillera un peu, je pense que tu en auras besoin. Prends soin de toi. »
Il prit la poudre et me remercia d’un signe de tête, puis repartit dans l’autre sens et s’éloigna sans se retourner. J’attendis qu’il soit un peu plus loin, enfilai une autre veste, un chapeau, des lunettes et commençai à le suivre de loin. Il marchait lentement, avec difficulté, certains passants le remarquaient alors qu’il était encore éloigné, et changeaient de trottoir. Je maintins une distance d’environ trente mètres entre lui et moi, et nous marchâmes près de trois quarts d’heure. Comme je m’y attendais, il était trop stone pour songer que quelqu’un aurait pu le suivre : il ne se retourna pas une seule fois. Il finit par arriver sur le coté est de l’immense zone industrielle, devant un bâtiment apparemment désaffecté depuis une dizaine d’années, peut-être davantage, qu’il contourna. De luxueuses voitures étaient garées face à l’ancienne usine, mais je n’y vis pas la sienne. Je scrutai de mon mieux les alentours mais je ne trouvai personne d’autre dans les environs. La plupart des fenêtres de la bâtisse étaient soit murées, soit refermées par une plaque de tôle ondulée. En m’approchant, je parvins à deviner grâce aux diverses inscriptions encore lisibles sur les murs qu’il s’agissait d’un ancien atelier d’usinage de pièces métalliques diverses. Je n’entendis aucun son tandis que je la contournais à mon tour et à l’arrière, je trouvai entr’ouverte la porte par laquelle il était certainement entré. Jugeant que le silence environnant supposait que le lieu précis du tournage se trouvait approximativement au centre de l’usine, je pénétrai dans le corridor. L’endroit était sombre, seuls quelques interstices dans le toit et les fenêtres mal comblées laissaient passer de fins rais de lumière qui se distinguaient assez nettement dans l’atmosphère poussiéreuse. Après avoir arpenté plusieurs salles et couloirs, j’arrivai dans ce qui était manifestement la salle principale des machines, où trônaient dans la semi pénombre d’imposantes machines ayant par le passé servi à découper, ajuster, perforer ou usiner divers éléments de fer, d’acier, d’aluminium ou de cuivre. J’eus l’impression d’avoir pénétré dans un cimetière de machines-outils, et cette sensation fit grimper rapidement l’angoisse qui avait commencé à m’étreindre au moment où j’avais pénétré dans les locaux. A présent, l’absence de bruit m’apparaissait suspecte, et je craignais que quelqu’un ne me découvre par surprise. Je déployais donc des trésors de prudence et de discrétion pour être moi-même invisible et inaudible à des yeux et des oreilles non avertis. J’avais presque fait le tour de la salle lorsque j’entendis un cri, très étouffé, en provenance semblait-il d’une porte sur le mur du coté opposé. Les grandes machines continuèrent de m’observer en silence raser les murs pour parvenir à la porte métallique. J’y collai mon oreille et mes craintes se confirmèrent : si activité il y avait, elle se trouverait quelque part derrière. En revanche, les voix semblaient encore lointaines, et je commençai à me sentir quelque peu désorienté. Comment diable ce bâtiment était-il fait ?
Je tournai la poignée le plus doucement possible et ouvris la porte par à-coups, faisant de mon mieux pour ne pas la faire grincer. Il me fallut presque cinq minutes pour réussir à me faufiler, et je manquai de trébucher sur ce qui s’avéra être la première marche d’un escalier menant au sous-sol. Voilà qui expliquait le silence qui régnait depuis l’extérieur. Il y aurait sûrement le même genre de porte juste avant d’arriver dans la salle où se déroulait le tournage. Je ne distinguais aucun bruit proche - seules parvenaient à mes oreilles des voix étouffées, incompréhensibles - aussi décidai-je d’éclairer mon chemin avec la faible lueur de l’écran de mon téléphone cellulaire. Un sursaut de lucidité me fit penser à désactiver la sonnerie et le vibreur, et je remerciai le ciel de ne pas avoir reçu de coup de téléphone à ce moment précis. La luminescence vert pâle était suffisante pour me repérer dans l’escalier puis le couloir attenant. Tandis que j’approchais, les voix se faisaient de plus en plus distinctes. Je distinguais d’une part les ahanements des acteurs en train de copuler, les cris d’actrices exprimant la douleur ou le plaisir, et d’autre part les instructions du réalisateur - pour ce dernier, j’entendais les sons former des mots, sans toutefois parvenir à les comprendre. J’arrivai enfin devant la dernière porte, et cette fois, rien de ce qui se disait ne m’échappait.
- « Que ? Que signifie ? » fit la voix de Xavier. « Putain, t’es trop camé mec ! Qu’est-ce que je vais faire de toi ? » continua-t-il sur un ton doucement frénétique. Instinctivement, je portai la main à ma ceinture, et sortis mon revolver. Je profitai du boucan provoqué par la colère de Xavier pour l’armer. J’entendis le bruit d’un corps tomber lourdement sur le sol, sans doute la tête la première. Puis des cris, des voix féminines qui hurlaient : « Tony !!! » et celle d’un inconnu qui poursuivit : « Putain, ce connard fait une O.D ! Mais faites quelque chose bordel ! »
Ce fut trop pour moi, je ne pouvais rester plus longtemps derrière cette porte à attendre. J’avais approximativement repéré l’endroit où devait se trouver xavier, d’après l’emplacement supposé de sa voix. Je pris une profonde inspiration, serrai mon arme dans mon poing droite, et de la gauche, j’ouvris la porte et la fis claquer contre le mur.
-« Maintenant, vous aller la fermer et m’écouter. » ordonnai-je, d’une voix si calme que j’en fus le premier étonné. Je m’étais trompé dans ma localisation de xavier : je l’avais pensé à quatre ou cinq mètres de la porte, alors qu’il était en fait moins de deux mètres derrière : c’était encore mieux que ce que j’avais espéré. Je le tenais donc directement en joue, et je suppose que la haine que j’éprouvais à ce moment se lisait dans mon regard, parce qu’il s’écoula bien vingt secondes avant qu’il n’ose prendre la parole.
-« James… Mais… Mais qu’est-ce que vous foutez là ? »
-« Figure-toi que j’avais envie de savoir ce qui se passait sur tes tournages, et surtout, ce qui désespérait Tony au point de l’inciter à s’oublier dans la poudre jusqu’à l’overdose… J’attends tes explications. T’as intérêt à te dépêcher et à être convaincant si tu veux rester en vie. »
-« Pauvre trou du cul, j’ai rien à te dire ! Tu te prends pour qui là, à débarquer comme un justicier pour me faire la morale ? J’ai jamais forcé personne, mes acteurs sont libres de venir ou de me lâcher quand ils le souhaitent ! »
-« Libres d’être accrochés à la merde que tu leur donnes pendant un mois, afin qu’ils continuent à te l’acheter à prix d’or pour le reste de leur vie, tu veux dire, non ? »
-« Tu peux parler connard ! Je te rappelle que la première ligne de coke, c’est toi qui lui a mise dans le pif, tu l’as oublié peut-être ? »
Un gémissement provenant d’une alcôve derrière Xavier m’interrompit alors que je m’apprêtais à lui répondre. Cette voix ne me disait rien, vraiment rien qui vaille.
-« C’est qui derrière toi ? Qu’on m’allume cette putain de lumière ! »
-« Calme-toi James… Ça ne sert à rien de se foutre en colère comme ça. Tu… »
-« Allumez cette lumière BORDEL ou j’explose la tête à votre enculé de patron ! »
Un type, âgé d’une trentaine d’années environ et plutôt gras du bide, actionna l’interrupteur du spot le plus proche. Tout se passa très vite ensuite, si bien que les évènements sont quelque peu mélangés dans ma mémoire. Allongée sur le lit, enchaînée, se trouvait une fillette. Elle était nue et avait le pubis ensanglanté, les draps à la hauteur de son entrejambe étaient maculés de sang. Elle me fixait avec de grands yeux et des larmes coulaient sans s’arrêter sur son visage d’enfant. Elle avait au grand maximum une dizaine d’années.
-« T’imagines pas à quel point il aimait la baiser, ton pote Tony ! C’est même lui qui lui a défloré le cul, c’est pour dire ! Et si t’avais vu comme elle se tortillait, pour son âge y’a pas à chier c’est une vraie petite salo… »
La détonation du revolver l’interrompit définitivement. Il s’écroula à mes pieds, les autres filles dans le pièce se mirent à hurler. Je tirai deux coups de feu en l’air et réclamai le silence, que j’obtins promptement.
-« Vous êtes… Tous… des MALADES !! Pour avoir fait une chose pareille… Pour avoir laissé faire une chose pareille… » Ma voix tremblait, ma tête tournait, je sentais monter une crise de nerfs. « Vous allez payer pour ce que vous avez fait » Je suis au bord de la rupture « Pour sa vie que vous avez démolie à jamais » J’oriente mon arme vers le gros lard « Pour la vie de Tony, que vous avez manipulé comme marionnette » Je presse la détente. Le coup de feu retentit une nouvelle fois, le gros lard s’écroule. « Je vous crèverai TOUS JUSQU’AU DERNIER !! » Je vise une pouffiasse, la quarantaine, siliconée, visage refait. « ET TOI GROSSE CONNE QU’EST-CE QUE TU AS A DIRE ? »
-« On ne pouvait rien faire ! Je vous le jure, on ne pouvait rien faire, c’est la vérité ! » Elle tremble de tout son corps en tentant de se justifier. Elle me dégoûte. Elle a regardé cette fillette se faire violer, et n’a rien fait pour la sauver. Je m’apprête à presser la détente, quand je sens un violent choc à l’arrière de mon crâne. Sous la surprise et la douleur, je lache mon arme. Tous les types encore valides se jettent sur moi et s’acharnent à coups de poings et de pieds jusqu’à ce que je perde connaissance.
J’ouvre les yeux. Je suis dans l’obscurité. J’entends des voix à proximité, il y a encore du monde ; je me demande pourquoi ils m’ont laissé en vie.
-« Ohé c’est quoi votre bordel ? Qu’est-ce que vous voulez exactement ? »
-« Je suis désolé, James. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça… » me répond la voix de Tony
-« Tony ?? Mec, t’es bien vivant ? Grouille-toi de me faire sortir de la, je t’en supplie… »
-« Désolé James… En vie, tu représentes une menace pour moi, et pour chacune des personnes ici présentes… Je ne peux rien faire… Je les ai suppliés de me laisser vous achever mais ils n’ont pas voulu, et m’ont menacé de m’enfermer avec vous… »
-« ‘Nous’ ?? Bon sang…» Je commence à faire le tour de la pièce à tâtons, quand j’entends sa petite voix tremblante me dire depuis le coin :
-« Je suis… ici… »
-« Bordel tony pourquoi ? POURQUOI ELLE ?? »
-« Parce que lorsque vous commencerez vraiment à mourir de faim, alors vous deviendrez l’un pour l’autre un potentiel repas… Quelqu’un devrait venir ramasser les cadavres dans 20-25 jours, qui sait, peut-être qu’elle ou toi serez toujours en vie grâce à l’autre… Encore une fois, je suis sincèrement désolé… »
-« Mais vous êtes complètement dingues ! Tony putain arrête ton délire ! »
-« Je t’avais bien dit, James, de ne pas te mêler de mes affaires… »
-« TONY !!! »
-« Adieu, James, et encore merci pour tout… »
- « TONY !!!!!!! »
Le silence qui a suivi ce dernier appel ne s’est pas interrompu depuis. J’ignore combien d’heures se sont écoulées, mais la fillette n’a pas prononcé le moindre mot depuis tout à l’heure. Crier et hurler sera tout à fait inutile, j’ai pu constater par moi-même qu’absolument aucun bruit ne filtre depuis l’extérieur. Mon revolver m’a évidemment été pris, je n’ai donc pas non plus de moyen d’en finir rapidement et sans douleur. Je vais crever dans cette cave de merde, tout ça parce que j’aurai sorti de la galère l’homme le plus insignifiant de cette putain de planète. Crever, je vais crever. Putain. Bordel. Au point ou j’en suis, je crois que je pourrais aussi bien la violer moi aussi, cette connasse de môme.
LA ZONE -
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Je sais que la dernière phrase du texte a étonné dérangé les autres co-auteurs, parce qu'injustifiée. Moi elle ne m'embête pas plus que ça, au contraire elle rajoute à la déjante ambiante.
Sur l'ensemble du texte la première chose que je retiens c'est la facilité à laquelle on lit l'ensemble malgré la longueur. Ca tient au fait que c'est bien écrit et que le suspense est bien maitrisé. A l'exception (de taille), qu'il est éventé. Je veux dire : j'ai été tenu en haleine, curieux de connaitre la suite des évenements, tout en me disant dès le début que le plus logique c'est que Tony faisait du snuff. Résultat j'ai été frustré que ce soit bel et bien le cas. Le suspense fonctionne mais amène à un dénouement décevant, puisque c'est celui qu'on anticipait.
Sinon tout le début ressemble comme deux gouttes d'eau au livre "l'ignoré" de Bentley Little, qui est un bon bouquin au passage pour ceux qui cherchent de la lecture.
Sur le reste quelques incohérences (le narrateur qui se souvient très bien de ce caméléon qui se fond dans la masse), quelques passages un peu cons (le fait que le narrateur ait un flingue est tellement peu justifié qu'on se dit que ce flingue qui tombe du ciel servira forcément pour la fin, ce qui est le cas) etc... Rien de dramatique, ça reste bon dans l'ensemble.
bien écrit, c'est vrai.
mais j'ai l'impression que l'auteur est trop attaché à chercher la façon pour se laisser aller sur le rythme et le tempo, ce qui fait que tout est raconté sur le même ton. Le lecteur lit du bien écrit, mais n'arrive pas à se faire battre les paupières ni le coeur. On dirait une explication, un compte rendu détaché. C'est ça le truc: il ne se laisse pas aller.
Et tout ce baratin pour avouer une banale pédophilie ...
de toute façon, ça aurait pu être de la zoophilie, de la nécrophilie, du cannibalisme ou les trois en même temps, ça aurait de toute façon été/semblé banal ; ça fait un bail que les extrêmes et les tabous ont été explorés dans tous les sens sur la zone...
Etant donné que je voulais rester dans l'univers du porno afin de coller a l'edit de narak, je n'avais pas 36 solutions, mais en effet, ça rend l'histoire terriblement prévisible.
M'enfin bon, on ne peut pas tout le temps avoir l'inspiration pour pondre un scénario extraordinaire ^^
Puis vu ce que t'avais comme base, moi je trouve ça vachement bien.
(Tu la sens ma grosse inspiration pour les commentaires hein !)
Commentaire édité par Narak.
De toute façon ça se lit avec plaisir, sauf qu'il manque l'épilogue dans la pièce obscure (mais avec des mots on verrait tout)
bien écrit, bonne histoire, mais je trouve que le discours n'est pas vraiment celui d'un type qui a de la coke dans la boîte à gants et un flingue sur lui..
Je comprends pas pourquoi James a tout balancé pour Tony. Putain, les prénoms...
Je me suis endormi au début, ça faisait un peu un mélange de Patrick Suskind (pour la description) et de roman policier, mais la partie "action" woaw, ça décoiffe.
Y'a aussi un pti décalage entre la parole et les faits... Tony s'exprime vachement bien pour un camé livide qui vient de violer une fillette de 10 ans...
Super texte dans l'ensemble.
Mon edit a plus grand rapport avec ce texte, à part une structure semblable et quelques passages.
J'ai pas mal galéré pour trouver comment éditer ce texte, voilà deux débuts que j'avais pondu, et qui me plaisaient pas.
J'ai d'abord pensé remplacer le milieu du porno par celui de l'expérimentation animale : James embauche Tony le dépressif à son laboratoire et lui permet de participer à des expérimentations animales. mais Tony, traumatisé, se met en relation avec des tenants de la protection des animaux qui projettent un assaut du laboratoire et la libération des animaux. James aurait fini dans une cage avec des chiens destinés à être utilisés pour les expériences.
J'ai donc écrit un premier début, avec un style un peu gouailleur :
"Tony Morand est un paumé pathétique.
J’ai pas l’impression qu’il m’ait entendu :
- Tony, t’es un paumé pathétique.
La méthode électrochoc, ça passe par pertes et profits. Il hausse les épaules. Autant discuter le coup avec un arbre. Ce mec ne sert à rien et personne ne le voit. Il a autant de substance que nos ancêtres morts au combat : on sait qu’il existe, mais tout le monde s’en fout. Moi le premier. Tony, mon pote de toujours, le boulet accroché à mes chevilles, fait partie de la caste auto-déclarée des dépressifs. Ceux qui vous toisent d’un air désabusé, juste parce que vous tentez de vivre. Ce con me prend pour un con parce que j’ai un boulot, une femme et tout le tralala du bon citoyen sorti d’usine. Essayer de soutenir un putain de dépressif larmoyant de merde plutôt que l’euthanasier, c’est pas une preuve de non-conformisme ça peut-être ?
Je sais, le monde est gris. Je sais, on pourrira tous sous trois mètres de terre. Je sais, la vie est une souffrance perpétuelle."
Mais le ton plaisant ne correspondait pas à la suite que je prévoyais cauchemardesque. J'ai donc repris, en utilisant cette fois le personnage de Tony :
"Il y a trop longtemps que je ferme ma gueule. Trop longtemps que je suis reclus dans ma foutue boite de conserve hermétique, sans voir le jour. Et merde. Il faut que je sorte, que je voie quelqu’un, que je fasse un truc, n’importe quoi. Nourri et logé par les assedics, c’est pas une vocation. Ca a beau être confortable de pas lever son cul tous les matins à six heures et de bosser comme un débile toute la journée, c’est pas ce que j’appelle une vie. Et merde, j’ai l’impression que j’existe plus. Que les types que je croise les rares fois où je m’aventure à l’extérieur regardent à travers moi. Je passe mes maigres économies en shit et mon temps à me défoncer la gueule devant des putains de séries à la télé qui insupportent même les ménagères. Plus c’est con, plus c’est navrant, plus ça me convient. Je m’attache à ces stupides personnages parce qu’ils me ressemblent : ils sont vides.
Et puis, ça me fait mal de le reconnaître, mais la solitude me pèse. Je suis pas misanthrope, c’est juste un mécanisme de défense. On peut pas à la fois passer sa vie à fumer devant la télé, et avoir un cercle social. La télé, ça me bouffe mon oxygène."
Mais décidement cette histoire ne pouvait coller. Avec le personnage de James je ne pouvais décrire le traumatisme que ressentait Tony à la vue des expérimentations. Avec celui de Tony je ne pouvais garder le suspense quant à son aide à l'assaut du laboratoire.
Best of de "Ce que j'en ai pensé à la lecture il y a plusieurs mois"
l : çà m' a tenu en haleine jusqu' à la fin, mais çà m'a un peu deçu au finish... peut être des trucs en trop, l'intervention de Tony qu'est devenu le machiavelique tueur en serie de SAW, ou peut être la derniere phrase de James que je n'arrive toujours pas à m'expliquer. Au debut j'avais l'impression qu'on allait tomber dans une histoire Kafkaienne et du coup j'avais relevé des tas d'incoherences logiques... Le mec dont on ne se rappelle jamais mais que l'auteur arrive à se rappeler on ne sait pas comment alors qu'il n'arrete pas de repeter qu'il l'oublie tout le temps... Mais par la suite çà s'est avéré être hyper realiste donc tout le debut se tient. Globalement j'ai bien aimé et j'ai tout lu rapidement malgré le fait que l'histoire semble hyper longue.
l : Par pitié, que celui qui prenne la suite, trouve un moyen pour faire un texte plus court... halte à la surrenchère !
l : Je sais pas pourquoi mais je verrais bien Nicolas Cage dans le role de James
Tiens, je n'avais pas commenté le texte. Pourtant je l'aime beaucoup depuis le début, malgré la fin, un peu grand guignol à mon goût, enfin un peu invraisemblable. Mais c'est un des edit les plus sombres et glauques, et ça, j'aime beaucoup. Et bien écrit avec ça.