C’est l’heure de la nuit où tout semble mort. Ces heures qui s’éternisent, quand le lendemain semble aussi improbable que le matin du jour qui vit naître cette nuit. C’est l’heure où l’univers, comme un manteau trop grand, comme un sac sur la tête du condamné, se replie sur soi et emprisonne l’être dans les méandres de sa folie. Le temps est aboli, seule, la douleur demeure.
Aucun insecte ne perturbe le faisceau des phares qu’une brume diffuse semble cristalliser en une intangible paroi, quelques mètres devant la voiture.
La voiture. La carcasse et le tronc qu’elle embrasse.
Pour une raison inconnue ses phares marchent encore, sinistres projecteurs éclairants le théâtre de ma dernière apparition. Et moi, charogne encore trop vive dans une carcasse déjà trop morte, je souffre. Je souffre et je le fais bruyamment.
On serait étonné du point auquel un corps humain peut faire du bruit en mourrant. Mes oreilles n’entendent que cela. Il y a d’abord mon souffle. Ou ce qui était mon souffle et n’est maintenant qu’un sifflement ténu qui s’échappe de ma gorge en sens unique. Les molécules d’air quittent le navire à l’abandon. Et les bruits humides que suscitent chacun de mes soubresauts, les bruits du sang qui jaillit hors de moi par d’impossibles brèches me rappellent la mer dans laquelle je sombre.
Naufrage.
Mon corps est un naufrage.
Ce naufrage n’a rien de neuf. Les longues minutes qui ont assisté à la fuite finale ne sont pas celles qui ont vu le navire se saborder. Cela fait bien longtemps que je traîne ma vie comme un déchet dont on aimerait se débarrasser.
Après tout, cette fin je l’ai choisie. Je vis ma mort. J’en serai presque heureux.
Des années de méprise totale de moi-même et du monde qui m’entoure, pour comprendre en quelques secondes ce que j’avais - volontairement - ignoré tout ce temps.
Rentrer six nuits par semaine du même travail vers un endroit que je n’appelle chez moi que parce que le Fisc le considère ainsi. Emprunter tous les soirs, tous les matins, la même route, les mêmes droites mornes qui barrent un paysage sans intérêt. Vivre ainsi des années dans l’attente.
Qu’espérai-je tout ce temps ?
Une subite révélation, je crois. La révélation que je ne suis pas ce personnage médiocre, aux traits banales, aux tempes clairsemées, aux yeux vides. Ce même corps au ventre naissant, aux muscles déjà défaillant, cette chair sans attraits. J’attendais de savoir que je ne suis pas tout à fait incapable de faire quelque chose du temps. Du temps qui déjà ne m’appartient plus, dans lequel je n’ai jamais agi.
J’attendais de comprendre que je n’ai pas accumulé toute cette durée, vécu comme un animal, sans raison. Sans qu’il n’y ait rien au bout.
Et il n’a suffit que de ce soir là, de cet instant précis où j’ai vu les phares briser la noire opacité de la nuit pour comprendre que si je voulais avoir vécu pour une raison il fallait que je meure pour celle-ci.
Je jubile quand, les phares se rapprochant, j’identifie le modèle qui vient à ma rencontre : Une espace. Un vrai mini-bus pour familles nombreuses. Un modèle « spacieux » et « convivial » pour charger des cargaisons de petits veaux élevés dans des idéaux que sans avoir compris ils reproduiront toute leur vie.
Je hais déjà ce camion de marmaille grouillante, de parents que ne retiennent que le produit de la frénésie sexuelle de leurs premières années. Ces êtres qui, sans doute, se détestent déjà assez pour laisser le souvenir amer du désespoir des couples à leurs rejetons pour le reste de leurs années. J’exècre ces gamins inconscients et mesquins que leur jeunesse maintien dans une lénifiante imbécillité mais qui déjà s’infligent les pires bassesses. J’abhorre tout ce que ce véhicule peut contenir de veulerie masquée et de faux-semblants consensuels.
C’est la pensée de cette ignominie ambulante qui m’éveille. L’idée que le contenu s’en reproduira indéfiniment, si rien auparavant ne l’arrête, et ira nourrir les rangs interminables de « regrets éternels » me révulse. Il faut agir avant que tout ceci ne devienne inarrêtable. Ma vie peut avoir une raison. Cette raison peut être de rendre service au monde, à ces gens qui viennent à ma rencontre.
Je vais abréger leurs souffrances. Et par la même occasion éviter au reste du monde d’avoir à souffrir leur existence. Ma vie va servir à interrompre les leurs.
Je me sens transporté. Je me sens tout autre. Je ne suis plus le minable employé rompu par la monotonie du quotidien et les ennuis de l’esprit en proie au vide intérieur. Je suis le libérateur. Le messie qui va montrer la voie. J’ai un but, je vais le réaliser. Je sais enfin que je ne suis pas né pour rien, que tout ce que j’ai vécu, volontairement ou non, jusqu’ici, peut avoir un sens. Cette nuit toute mon existence acquiert une signification et cette signification roule vers moi à bonne allure.
Ma vitesse combinée à celle du véhicule qui arrive en face nous fait dévorer la centaine de mètre qui nous sépare. Je distingue maintenant clairement ces deux immenses halos blancs que précède mon sens. C’est bien une espace, un modèle récent. Je crois déjà discerner le visage de ce brave père de famille, ce monstre inconscient, qui, les yeux rougis et le visage creusé par la fatigue, doit guider sa meute vers un havre improbable.
Je le regarde et je me sens pleinement prophète. Je vais le libérer, je vais les sauver, et ils ne s’en doutent même pas. Je les en plains presque. Je voudrai voir leur visage si on leurs disait qu’ils vont mourir là, sans raison, parce que j’en ai décidé.
Mon corps n’est que tension et pourtant je sens un calme étrange pénétrer mon esprit. J’ai une certitude. Et je réalise celle-ci alors qu’à quelques mètres de la voiture, alors même que nous allons nous croiser, je braque violemment.
Maintenant je crève doucement, la douleur m’est rendue supportable par l’idée de sa fin. La conscience de ma propre fin. Et je ressens toujours ce calme étrange, cette conviction. J’ai existé.
Et pour me remplir encore un peu plus de cette certitude, je lève les yeux vers le cadavre fumant du char à veaux broyé qui repose à quelques mètres de moi. Je veux me remplir de tout le spectacle de ce qui a fait ma vie, de la raison de celle-ci. Et là, dans ces décombres de métal arraché et de vitres explosées, je distingue un corps derrière le volant.
Un type, un seul, comme moi.
LA ZONE -
Pourquoi continuer ?
La route est si longue. Il fait nuit et la lueur des phares déchire à peine l’épaisse obscurité qui m’entoure. L’herbe est plaquée par le passage des pneus qui se perdent en une piste au tracé improbable dans la pénombre environnante. Un vent frais souffle mais je ne ressens pas son oxygène. L’air n’est plus de mon domaine désormais.
La route est si longue. Il fait nuit et la lueur des phares déchire à peine l’épaisse obscurité qui m’entoure. L’herbe est plaquée par le passage des pneus qui se perdent en une piste au tracé improbable dans la pénombre environnante. Un vent frais souffle mais je ne ressens pas son oxygène. L’air n’est plus de mon domaine désormais.
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Moi je le trouve vraiment pas mal ce texte.
J'ai quand même eu du mal à me les enfiler, ces 16 articles.
Mais bien écrits.
(mais de quoi tu parles, l'Abbé ?)
Pas d'accord avec le résumé. Pas de déception de mon côté, c'est excellent. Moins rentre-dedans, peut-être, moins uniformément puissant que le premier texte de Womble (qui a quand même un nom de merde, faut dire ce qui est), mais beaucoup plus fin et construit.
C'est redoutable de cruauté, surtout. Voilà. Womble, t'es un enfoiré. En fait. Le type est minable, sa vie est minable en tout, on arrive très bien à s'imaginer tout ce qui n'est pas dit, sa solitude, ses soirées, tout. On y met ce qu'on veut, on y met sa misère propre aussi. Mais sa mort est pire encore, putain, au fur et à mesure du texte je déchantais.
Parce que
SPOILER
SPOILER
SPOILER
SPOILER
SPOILER
SPOILER
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j'aime bien, moi, les accidents de voiture. Alors au troisième paragraphe (notule au passage : le fait même qu'il vienne d'y avoir un accident et que ce soit un mourant qui parle est très bien gardé secret, j'ai compris sur "le tronc qu'elle embrasse" et pas avant), j'ai commencé à m'exciter des globes oculaires. J'attendais soit le récit de l'accident, soit des description qui vont bien. Surtout, j'imaginais qu'il se beugnait l'arbre de plein fouet, à pleine vitesse. Mais non.
Et puis la fin, putain la fin, t'es vraiment un enfoiré.
A mon goût c'est un excellent texte. Bien écrit, admirablement même, et cruel à souhaits, d'une cruauté sinistre et calme.
(nihil
(void)
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Re:A propos du rythme de publication
« Répondre #13 sur: Ajourd'hui à 19:14:26 »
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Bon alors, vous vous en sortez ? Je veux un rapport sur mon bureau pour demain matin. En attendant je posterai 16 articles par jour.
"
Ma source, t'iras la chercher sur le centre à 100 points de mon coeur rose.
Aaaah ouais ben ouais c'est vachement logique, en fait, tu réponds aux posts du forum sous les articles.
Je vais poster ma réponse sur le forum de l'UMP, je reviens.
Le texte parle de Sarkozy? Ah oui, naufrage. Merde, j'ai raté un truc, je vais le relire tout de suite.
Et il parle de chair broyée et dans Sarkozy il y a sark-, et en grec, sarks, ça signifie chair. C'est pas beau, ça ?
J'avais très envie de faire un jeu de mots avec Ozy et le magicien d'Oz. Cependant, j'ai la flemme d'en faire quelque chose de construit et préfère largement tenter de me curer le fond du nez avec un speculum motorisé.
Le premier texte de Womble ressemblait curieusement à un copier-coller de "Hell". Quand même, je tiens à préciser. C'est un peu gênant pour apprécier les autres sans une légère suspicion.
Ici, l'idée est bonne,scénario en simple appareil, beaucoup de phrases à rallonges qui handicapent la lisibilité du texte. Quelques termes mal choisis amoindrissent l'effet ; "le tronc qu'elle embrasse": j'aurais préféré "qu'elle emplafonne"... ou qui reviennent de manière récurente quelque soit le thème ; tendance à la surcharge en adjectifs ou en participe présent, ce qui fait que c'est moins "percutant" (ah ah ah).
L'argument du néo justicier dont la vie prend subitment un sens suicidaire, ça ne tient pas la route (MOUAAAaaaah ah ah! dirait l'Abbé Pierre...non? bon...)
excusez pour "quelque" au lieu de "quel que soit", ça fait moyen, mais c'est toujours du blé à moudre
De toute façon "Hell" est déjà un copié/collé de ce que fait Beigbeder, et ce que fait Beigbeder ressemble à un copié/collé de ce que fait Bret Easton Ellis.
Tout est une copie d'une copie d'une copie, au final.
Le texte sinon m'a un peu déçu, mais le début et la fin surtout sont trés bien foutus.
"La conscience de ma propre fin. Et je ressens toujours ce calme étrange, cette conviction. J’ai existé."
C'est beau.
Un texte moyen en somme, mais de trés bons morceaux à l'interieur.
Pour Ange, c'est Aka qui m'a conseillé Hell après avoir lu mon texte, je ne l'avais pas lu avant. J'en avais à peine entendu parler.
Par contre je connaissais déjà Bret Easton Ellis et Beigbeder (Qui ne lui arrive vraiment pas à la métacarpe).
Et comparé à ce qu'à pu faire Ellis, Hell est très très en-dessous. Je prends presque mal la comparaison.
Accessoirement, je ne tenais pas à écrire ce texte dans la même veine que le premier. La plus grande partie était à l'origine au passé, c'est sur la suggestion de Nihil que je l'ai retravaillé pour tout repasser au présent.
Ceci dit, je suis assez d'accord avec vous (Vous tous là, oui) j'aime moins ce texte que le précédent que j'ai posté ici.
Ps : Moi aussi je t'aime Glaüx.
commentaire édité par Womble le 2006-3-3 18:31:7
De toutes façons, toutes les oeuvres sont des plagiats, sauf l'original, évidemment, qui reste, d'ailleurs, parfaitement inconnu...
Ooooooh il a sorti sa sentence.
On applaudit.
On admire.
Ceci dit Borges n'est pas tout à fait d'accord et rend la chose un peu plus passionnante.
Ceci dit on s'en branle, globalement.
J'ai adoré ce texte. La construction non linéaire est ideale, c'est hyper visuel et comme je suis un amateur de final twists, la fin m'a tuée....
c'est bizarre mais je verais bien en intro un type en costard annoncer en noir et blanc : " Jack est un cadre moyen, moyen... Il vit de plus en plus mal un quotidien monotone et se sent harcelé et par le fisc et par son patron et par la vie... Jusqu'à present, il n'a pas pris d'initiative par rapport la chose mais çà va changer car sans s'en rendre compte, alors qu'en rentrant chez lui, il a emprunté un racourci qu'il n'aurait jamais du prendre, Jack est entré dans la (Twilight) Zone, un endroit dont on ne revient que rarement..."
*style*
"Ces heures qui s’éternisent, quand le lendemain semble aussi improbable que le matin du jour qui vit naître cette nuit." = C'est lourd. Ca commence mal.
"emprisonne l’être dans les méandres de sa folie" = c'est pompeux.
Globalement, je ne suis pas fan des métaphores ou images utilisées.
*personnage*
son aversion pour tout ce qui représente la "norme sociale" est plus qu'explicite. "Je hais", "J’exècre", "J’abhorre", "cette ignominie"... C'est extrême, presque trop à mon goût, je pense que j'aurais préféré un brin de subtilité plutôt que cette haine aveugle et sourde.
"Je me sens transporté. Je me sens tout autre", "Je suis le libérateur. Le messie qui va montrer la voie.", "je me sens pleinement prophète" : ah, maintenant, il vire mégalo. On passe à un autre extrême, et ça me chiffonne pour la même raison.
La fin rattrape un peu le coup : je me suis dit "Mouahaha ce gros con de narrateur s'est trop planté, bien fait pour sa gueule c'est trop un con". Mais ça reste un peu léger pour rattraper tout le reste, qui à mon gout manque de subtilité, d'ambiguité.
Bon, c'est très subjectif tout ça hein... Mais après le plaisir que j'avais eu à lire "un soir tous les soirs", bin j'avoue que je suis un peu déçu. Oui, déçu.
Et donc womble, sache que c'est à contrecoeur que je te demanderai de bien vouloir quitter la zone et ne jamais revenir.
(...Mais kestu fous, t'es encore la ??)
Mais reste encore un peu pour voir ce qu'on a fait de ton magnifique texte
J'ai bien aimé ce texte, surtout après correction. Le style est peut-être un poil trop "classe" pour les circonstances. A la première lecture j'avoue avoir eu peur sur tout le début : "et merde Womble est donc aussi un ado dépressif". Mais non, bien rattrapé.