Un soir, alors que je lisais un bon bouquin, mon téléphone s’est mis à sonner. Des potes. Une fête. J’ai répondu : « Pas ce soir les gars ». C’était la première fois que je refusais une fête, ils pensaient que je plaisantais. Quand ils ont compris que ce n’était pas le cas, ils m’ont demandé la raison. Il leur fallait une excuse valable. J’en avais pas vraiment, c’est juste que j’avais pas envie de sortir. Je voulais rester tranquille et finir mon bouquin, voilà tout. Alors ils ont insisté et m’ont expliqué que la soirée s’annonçait superbe, avec du monde, de l’alcool à volonté et tout ce qu’il faut. « Je vous crois, mais vous vous fatiguez pour rien. Je viendrai pas ce soir, comptez pas sur moi. Allez, ciao ».
Pour une fois je passais donc une soirée sans alcool, sans musique consensuelle de merde, sans discussion superficielle. Pour une fois je vivais le lendemain un réveil sans gueule de bois carabinée, sans bilan morbide de mes conneries de la veille... Ca me changeait, c’était reposant. J’ai trouvé ça bien.
Le boulot était toujours aussi chiant, mais au moins pas de gueule de bois, pas de mal de tronche et pas d’envie de dégueuler. Je me sentais plus reposé, moins différent des autres gars du boulot. J’ai commencé à penser qu’après tout, ce serait peut-être pas si con d’avoir une vie plus stable.
Je me suis mis à refuser de plus en plus de fêtes, et quand j’y allais, c’était souvent à reculons… Je veux dire, j’étais plus dans le même état d’esprit. Obligé de piccoler encore plus vite et encore plus qu’avant pour supporter la présence de tous ces gens et pour arrêter de me demander pourquoi je rentre pas chez moi lire un bon bouquin.
De moins en moins de fêtes, donc, et de moins en moins de sorties. J’avais pas envie, et je voyais pas de raison de me forcer. Au début, les gens continuaient à m’appeler de temps en temps, ils me tenaient au courant, prenaient de mes nouvelles, tout ça. Puis très vite ils m’ont oublié, plus personne ne m’appelait. Bah, je m’en foutais un peu. A la limite c’était peut-être mieux comme ça. De toutes façons ça me faisait chier de répondre au téléphone, il me dérangeait la plupart du temps. Qu’on m’oublie, je trouvais pas ça grave.
Petit à petit je suis devenu un véritable ermite urbain. Je ne sortais plus de chez moi, et si l’interphone sonnait, je bronchais pas. En fait, ça me venait même pas à l’idée d’ouvrir ma porte. Ils finiraient bien par se lasser de sonner, par comprendre que je suis pas là... Foutez-moi la paix. Rien à foutre de rien. Rien à foutre du boulot. Je restais chez moi et je ne voyais personne. Je passais mes journées devant la télé ou devant l’ordinateur, de temps en temps je lisais un bouquin… J’étais tranquille, plus de stress.
Les seuls moments où je sortais de ma caverne, c’était pour faire les courses. Ca me faisait bien chier d’ailleurs : les gens qui te regardent, l’attente devant la caisse, le risque de tomber sur quelqu’un qui te connais et qui viendrait te parler... Pour éviter ça, un jour, j’ai pris en une seule fois une grande quantité de conserves, comme si j’allais passer les six prochains mois dans un abri anti-atomique. De quoi tenir un bon bout de temps sans avoir besoin de refaire les courses : parfait.
Une fois je me suis carrément réveillé sans aucune envie. Hors de question de sortir, ça c’était évident, mais j’avais pas non plus envie de regarder la télé, de lire ou de n’importe quoi d’autre. Alors je suis resté allongé dans mon lit et j’ai regardé le plafond. Un bon moment.
Pourtant j’en avais des choses à faire. Fallait que je m’occupe de la facture d’électricité, fallait que je fasse la vaisselle, fallait que je vérifie ma boite aux lettres et un paquet d’autres conneries... Mais je m’en foutais de tout ça. J’ai continué à regarder le plafond, en restant allongé. Un jour ils ont finit par me couper le courant. Tant pis. Puis ils m’ont jeté de chez moi, j’avais trop de loyers impayés depuis trop longtemps. J’ai pris mon sac à dos, j’y ai mis quelques bouteilles d’alcool et je me suis tiré sans faire d’histoires. L’huissier et ses amis musclés n’ont même pas eu à s’énerver. Plus d’appart : tant pis. Pas la peine de se battre pour rien.
J’ai marché. J’ai trouvé un parc, je me suis assis dans l’herbe, j’ai sortit une bouteille de whisky de mon sac à dos et j’ai commencé à boire, boire, boire. Derrière la grille du parc, j’ai cru apercevoir d’anciens potes, des personnes avec qui je faisais la fête autrefois. Ils avaient l’air relativement heureux, ils discutaient en souriant. Je les ai observé jusqu’à ce qu’ils sortent de mon champ de vision.
Alors j’ai pris une nouvelle gorgée de whisky, une grande. Puis j’ai baissé la tête, et quelques secondes plus tard je me suis mis à vomir sur l’herbe du parc. Quand ensuite j’ai relevé ma sale tête, dans le parc, tout le monde me regardait avec dégoût, du retraité assis sur un banc au petit enfant qui joue en passant par la mère de famille et la saloperie de couple qui s’embrasse dans un coin. J’étais mal à l’aise. Pour ne plus subir ces regards abominables, je me suis levé, j’ai pris mon sac à dos et je suis repartit dans la rue.
J’ai trouvé un peu de monnaie dans la poche de mon blouson. Alors je suis allé dans un cybercafé et j’ai écris cette histoire, mon histoire. Voilà où j’en suis, et quand je sortirais de ce cybercafé, tout ce qu’il me restera c’est trois euros, un sac à dos, et deux bouteilles de vin.
Maintenant je vais probablement m’acheter un sandwich avec les trois euros, le manger et finir le vin. Ensuite, faudra que je me débrouille pour redevenir un mec à peu près normal, sinon ça va mal finir.
LA ZONE -
Une vie bien remplie et pas tellement de temps pour dormir, voilà comment c’était.
Je me souviens, j’arrivais à tout faire : le boulot, la fête et le reste. Surtout la fête d’ailleurs... Si on me faisait l’honneur de m’inviter, je refusais pas, jamais. Je faisais la fête pratiquement tous les soirs de la semaine. Beaucoup de travail, de rencontres, d’alcool, de rires : je faisais ce qu’il fallait et je profitais de la vie. Je me reposais seulement quand physiquement c’était nécessaire, le reste du temps tout allait très vite. Je faisais plein de choses, je voyais plein de gens, et, quelque part, je crois bien que j’aimais ça. Ma transformation n’en est qu’encore plus curieuse.
Je me souviens, j’arrivais à tout faire : le boulot, la fête et le reste. Surtout la fête d’ailleurs... Si on me faisait l’honneur de m’inviter, je refusais pas, jamais. Je faisais la fête pratiquement tous les soirs de la semaine. Beaucoup de travail, de rencontres, d’alcool, de rires : je faisais ce qu’il fallait et je profitais de la vie. Je me reposais seulement quand physiquement c’était nécessaire, le reste du temps tout allait très vite. Je faisais plein de choses, je voyais plein de gens, et, quelque part, je crois bien que j’aimais ça. Ma transformation n’en est qu’encore plus curieuse.
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Franchement ?
J'aime bien, ça se lit d'une traite et c'est appréciable.
Alors je ruminais parce que j'avais rien à dire sur ce texte tellement qu'il est bien t'as vu.
Puis j'ai eu une illumination : c'est quoi le rapport avec le titre ?
Voila.
J'aime beaucoup, ça résume pas mal une vie de merde.
Bon, ben ça veux dire que j'ai une vie de merde.
Je te rassure, j'en fais partie aussi, alors bienvenu à toi.
Et bien, texte sympa, facile à lire tout ça. Ouais.
N'empêche il a une sacrée bonne gueule le chien dessiné, là. J'ai bien envie d'être son pote.
Rudement intelligent ce texte. Sans se casser le cul avec deux-mille démonstrations, l'évolution du type est très naturelle, très logique. Y a pas un moment où on s'identifie pas, les commentaires ont l'air de confirmer, et je crois qu'on s'est tous dit qu'on aurait bien pu finir clodos comme ce mec si on avait pas refusé au dernier moment de perdre un certain confort de vie.
J'aime bien que le texte fasse pas dans le tape à l'oeil, c'est un peu exactement l'inverse de mon texte LEX à ce niveau, alors que l'histoire est un peu sommairement la même.
Ca manque quand même un petit peu de développement, l'évolution est trop rapide à mon goût.
Pas d'accord sur l'identification, perso y a un moment où ça a arrêté de fonctionner avec moi (la première partie par contre, j'avoue, je pensais que j'avais écrit ce texte bourrée et que je l'avais oublié). Ca part clairement dans le n'importe quoi tout simplement parce que ça va à l'encontre des besoins vitaux de base. C'est justement ce que j'ai trouvé intéressant dans ce texte : qu'il donne dans le réalisme sur une situation qui n'a rien de tel.
J'adore. Chute dans l'aquoibonisme et morale à la fin. Très bien.
Moi aussi j'aime beaucoup.
Aka> Alors le titre "279 degrés" est lié au changement de direction du protagoniste, si je puis dire. C'est une image. Tu vois, au début du texte le mec il est super sociable, puis ensuite il l'est plus du tout (virage à 180 degrés), et à la fin il commence à penser à repartir vers le point de départ, mais il est loin de sa position initiale. Ce n'est donc pas un tour complet (360 degrés), c'est moins. D'où le titre "279 degrés". Puis j'aime bien les titres un peu mystérieux. En gros voilà, c'était pour ça.
Nihil> Oui, on peut trouver que ça manque un petit peu de développements, notamment entre le premier et le second paragraphe. D'ailleurs j'y ai réfléchi à moment donné avant que le texte soit édité, mais je me suis dit que, bon, finalement, ça m'allait comme c'était. Maintenant que ton commentaire m'y fait repenser, je me demande si j'ai eu raison. Peut-être bien que j'aurai du y réfléchir un peu plus en fait.
J'en suis au 3ème paragraphe, mais je remonte en ce moment.
Hum. Texte très sympa mais j'ai été déçu par la chute trop gentille. Je m'attendais vraiment au carnage.
j'aime vachement, pour un peu toutes les raisons citées précédemment.
...Donc maintenant, on se joint à moi pour encourager ce cher DirtyDog à nous pondre un texte pour la saint-con !
Je crois m'être dit, quelque part vers le troisiéme paragraphe, quand je me suis rendu compte que j'accrochai vraiment : "Putain, mais c'est limpide. L'écriture passe toute seule, le personnage c'est moi (J'ai révisé mon jugement sur la fin), ca à l'air tellement naturel que c'en est louche. Ce texte est bien..."
Ou un truc comme ça.
Bref, ça m'évite d'avoir à inventer un commentaire.
commentaire édité par Womble le 2006-2-24 2:9:39
C'est vraiment super.. où est la caméra cachée ? Tu devrais vendre ton truc au cinoche pour rebondir pasqu'on s'identifie comme dans du beurre (expression aleatoire) à ton personnage et çà generalement c'est ce qu'ils cherchent à Hollywood.
çà donne envie de faire pareil presque. Sinon mendier pour se payer une heure de cybercafé c'est hautement amoral tu méeriterait de crever ! (si tu me lis c'est que t'en es venu à cette extremité indigne !)
Maintenant faudrait se demander qui est DirtyDog parcequ'apparement on le reverra pas de si tôt... Est ce un vrai bout d'autobiographie ? est ce un habitué de la Zone qu'à pris le pseudo juste pour l'occase ? Le mystère risque de rester longtemps sans réponse.
Comme j'ai déjà pu te le dire lorsque tu m'avais fait l'honneur de me faire parvenir ton texte par mail, c'est très bien ! :-)
Les groupies c'est le mal par contre :-(
J'aime beaucoup la phrase de fin. Le reste est plutôt agréable à suivre. Y a toujours ce côté désabusé, je-m'en-foutiste-, qui vient contrebalancer l'incohérence tragique du narrateur. Et ça, c'est drôle.
C'est bon.
Sauf les derniers mots, "sinon ça va mal finir", mais bordel on attend que ça! L'auteur en dit trop ou pas assez : sans ce petit appendice, la nouvelle se suffit à elle-même. Avec, il faudrait une suite.
Bref, mon plaisir a un peu été gâché par ça, sinon l'à-qui-bonisme (merci Dourak) est peint avec justesse. J'ai aimé.