Moi, je pouvais pas comprendre qu’on puisse détester quelqu’un à ce point, surtout pas ses parents. Je peux pas dire que j’adore les miens, je peux même pas prétendre m’être posé la question, à vrai dire. Ce sont mes parents, et basta. Ils m’ont bien pourri l’existence, c’est vrai, mais comme presque tout le monde je suis capable de reconnaître que c’était pas uniquement pour me faire chier. D’après Freud ils ont contribué à faire de moi ce que je suis. Et sans suffisance aucune, je dois dire que je me déteste pas.
Elle non plus, elle ne se détestait pas. Cette fille, elle avait le feu en elle, vous voyez. Elle était grande et droite, et elle avait tellement d’aplomb que lorsqu’elle vous adressait le moindre boniment, ses longs doigts manucurés serrés autour des hanches, une force fabuleuse vous astreignait à hocher la tête comme un molosse en peluche à coller sur le tableau de bord. Et si en plus elle se mettait à vous fixer de ses grands yeux jaunes étincelants, alors là, faites-moi confiance, vous fondiez. Elle était capable de vous faire faire à peu près tout ce qu’elle voulait. Mais c’était pas quelqu’un de mauvais, et si elle était parfaitement consciente de son pouvoir quasi surnaturel, elle n’en abusait pas. Pas avec moi en tous cas.
Celle qui m’a séduit, ce n’est pas cette splendide effarouchée au regard de braise. Celle là, on avait juste envie de la baiser par défi. Question d’ego. Je l’ai fait, j’étais content de moi, et elle, elle n’en avait rien à foutre. Moi ou un autre. Mais je me suis attaché à la fillette exaltée qui est venue s’imposer chez nous on ne sait trop comment.
Elle avait rien à faire avec des gars comme nous. On vivait là depuis toujours, dans nos soixante-dix mètres carrés, on avait même un bout de jardin. Personne venait nous faire chier. On se levait juste à temps pour fumer un joint en regardant les braves gens partir à la messe. Puis on s’en roulait un autre pour le petit déjeuné, et on envoyait une délégation se planter à la sortie des églises du coin avec un vieux bonnet miteux. Les bons jours on ramenait assez pour se payer une bonne savonnette, et par la même occasion une bonne soirée. Les mauvais on restait juste végéter dans nos moisissures en attendant que l’un de nous se lève pour foutre un coup de pied aux culs des autres. Et d’une manière générale, on s’en sortait plutôt bien. On était des mecs cleans, pas des junkies - on se défonçait sain, si j’ose dire. On gardait une place acceptable dans l’estime des braves citoyens, ça nous permettait de nous procurer ce dont on avait besoin en toute légalité contre deux trois travaux idiots, et surtout de bouffer à l’œil. Bref, on avait la belle vie.
Elle, c’était ce que j’aurais appelé une jeune bourgeoise, n’eut été son caractère remarquable. On l’a accueillie un soir pourri de mauvais marocain, parce qu’elle n’avait nulle part où aller, et surtout parce que ça nous évitait de ruminer des saletés à propos de l’enfoiré qui nous avait vendu cette merde. L’évidence nous a trompeté toute la nuit qu’on était pas du même monde, il suffisait de la regarder ; on s’attendait donc à lui dire au revoir le lendemain matin. Mais elle est restée, une semaine, puis deux, elle s’était attachée à nous, et nous à elle, je dois dire. Elle était tellement déterminée à se sculpter un siège dans le roc de notre microsociété qu’on l’a laissé y ciseler un trône.
Elle avait quitté le cocon familial sur un coup de tête. Enfin, dans son cas je devrais certainement parler d’un chemin de croix plutôt que d’un cocon, mais l’idée est là : après avoir vécu quelque chose comme dix-sept douloureuses années chez ses géniteurs, elle avait décidé de se barrer. Mieux que ça en fait, elle avait décidé de les tuer. C’est ce qu’elle nous racontait les soirées de grosses défonces. Alors on divaguait des heures durant sur le meilleur moyen d’éliminer ses parents. C’était un jeu, vous voyez, juste un jeu. Avec le temps on est devenus des maîtres en la matière. En théorie du parricide je veux dire. On avait des vrais plans machiavéliques pleins de symbolisme et de métaphores. La nuit, on trouvait ça amusant.
Mais quand elle m’en parlait le jour, à moi - juste à moi parce qu’on était devenus vraiment proches, si vous voyez ce que je veux dire - ça devenait vraiment sordide. Je n’avais plus l’esprit assez nébuleux pour ne pas me rendre compte de la passion qu’elle mettait dans ses projets de torture. C’était dégueulasse, vraiment dégueulasse. Mais c’était tellement beau de la voir s’animer comme ça ! C’était visuel. Un spectacle à en faire vibrer tout ton être. Si tu arrivais à passer outre le son, l’image était prodigieuse. De toutes façons il arrivait un moment où tes oreilles chauffaient tellement que tu n’entendais plus rien. Ça, c’était juste avant quelle termine sa harangue par un sourire magique qui te faisait monter au septième ciel, puis qu’elle t’emmène dans des endroits improbables - pas pour jour aux dames, non. L’aboutissement général de ses discours pouvait te rendre n’importe quoi supportable, si j’ose dire.
Bref, j’avais fini par me forcer à la croire simplement un peu lunatique et farfelue pour pouvoir l’écouter encore et encore.
Alors, monsieur, si j’avais su où elle se cachait, la princesse, je me serais déjà coupé la langue. Si vous cherchez un prétexte pour me laisser moisir ici, vous allez chercher longtemps. Les épines de roses, les cercueils de choux, j’y suis pour rien. C’est pas moi non plus qui ai eu l’idée des poupées aux placentas, c’était celle d’un des gars, certes, mais je vous l’ai dit, c’était juste un jeu. On est clean, on a rien à se reprocher, on a juste offert à la belle le foyer qu’elle n’avait pas… exacerbé son désir de vengeance, oui, peut-être, et alors ? Pas de quoi nous jeter l’anathème. Y’a pas de loi contre ça.
J’y suis pour rien, pour rien du tout. Mais bon dieu, qu’est-ce que j’aurais aimé la voir après ça !
LA ZONE -
Vous voyez, son problème, c’est qu’elle n’était pas capable de se maîtriser. Elle les haïssait avec tellement d’intensité que c’en était écœurant. Chacun de ses laïus à propos de ses géniteurs était plus infâme que le précédent.
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OUaip
("petit déjeuné" n'est pas correct)
Tout le reste l'est.
Très évocateur, très afriolant, très bien écrit.
Perso j'ai beaucoup aimé.
Voila voila.
Juste heu, le début n'est pas très clair.
Comme je l'ai vu, il n'y a qu'une fille, a deux facettes ...
Mais c'est pas clair (je me répète) on a l'impression qu'il y en a deux et que la première à rien à foutre là.
C'est le but ?
Ah, bon ....
Ouais j'ai été un peu confusé à ce niveau-là aussi.
Okay, c'est bien écrit tout ça, il semble il y avoir une bonne ambiance tout ça, mais bon. J'ai RIEN capté. Des mecs qui se droguent, d'acc', une fille qui se fait sauter, d'acc', mais bon. J'ai vraiment RIEN capté.
Bah en gros, ça à l'air d'être un mec interrogé dans sa cellule de prison à propos d'une fille déjantée qui a tué ses parents.
Tssss faut juste lire son profil.
marrant, moi aussi j'ai passé des nuits a imaginer des scénarii pour éliminer mes parents. Dommage, je suis trop con pour parvenir à concevoir le crime parfait.
A propos du texte, je le trouve de bonne facture. En bon psychorigide, j'ai tilté moi aussi sur le "petit déjeuné". Pour le reste, ça passe bien. L'idée aurait même pu être un peu plus développée, ou alors, tiens, idée, faire un autre texte ou la narratrice serait la jeune fille en question. Parce que le témoignage de son pote, il donne envie de la connaître un peu mieux, cette jeune fille.
bon premier texte.
::: OK POUR ADMISSION AU SEIN DES AUTEURS DE LA ZONE :::
(comment ça, "de toute façon on prend tout le monde ?")
J'aime beaucoup le style, même si c'est un peu le cul entre deux chaises, ni tout à fait lisse ni tout à fait oral. Mais c'est fluide.
Et c'est simple et sans bavures.
Pas d'accord pour la suite ; c'est mieux si on imagine nous-même l'étendue des trucs qu'elle a pu faire à ses vieux.
Sympa mais il est assez bizarre ce texte, bien écrit, mais bizarre. Alors maintenant est-ce que c'est la fin que je trouve complètement avortée ou le style du texte qui pour une fois change un peu de ce qu'on lit habituellement ici...Moi maintenant, je sais pas.
ce n'est pas la scène de torture que je m'imaginais découvrir dans une suite, c'est la psychologie de la narratrice : ses pensées, son obsession pour le parricide, etc...
Excellent.
Putain, il en perd ses grandes phrases.
Très élégent, ça se lit comme un verre d'absinthe si j'ose dire.
Toi, je vais t'inviter plus souvent à l'apéro. Pas communs les types qui lisent les verres au lieu de les boire...
Bon style, j'ai bien aimé... Dommage qu'il y ait pas le témoignage de la scène de torture^^
Sinon moi aussi j'aimerais bien le récit de la fille en détail...
On sait déjà si tu suces toi?
Une jeune fille dont les parents sont morts, entourée de camés, qui vit dans un squat avec eux ? C'est pas un remake de Blanche Neige ?
Joliement vu cher LP
LP?
Lapinpython?
Lapinchien aurait subi une mutation suite à un accouplement avec un ovipare de passage?
Y va nous pondre des oeufs partout, laisser sa peau trainer.
Merde, on en avait déjà assez avec ses facultés primaires.
Cher Abbé tu dois pas bien connaitre les surnoms de la zone, ça me faisait pareil au début mais tu verras c'est pas compliqué
Cher connard, que tu parles de Léonard Panicaud ou ces abrutis de Linkin Park, j'en ai rien à foutre, mais je suis "cher" à personne. C'est contre mon éthique et ça gratte tellement qu'au final, ça suinte.
qseu[p en miroir vertical]o, il mesemble que tu as oublié la marque linguistique finale "huhuhu" qui dénote toute intervention de type vieux con.
Aelez en pleine crise du logement accède à internet pour la première fois depuis deux semaines.
Et là Aelez se prend une grande claque dans la gueule parce qu'elle s'attendait à se faire lyncher pour son texte moyennement zonard et relativement baclé sur la fin.
Mais bon, ça fait plaisir à Aelez, Aelez aime la zone (mais Aelez n'a jamais appri à faire de smiley en forme de coeur ou de bisounours, sinon elle s'en serait donné à coeur joie)
Maintenant Aelez vous dit à dans deux semaines.
Aelez va se pendre parce qu'en plus elle ne pourra pas poster ses textes des olympiades.
Envoyez des sous à Aelez.
Aelez parle comme Rahan, c'est chiant.
Aelez me plait bien.
Comme Rahan, ou comme Caius Julius, remarquons.
J'aime bien ce texte.
Je rejoins beaucoup de choses qui ont déja été dites. Et j'apprécie l'originalité du style (Pour la Zone, autrement ça se trouve assez facilement).
J'apprécie aussi la douceur avec laquelle l'histoire est racontée. Ca prend un peu à contrepied par rapport à ce qu'on attend ici tout en laissant place libre à l'imagination.
Forcément ça secoue pas trop, mais ça intrigue un peu et ça charme beaucoup.
En même temps, j'arrive un peu tard là.
là Womble, il tombe carrément d'un cran dans mon estime... çà calme. En même temps, on peut ecrire tres bien et avoir des gouts de chiotte
J'aime bien ce texte (voir les commentaires)
sauf que pour les yeux jaunes j'ai cru que c'était un chat
Ouais bon on s'en fout aussi
Impressions à la relecture : ça passe toujours bien, même si le style "parlé" me laisse cette fois une impression mitigée... Ce n'est pas vraiment dérangeant, mais je pense finalement qu'un registre soutenu eut été plus approprié.
Sinon Aelez, entre ce premier texte qui était déjà vraiment bien foutu, et ton texte de saint con qui est lui aussi bien réussi dans un autre genre, j'ai très envie de te dire ceci :
Ca y est, t'as fini tes exams, t'as du temps libre, donc maintenant tu vas TE METTRE TOUT DE SUITE AU BOULOT ET NOUS PONDRE DES TEXTES.
C'est vrai quoi, c'est irritant de voir un auteur qui a du potentiel, se contenter de glander de cette façon.
Non, j'ai pas fini mes exams.
Mais bientôt, bientôt...
j'aime bien cette écriture
à mon avis, le passage où tu tutoies le lecteur est un peu raté à cause de ça
Allez je remonte ...ça fait du bien à lire ce texte
*nostalgique*