Cécité

Ca me rappelle ce jeu que l’on avait quand j’étais enfant. Le but du jeu était d’utiliser des expressions courantes, mais dans des phrases où elles ne fonctionnaient pas. En les assemblant, il fallait créer une histoire. Ca commençait toujours par « un jour, c’était la nuit… ». Voilà, c’est exactement le sentiment que j’ai en ce moment. Un jour, c’est la nuit. Une nuit d’encre plus noire que le fond du gouffre le plus obscur, plus angoissante que la terreur la plus blanche, plus vicieuse que la catin la plus dépravée. Et il semble que je sois condamné à passer le reste de mes jours en sa compagnie.

J’ai peur.
Ce matin je suis devenu aveugle. Je savais que ça arriverait, et j’ai tenté de me préparer. J’ai acheté leurs nouveaux livres audio que j’ai écoutés les yeux fermés, j’ai visité tous les plus beaux monuments, j’ai appris par cœur le plan de la ville, j’ai adopté un chien… mais ce matin, j’ai compris que tout ça ne servait à rien. Quand ça arrive, on se rend compte qu’on ne peut pas être prêt pour ça. Jamais.
Soudain, tous les bruits sont plus forts, et pourtant c’est comme si on entendait plus. Et je voudrais crier mais les sons restent coincés dans ma gorge. J’ai sans cesse l’impression de percevoir des mouvements, mais quand je tourne la tête, tout n’est que ténèbres. Encore et toujours. Quel que soit le coté vers lequel je me tourne. Des milliers de choses inconnues me frôlent, aussi irréelles et éthérées que des fantômes maléfiques, me narguant sans cesse, invisibles, intouchables, incontrôlables. Les aliments m’agressent de leur goût exacerbé, et les odeurs autour de moi sont si fortes que la tête m’en tourne.

Ce matin je suis devenu aveugle. Je suis terrifié. Je me sens malade. Tout tourne autour de moi.

J’ai peur.
Au secours.